III. RENFORCER LES PARTENARIATS ENTRE PÔLE EMPLOI ET LES AUTRES ACTEURS DU SERVICE PUBLIC DE L'EMPLOI

En dépit de la fusion des Assedic et de l'ANPE pour constituer Pôle emploi, le service public de l'emploi (SPE) demeure éclaté en France . Pôle emploi en est certes l'acteur dominant, mais il n'a pas vocation à occuper une position hégémonique. Il doit travailler en partenariat avec les deux cotraitants que sont les missions locales et le réseau Cap emploi, avec les opérateurs privés de placement et les opérateurs de formation, avec les maisons de l'emploi et les plans locaux pour l'insertion et l'emploi, ainsi qu'avec les collectivités territoriales, qui concourent au SPE.

La coordination de tous ces acteurs n'est pas toujours aisée. Si la relation avec les missions locales et Cap emploi est ancienne et bien organisée, elle demeure encore perfectible. Les opérateurs privés de placement comme les opérateurs de formation se plaignent de la manière dont Pôle emploi gère ses appels d'offres. Les relations avec les collectivités territoriales, notamment les conseils généraux pour le suivi des titulaires du RSA et les conseils régionaux pour la formation professionnelle, sont parfois loin de ce que l'on pourrait en attendre. Mais on ne saurait, bien sûr, en imputer la responsabilité exclusive à Pôle emploi.

Construire des parcours efficaces de retour à l'emploi suppose en tout cas que les partenaires du SPE travaillent main dans la main, et non en parallèle, chacun sur un public spécifique. Les partenariats doivent être différenciés selon les projets, Pôle emploi pouvant, selon les situations, être chef de file ou un simple participant au tour de table.

Pôle emploi a eu tendance à se replier un peu sur lui-même pendant le déroulement de la fusion. Maintenant que son organisation est en voie de stabilisation, il lui appartient de reprendre l'initiative pour assumer le rôle moteur que sa place de principal opérateur l'invite à jouer au sein du SPE .

A. LES RAPPORTS AVEC SES COTRAITANTS

Pôle emploi entretient des relations anciennes et structurées avec deux réseaux, ceux des missions locales et de Cap emploi, qui travaillent avec lui dans le cadre d'une relation dite de cotraitance. Cette notion de cotraitance signifie que Pôle emploi délègue à ces deux réseaux le soin de suivre une partie des demandeurs d'emploi qui font appel à lui, selon des modalités définies par voie de convention. La mission locale ou le Cap emploi se substitue alors à Pôle emploi pour ce qui relève de l'accompagnement vers l'emploi, Pôle emploi restant compétent en revanche pour l'indemnisation si le demandeur d'emploi a des droits ouverts à l'assurance chômage.

Deux remarques générales peuvent être faites à propos des relations entre Pôle emploi et ses principaux cotraitants. En premier lieu, la priorité accordée à certains publics a une légitimité incontestable au plan social : tel est le cas des jeunes, qui apparaissent comme une « variable d'ajustement » dans les phases de ralentissement conjoncturel, et des personnes handicapées. Au plan institutionnel, la création de réseaux sur une base de spécialisation par type de public contribue toutefois à la complexité du SPE en termes de gestion, de lisibilité et de fluidité des parcours.

Le constat général de la complexité du SPE et des imperfections de la cotraitance n'a pas conduit la mission d'information a préconiser une unification ou une « fusion-absorption » globale des deux réseaux de cotraitance avec Pôle emploi. Elle présenterait sans doute l'avantage d'une plus grande simplicité mais risquerait de s'accompagner d'une certaine lourdeur de gestion, inhérente à toute structure de cette taille, et serait peu compatible avec la volonté de la mission d'associer les collectivités territoriales au SPE local.

L'avis du Conseil économique, social et environnemental qualifie de « déficiente » l'articulation entre Pôle emploi et les deux réseaux de cotraitance. Cette appréciation, peut-être un peu sévère, mérite sans doute d'être nuancée. La mission observe que tant les représentants de Pôle emploi que ceux des missions locales se sont déclarés satisfaits de leur collaboration mutuelle. Il est vrai cependant que leur coopération est encore perfectible sur plusieurs points .

1. Le partenariat entre Pôle emploi et les missions locales
a) Le contexte : un chômage des jeunes élevé

Un récent rapport du conseil d'orientation pour l'emploi 59 ( * ) (COE) rappelle qu'un jeune actif sur quatre est au chômage. Certes, les actifs ne représentent que quatre jeunes sur dix parmi les quinze - vingt-quatre ans, mais, dans l'ensemble de cette classe d'âge, c'est tout de même un jeune sur dix qui est en recherche d'emploi . De façon plus précise, selon le COE :

- le chômage des quinze - dix-neuf ans serait d'abord un problème d'échec scolaire, d'orientation ou de « décrochage » et d'absence de qualification. En 2009, environ 180 000 jeunes entre quinze et dix-neuf ans sur 3,7 millions étaient au chômage, les trois millions et demi restants étant quasiment tous en formation, y compris les quelque 420 000 « en emploi » qui sont, pour la plupart, apprentis ;

- le chômage des vingt - vingt-quatre ans , qui concerne, en 2009, environ 500 000 jeunes sur 3,8 millions que compte cette tranche d'âge regroupe des situations très diverses : les jeunes sans qualification, ceux qui n'ont pas poursuivi d'études au-delà du baccalauréat, les jeunes ayant quitté l'enseignement supérieur sans diplôme ou diplômés dans une filière sans trop de débouchés, ainsi que les jeunes qui attendent quelques mois avant de trouver un premier emploi après la fin de leurs études.

En ce qui concerne les effets de la crise économique , le COE constate que le taux d'emploi des jeunes a chuté plus tôt et plus rapidement en raison de la forte baisse d'activité de l'intérim et de la diminution des recrutements en CDD, où les jeunes sont surreprésentés.

b) Le réseau des missions locales

Les missions locales aident les jeunes de seize à vingt-cinq ans dans leur insertion professionnelle et sociale. Elles offrent un accompagnement global à des jeunes qui rencontrent des difficultés d'accès à l'emploi. Leurs services sont donc complémentaires de ceux de Pôle emploi qui est davantage centré sur l'accès à l'emploi et ne dispose pas des outils pour résoudre les problèmes sociaux qui peuvent le freiner.

Créées à partir de 1982 dans l'objectif de fédérer au niveau local, l'ensemble des acteurs qui interviennent en faveur de l'insertion des jeunes, elles ont été initialement conçues comme des structures temporaires (appelées à rapidement disparaître, dès que le chômage des jeunes se résorberait), légères (il s'agissait, pour l'essentiel, de coordonner des services existants) et fonctionnant principalement avec du personnel mis à disposition par les administrations concernées.

Près de trente ans plus tard, elles sont devenues des structures pérennes, souvent présidées par un élu local : avec 480 millions d'euros de subventions publiques pour 472 missions locales, elles emploient 11 000 collaborateurs qui relèvent désormais d'une convention collective spécifique. Leur financement provient, à hauteur de 40 % environ, de l'Etat, à hauteur de 45 %, des collectivités territoriales, le solde provenant du fonds social européen (FSE) et de Pôle emploi.

Jean-Patrick Gille, président de l'Union nationale des missions locales (UNML) a rappelé, lors de son audition que l'ensemble du territoire est aujourd'hui maillé par les missions locales et les quelques dizaines de points d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) qui subsistent encore.

L'UNML, qui est une organisation d'employeurs, contribue à l'animation du réseau des missions locales, aux côtés du Conseil national des missions locales (CNML) qui est un organisme consultatif placé auprès du Gouvernement. Le CNML est l'interlocuteur de Pôle emploi au niveau national et le signataire de la convention qui organise la coopération entre les missions locales et Pôle emploi.

c) Des règles de partenariat solide

Les relations entre Pôle emploi et les missions locales sont actuellement régies par une convention-cadre signée le 26 janvier 2010 , et qui couvre la période 2010-2014.

(1) La relation de cotraitance

Les représentants des missions locales ont rappelé au cours de leur audition qu'au fil des années, les missions locales s'étaient posé la question de l'articulation, voire des doublons, de leur activité avec celle de l'ANPE et aujourd'hui de Pôle emploi. Leurs réflexions ont abouti, en 2001, à la définition d'une relation de cotraitance.

Juridiquement, la cotraitance est le contrat par lequel Pôle emploi délègue à un organisme, pour le public spécifique dont il a légalement la charge, l'exécution de tout ou partie de ses missions . Les quatre critères qui permettent à un conseiller de Pôle emploi d'affecter un jeune à une mission locale sont les suivants : un projet professionnel mal défini ou en inadéquation avec le marché du travail ; une situation personnelle susceptible d'être un frein à l'accès ou au maintien dans l'emploi ; une absence de repère ou de réseau dans la recherche d'emploi ou un découragement par des échecs successifs ; un niveau de qualification insuffisant au regard du projet professionnel.

En contrepartie, Pôle emploi verse aux missions locales une contribution financière, non corrélée à l'atteinte d'objectifs de retour à l'emploi . En 2010, Pôle emploi a versé aux missions locales 35 millions d'euros pour assurer l'accompagnement de 150 000 jeunes .

Le nombre de jeunes concernés par la cotraitance a augmenté fortement au cours des trois dernières années : 100 000 par an entre 2003 et 2008, puis 130 000 en 2009 et 150 000 en 2010.

(2) Un partenariat renforcé avec Pôle emploi

Depuis 2006, Pôle emploi et les missions locales sont engagés dans un partenariat renforcé , dont la sous-traitance est une composante.

L'accord-cadre, signé en janvier 2010, indique sur quels domaines porte ce partenariat renforcé : outre la cotraitance, il vise la coopération dans les relations avec les employeurs , la mobilisation des outils et des mesures de la politique de l'emploi , la contribution de Pôle emploi au fonctionnement des missions locales - Pôle emploi met à disposition des missions locales des agents dont le nombre correspond à 325 ETP - et les actions de communication et d'échange d'informations.

Parmi les « socles » du partenariat renforcé, l'accord cadre fait référence, notamment, à la notion de diagnostic partagé sur les besoins d'un territoire, à la nécessité pour chaque réseau de bien connaître les compétences de son partenaire, à l'existence « d'un périmètre de travail conjoint, a minima concerté, en direction des employeurs » , et à l'accès des missions locales aux offres d'emploi de Pôle emploi, via un extranet .

L'accord-cadre pose comme principe que les jeunes suivis par une mission locale peuvent bénéficier des prestations proposées par Pôle emploi (hormis bien sûr l'accompagnement), selon des modalités fixées localement. Inversement, Pôle emploi peut solliciter les missions locales pour faire bénéficier les jeunes qu'il suit de certaines de leurs prestations.

Dans sa première année de mise en oeuvre, l'accord-cadre a été décliné d'abord au niveau régional - vingt-six conventions ont ainsi été signées - puis local, 471 conventions étant recensées. Un comité de pilotage assure le suivi de la convention et son évaluation. Il est lui aussi décliné au niveau régional et local. Un comité de pilotage local réunit le directeur de l'agence de Pôle emploi et le directeur de la mission locale, ainsi que leurs collaborateurs concernés par le partenariat.

d) Les voies de progrès
(1) Des difficultés sont constatées sur le terrain

Si l'accord-cadre organise, en principe, une coopération efficace entre Pôle emploi et les missions locales, son application sur le terrain n'est pas toujours exempte de défauts .

La mission a auditionné Agnès Jeannet et Laurent Caillot, qui sont les auteurs d'un rapport de l'Igas 60 ( * ) critique sur la qualité du partenariat entre Pôle emploi et les missions locales, qu'ils ont étudié au cours de l'année 2009.

Concernant la cotraitance, ils ont déploré l'absence de véritable cahier des charges et de règle claire de partage des compétences. Ils ont également estimé que l'accompagnement apporté par les missions locales n'est pas véritablement renforcé. Le coût de cet accompagnement atteint 165 euros par jeune (en 2009), alors que la plupart des autres actions de cotraitance ou de sous-traitance bénéficient de budgets nettement supérieurs, sans même parler du contrat d'autonomie, qui culmine à 7 700 euros. Agnès Jeannet a qualifié la convention de cotraitance de « contrat administratif de subventionnement, sans trop d'ambitions » .

Ils ont également regretté que les agences de Pôle emploi ne disposent pas de suffisamment de marges de manoeuvre pour la négociation de plans d'actions avec les missions locales. Ils ont enfin mis en évidence des phénomènes de concurrence entre les missions locales et les agences de Pôle emploi qui ne partageaient pas toujours les offres d'emploi qu'elles avaient collectées et ne travaillaient pas de manière cohérente sur la prescription des contrats aidés.

Un autre problème récurrent dans les relations entre Pôle emploi et les missions locales est la difficulté à gérer les flux de jeunes demandeurs d'emploi orientés vers les missions locales. Vincent Delpey, secrétaire général du CNML, a expliqué à la mission que les volumes sont décidés au niveau national, en accord avec Pôle emploi, mais qu'ils ne correspondent pas toujours aux besoins qui apparaissent sur le terrain. Les missions locales ont ainsi accueilli 180 000 jeunes en 2010, soit 30 000 de plus que l'objectif fixé, ce qui peut provoquer des problèmes de financement. Jusqu'à présent, les missions locales ont toujours accepté d'accueillir des jeunes au-delà des limites fixées, considérant que cela faisait partie de leur mission de service public.

(2) Des améliorations récentes

Dans plusieurs domaines, l'accord-cadre conclu en 2010 comporte des avancées notables :

- il apporte un début de réponse à la critique relative au manque de partage clair des compétences puisqu'il définit des critères pour orienter les jeunes vers les missions locales ;

- il porte une attention particulière au public des zones urbaines sensibles, qui doit avoir plus facilement accès aux contrats aidés ;

- surtout, il introduit une procédure destinée à mieux réguler les flux dans le cadre de la cotraitance : il prévoit que les comités de pilotage veillent à la régulation des flux et que, en cas d'écart significatif par rapport aux objectifs fixés, ils procèdent à une alerte ; au-delà d'un certain seuil de dépassement, les parties signataires s'engagent à actualiser les volumes d'entrées en cotraitance.

Le financement unitaire de la cotraitance est en outre porté à 230 euros par jeune en 2010-2011 . Ce chiffre est en progression par rapport à 2009 mais reste en deçà de ce1ui accordé aux autres cotraitants (375 euros pour Cap emploi) ou de la prestation, sous-traitée, de mobilisation vers l'emploi, dont le coût unitaire moyen est de l'ordre de 1 100 euros. Selon les calculs de l'UNML, cette subvention ne permet même pas de couvrir le coût de l'accompagnement d'un jeune, estimé à 409 euros.

Agnès Jeannet a par ailleurs fait observer que la direction générale de Pôle emploi avait, à la suite des recommandations de l'Igas, donné plus de liberté aux échelons déconcentrés pour nouer des accords avec les missions locales.

(3) Les conséquences des nouvelles conventions pluriannuelles d'objectifs

L'activité des missions locales s'inscrit dans le cadre défini par des conventions pluriannuelles d'objectifs (CPO), élaborées sous l'égide de la DGEFP. Or, la nouvelle génération de CPO se distingue des précédentes par la place accordée, pour évaluer les missions locales, à leurs résultats en matière de placement des jeunes demandeurs d'emploi .

Jean-Patrick Gille, au nom de l'UNML, a dit redouter que cette nouvelle orientation fixée aux missions locales ne soit source de tensions dans leurs relations avec Pôle emploi, dans la mesure où elle exacerberait la concurrence entre les deux organismes, qui seraient tous deux évalués sur la base des mêmes critères.

Pour la mission d'information, il est légitime que l'activité des missions locales soit évaluée au regard de leurs résultats en matière de placement, même si cet indicateur ne doit évidemment pas être exclusif et doit tenir compte de la grande distance à l'emploi des jeunes qui sont orientés vers les missions locales. L'accompagnement qu'elles dispensent a en effet pour finalité l'insertion sociale et professionnelle des jeunes. Cette attention nouvelle portée aux résultats obtenus en matière de placement est d'ailleurs cohérente avec la volonté de la mission de privilégier, pour Pôle emploi, un pilotage par la performance , appuyé sur des indicateurs de résultats plus que de moyens. Si les règles du jeu sont claires et respectées, concernant notamment le partage des offres d'emploi, il peut en résulter une saine émulation entre les deux réseaux qui gagneraient à échanger sur leurs expériences et leurs bonnes pratiques.

Un problème plus complexe, également soulevé par Jean-Patrick Gille, est celui de la collecte des offres d'emploi : « Un critère vient d'être introduit qui nous pose problème dans nos rapports avec Pôle emploi : la collecte d'offres d'emploi. Pour l'instant, cette activité, très importante dans les statistiques de Pôle emploi, restait entièrement de son ressort. Si nous sommes placés en compétition sur la collecte d'offres d'emploi, cela pourrait créer des tensions. » La mission n'est pas certaine qu'il soit pertinent de positionner les missions locales sur le créneau de la collecte des offres d'emploi. Certes, un conseiller d'une mission locale peut recueillir des offres à l'occasion de ses contacts avec les entreprises. Il est alors important que l'offre soit également communiquée à Pôle emploi, la mission locale n'ayant pas nécessairement dans son portefeuille de demandeurs d'emploi le profil adéquat. En revanche, développer une activité systématique de collecte d'offres d'emploi, comparable à celle de Pôle emploi, risque d'occasionner des doublons, le partage des tâches n'étant pas évident à opérer entre les deux organismes. Il n'y aurait pas grand sens à ce que les missions locales, une fois qu'un contact a été établi avec une entreprise, collectent uniquement les offres d'emploi destinées aux jeunes par exemple. La mission appelle donc à la prudence sur ce point, à moins qu'une articulation satisfaisante pour les deux parties soit trouvée.


* 59 Cf. le rapport « Diagnostic sur l'emploi des jeunes », COE, 10 février 2011.

* 60 Cf. le rapport « L'accès à l'emploi des jeunes des quartiers prioritaires de la politique de la ville » par Agnès Jeannet, Laurent Caillot et Yves Calvez, membres de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) (juillet 2010).

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