4. User avec discernement de l'arme de la radiation

La mission s'est naturellement penchée sur la question des radiations. Cette question a été soulevée à différentes reprises au cours de ses auditions et des exemples de décisions choquantes lui ont été rapportés. Pourtant, cette question ne semble pas avoir dans la vie quotidienne des demandeurs d'emploi l'importance que son traitement médiatique peut laisser supposer.

a) La radiation, une sanction prévue par la loi en cas d'inobservation par les demandeurs d'emploi de leurs obligations essentielles

La liste des motifs justifiant la radiation de la liste des demandeurs d'emploi est précisée par les articles L. 5412-1 et L. 5412-2 du code du travail, dans leur rédaction issue de la loi du 1 er août 2008, relative aux droits et aux devoirs des demandeurs d'emploi.

Les cas de radiation de la liste des demandeurs d'emploi

Outre les cas de fraude, la radiation s'applique à tout demandeur d'emploi qui :

1° Soit ne peut justifier de l'accomplissement d'actes positifs et répétés en vue de retrouver un emploi, de créer ou de reprendre une entreprise ;

2° Soit, sans motif légitime, refuse à deux reprises une offre raisonnable d'emploi ;

3° Soit, sans motif légitime :

a) refuse d'élaborer ou d'actualiser le projet personnalisé d'accès à l'emploi ;

b) refuse de suivre une action de formation ou d'aide à la recherche d'emploi s'inscrivant dans le cadre du projet personnalisé d'accès à l'emploi ;

c) refuse de répondre à toute convocation des services et organismes chargés de son suivi ;

d) refuse de se soumettre à une visite médicale auprès des services médicaux de main-d'oeuvre destinée à vérifier son aptitude au travail ou à certains types d'emploi ;

e) refuse une proposition de contrat d'apprentissage ou de contrat de professionnalisation ;

f) refuse une action d'insertion ou une offre de contrat aidé.

La décision de radiation obéit à un formalisme précis. Elle est précédée d'un avertissement avant radiation qui permet au demandeur d'emploi de faire part de ses observations. En pratique, le demandeur d'emploi dispose d'un délai quinze jours pour cela. Si les motifs avancés ne sont pas considérés comme légitimes, la décision de radiation est prise par le directeur général de Pôle emploi ou, par délégation, par le directeur de l'agence concernée. Cette décision motivée est notifiée au demandeur d'emploi.

La radiation a pour conséquence l'impossibilité d'obtenir une nouvelle inscription sur la liste des demandeurs d'emploi pour une période dont la durée dépend de la nature du manquement sanctionné, comme le résume le tableau suivant. L'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi étant une des conditions auxquelles est subordonné le versement du revenu de remplacement, la radiation de la liste des demandeurs d'emploi indemnisés suspend ainsi ipso facto le versement de ce revenu pour la période concernée. Il s'agit bien d'une suspension : le demandeur d'emploi conservant par ailleurs l'ensemble de ses droits.

LES MOTIFS

Manquements sans motif légitime

RADIATIONS POLE EMPLOI

Premier manquement

Manquements répétés

1 er GROUPE D'OBLIGATIONS

- Insuffisance de recherche d'emploi

- Refus d'une action de formation ou d'aide à la recherche d'emploi

- Refus de contrat d'apprentissage ou de professionnalisation

- Refus d'une action d'insertion ou de contrat aidé

Radiation

(quinze jours)

Radiation

(un à six mois)

2 e GROUPE D'OBLIGATIONS

- Refus de deux offres raisonnables d'emploi

- Refus d'élaborer ou d'actualiser le PPAE

- Absence à convocation

- Absence à visite médicale

Radiation

(deux mois)

Radiation

(deux à six mois)

3 e GROUPE D'OBLIGATIONS

- Fausse déclaration

Radiation

(six à douze mois)

Comme toute décision administrative individuelle, la radiation peut être contestée selon des voies et délais de recours qui sont rappelés dans la notification individuelle de radiation. Le demandeur d'emploi doit exercer d'abord un recours gracieux devant le directeur d'agence, auteur de la décision, dans le délai de deux mois qui suit la réception de la décision de radiation. Si ce recours non contentieux échoue, le demandeur d'emploi peut alors saisir le juge administratif dans le délai de deux mois à compter de la réception de la décision rendue par le directeur d'agence et solliciter l'annulation de la mesure de radiation.

Une dernière remarque importante doit être faite pour bien comprendre les développements qui vont suivre : à savoir que, par une facilité de langage source de confusions, le mot « radiation » est souvent utilisé par la presse, les demandeurs d'emplois et même par les conseillers de Pôle emploi pour désigner non seulement la « radiation administrative » telle qu'elle vient d'être décrite, mais aussi la cessation d'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi pour défaut d'actualisation . Or, ces deux motifs de sorties de la liste des demandeurs d'emploi ne doivent pas être confondus. La radiation constitue, comme on l'a souligné, une sanction face au refus d'un demandeur d'emploi de satisfaire à ses obligations légales. La cessation d'inscription sur les listes repose, quant à elle, sur un fondement juridique différent : elle fait suite au non renouvellement mensuel (prévu à l'article L. 5411-2 du code du travail) de l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi. Pour Pôle emploi en effet, conformément à ce que prévoit la législation, un chômeur qui ne renouvelle pas son inscription au début de chaque mois manifeste sa volonté de ne plus se voir reconnaître la qualité de demandeur d'emploi. Il est donc sorti des listes (on parle de « cessation d'inscription » dans le langage juridique).

b) Plus d'un demi-million de radiations par an

Le nombre de radiations de la liste des demandeurs d'emploi est une donnée publique. Chaque mois, le flux des sorties de la liste des demandeurs d'emploi, et notamment le flux des radiations, fait l'objet d'une publication mensuelle de la Dares 52 ( * ) sous la forme du bulletin intitulé « Demandeurs d'emploi inscrits et offres d'emploi collectés par Pôle emploi » . Ces flux de sorties sont déterminés à partir des déclarations mensuelles de situation (par téléphone ou internet) à laquelle sont astreints les demandeurs d'emploi. Ils tiennent également compte des décisions administratives de radiation survenues pendant le mois précédent.

La statistique mensuelle du marché du travail montre ainsi que les radiations représentent une part minoritaire, mais non négligeable, des sorties de la liste. Si, depuis la fin de 2008, on observe une baisse du nombre de radiations (- 8 % entre fin 2008 et fin 2010 alors que le nombre de personne au chômage était en hausse), leur niveau demeure malgré tout élevé. En avril 2011, on en a dénombré 48 000, soit 10,2 % du nombre total des sorties de liste. Par ordre d'importance, cela constitue ainsi le troisième motif de sortie de liste après le « défaut d'actualisation mensuelle » (près de 194 000 cas sur la même période, soit de 42 % des sorties de liste) et la « reprise d'emploi déclarée » (105 000 cas, soit 22,3 % du total).

Sorties de la liste des demandeurs d'emploi par motif (catégories A, B, C) 53 ( * )
(données corrigées des variations saisonnières et des jours ouvrés)

Unités : milliers et %

Avril 2010

Mars 2011

Avril 2011

Répartition des motifs en %

Variation sur un mois

Variation sur un an

France métropolitaine

Reprises d'emploi déclarées

109,2

99,6

104,9

22,3

5,3

- 3,9

Entrées en stage

31,3

31,3

30,9

6,6

- 1,3

- 1,3

Arrêts de recherche d'emploi (maternité, maladie, retraite) :

36,7

35,6

36,7

7,8

3,1

0,0

- dont dispenses de recherche d'emploi (DRE)

5,8

2,3

3,1

0,7

34,8

- 46,6

- dont maladies

19,1

20,3

20,4

4,3

0,5

6,8

Cessation d'inscription pour défaut d'actualisation

196,5

204,3

193,8

41,3

- 5,1

- 1,4

Radiations administratives

40,3

45,0

48,1

10,2

6,9

19,4

Autres cas

57,4

54,1

55,2

11,8

2,0

- 3,8

Ensemble

471,4

469,9

469,6

100,0

- 0,1

- 0,4

France, ensemble

494,4

491,2

491,7

0,1

- 0,5

Source : Dares Indicateurs, n° 38 ( mai 2011)

Ces données chiffrées (un peu moins de 50 000 radiations par mois et 550 000 radiations par an) montrent le caractère massif des radiations administratives. Il est parfois dit ou suggéré que ces chiffres sont surestimés et que l'ampleur du phénomène est en réalité bien moindre, mais ces affirmations reposent sur une lecture erronée des résultats de l'enquête trimestrielle « Sortants des listes » qui est réalisée par Pôle Emploi et la Dares (voir plus bas).

c) Pôle emploi fait-il un usage excessif des radiations ?

Le nombre important des radiations alimente, depuis deux ans, un discours récurrent de suspicion à l'encontre de Pôle emploi, qui se voit reprocher d'utiliser cette procédure pour réduire artificiellement le nombre des demandeurs d'emploi. Alain Marcu, chargé de mission à AC ! Agir ensemble contre le chômage, s'est fait l'écho de cette thèse devant la mission commune d'information : « Je note que ce chiffre de 10 % à 15 % de radiations est cohérent avec l'objectif fixé par le ministre du travail, M. Xavier Bertrand, de faire diminuer de 55 000 le nombre de demandeurs d'emploi. Tout ceci me fait dire qu'un mécanisme est en train de se mettre en place pour faire baisser artificiellement les chiffres du chômage. »

Au cours de ses travaux, la mission d'information n'a pas recueilli d'élément objectif permettant d'étayer cette thèse . Elle a pourtant reçu de nombreux témoignages critiques, dont certains à huis clos, sur le fonctionnement de Pôle emploi de la part d'agents et des cadres travaillant au sein de cette institution. On peut penser que, si une politique active de radiation était réellement à l'oeuvre au sein de l'opérateur public, des témoignages et des dénonciations internes auraient permis d'en avoir connaissance.

Tout en écartant la thèse d'une politique délibérée de radiation massive des chômeurs, la mission n'en relève pas moins un certain nombre de faits qui suggèrent que la procédure de sanction pourrait être améliorée .

(1) Une vraie difficulté à enregistrer les changements de situation des demandeurs d'emploi

L'importance du nombre de radiations est liée en grande partie aux insuffisances des procédures d'actualisation de la liste des demandeurs d'emploi. En effet, comme l'a indiqué le directeur général de Pôle emploi devant la mission commune d'information : « P armi les chômeurs exclus des listes (...) à la suite d'une radiation administrative, plus de la moitié ont retrouvé du travail et (...) ont négligé, pour cette raison, d'actualiser leur dossier ou de se rendre à leur entretien. » Autrement dit, la radiation sanctionne souvent pour absence à convocation des personnes qui n'avaient objectivement plus lieu d'être convoquées...

Ce phénomène de radiations intempestives, mais pas abusives sur un plan juridique, est mis en évidence par l'enquête « Sortants des listes ». Il s'agit d'une étude trimestrielle conduite par téléphone auprès de 15 000 demandeurs d'emploi à qui il est demandé, trois mois après leur sortie de la liste, d'indiquer le motif pour lequel elles ont quitté le chômage. Cette enquête fait apparaître que seuls 20 % des chômeurs radiés donnent comme motif de leur sortie le motif : « radiation ». Les autres avancent d'autres explications comme la reprise d'emploi (dans environ 30 % des cas) ou le défaut d'actualisation suivi d'une réinscription (dans 30 % des cas également). Même en tenant compte des biais méthodologiques qui affectent ces résultats 54 ( * ) , l'enquête « Sortants des listes » montre donc qu'une part significative des radiations (probablement plus d'un tiers et peut-être même plus de la moitié) s'explique par un défaut de remontée de l'information : Pôle emploi continue à convoquer des personnes qui ne sont plus activement à la recherche d'un emploi et qui, ne se présentant pas à la convocation, font l'objet d'une radiation.

Ce retard est lié pour partie à la négligence ou à l'ignorance des personnes qui n'informent pas Pôle emploi de leur changement de situation . Il est possible aussi que le système d'information de Pôle emploi peine à intégrer à temps les changements de situation des demandeurs d'emploi. Quoi qu'il en soit, c'est plusieurs centaines de milliers de procédures de radiation inutiles qui sont conduites chaque année jusqu'à leur terme. Des ressources administratives importantes sont ainsi mobilisées pour des procédures de contrôle aussi lourdes qu'imparfaites, alors qu'elles pourraient être utilisées de manière plus fructueuse pour accompagner les demandeurs d'emploi.

Dans ces conditions, il pourrait être intéressant de réfléchir à une procédure d'automatisation des procédures de suivi de la situation des demandeurs d'emploi . Les 150 000 ou 200 000 chômeurs radiés alors qu'ils ont en réalité retrouvé un emploi sont en effet répertoriés dans les fichiers de l'Acoss, puisque leur embauche suppose le dépôt d'une déclaration unique d'embauche au plus tard au début de leur activité. Un croisement des fichiers entre l'Acoss et Pôle emploi permettrait donc, semble-t-il, une actualisation en temps direct des listes de demandeurs d'emploi. Il faudrait s'assurer de la possibilité technique de cette solution tout en veillant à mettre en place les procédures qui garantissent pleinement le respect des droits individuels.

(2) Une sanction parfois disproportionnée par rapport à la faute commise

Comme le montre le tableau suivant, les manquements qu'on serait spontanément tenté de considérer comme les plus graves aux devoirs des demandeurs d'emploi (insuffisance des actes de recherche d'emploi, refus d'une proposition concrète d'emploi ou de formation présentée par le service public de l'emploi) débouchent, le plus souvent, sur la sanction la plus douce dans l'échelle des peines : dans 90 % des cas, ils se traduisent par une radiation de quinze jours. A l'inverse, la non-réponse à une convocation, qui justifie plus de 90 % des radiations, aboutit à une radiation de deux mois.

Ventilation des radiations en fonction de la gravité de la sanction appliquée

Radiations enregistrées en 2010

Insuffisance de recherche d'emploi

Refus d'emploi

Autres refus (formation, apprentissage
ou contrat de professionnalisation, action d'insertion)

Non-réponse à convocation

Autres motifs (1)

Total

Suspension 15 jours

9 551

1 055

30 387

71

41 064

Suspension 1 mois

145

30

388

588

4

1 155

Suspension 2 mois

1 185

257

2 523

501 574

251

505 790

Suspension 3 mois

43

13

40

2 066

185

2 347

TOTAL

10 924

1 355

33 338

504 228

511

550 356

2 %

0,2 %

6,1 %

91,6 %

0,1 %

100 %

(1) Refus de contrat aidé, refus de visite médicale, déclaration inexacte, déclaration inexacte d'activité brève, refus de PPAE

Source : Pôle emploi SDES/DESMT/STM

C'est avec raison que la loi prévoit la possibilité de sanctionner un demandeur d'emploi qui ne se présente pas à une convocation (article L. 5412-1 du code de travail). On peut en effet raisonnablement penser que, dans un certain nombre de cas, l'absence à un rendez-vous est la manifestation d'un manque d'implication du demandeur dans sa recherche d'emploi. Ceci étant, la sévérité des sanctions appliquées dans ce cas de figure apparaît disproportionnée par rapport au niveau de sanction appliquée dans les autres cas : pourquoi deux mois en cas d'absence à un rendez-vous et seulement quinze jours pour refus d'emploi ou de formation ?

Cette disproportion apparaît encore plus injuste quand la radiation de la liste des demandeurs d'emploi s'accompagne de conséquences financières, ce qui est un cas fréquent. En effet, selon les chiffres fournis par Pôle emploi, 20 % des personnes radiées chaque année sont des demandeurs d'emploi indemnisés. Or, les radiations prononcées pour absence à convocation représentent 504 000 des 550 000 radiations décidées en 2010, soit 91 % du total , très loin devant l'insuffisance des actes de recherche d'emploi (11 000 cas par an), le refus d'offres d'emploi (1 355 cas par an) ou de formation (33 000 cas). C'est donc au final environ 100 000 chômeurs qui perdent leur indemnité durant deux mois pour absence à convocation.

Cette grande sévérité ne vient pas d'un excès de zèle de la part de Pôle emploi. L'établissement public se contente en effet d'appliquer l'échelle des peines prévue par les textes règlementaires (article R. 5412-5 du code du travail issu du décret n° 2008-1056 du 13 octobre 2008). Reste que cette échelle des sanctions peut heurter et paraître inéquitable. Comme l'a souligné Marie Lacoste, secrétaire du Mouvement national des chômeurs et précaires : « Un directeur d'agence de Pôle emploi m'a dit : Dans un pays où, lorsqu'on brûle un feu rouge et que l'on risque de mettre en péril sa vie et celle des autres, l'on risque une amende de 90 euros, il est totalement disproportionné de perdre deux mois de revenu parce qu'on n'a pu se présenter à un rendez-vous. Je partage cette analyse : il existe une disproportion entre la « faute » commise et la sanction appliquée. Les termes du contrat ne sont donc pas justes et les demandeurs d'emploi le perçoivent ainsi. »

Pour corriger cette disproportion, la mission d'information recommande de modifier le décret qui précise l'échelle des sanctions pour instaurer une suspension de quinze jours en cas de radiation pour absence à convocation lorsque cette sanction est prononcée pour la première fois .

(3) Une procédure rigide qui peut parfois confondre rendez-vous manqué et refus délibéré de répondre à une convocation

Aux termes de la loi, le motif de la radiation de la liste des demandeurs d'emploi n'est pas l'absence à une convocation, mais le « refus de répondre à toute convocation » et ce « sans motif légitime » . La décision de radiation suppose donc que l'administration interprète un fait aisément constatable (l'absence à un rendez-vous) comme l'expression d'une volonté (le refus de répondre à une convocation). On doit se demander par conséquent dans quelles conditions, selon quelle procédure et quels critères, Pôle emploi procède à cette interprétation.

La thèse défendue par les associations représentants les demandeurs d'emploi est que la procédure de radiation suivie par Pôle emploi est excessivement rigide et expéditive. Leurs critiques se concentrent sur deux points.

Le premier concerne les radiations prononcées à la suite d'une absence à convocation téléphonique . Comme l'a indiqué lors de son audition Catherine Quentier, représentante d'AC ! Agir contre le chômage : « L'offre de services est (...) dégradée et des sanctions interviennent car les chômeurs ne pouvant pas tous être reçus, ils sont convoqués à des entretiens téléphoniques à leur domicile : il leur est demandé d'être chez eux à une heure précise. Ils reçoivent un ou deux jours plus tard un courrier et même s'ils étaient là, on leur annonce qu'ils n'étaient pas là, sous des prétextes injustifiés, ce qui se traduit par leur radiation temporaire. Ceci s'est produit récemment encore - même si les radiations injustifiées ont toujours eu lieu. »

Le second point concerne la conception restrictive du motif légitime d'absence retenue par Pôle emploi . C'est ce qu'a souligné Marie Lacoste, secrétaire du Mouvement national des chômeurs et précaires : « On peut être absent à une convocation pour de multiples raisons, mais Pôle emploi considère que certaines raisons sont valables et d'autres non. Si votre voiture tombe en panne, Pôle emploi considère ainsi que ce n'est pas une raison valable. Si vous êtes malade, vous pouvez fournir un certificat du médecin. Dans le cas d'une panne de voiture, il ne viendrait à l'esprit de personne de demander une attestation à son garagiste. »

La mission d'information a cherché à vérifier le bien fondé de ces propos. Il ressort de ses investigations des conclusions nuancées.

Dans une première note fournie à la mission d'information, Pôle emploi confirme qu'une radiation peut être prononcée suite à l'absence à un rendez-vous téléphonique : « Le demandeur d'emploi reçoit un courrier l'informant de la date et des modalités de son suivi mensuel personnalisé. La procédure est la même si l'entretien a lieu dans l'agence ou par téléphone. S'il ne se présente pas à l'entretien ou s'il ne décroche pas son téléphone, il reçoit un courrier (dit « courrier d'avertissement ») qui acte l'absence au rendez vous et en demande les motifs. Il a quinze jours pour faire valoir ses motifs. A partir de là deux options : le demandeur d'emploi présente des observations légitimes, un nouveau rendez vous est donc pris ; le demandeur d'emploi présente des observations jugées non recevables, ou il ne répond pas au courrier, il est radié. » De fait, si une telle procédure est appliquée à la lettre, elle peut aboutir à des sanctions difficiles à justifier sur un plan humain. Des événements courants et anodins (une ligne téléphonique occupée par un appel, une connexion au réseau momentanément interrompue, un temps de réponse trop long pour décrocher ou une sonnerie inaudible) pourraient en effet suffire à faire d'un demandeur d'emploi un absentéiste et entraîner le cas échéant la perte d'un revenu de remplacement ayant valeur alimentaire.

Dans une autre note cependant, Pôle emploi atténue la rigueur de la note précédente : « Quand cet appel concerne un suivi mensuel personnalisé par téléphone et que le demandeur d'emploi ne répond pas, un courrier lui est envoyé pour lui demander de se présenter dans un délai de quinze jours ou bien lui fixer un autre rendez-vous (en fonction de la nature du dossier). Par contre si aucune réponse n'est obtenue suite à cette relance, la radiation peut être alors prononcée. » Dans cette seconde version, ce n'est pas l'absence à un rendez-vous téléphonique qui déclenche la radiation, mais la non-réponse à la relance écrite consécutive au rendez-vous téléphonique manqué.

On doit constater que les réponses fournies par Pôle emploi ne sont pas parfaitement claires et cohérentes. La radiation étant une sanction, il conviendrait pourtant que les règles du jeu en soient connues de tous. C'est pourquoi la mission d'information suggère d'encadrer les radiations consécutives à l'absence à une convocation par téléphone en formalisant la procédure que Pôle emploi a décrite dans sa deuxième note. Cela serait par ailleurs cohérent avec la logique du SMP par téléphone telle que la présente par ailleurs Pôle emploi : « Le suivi mensuel personnalisé par téléphone n'est pas un contrôle. Il répond à une situation particulière en période de crise et de forte hausse des inscriptions et des hausses des services à délivrer. Il répond également à un besoin de souplesse et de simplification pour les demandeurs d'emploi : à l'époque où le suivi mensuel personnalisé ne se faisait qu'en agence, on reprochait à l'ANPE les coûts de déplacements nécessaires et la difficulté de déplacement pour les demandeurs d'emploi travaillant à temps partiel. » 55 ( * )

Concernant le second reproche adressé à Pôle emploi par les associations de chômeurs, à savoir une conception trop restrictive du motif légitime d'absence, il faut admettre que Pôle emploi doit concilier deux exigences. D'un côté, l'appréciation des motifs d'absence doit rester équitable et tenir compte des contraintes réelles de la vie des demandeurs d'emploi. Or, dans la vie quotidienne, en dehors de toute volonté de s'exonérer de ses devoirs vis-à-vis du service public de l'emploi, de très nombreuses « bonnes » raisons peuvent expliquer qu'un demandeur d'emploi ne soit pas en mesure d'honorer le rendez-vous fixé par son conseiller : problèmes de transport (panne de voiture, embouteillage, trafic ferroviaire perturbé,...), difficultés domestiques ou familiales diverses (garde d'enfant,...) ou bien encore problèmes d'acheminement du courrier. D'un autre côté, tous ces motifs d'absence, fréquemment avancés par les demandeurs d'emploi, ne sont pas vérifiables et sont donc objectivement difficiles à prendre en compte par l'administration. Aucun d'entre eux n'entre donc dans la liste des motifs d'excuse recevables par Pôle emploi.

Pour atténuer la rigueur d'une application trop stricte des sanctions, les conseillers ont une marge d'appréciation personnelle. Ils peuvent ainsi valider des motifs d'absence qu'ils auraient tout à fait le droit de rejeter. En pratique, si un demandeur d'emploi absent à un rendez-vous contacte son conseiller (par mail ou via la plateforme téléphonique) pour s'excuser dans les deux jours suivant le rendez-vous manqué, le conseiller peut renseigner son système d'information et bloquer la procédure automatisée d'envoi d'une lettre d'avertissement. Un demandeur d'emploi qui rate un rendez-vous à cause d'un problème de garde d'enfants n'est donc pas systématiquement radié. Le degré d'indulgence dépend cependant de la personnalité du conseiller et de sa manière d'apprécier le dossier du demandeur d'emploi.

Au final, on ne peut affirmer que des radiations expéditives soient exclues mais rien n'indique qu'elles soient excessivement nombreuses. On peut d'ailleurs noter, avec le médiateur de Pôle emploi, que les problèmes liés à une radiation représentent une part très faible des procédures de médiation : « Une constante : la présence médiatique des radiations n'est pas proportionnelle à la faiblesse de leur représentation dans l'ensemble des réclamations reçues par le Médiateur. » 56 ( * ) On peut rappeler en outre que des voies de recours existent (recours non contentieux, médiateur, juge) pour corriger le cas échéant les décisions les plus discutables. En tout état de cause, Pôle emploi doit être particulièrement vigilant dans l'application des sanctions lorsque la radiation s'accompagne de conséquences financières pour le chômeur radié.


* 52 Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques qui dépend du ministère du travail et de l'emploi.

* 53 La catégorie A rassemble les personnes sans emploi, la catégorie B celles qui travaillent au plus soixante-dix-huit heures dans le mois, la catégorie C celles qui travaillent plus de soixante-dix-huit heures dans le mois.

* 54 Il est évident en effet qu'un nombre sans doute important de personnes radiées (c'est-à-dire sanctionnées pour manquement à leurs devoirs) répugnent à avouer qu'elles ont été « punies » et préfèrent de ce fait mettre en avant un motif moins dévalorisant (par exemple le défaut d'actualisation ou la reprise d'emploi) pour expliquer leur sortie de la liste. De même, il ne fait pas de doute qu'un nombre important de sondés ne font pas une différence claire entre une sortie de la liste pour « défaut d'actualisation » et une sortie « pour radiation », ce qui pourrait expliquer que près de 30 % des radiés disent avoir été sortis de la liste pour défaut d'actualisation.

* 55 Source : note fournie à la mission d'information.

* 56 Source : rapport 2010 du médiateur de Pôle emploi.

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