2. Un processus d'inscription du joueur très contraignant
a) Les garanties d'identification du joueur

Le processus d'inscription d'un joueur sur un site de jeu en ligne et la fiabilité de son identification constituent un élément structurant de la prévention de diverses atteintes à l'ordre public , en particulier le blanchiment, l'usurpation d'identité et de moyens de paiement (et le vol des sommes déposées sur le compte joueur qui peut en résulter) et le jeu des mineurs.

Les garanties qu'un opérateur peut apporter en la matière figurent ainsi parmi les conditions requises pour son agrément. L'article 17 de la loi du 12 mai 2010 prévoit que tout candidat doit préciser « les modalités d'accès et d'inscription à son site de tout joueur et les moyens lui permettant de s'assurer de l'identité de chaque nouveau joueur, de son âge, de son adresse et de l'identification du compte de paiement sur lequel sont reversés ses avoirs ». L'opérateur doit s'assurer que le joueur est bien une personne physique et non un « robot informatique », ce qui se traduit par l'entrée d'un mot de passe et le recours au test dit de Turing. Ce test, désormais banalisé, consiste à demander au joueur de recopier une série alphanumérique apparaissant dans une image graphique déformée.

La procédure d'inscription - que la plupart des opérateurs qualifient de « parcours du combattant » ( cf . infra ) - a été précisée par un décret du 19 mai 2010 103 ( * ) et comporte plusieurs étapes qui l'apparentent au processus de création d'un compte bancaire :

- le joueur remplit des formalités de préinscription sur le site comportant la terminaison .fr. Il indique son nom, prénom, sa date de naissance, l'adresse postale de son domicile, et les références du compte de paiement sur lequel l'opérateur reversera, le cas échéant, ses avoirs. Il doit certifier avoir pris connaissance du règlement portant conditions générales de l'offre et manifester explicitement son acceptation des clauses de ce règlement ;

- l'opérateur vérifie que le joueur n'est pas mineur ni inscrit sur le fichier des interdits de jeux. Il crée alors un compte joueur provisoire , que le joueur peut créditer mais dont il ne peut reverser sur son compte de paiement les gains éventuels avant l'achèvement complet de la procédure ;

- dans un délai maximum d'un mois à compter de la demande d'ouverture du compte, le joueur adresse à l'opérateur la copie d'une pièce d'identité et un relevé d'identification bancaire ;

- après réception des pièces et vérification, l'opérateur communique par courrier au joueur un code secret , distinct du mot de passe permettant au joueur d'accéder à son compte provisoire (s'il a été ouvert). Seule la saisie par le joueur du code secret permet de mettre fin au statut provisoire du compte.

Le décret précité prévoit également les différents cas de clôture sans délai, sur demande ou d'office, d'un compte joueur provisoire ou définitif :

- si le titulaire du compte en fait la demande ;

- s'il n'a pas transmis à l'opérateur une des pièces exigées au terme d'un délai de deux mois à compter de la demande d'ouverture de ce compte provisoire, et si, à l'expiration d'un délai de six semaines à compter de l'envoi par l'opérateur du code secret, le joueur n'a pas saisi ce code ;

- s'il communique à l'opérateur, après l'ouverture d'un compte joueur, des pièces comportant des informations ne correspondant pas à celles qu'il a saisies lors de l'ouverture du compte, et s'il lui communique, à l'occasion de la modification des informations associées à son compte joueur, des pièces dont les informations ne correspondent pas à celles qu'il a saisies ;

- s'il vient à être interdit de jeu ;

- et s'il n'a pas réalisé, dans les douze derniers mois, d'opération de jeu ou de pari.

b) Un processus d'inscription jugé trop dissuasif

La procédure d'inscription apporte des garanties de prévention de la fraude informatique et du blanchiment. Elle renforce également la prise de conscience du joueur du caractère singulier de l'acte de jeu, qui n'est pas un loisir comme les autres. Elle traduit à cet égard une certaine dualité de la loi, qui associe ouverture et dissuasion.

De fait, la grande majorité des opérateurs que votre rapporteur a auditionnés considèrent qu'elle exerce aussi un effet dissuasif à l'encontre des joueurs , et peut donc les conduire à interrompre leur inscription, ou pire, à se tourner vers des sites illégaux plus accommodants. L'envoi par la poste d'un code confidentiel et la somme des délais d'ouverture du compte sont plus particulièrement incriminés.

Il en résulte, selon eux, un taux d'abandon élevé et une hausse du stock de comptes provisoires, susceptibles d'être clôturés, par rapport aux comptes définitifs. Les données de l'ARJEL tendent à le confirmer, puisqu'entre juin 2010 et fin avril 2011, les opérateurs ont clôturé environ 1,4 million de comptes joueurs, essentiellement des comptes provisoires. Nombre d'opérateurs demandent donc un allègement des formalités dans des conditions de sécurité satisfaisantes ou le recours à des solutions techniques plus innovantes .

c) La procédure controversée de « remise à zéro » des comptes joueurs

Afin d'assurer une certaine « égalité des conditions de jeu » entre anciens et nouveaux opérateurs, la loi du 12 mai 2010 a prévu, à l'initiative de l'Assemblée nationale, un dispositif de « remise à zéro » des comptes joueurs pour les opérateurs illégaux qui obtiendraient l'agrément de l'ARJEL. La Française des jeux et le PMU n'étaient pas concernés puisqu'ils étaient les seuls prestataires autorisés avant l'ouverture.

L'article 17 de la loi prévoit ainsi que les opérateurs justifient auprès de l'ARJEL du processus assurant que l'ouverture et l'approvisionnement initial des comptes joueurs sont bien intervenus postérieurement à la date d'agrément . Les nouveaux opérateurs agréés devaient donc reconstituer leur base de clientèle sans pouvoir assurer la continuité de celle acquise dans des conditions illégales, notamment sur les sites en .com.

Cette procédure a été fortement critiquée par les futurs concurrents lors de l'examen du projet de loi, au motif qu'elle accordait un avantage déterminant aux deux opérateurs historiques. Le fondement de la légalité l'a cependant légitimement emporté sur l'argument économique de l'équité concurrentielle, qu'il était au demeurant possible de renverser.

Après la phase d'ouverture, la critique est en revanche venue des deux opérateurs historiques, qui ont jugé que le dispositif n'avait pas été appliqué de manière transparente dans de nombreux cas , voire tout simplement non respecté. Leurs soupçons ont été renforcés par le constat d'une consolidation rapide du secteur après l'ouverture et par le fait que la plus grande partie du marché soit contrôlée par des marques connues, auparavant illégales et qui ont réussi à transformer dans de bonnes conditions les comptes de facto ouverts avant la loi en comptes juridiquement autorisés par la loi.

Ils ont ainsi conjointement saisi l'ARJEL de cette question, sans exclure, dans le cas du PMU, une action en justice 104 ( * ) . De leur point de vue, ce sont in fine les « vrais » nouveaux entrants ( ie . qui n'existaient pas avant l'ouverture) qui ont été les véritables perdants , leur activité et leur notoriété étant réduites à la portion congrue.

Votre rapporteur n'est pas en mesure de porter un jugement sur la matérialité des faits allégués. Il reconnaît cependant que ce dispositif pouvait faire l'objet d'une lecture très formaliste , permettant de respecter sa lettre davantage que son esprit 105 ( * ) et de limiter les « pertes en ligne ». Il constate également que l'ARJEL, dont le président a déclaré qu'elle avait fait preuve d'une vigilance particulière lors de l'instruction des agréments, n'a pas relevé d'infraction susceptible d'être sanctionnée sur ce point.


* 103 Décret n° 2010-518 du 19 mai 2010 relatif à la mise à disposition de l'offre de jeux et de paris par les opérateurs agréés de jeux ou de paris en ligne, en particulier son chapitre II.

* 104 Les dirigeants du PMU ont également suggéré qu'en cas d'infraction avérée, l'effacement des bases de données et un « écran noir » soient imposés aux opérateurs fautifs pendant plusieurs semaines (le temps de créer de nouveaux comptes joueurs), ce qui revient à les éliminer du paysage concurrentiel.

* 105 Il suffisait, par exemple, qu'un opérateur engagé dans une demande d'agrément avertisse par mail ses clients de la clôture de leur compte à telle date et de la création imminente d'un site autorisé, et sollicite peu après, une fois l'agrément obtenu, leur inscription sur le nouveau site assortie d'un bonus.

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