2. La collaboration avec le réseau Cap emploi

L'autre cotraitant de Pôle emploi est le réseau Cap emploi, spécialisé dans l'accompagnement des demandeurs d'emploi travailleurs handicapés.

Le nombre de demandeurs d'emploi handicapés a été évalué à 250 256 à la fin de l'année 2009. Cette même année, Cap emploi a réalisé 52 749 placements, chiffre en baisse de 10 % par rapport à 2008.

a) Rappel du contexte dans lequel interviennent les réseaux Cap emploi

Fondé par la loi d'orientation du 30 juin 1975, le dispositif français d'insertion professionnelle des personnes handicapées repose sur un double mécanisme d'incitation à l'embauche : l'octroi d'aides spécifiques et la pénalisation financière des entreprises qui ne participent pas à cet effort de recrutement. La loi du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés a instauré une obligation d'emploi des travailleurs handicapés pour tous les employeurs, y compris publics, ayant vingt salariés ou plus, dans la proportion de 6 % de l'effectif total. Les employeurs privés ont la faculté de s'acquitter de cette obligation en versant une contribution annuelle à l'association nationale de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (Agefiph) dont les statuts ont été agréés par l'Etat en 1988. Son rôle essentiel est de financer environ cent-vingt associations départementales, regroupées sous le même label « Cap emploi », par le biais de subventions.

La loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées a renforcé l'obligation d'emploi pour les entreprises de plus de vingt salariés et augmenté le montant de la contribution annuelle à l'Agefiph de celles qui n'atteignent pas le quota de 6 % de travailleurs handicapés. Elle a également soumis les personnes publiques ne respectant pas l'obligation d'emploi d'au moins 6 % de personnes handicapées au versement d'une contribution financière et créé le Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP), qui est l'équivalent de l'Agefiph pour les employeurs publics. Par ailleurs, cette loi a confié à la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), au sein de la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), un rôle essentiel : décider de l'orientation professionnelle de la personne après avoir réalisé l'évaluation de son employabilité.

Au début des années 2000, la collaboration entre l'ANPE, le réseau Cap emploi et l'Agefiph a pris un tournant décisif avec la déclinaison du Plan d'aide au retour à l'emploi-projet d'action personnalisé (Pare-Pap) pour les demandeurs d'emploi handicapés. Sa mise en oeuvre au niveau régional et local, sur la base de la convention du 10 août 2001 entre l'Agefiph et l'ANPE, a alors soulevé certaines difficultés. D'une part, les associations du réseau Cap emploi, soucieuses de maintenir leur autonomie, ont pu craindre une hégémonie de l'Agefiph. D'autre part, en ce qui concerne la répartition des publics, les Cap emploi ont eu l'impression que l'ANPE leur envoyait spécifiquement des demandeurs d'emploi particulièrement difficiles à reclasser, gardant pour ses propres agents les publics plus proches de l'emploi.

b) Les modalités de la coopération entre Pôle emploi et le réseau Cap emploi

La convention de collaboration entre Pôle emploi, l'Agefiph et le FIPHFP , qui couvre les années 2010 et 2011, fixe deux objectifs nationaux aux partenaires : retrouver, fin 2011, le niveau de sorties pour reprise d'emploi des personnes handicapées qui était constaté en 2008, en privilégiant le retour à l'emploi durable ; accroître d'au moins 10 % par an l'effort de formation en faveur des demandeurs d'emploi bénéficiaires de l'obligation d'emploi (DEBOE). Par ailleurs, elle souligne que le contexte général de l'emploi appelle une mobilisation accrue et adaptée aux enjeux de l'emploi des personnes handicapées qui appelle un renforcement du partenariat

Le financement du réseau Cap emploi provenait, en 2010, de l'Agefiph et du FIPHFP, à hauteur de 71,42 millions d'euros, et de Pôle emploi, au titre de la cotraitance, à hauteur de 26 millions d'euros.

(1) Les principales caractéristiques de la cotraitance

Le principe de la cotraitance repose sur la reconnaissance du réseau Cap emploi en tant que « spécialiste » du handicap et de l'accompagnement des DEBOE vers l'insertion professionnelle en milieu ordinaire. Le réseau des Cap emploi a vocation à accompagner les personnes ayant besoin, au regard de leur handicap, d'un accompagnement spécialisé de leur parcours d'insertion professionnelle. Les conseillers de Pôle emploi orientent les demandeurs d'emploi en tenant compte de critères définis dans les conventions régionales et locales qui déclinent la convention nationale.

Au plan quantitatif, la convention prévoit que, compte tenu de la forte hausse du nombre de demandeurs d'emploi, le réseau des Cap emploi accueille 70 000 demandeurs d'emploi handicapés par an, positionnés par Pôle emploi sur un parcours « Appui » ou un parcours « Accompagnement ». Cependant, sur la base d'un bilan à mi-parcours, le flux envisagé pour l'année 2011 peut être renégocié à la baisse sans toutefois se situer en deçà de 64 000 DEBOE. Tendanciellement, Pôle emploi accompagne les deux tiers des travailleurs handicapés et le réseau Cap emploi l'autre tiers.

Au titre de la cotraitance, Pôle emploi verse, en 2010, 375 euros par personne suivie. Cette somme est portée à 385 euros en 2011.

Enfin la convention ajoute un critère relatif à la date d'inscription du demandeur d'emploi handicapé en précisant qu' « au moins 60 % de ces DEBOE sont orientés par Pôle emploi vers les Cap emploi suite à leur inscription à Pôle emploi ou un mois au plus après celle-ci » , ce qui vise à favoriser une orientation précoce vers les Cap emploi.

(2) La collaboration entre les deux réseaux

Au-delà de la cotraitance, la convention organise la collaboration entre Pôle emploi et le réseau Cap emploi.

Pôle emploi peut mobiliser, pour les DEBOE qu'il accompagne, des prestations proposées par Cap emploi. L'Agefiph et le FIPHFP mettent à disposition de Pôle emploi les aides et outils conçus pour les personnes handicapées et les employeurs. Cap emploi peut mobiliser des prestations de Pôle emploi selon des modalités fixées dans les conventions locales. En matière de formation, l'Agefiph et le FIPHFP mettent à la disposition de Pôle emploi leurs outils et actions de préparation à l'emploi ; inversement, Cap emploi peut prescrire aux demandeurs d'emploi qu'il suit des formations conventionnées par Pôle emploi ou des AFPR.

La convention prévoit aussi, pour renforcer la collaboration entre les équipes des deux réseaux, que Pôle emploi, l'Agefiph et le FIPHFP organisent des sessions de formation à l'intention de tous les « référents handicap » de Pôle emploi sur les modalités de la collaboration, la nouvelle offre de services des Cap emploi ainsi que sur les outils de l'Agefiph et du FIPHFP mobilisables en faveur des handicapés. Les équipes de Cap emploi bénéficient d'une formation analogue pour connaître les services et prestations de Pôle emploi, ainsi que ses outils de communication.

c) Une collaboration grandement perfectible

Au cours des auditions auxquelles elle a procédé, la mission d'information a eu l'impression que les relations entre Pôle emploi et l'Agefiph, d'une part, entre l'Agefiph et les Cap emploi, d'autre part, n'étaient pas toujours empreintes de la confiance à laquelle on pourrait s'attendre . Localement, les relations entre Pôle emploi et les Cap emploi semblent plus satisfaisantes, même s'il est bien sûr difficile de tirer en ce domaine une conclusion générale.

(1) Un désengagement de Pôle emploi ?

Les représentants de l'Agefiph tout comme ceux des deux réseaux qui fédèrent les Cap emploi, l'Union nationale pour l'insertion des travailleurs handicapés (Unith) et Ohé Prométhée, ont reproché à Pôle emploi de se désengager du suivi des personnes handicapées , mais sans nécessairement donner le même sens à cette critique...

Pour leur part, les représentants du réseau Cap emploi ont insisté sur l'aspect financier et conjoncturel de ce désengagement, lié à l'exercice 2011, pour lequel Pôle emploi a réduit ses financements en direction du réseau Cap emploi en raison d'une contrainte budgétaire accrue. Christian Charpy s'en est expliqué lors de sa première audition par la mission commune d'information : « En 2009, nous avions convenu de confier à Cap emploi l'accompagnement de 64 000 demandeurs d'emploi handicapés, mais nous avons été submergés de demandes ; lorsque j'ai demandé à l'Agefiph de revoir à la hausse le nombre de personnes suivies, je me suis heurté à un refus. En 2010, par convention, il a été porté à 70 000, et la rétribution versée à l'Agefiph augmentée de 11 %. Mais en 2011, compte tenu de nos contraintes budgétaires et de la stabilisation du nombre de demandeurs d'emploi handicapés, j'ai préféré revenir à 64 000 dossiers transférés. »

Le directeur général de l'Agefiph, Pierre Blanc, s'est lui situé sur un autre terrain, en estimant que la constitution de Pôle emploi s'est traduite par un désinvestissement de l'institution en ce qui concerne le placement et la prise en charge des travailleurs handicapés : « Quand l'ANPE existait, elle réalisait environ 15 % de placements de plus que le réseau Cap emploi. En revanche, depuis la création de Pôle emploi, ce rapport s'est inversé ». Or, « la loi de 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées indique clairement que les personnes handicapées doivent bénéficier en priorité des services de droit commun. »

Il n'est pas choquant que Pôle emploi veuille faire varier, à l'intérieur des limites prévues par la convention de collaboration, le nombre de demandeurs d'emploi orientés vers Cap emploi, en fonction de l'évolution du chômage et de ses propres capacités financières. Il est en revanche plus gênant de constater une moindre efficacité en matière de retour vers l'emploi des personnes handicapées. Peut-être cette dégradation est-elle une conséquence, provisoire, des bouleversements occasionnés par la fusion. Mais elle a peut-être des causes plus structurelles, qui tiendraient par exemple à une méconnaissance, entraînant une faible utilisation, des dispositifs financés par l'Agefiph ou le FIPHFP . Pascal Michel, délégué général de l'Unith, a ainsi indiqué que « si les Cap emploi accompagnent un tiers des demandeurs d'emploi et réalisent plus de 50 % des placements dans l'année, ils utilisent 80 % des aides de l'Agefiph » .

Dans le cadre de la renégociation de la convention Etat-Unedic-Pôle emploi, il conviendrait de faire figurer le suivi des personnes handicapées parmi les priorités de l'institution et de mieux identifier les demandeurs d'emploi handicapés dans le système d'information de Pôle emploi, première étape d'une mobilisation accrue des moyens mis en oeuvre en faveur de l'emploi des personnes handicapées .

(2) Qui orienter vers Cap emploi ?

Un autre problème, ancien semble-t-il, est celui des critères qui doivent présider à l'orientation des demandeurs d'emploi handicapés vers Cap emploi.

Dès sa première audition, Christian Charpy a attaqué Cap emploi et l'Agefiph sur ce thème : « Je ne mets pas en cause les compétences des Cap emploi mais j'observe qu'ils sont parfois réticents à prendre en charge les cas les plus difficiles, parce que l'Agefiph les évalue en fonction de leurs résultats en matière de retour à l'emploi, alors qu'ils sont pourtant spécialistes de l'emploi des personnes handicapées. »

Au début de l'année 2010, une évaluation de la collaboration entre l'ANPE, l'Agefiph et Cap emploi, portant sur les années 2007 et 2008, a été rendue publique 61 ( * ) . Elle indiquait déjà que les critères d'orientation des demandeurs d'emploi vers Cap emploi soulevaient des difficultés d'application : alors que l'ANPE devait envoyer à Cap emploi des personnes pouvant accéder à l'emploi sans difficultés majeures, ses conseillers avaient tendance à orienter vers le réseau spécialisé les personnes dont ils estimaient que les difficultés d'accès à l'emploi nécessitaient un accompagnement renforcé. De fait, 69 % des personnes orientées vers Cap emploi relevaient d'un parcours d'accompagnement renforcé, alors que la convention fixait un objectif de 51 %. Cette évaluation a également mis en évidence que les conseillers se sentaient peu armés pour estimer si le handicap constituait ou non un obstacle au retour à l'emploi.

La convention de collaboration conclue en 2010 est assez évasive sur la question de l'orientation, puisqu'elle renvoie sur ce point aux conventions régionales et locales. Des témoignages recueillis par la mission ont cependant indiqué que l'obligation, figurant dans la convention, que 60 % au moins des personnes orientées vers Cap emploi le soient dans un délai d'un mois après leur inscription à Pôle emploi pouvait conduire à orienter vers le réseau les derniers inscrits, sans examiner de manière suffisamment approfondie si cette décision était la plus appropriée.

La question des critères d'orientation vers Cap emploi doit donc être revue. Il paraîtrait logique que soient orientés vers Cap emploi les demandeurs d'emploi pour lesquels le handicap est un frein majeur à l'accès à l'emploi , afin qu'ils puissent bénéficier de l'expertise spécialisée de ce réseau. Les critères d'orientation pourraient être affinés en s'appuyant sur les conclusions du rapport d'évaluation précité qui indiquait notamment que Pôle emploi était plus performant pour le retour vers l'emploi des personnes handicapées physiques que pour les personnes souffrant de handicaps intellectuels ou mentaux.

Comme il est peu réaliste d'imaginer que tous les conseillers de Pôle emploi deviennent des spécialistes du handicap, la question de la procédure d'orientation mérite également être réexaminée. Faut-il renforcer le nombre de « référents handicaps » à Pôle emploi, sachant qu'il y en a actuellement au moins un par bassin d'emploi ? Ou réfléchir aux modalités d'un diagnostic partagé ? L'évaluation précitée mentionne que de tels procédures ont parfois été mises en place au niveau local, mais qu'elles ont souvent été suspendues à cause de la surcharge de travail des conseillers de Pôle emploi. Peut-être les CDAPH pourraient-elles contribuer davantage à l'orientation : aujourd'hui, elles orientent vers Pôle emploi les personnes handicapées pouvant accéder à un emploi sur le marché du travail, à charge ensuite pour Pôle emploi de décider s'il assure l'accompagnement de la personne en interne ou s'il le délègue à son cotraitant. On pourrait envisager qu'elles donnent une indication sur l'orientation qui leur paraîtrait la plus opportune, un passage à Pôle emploi étant de toute façon obligatoire pour l'inscription sur la liste des demandeurs d'emploi et les éventuels droits à indemnisation.

(3) Mieux associer le réseau Cap emploi à la détermination des règles de collaboration avec Pôle emploi

Les Cap emploi aspirent à être mieux associés à la définition des modalités de leur collaboration avec Pôle emploi. Jean-Claude Garnier, vice-président de l'Unith, a estimé que les acteurs de terrain étaient en effet exclus de l'élaboration de la convention passée avec l'Agefiph et le FIPHFP. Il a précisé que les flux décidés dans le cadre de la cotraitance sont fixés au niveau national, puis déclinés régionalement, sans qu'à aucun moment les Cap emploi ne soient parties prenantes des décisions prises.

La mission estime souhaitable de répondre à cette légitime attente en associant plus étroitement les Cap emploi à l'élaboration de la convention. Cette association sera facilitée par la fusion prochaine des deux réseaux Unith et Ohé Prométhée, qui permettra de disposer d'un interlocuteur unique représentant la très grande majorité des Cap emploi.


* 61 Cf. « Evaluation du partenariat ANPE-Pôle emploi et Agefiph-Cap emploi 2007-2008 - Synthèse transversale et enquête statistique », Les cahiers n° 6 - Etudes, mars 2010.

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