b) La délinquance induite

Si les relations entre usage de substances psychotropes et délinquance sont sujettes à débat - la cause étant difficile à distinguer de l'effet, et les enquêtes au niveau national étant rares et circonscrites -, il n'en reste pas moins que des interactions fortes ont été mises en évidence.

Comme le soulignait la commission d'enquête sénatoriale sur les drogues illicites de 2003, « si les usagers de drogues dites dures ne constituent donc pas l'essentiel des délinquants, leur prévalence dans la délinquance est néanmoins nettement supérieure ». La mission faisait ainsi état de nombreuses études démontrant, par exemple, que la proportion de consommateurs de drogues chez les jeunes prisonniers américains était le double de celle des adolescents du même âge dans la population générale, ou encore qu'un quart des délinquants étudiés dans un arrondissement de Paris étaient mis en cause pour usage de drogues.

Selon la « théorie de la porte d'entrée » , le fait de rechercher un produit interdit pousserait à fréquenter des milieux marginaux (délinquance, criminalité, banditisme), constituant ainsi une « porte d'entrée » dans ces milieux. À cet égard, la consommation de cannabis favoriserait statistiquement le passage à des comportements délictueux. Pour le professeur Michel Reynaud, « le risque (résultant de l'usage de ce produit) est davantage un risque social, lié à l'illégalité des circuits parallèles et à la délinquance qu'entretient la consommation du produit, qu'un risque de santé publique » (78 ( * )) .

Certes, il n'a pas été démontré que l'usage de drogues était en lui-même de nature à provoquer une infraction, ni que la délinquance conduisait nécessairement à l'usage de drogues. En revanche, plusieurs hypothèses ont été avancées sur ces interactions dans ce rapport :

- le besoin impulsif pour le consommateur de se procurer des drogues dont il est dépendant peut le conduire à des activités criminelles en vue d'en financer l'acquisition. Commettre des vols, se livrer à du recel, vendre des drogues ou se prostituer constituent dans ce cas des moyens de trouver rapidement les fonds nécessaires. Les consommateurs réguliers de drogues dites « dures », telles que l'héroïne ou la cocaïne, sont sans doute plus concernés, mais de jeunes consommateurs réguliers de cannabis ou d'ecstasy pourraient l'être tout autant ;

- les propriétés psychopharmacologiques des drogues sur le cerveau et le système nerveux, sources de désinhibition, peuvent conduire à des comportements violents sans que le sujet en soit pleinement conscient, l'écart entre l'idée même d'un acte délictueux et sa réalisation étant annihilé par une altération des facultés de jugement critique. « L'augmentation de la concentration n'est pas sans conséquences », a souligné à ce titre M. Gilbert Pépin, biologiste : « le principe actif du THC est un agent hallucinogène au même titre que le diéthylamide de l'acide lysergique (LSD). Il y a alors levée des inhibitions, facteur très important dans les actes criminels » (1) ;

- le trafic de stupéfiants, notamment s'il est exacerbé par une dépénalisation des drogues, est susceptible de déboucher sur une « guerre des gangs » pour la prise de possession des marchés et un repli des bandes exclues vers d'autres actions délictueuses sources de revenus. C'est ainsi que la dépénalisation des drogues en Espagne en 1982 a été suivie d'une recrudescence des vols à main armée. Et actuellement, a indiqué M. Gilles Leclair, préfet délégué pour la défense et la sécurité auprès du préfet de la zone de défense Sud, « soixante cités sont touchées par ce qui ne peut pas être considéré autrement que de la grande criminalité : des bandes s'entretuent pour le marché, les preneurs de «contrats» étant assez souvent sous l'emprise de la cocaïne ou d'autres produits. Les conditions des règlements de compte relèvent vraiment de la barbarie » (79 ( * )) ;

- enfin, une corrélation , certes non expliquée, a été mise en évidence entre consommation de drogues illicites et criminalité . Comme le soulignait la mission d'information sénatoriale précitée, « certains jeunes sont aux prises avec une sorte de syndrome général de déviance. Les consommations de cannabis, d'autres drogues, d'alcool, la délinquance et la violence sont bien souvent corrélées entre elles. La consommation se révèle assurément être un facteur aggravant mais ces phénomènes sont avant tout liés à une socialisation et à un mode de vie déviants, et à l'intégration du jeune à des groupes de pairs antisociaux ».

Ce schéma a été, grosso modo , repris par le docteur Marc Valleur, psychiatre, médecin chef du centre Marmottan. Faisant remarquer combien « le lien entre dangerosité sociale, passage à l'acte et usage de drogue est extrêmement complexe », il a énuméré :

- une « délinquance d'acquisition » , observée « dans les années 1970, [avec] des toxicomanes devenus agressifs parce qu'ils étaient en manque. [...] C'est l'époque des casses de pharmacie et des arrachages de sacs à main perpétrés par des gens qui avaient besoin d'argent pour s'acheter leur drogue et qui tombaient dans la délinquance. [...] Il s'agit d'une délinquance acquisitive, liée à l'état de manque et au besoin de continuer [...] ».

- des « délinquances de type psychopharmacologique » , où le « passage à l'acte est déclenché par l'effet même de la substance : c'est le cas avec certains délires amphétaminiques ou cocaïniques, le produit le plus en cause restant toutefois l'alcool, produit le plus documenté en matière de passage à l'acte suicidaire ou délinquant [...] ». M. Gilbert Pépin a rapporté, à cet égard, avoir découvert « avec stupeur », lors des centaines de procès d'assises auxquels il a assisté, « que même lorsqu'elle n'est pas la cause de la mort, la drogue est à l'origine d'un grand nombre de cas de criminalité. Les meurtriers, mais aussi les victimes, sous l'emprise de la drogue, ne savent pas ce qu'ils font. L'agent le plus horrible est le cannabis. Détendus, les sujets n'ont plus conscience du danger. Un porteur de canif va agresser en riant un porteur de revolver qui va le tuer en riant tout autant » ;

- un « lien systémique » : les « mêmes personnes, pour des raisons sociologiques, psychologiques et culturelles vont être amenées à être à la fois délinquants et usagers de drogues. Traumatisés dans leur enfance et n'ayant pas foi en l'avenir, ils sont malheureux et ne voient leur salut que dans la révolte et la délinquance. Demandant en quelque sorte réparation à un monde qu'ils considèrent injuste, ils vont s'adonner à la drogue pour essayer d'atténuer des souffrances préexistantes » (80 ( * )) .

Un autre cas pourrait être rajouté à cette liste, celui de l'utilisation de stupéfiants pour faciliter la commission d'un délit. C'est la « soumission chimique » qui est ici visée, soit l'administration à une personne, à son insu, d'une substance psycho-active à des fins criminelles. Cette substance jouera sur sa volonté, sur son libre arbitre, sur son indépendance ou sur sa mémoire, la victime confondant rêve et réalité et consentant à ce qui lui sera demandé.

Les produits concernés sont d'abord l'alcool, puis le cannabis, les amphétamines, le LSD et aussi le GHB - gamma-hydroxybutyrate - dénommé également la « drogue du viol ».

La soumission chimique, a expliqué M. Gilbert Pépin, biologiste, est utilisée à des fins de viol, d'agression pédophile et de vols. Viennent ensuite les extorsions de fonds - et les captations d'héritages -, les homicides et les actions pour la garde d'enfant. En effet, a-t-il précisé, dans certaines séparations difficiles, il arrive que de la drogue soit donnée à son insu à l'un des parents, dont il sera dit ensuite qu'il en est consommateur, ce qui sera confirmé par l'analyse toxicologique.

Sont dissociés l'administration à l'insu de la personne et l'abus d'état de faiblesse. Dans ce dernier type d'abus, où des stupéfiants sont retrouvés dans 17,4 % des cas, la personne prend consciemment le produit, mais le dosage de celui-ci aboutit à altérer, voire à annihiler sa volonté et son discernement. M. Gilbert Pépin a rapporté avoir constaté « des viols sous association de cannabis et d'alcool, de cannabis seul - mais où les «joints» étaient élaborés à partir d'huile de cannabis, dont le principe actif est très fort - et encore d'amphétamines, plus précisément d'ecstasy » (81 ( * )) .

Le risque de délinquance induite par la consommation de stupéfiants est d'autant plus important que le consommateur est jeune . « La déscolarisation est, dans 95 % des cas, due à la consommation de cannabis, qui conduit rapidement à un besoin, lequel va entraîner un début de délinquance car il faut de l'argent pour se procurer le produit » a indiqué le professeur Jean Costentin. « De ce fait », a-t-il ajouté, « le jeune consommateur déscolarisé se trouve progressivement désocialisé. Le problème n'est pas moral mais social » (82 ( * )) .


* (78) Audition du 11 mai 2011.

* (79) Audition du 25 mai 2011.

* (80) Audition du 2 mars 2011.

* (81) Audition du 11 mai 2011.

* (82) Audition du 2 février 2011.

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