TRAVAUX DE LA COMMISSION - AUDITION POUR SUITE À DONNER

Réunie le mercredi 19 octobre 2011, sous la présidence de Mme Michèle André, vice-présidente, la commission a procédé à l'audition pour suite à donner à l'enquête de la Cour des comptes, transmise en application de l'article 58-2° de la LOLF, sur l'agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM).

Mme Michèle André , présidente . - Puisque le président Philippe Marini m'a demandé de le remplacer, il me revient d'excuser notre rapporteure générale, Nicole Bricq, retenue par une importante réunion à la Caisse des dépôts et consignations. Nous voici réunis pour la première de trois auditions de suivi suite à des enquêtes réalisées par la Cour des comptes, à la demande de notre commission des finances, en application de l'article 58-2° de la LOLF.

L'enquête sur l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité (LADOM) a été lancée à l'initiative de nos collègues Eric Doligé et Marc Massion, rapporteurs spéciaux de la mission « Outre-mer » lors de la saisine de la Cour. Depuis, Georges Patient a repris les attributions de Marc Massion. Nos collègues élus des départements d'outre mer étaient invités à cette audition, qui est ouverte à la presse. La commission aura ensuite à prendre une décision sur la publication de l'enquête de la Cour des comptes au sein d'un rapport d'information.

M. Éric Doligé , rapporteur spécial . - LADOM est l'unique opérateur de la mission « Outre-mer ». Créée en 2010 par la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM), elle remplace l'Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer (ANT), qui avait pour mission de favoriser l'insertion professionnelle des ultramarins par des actions de formation professionnelle ou des stages en métropole, et prenait en charge leurs déplacements à ce titre.

Le changement de dénomination de l'agence résulte de l'extension de son champ d'intervention par la LODEOM, en mai 2009. Celle-ci a créé un nouveau dispositif, le passeport mobilité-formation professionnelle, qui se substitue aux dispositifs existants. LADOM s'est, d'autre part, vu confier la gestion du nouveau fonds de continuité territoriale. Elle prend donc en charge l'ensemble de l'aide à la continuité territoriale, ce qui se traduit par la délivrance de bons pour financer les déplacements des ultramarins en métropole, ainsi que le passeport mobilité-études.

Parallèlement, le montant de son financement par l'État a, en apparence, quadruplé : on est passé de 17 millions en 2010 à 65,3 millions en 2011. La commission des finances a voulu évaluer les causes et l'efficacité de cet effort supplémentaire. Je salue le travail de la Cour des comptes, et remercie Marc Massion, avec qui j'ai eu plaisir à travailler.

M. Georges Patient , rapporteur spécial . - La commission des finances a demandé à la Cour des comptes de contrôler la mise en oeuvre de la réforme des dispositifs de continuité territoriale. Le Parlement n'a pas disposé des informations détaillées nécessaires pour évaluer l'efficacité de cet opérateur : outre les projets annuels de performance annexés aux projets de loi de finances, seul un compte de résultat prévisionnel simplifié lui a été fourni. Contrôler LADOM visait donc à disposer de données quantitatives précises pour juger de sa performance : le nombre de formations et leur coût moyen, leur effet sur l'insertion des travailleurs, le nombre de billets subventionnés et leur coût moyen. Il s'agissait également de recueillir des informations sur son personnel, ses moyens matériels, ses coûts de fonctionnement.

Je remercie les magistrats de la Cour des comptes d'éclairer la représentation nationale.

M. Jean-Pierre Bayle, président de la quatrième chambre de la Cour des comptes . - La Cour a mené cette enquête au premier semestre 2011, au titre de l'article 58-2° de la LOLF, pour répondre à des interrogations récurrentes de votre commission. Celle-ci s'interrogeait sur la gestion de LADOM et sur le quadruplement apparent des contributions de l'État depuis 2010, sur les conditions d'exercice de ses nouvelles missions de continuité territoriale, et sur l'articulation entre LADOM et l'Institut de formation aux carrières administratives, sanitaires et sociales (Ifcass) de Dieppe, l'un des multiples organismes de formation auxquels l'agence a recours.

LADOM est une entreprise publique qui gère 100 millions d'euros de crédits exclusivement publics, issus de l'État, des collectivités locales et des fonds européens. Elle disposait en 2011 de 126 ETP et 30 agents temporaires, qui seront intégrés dans son plafond d'emploi dès 2012.

Sa mission historique est la formation professionnelle des ultramarins dont elle organise la mobilité en métropole : environ 4 000 jeunes formés chaque année. Sa nouvelle mission de continuité territoriale comprend le passeport mobilité-études et la délivrance de bons finançant une partie des voyages, sous condition de ressources : au moins 60 000 bons délivrés chaque année . Le décret d'application datant de novembre 2010, cette deuxième mission n'a été mise en oeuvre qu'à compter de 2011, mais l'agence s'y était préparée en créant des plateformes communes entre les deux missions. L'organisation, stabilisée pour ce qui concerne la formation professionnelle, est encore expérimentale en ce qui concerne l'aide à la continuité territoriale ; nous nous limitons donc sur ce point à formuler des recommandations et alertes.

L'opérateur est soumis à un contrôle obligatoire et régulier de la Cour ; le dernier date de 2004. LADOM, qui a son siège à Saint-Denis, compte neuf délégations régionales métropolitaines et cinq ultramarines. En sus des contrôles sur pièces et sur place, nous nous sommes rendus dans les antennes de Paris, Nantes et Marseille, de Saint-Denis de la Réunion et de Mamoudzou, à Mayotte. La phase de contradiction s'est déroulée dans d'excellentes conditions.

Nos douze recommandations, qui figurent en annexe du rapport, s'articulent autour de trois volets. D'abord, l'évolution institutionnelle et financière. LADOM a le statut de société d'État, alors qu'elle présente toutes les caractéristiques d'un établissement public administratif (EPA). Compte tenu des problèmes de gestion observés, pourquoi ne pas mettre son statut en adéquation avec la réalité de ses missions et de son fonctionnement, d'autant que le statut d'EPA entraîne la présence d'un comptable public ?

Le quadruplement des crédits est la conséquence d'un effet de périmètre et d'échelle, avec l'intégration de crédits qui jusqu'ici ne transitaient pas par ses comptes, et l'attribution de nouvelles ressources pour assurer ses nouvelles missions. Les ressources dédiées à la mobilité professionnelle n'ont augmenté que de 15 %, les crédits consacrés à la continuité territoriale s'élevant à 28 millions en 2011. Les frais de fonctionnement représentent 16 % des dépenses totales. Le nouveau contrat de performance devra intégrer les nouvelles missions et préciser les indicateurs et les modalités de leur suivi.

Deuxième volet, la gestion. L'Agence ne respecte pas l'ordonnance du 6 juin 2005 en matière de marchés publics, privilégiant les négociations directes sur les procédures d'achat formalisées. Elle s'est toutefois engagée à y remédier, et a recruté un spécialiste des marchés publics. La tutelle s'est également engagée à ce que cette situation soit régularisée. Autres problèmes : la défaillance du contrôle interne, l'inexistence du contrôle de gestion, l'hétérogénéité des procédures, l'inadaptation des ressources humaines aux missions, l'absence de rationalisation de la politique immobilière, malgré les remarques répétées de la Cour.

Le dernier volet dresse un bilan de l'efficacité de LADOM. Pour la formation professionnelle, le choix politique de confier à l'agence une compétence relevant a priori des régions se justifie par la situation particulière des jeunes ultramarins. L'agence a entrepris une mutation appréciable pour renforcer l'adéquation entre offre et demande d'emploi, mettant l'accent sur les métiers en tension et le partenariat avec les entreprises. Reste des progrès à faire pour assurer un suivi qualitatif, garantir l'insertion dans l'emploi, développer les partenariats. Si l'indicateur d'inclusion dans l'emploi a progressé - 45 % des jeunes ayant suivi une formation et donné de leurs nouvelles en 2010, contre 32 % en 2005 -, la performance reste limitée, ne donne aucune indication sur la nature de l'emploi, et ne porte que sur 70 % des jeunes suivis par l'Agence : on est loin de l'objectif fixé par la convention d'objectifs et de moyens de 60 % de jeunes insérés sur 95 % suivis.

L'aide à la continuité territoriale est une activité de guichet, sans valeur ajoutée. L'État souhaitait reprendre le contrôle d'un dispositif confié aux régions et largement détourné de ses fins. L'organisation de cette nouvelle activité au sein de LADOM n'est pas encore stabilisée. Des plateformes de continuité territoriale ont été créées en 2010, avec du personnel temporaire. La mise en place du contrôle interne n'est pas aboutie.

Surtout, le suivi budgétaire demeure fragile, et l'enveloppe de 19,2 millions pourrait être dépassée. Dans certains départements, dont la Réunion, les engagements au 1 er juillet représentaient 100 % des montants annuellement disponibles. Si la consommation effective des bons est incertaine, la visibilité des tutelles est insuffisante. Le sujet est politiquement sensible, d'autant que cette aide est désormais perçue comme un droit. Qu'adviendra-t-il si les crédits viennent à manquer ? Il faut mettre en place le comité de suivi prévu par les textes réglementaires, afin d'ajuster les paramètres - seuil de ressources ou montant des aides.

Enfin, l'action de LADOM ne serait pas renforcée par la création de groupements d'intérêt public (GIP) entre État et collectivités, envisagée par l'article 50 de la LODEOM, qui seraient au contraire source de frais supplémentaires et de stratification institutionnelle. La voie du conventionnement paraît préférable, afin de prévoir une association plus étroite entre services d'accueil, gérés par les collectivités, et services de validation et de contrôle plus resserrés gérés par LADOM.

Les recommandations de la Cour, qui figurent en annexe, serviront de cadre lors de futurs contrôles de l'agence.

M. François-Xavier Bieuville, directeur général de LADOM . - L'Agence a évolué dans son action, son périmètre et son organisation entre 2009 et 2011. Aujourd'hui, la situation se stabilise.

En matière d'aide à la continuité territoriale, LADOM a produit en 2011 99 500 bons, dont 68 200 ont été consommés : environ 50 500 sur la part État, le solde sur la part régionale, les conseils régionaux de la Martinique et de la Réunion ayant contracté avec LADOM afin qu'elle serve pour leur compte une partie de cette aide. Au titre du passeport mobilité-études, 8 600 billets ont été émis ou remboursés, ce qui représente 75 % de l'enveloppe.

En matière de formation, LADOM a mis en place 5 000 parcours de formation et 2 000 parcours de stage au 19 octobre. Elle réalise 72 % de validation des parcours de formation professionnelle ; 52 % des jeunes ayant bénéficié d'une formation sont effectivement inclus dans l'emploi au cours de l'année 2010. Nous espérons faire mieux en 2011. Entre 2009 et 2010, la production de jeunes en formation a progressé de 6 %.

Le rapport d'observation provisoire préconisait d'améliorer la trésorerie de l'agence, dont les problèmes sont liés à l'encaissement des crédits du fonds social européen (FSE). Nous avons anticipé en recrutant à la DIECCTE de La Réunion un spécialiste en la matière, dédié au FSE. En matière de contrôle interne et de contrôle de gestion, l'agence a mis en place un nouvel outil de contrôle dématérialisé, qui succèdera à notre ancien système informatique. Fin 2011, un site de pré-production permettra un meilleur contrôle de nos mesures auprès de nos délégués régionaux, en métropole et dans les DOM.

Enfin, l'agence a recruté un délégué national chargé des marchés publics. Nous nous sommes rapprochés de la tutelle pour nous mettre en ordre de bataille et nous conformer à l'ordonnance de 2005. Deux secteurs prioritaires ont été identifiés : le transport aérien, à l'exception de l'aide à la continuité territoriale, et l'achat de formations professionnelles. Nous étudions également la question des fournitures et de la téléphonie.

M. Vincent Bouvier, délégué général à l'outre-mer . - L'adoption de la LODEOM et la création de LADOM en 2010 ont entraîné des décalages chronologiques dans les appréciations faites par la Cour.

J'évoquerai d'abord la relation entre l'agence et ses tutelles. La Cour a relevé l'insuffisance des indicateurs d'activité définis lors de l'élaboration de la convention d'objectifs et de moyens 2009-2011. Il avait été décidé alors de ne conserver que les indicateurs les plus qualitatifs, centrés sur les objectifs de performance, comme l'inclusion dans l'emploi ou la mesure de la productivité interne et de l'efficience. La convention ayant été signée préalablement à l'entrée en vigueur de la LODEOM, certains indicateurs n'étaient plus adaptés à la nouvelle agence. La délégation générale à l'outre-mer prend acte des remarques de la Cour. Nous les intégrerons dans les négociations en cours sur le nouveau contrat de performance.

S'agissant de la gestion de l'agence, je renouvelle l'engagement de la délégation générale à l'outre-mer : LADOM appliquera l'ordonnance du 6 juin 2005 en matière de marchés publics. S'agissant du contrôle interne, le ministère de l'outre-mer prend acte des observations de la Cour : deux des trente postes attribués en 2010 sont d'ores et déjà destinés à renforcer le contrôle de gestion.

J'en viens au bilan de l'efficacité de l'agence, et à la soutenabilité budgétaire des dispositifs. À ce jour, sur les 43,6 millions destinés à financer l'aide à la continuité territoriale, le taux de consommation est d'environ 70 %. Il n'y a donc pas à craindre un éventuel dépassement des enveloppes initiales. Certains territoires consomment vite et bien ; c'est le cas de la Guadeloupe, de la Réunion, de la Martinique ou de Mayotte. En revanche, dans les collectivités du Pacifique, l'enveloppe d'aide à la continuité territoriale se consomme moins facilement.

Le comité de suivi des activités de l'Agence a été constitué, et s'est réuni le 20 septembre dernier. Les résultats d'une première évaluation sur les conditions de mise en oeuvre du nouveau dispositif de continuité territoriale sont attendus pour la fin de l'année. Une évaluation plus ambitieuse sera menée l'an prochain sur l'efficacité même du dispositif.

Enfin, je prends acte des observations de la Cour sur les GIP : l'expérience montre que ce système ne se justifie pas dans le contexte des régions et collectivités d'outre-mer.

Mme Michèle André , présidente . - Pouvez-vous nous en dire plus sur le Pacifique ?

M. Vincent Bouvier . - Les aides à la continuité territoriale sont accordées sous condition de ressources. Dans les collectivités du Pacifique, le plafond de ressources a été fixé trop bas. Le reste à charge est en outre trop élevé, même si le pourcentage pris en charge par l'État est le même. Il faudra y revenir lors de l'évaluation du dispositif.

Mme Marie-Astrid Ravon, sous-directrice de la huitième sous-direction du ministère du budget . - Je remercie la Cour des comptes ; son rapport très complet sera une base de travail précieuse pour améliorer la performance de l'agence. Je souhaiterais apporter quelques précisions sur les observations de la Cour qui intéressent plus particulièrement le ministère du budget.

La Cour a tout d'abord relevé le non-respect par l'agence des règles de l'ordonnance de 2005 relatives la passation des marchés publics. Nous nous sommes mis en ordre de bataille pour que l'agence s'y conforme au plus vite. Au-delà des dispositions prises par l'agence elle-même qui ont été rappelées par son directeur général, nous nous sommes pour notre part rapprochés du contrôle général économique et financier pour construire un cadre rénové de contrôle des marchés ; un arrêté est en cours de rédaction.

En matière de ressources humaines, la direction du budget a autorisé, en 2010, un dépassement du plafond d'emplois de l'opérateur, gagé sur les emplois du ministère de l'intérieur, pour mettre temporairement à sa disposition trente emplois dans l'attente de la constitution des GIP territoriaux prévus par l'article 50 de la LODEOM. Une fois la stabilisation effectuée, il est apparu que le GIP n'était pas le modèle le plus opérant, et la gestion du fonds a finalement été confiée à LADOM. Le projet de loi de finances pour 2012 augmente donc de trente emplois le plafond de l'agence.

Le ministère du Budget a lancé en 2009 un processus visant à garantir que l'ensemble des opérateurs présentent un schéma de rationalisation de leur implantation immobilière. Chacun devait présenter à son conseil d'administration, au plus tard en juin 2010, une stratégie immobilière. LADOM a présenté des propositions à son conseil d'administration dans les délais prescrits mais, son document étant incomplet, France Domaine n'a pu émettre un avis à ce stade. L'agence n'est pas le seul opérateur à avoir pris du retard, et le ministère va donc transmettre dans les tous prochains jours un nouveau courrier aux opérateurs concernés, afin que l'ensemble des éléments nécessaires à France Domaine pour émettre un avis lui soient transmis d'ici la fin de l'année 2011.

Le dispositif d'aide à la continuité territoriale commence tout juste à être mis en oeuvre. À ce stade, le taux de consommation ne laisse pas craindre une impasse budgétaire. Nous suivons avec attention la soutenabilité du dispositif, en lien avec le ministère de l'outre-mer. Le calibrage ex ante des aides n'était pas évident à modéliser ; nous avons besoin d'un peu de recul avant d'ajuster, le cas échéant, les différents paramètres.

M. Éric Doligé , rapporteur spécial . - Vous avez répondu sur les difficultés de trésorerie liées au FSE mais pas sur la question de l'inadaptation du statut. Absence de but lucratif, contrôle de l'État, budget annuel : beaucoup d'éléments se rapprochent en effet du statut d'EPA. Un changement est-il été envisagé ?

M. Georges Patient , rapporteur spécial . - Certains territoires, à commencer par le conseil régional de Guadeloupe, n'ont toujours pas accepté la recentralisation de l'aide à la continuité territoriale. Où en est le contentieux engagé devant le tribunal administratif par le conseil régional de Guadeloupe ?

M. François-Xavier Bieuville . - À compter de la publication des textes d'application de la LODEOM, nous avons démarché les conseils régionaux pour conclure des partenariats. La Réunion, le 16 août 2010, et la Martinique, le 1 er janvier 2011, se sont engagées dans ce sens. La même démarche a été menée auprès du conseil régional de Guadeloupe, pour installer deux antennes de continuité territoriale : l'une à Pointe-à-Pitre, l'autre à Basse-Terre, qui n'a pas vu le jour. Les discussions n'ont pas abouti, et le conseil régional a créé son propre dispositif. Le préfet de Guadeloupe a contesté avec succès devant le tribunal administratif de Basse-Terre la légalité de la délibération du conseil régional. Nous en restons pour l'heure au statu quo , car le président Victorin Lurel attendait la fin du contentieux pour répondre à nos propositions de partenariat.

M. Vincent Bouvier . - C'est la première fois que la Cour soulève la question du statut de l'agence. Missions, but, financement, tutelle : nombre d'éléments rapprochent en effet LADOM d'un EPA. Le statut actuel ne semble toutefois pas faire obstacle au bon fonctionnement de la relation avec les tutelles, pour autant que les modalités de suivi soient formalisées. L'Etat est représenté au sein du conseil d'administration. Une hypothétique transformation de l'agence en établissement public aurait par ailleurs des conséquences sur le statut des personnels et sur la souplesse de gestion.

M. Michel Vergoz . - J'ai entendu parler de 60 000, puis de 90 000 bons par an. De quoi s'agit-il exactement ? Ces bons sont-ils exclusivement alloués au titre de la continuité territoriale ? Combien reviennent aux Réunionnais ? Le président Jean-Pierre Bayle a dit que, malgré de multiples relances, des défaillances subsistaient dans la gestion de LADOM, par exemple dans les achats mobiliers. Sont-elles imputables à l'agence ou aux institutions qui l'ont précédée, l'ANT ou le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d'outre-mer (Bumidom) ?

M. François-Xavier Bieuville . - Il faut distinguer les bons émis des bons effectivement réalisés, les engagements budgétaires de leur consommation. Lorsqu'une personne est éligible à un bon, un logiciel détermine si elle a droit à une aide simple ou majorée. Un bon d'une valeur faciale lui est accordé, qui lui permet d'acheter un billet auprès d'une compagnie aérienne ou d'une agence de voyage. Les bons émis sont au nombre de 99 500, dont 45 000 pour La Réunion : 30 000 proviennent d'aides d'Etat, 15 000 d'aides du conseil régional.

M. Michel Vergoz . - La région et l'Etat n'interviennent-ils pas de concert pour la continuité territoriale ?

M. François-Xavier Bieuville . -Il faut distinguer trois configurations. Lorsque les ressources d'une personne sont inférieures à un certain plafond, elle a droit à une aide majorée de 360 euros prise en charge à 100 % par l'Etat. Si ses ressources sont comprises entre ce premier seuil et un deuxième, elle n'a droit qu'à une aide simple, mais le conseil régional prend en charge la différence avec l'aide majorée. Si ses ressources sont comprises entre le deuxième seuil et un troisième, l'aide est totalement prise en charge par la région. Sur 45 000 bons émis pour La Réunion, je vous l'ai dit, 30 000 le sont par l'Etat et 15 000 par la région. Dans l'ensemble de l'outre-mer, sur 99 500 bons émis, 68 200 sont effectivement réalisés.

M. Jean-Pierre Bayle . - La Cour n'a pas parlé de multiples relances, mais de remarques répétées. Les rapports précédents concernaient bien sûr l'ANT.

M. Gérard Moreau, conseiller-maître à la Cour des comptes . - La Cour contrôlait tous les cinq ans l'ANT et le Bumidom, comme n'importe quelle entreprise publique. La LODEOM a modifié le nom de l'agence et lui a transféré des compétences. La Cour avait soulevé en 2005 des problèmes de gestion immobilière et le ministère de l'outre-mer s'était engagé à les résoudre ; mais, cinq ans après, rien n'avait changé. Lors des contrôles antérieurs, la question de l'équilibre financier et de la gestion de l'agence supplantait celle du statut juridique, mais depuis que ces problèmes plus urgents ont été en partie résolus, la question du statut refait surface. N'est-il pas curieux de fixer un plafond d'emplois à une entreprise de droit privé ? Certes, le législateur peut tout faire, mais il doit organiser le droit. En outre, comment opérer un contrôle efficace sans système de contrôle interne autre que le système de gestion ? La présence d'un comptable public est importante.

Mme Michèle André , présidente . - Je suggère à Michel Vergoz de vérifier auprès de LADOM que les erreurs du passé n'ont pas été reproduites.

M. Éric Doligé , rapporteur spécial . - Comme l'a dit Gérard Moreau, les questions naguère secondaires deviennent principales, et il faut s'interroger sur le statut de l'agence.

J'en viens à la formation professionnelle, et d'abord à la sélection des organismes de formation. La Cour des comptes estime qu'elle repose excessivement sur le discernement des délégués régionaux, et qu'il faut réfléchir à une harmonisation des critères, ce qui renvoie à la négociation des tarifs - vous m'avez déjà répondu en partie.

En outre, on a parfois l'impression que l'agence cherche à répondre à la demande sans se soucier que les formations offertes s'insèrent dans des parcours professionnels et répondent aux besoins du marché de l'emploi.

M. Georges Patient , rapporteur spécial . - La Cour recommande aussi d'améliorer la formation des conseillers d'insertion professionnelle. Des efforts ont-ils été faits en ce sens ?

Le suivi des stagiaires ne serait pas systématique. On manque de données fiables sur la proportion de stagiaires ayant trouvé un emploi au terme de leur stage, sur la qualité des emplois trouvés en CDI ou en CDD, sur le taux de retour en outre-mer. Dans ces conditions, comment être sûr que l'action de LADOM est efficace ?

M. François-Xavier Bieuville . - S'agissant des critères de sélection des formations par les délégués régionaux ou la direction de l'emploi et de la formation, nous tirons parti de l'expérience de l'ancienne ANT pour proposer les meilleures formations au meilleur coût, en veillant toujours à ce qu'elles soient adaptées aux projets professionnels des demandeurs. L'agence se comporte donc comme un acheteur de formations, et le coût unitaire pédagogique moyen est de 8 euros hors taxe. Plus d'un jeune sur deux est orienté vers un parcours de formation qui conduit à l'emploi. La convention d'objectifs et de moyens pour 2009-2011 nous a fait passer d'une logique de guichet à une logique de l'offre : nous nous efforçons de proposer des formations qui correspondent au plus près aux besoins du marché du travail, en nous rapprochant de grandes entreprises comme Derichebourg, Veolia ou EDF. Veolia par exemple nous ouvre des places dans son campus du Val-d'Oise et lorsqu'un jeune conclut un contrat de professionnalisation avec l'entreprise, il est presque sûr de se faire embaucher en CDI à l'issue de sa formation. Mais nous travaillons avec une « pâte humaine », et malgré notre coopération avec Pôle emploi, il est difficile de parvenir à une parfaite adéquation entre les formations proposées et les besoins des entreprises.

Depuis deux ans, nous menons une politique active afin d'améliorer la formation de nos conseillers d'insertion. Nous avons pris les conseils d'une entreprise extérieure afin d'élaborer un plan de formation adapté à l'évolution du métier, qui a connu une première redéfinition en 2010. Les partenaires sociaux au sein du comité d'entreprise viennent d'approuver ce plan. Nous voulons progresser pour remplir au mieux les objectifs fixés par notre tutelle.

Sur les stagiaires, nous disposons du système d'information ANT mobilité (SIAM) qui recense les actions de formation professionnelle ainsi que leur coût horaire, l'hébergement, la rémunération... LADOM suit aussi les stagiaires à l'issue de leur formation, mais lorsqu'ils ont perdu la qualification juridique de stagiaires, rien ne les oblige, dans l'état actuel de la réglementation, à faire état de leur situation. Nombreux sont ceux, toutefois, qui conservent des liens avec leur conseiller, et l'information nous parvient par ce biais.

Nous savons bien quelle proportion de stagiaires retournent dans leur territoire d'origine après leur stage : 42 %, qu'ils aient ou non obtenu un titre professionnel, trouvé ou non un emploi. Nous pouvons en effet comptabiliser ceux qui s'adressent à la délégation dont ils relevaient en métropole pour obtenir le remboursement de leur billet de retour.

M. Marc Massion . - On lit, dans l'enquête de la Cour des comptes, que le complément de financement de L'Ifcass de Dieppe « devrait » être apporté par les conseils régionaux d'outre-mer et de Haute-Normandie. Faut-il le croire ? Lors de l'examen du budget pour 2011, la fermeture de l'institut avait été envisagée, mais le ministère avait promis d'assurer son financement. L'Etat a-t-il négocié avec les régions, ou ont-elles été mises devant le fait accompli ?

M. Vincent Bouvier . - L'Ifcass est financé par trois biais : le programme 138 pour les frais pédagogiques et les passeports mobilité-étudiants, à hauteur d'1,6 million d'euros ; une participation de 150 000 euros du conseil régional de Haute-Normandie ; enfin une subvention de fonctionnement d'1,6 million sur le programme 177 du ministère de l'écologie. Lors de la dernière discussion budgétaire, il avait été envisagé de ramener cette dernière subvention à 800 000 euros en 2011 et de la supprimer en 2012. Après une délibération interministérielle, il a été convenu de maintenir la contribution du programme 138 et de ramener celle du programme 177 à 600 000 euros en 2012, à 300 000 euros en 2013, puis à rien en 2014. Le complément - 1 million en 2012, 1,3 million en 2013 - doit provenir des conseils régionaux d'outre-mer et de Haute-Normandie, ce qui n'est pas aberrant puisqu'il s'agit de formation professionnelle. Mme la ministre de l'outre-mer a adressé le 3 août un courrier en ce sens aux présidents des conseils régionaux intéressés, et les discussions sont en cours. Aucun engagement n'a été pris pour le moment.

Mme Michèle André , présidente . - Nos collègues seront certainement attentifs à la suite de ces discussions.

M. Marc Massion . - Y compris en Haute-Normandie !

M. Éric Doligé , rapporteur spécial . - Pour ce qui est de la continuité territoriale, Le président Jean-Pierre Bayle a souligné que l'agence jouait surtout un rôle de guichet, sans véritable valeur ajoutée. L'achat des billets ne donne lieu ni à publicité ni à mise en concurrence, contrairement à ce que prévoit la législation. La masse financière en jeu est pourtant loin d'être négligeable ! Que comptez-vous faire, à part embaucher quelqu'un ?

L'agence a-t-elle les moyens de satisfaire la quantité de bons distribués et non encore consommés ? Comment votre enveloppe a-t-elle été évaluée, et quid de la régulation financière ? Vous attendez-vous à un afflux lors des fêtes de fin d'année ?

Les critères d'éligibilité aux aides à la mobilité sont larges : dans certains territoires, les quatre cinquièmes des habitants peuvent y prétendre. Ces aides bénéficient-elles à ceux qui en ont vraiment besoin ? Les familles les plus pauvres peuvent-elles financer le reste à charge du billet d'avion ?

M. Georges Patient , rapporteur spécial . - On peut se demander si la politique de continuité territoriale n'encourage pas les compagnies aériennes à augmenter leurs prix. L'article 50 de la LODEOM les contraint à communiquer des données sur la structure de leurs coûts et les prix qu'elles pratiquent sur les lignes soumises à obligation de service public entre la métropole et l'outre-mer. Cette disposition est-elle appliquée, et permet-elle de contrôler effectivement les prix ?

En Guyane, pourquoi le taux de consommation ne dépasse-t-il pas 0,3 % du budget réservé ?

Les aides relevant de la politique de continuité territoriale peuvent financer des titres de transport entre une collectivité et une autre, mais aussi à l'intérieur d'une même collectivité. Pourquoi n'a-t-on pas recours à cette facilité ? La Guyane en a fait la demande.

M. François-Xavier Bieuville . - Parmi les aides à la mobilité versées par LADOM, il faut distinguer entre les aides à la continuité territoriale, les passeports mobilité-étudiants et les subventions accordées dans le cadre de la formation professionnelle. Les premières ne sont pas soumises à l'ordonnance de 2005, et les bénéficiaires mettent eux-mêmes les compagnies en concurrence. Il y a des raisons de croire que cette politique est efficace, puisque les prix ont baissé en 2011 au départ des DOM. Le reste à charge est de 310 euros en Martinique, où le conseil régional contribue, et de 389 euros en Guadeloupe, où ce n'est pas le cas. Quoi qu'il en soit, il est modeste : l'aide semble bien calibrée. Les compagnies n'ont jamais proposé autant d'offres promotionnelles : Air France, Corsair et Air Caraïbes, qui desservent la Martinique, en ont lancé plus d'une quarantaine cette année ! De leur aveu même, c'est la première année qu'elles font effectivement jouer la concurrence.

Pour ce qui est des passeports mobilité et des subventions relevant de la formation professionnelle, la Cour des comptes a recommandé de lancer un marché public pour mettre les compagnies en concurrence, et LADOM fait en sorte de se conformer à cet avis : nous nous orientons vers un marché public de distributeurs plutôt que de producteurs.

L'aide à la continuité territoriale produit des effets réels. A la date du 28 septembre, 16 300 bons ont été émis pour la Guadeloupe, 24 000 pour la Martinique, 1 600 pour Mayotte, 279 pour la Guyane et 51 000 pour la Réunion. L'aide est-elle bien calculée ? Il n'appartient pas à l'opérateur de le dire, mais elle semble répondre aux besoins de la population visée. Les trois quarts des bons émis sont consommés, ce qui est aussi un signal positif.

Nous sommes en pourparlers avec le conseil régional de Guyane pour faire bénéficier certaines communes guyanaises et leurs résidents de l'aide à la continuité territoriale pour des déplacements à l'intérieur de la Guyane : ce devrait être chose faite d'ici la fin de l'année. Il s'agit essentiellement d'aider les habitants des communes du fleuve, comme Maripasoula ou Papaïchton, à se rendre à Cayenne. L'État et le conseil régional se partageraient les frais.

M. Georges Patient , rapporteur spécial . - La Cour a relevé une certaine instabilité dans les ressources humaines de LADOM : contrats temporaires, mises à disposition de personnel des conseils régionaux, remèdes trouvés dans l'urgence sans réflexion à long terme... Quelles sont vos perspectives ? Ne faudrait-il pas formaliser les mises à disposition pour clarifier les moyens humains sur lesquels peut s'appuyer l'agence ?

J'ai reçu un courrier de l'intersyndicale de LADOM, qui se plaint que la Cour n'ait pas répondu à sa demande d'être auditionnée. Elle s'étonne que l'on n'ait pas entendu les représentants de la délégation de Guyane, qui a ses spécificités. Elle pointe également des problèmes d'effectifs et de trésorerie, ou encore la création de nouvelles fonctions centrales sans véritable gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Enfin elle plaide pour que les crédits affectés à la formation des ultramarins et relevant d'autres ministères, comme ceux de l'Association pour la formation professionnelle des adultes (AFPA), soient tous pilotés par la délégation générale à l'outre-mer.

M. François-Xavier Bieuville . - Puisque LADOM, sous l'impulsion de sa tutelle, doit substituer aux GIP des conventions de gestion financière avec les conseils régionaux, les emplois temporaires qui ont été créés ont vocation à devenir durables, et le plafond d'emplois de l'agence sera relevé de 30 unités.

Les agents mis à disposition le sont en toute transparence, dans le cadre de conventions financières et de gestion avec les conseils régionaux.

Les syndicats s'inquiètent de frais de trésorerie liés à la lourde procédure de vérification et de contrôle du Fonds social européen, qui a été annualisée : il y a un décalage entre la constatation et le contrôle d'un côté, le versement des subventions de l'autre, et c'est l'agence qui en supporte les frais financiers.

Depuis deux ans et demi, le budget de l'AFPA est passé en marché public, et LADOM est éligible au lot 3. Le marché public arrive à échéance le 15 juin prochain, et nous négocions avec la Délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et l'AFPA pour qu'il soit renouvelé. LADOM organise ainsi près de 1 200 parcours de jeunes ultramarins dans le cadre de formations assurées par l'AFPA, pour un budget d'environ 19 millions d'euros.

Enfin, je vous rappelle que le nouveau plan de formation vient d'être accepté par le comité d'entreprise, et que les syndicats n'ont émis aucune réserve.

Mme Adeline Baldacchino, auditrice à la Cour des comptes . - Pour choisir les sites à visiter, nous avons procédé à une analyse de risques classique, et sélectionné les délégations ultramarines qui émettaient le plus de bons et formaient le plus de jeunes, comme La Réunion ; en métropole, le choix s'est aussi fondé sur des critères financiers et sur le nombre de conseillers d'insertion professionnelle.

En ce qui concerne les mises à disposition, nous appelons l'agence à être vigilante. Une trentaine d'emplois vont être stabilisés, mais il n'est pas impossible que de nouveaux besoins se fassent sentir. Peut-être les mises à disposition ont-elles été régularisées depuis notre contrôle, mais nous avons alors relevé quelques anomalies, comme la présence d'agents mis à disposition de manière informelle, sans aucun contrat.

L'intersyndicale a demandé à recevoir le rapport de la Cour, mais les destinataires des rapports sont définis strictement par le code des juridictions financières. J'ai bien sûr rencontré des délégués du personnel, notamment à La Réunion, mais l'intersyndicale n'a pas sollicité de rencontre, que j'aurais évidemment acceptée.

M. Jean-Pierre Bayle . - J'insiste sur le problème posé par la communication des rapports. Vincent Bouvier a fait allusion à nos observations provisoires, mais la commission des finances du Sénat est seule destinataire de notre rapport définitif et l'administration peut en éprouver de la frustration. La procédure adoptée est inhabituelle dans le dialogue entre la Cour et ses interlocuteurs, puisque d'ordinaire nous adressons d'abord nos observations provisoires, souvent suivies d'auditions, avant d'envoyer nos observations définitives, selon le principe du contradictoire. Dans le cas présent, l'administration doit répondre spontanément à un rapport définitif dont elle n'a pas connaissance. Si, dans sa sagesse, votre commission décidait de ne pas publier le rapport...

Mme Michèle André , présidente . - Cela n'arrive jamais...

M. Jean-Pierre Bayle . - C'est arrivé, à l'Assemblée nationale. Comment la Cour pourrait-elle alors faire connaître aux administrations concernées ses observations définitives ? Si nous retournions contrôler LADOM en 2012 sans qu'elle ait pu connaître les observations et recommandations de la Cour, cela poserait problème.

M. François-Xavier Bieuville . - J'ai une part de responsabilité dans le choix des sites car j'ai souhaité donner à Adeline Baldacchino la meilleure connaissance possible du fonctionnement de l'agence. Nous avons sélectionné trois des neuf délégations métropolitaines, et deux des cinq ultramarines : la plus importante, celle de La Réunion, et la plus récente, celle de Mayotte.

Lorsque l'agence a reçu le rapport d'observations provisoires de la Cour, elle a pris des mesures d'anticipation pour lever toute incertitude sur sa volonté de se conformer aux recommandations émises et d'améliorer son fonctionnement.

Mme Michèle André , présidente . - Nous ferons savoir à l'intersyndicale qu'Adeline Baldacchino aurait volontiers reçu ses représentants s'ils lui en avaient fait la demande.

M. Éric Doligé , rapporteur spécial . - La politique immobilière de LADOM doit être rationalisée, juge la Cour. Certaines de ses propriétés en Guyane et à Paris restent inoccupées, alors que d'autres locaux sont loués à Paris. Des ventes sont-elles envisagées ? Le coefficient d'occupation des sols est plus de deux fois plus faible que dans les préconisations applicables aux opérateurs. Comment expliquez-vous cet écart ? Enfin, Georges Patient m'a parlé d'un terrain acheté à Macouria en Guyane et destiné à être revendu sans avoir été utilisé, alors même que la spéculation immobilière sévit dans ce département. Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. François-Xavier Bieuville . - LADOM est propriétaire de 500 hectares de forêt à Macouria, ce qui peut paraître curieux pour un opérateur de la mobilité... Lorsque Madagascar est devenue indépendante, les employés d'une société de développement agricole relevant du Bumidom ont été envoyés en Guyane dans une nouvelle filiale du bureau dédiée notamment au développement de l'élevage porcin. C'est de cette époque que date l'acquisition des 500 hectares de forêt. L'activité s'est arrêtée, mais la propriété s'est transmise du Bumidom à l'ANT, puis à LADOM. Le conseil d'administration, qui devra autoriser la cession, m'a permis en juin d'engager des démarches pour vendre ce domaine, et j'ai fait une offre au maire de Macouria. Les négociations, qui se poursuivent cahin-caha depuis dix-huit mois, n'ont pas abouti. Ces terrains sont situés non loin de Cayenne, et il y aurait sans doute une opération immobilière à accomplir, même s'il ne me revient pas d'en juger.

A Paris, l'ANT avait son siège dans un hôtel particulier de la rue Brissac, que nous louons aujourd'hui à Airparif. Le loyer perçu nous permet de louer le siège de l'agence à Saint-Denis - le siège de l'ANT avait été délocalisé en 1993 - et celui de la délégation régionale d'Ile-de-France près de la gare du Nord. Il paraîtrait rationnel de relocaliser le siège à Paris, dans un site partagé avec la délégation régionale ; mais il faudrait pour cela l'accord du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT).

Il est difficile pour l'agence de définir une politique immobilière cohérente étant donné la disparité de prix entre ses neuf implantations métropolitaines et ses cinq d'outre-mer. En métropole, nous bénéficions de baux historiques à bon marché : certes, le taux d'occupation est faible, mais il n'est pas sûr que nous gagnerions à résilier ces baux pour louer des bâtiments moins vastes aux conditions actuelles du marché.

Mme Michèle André , présidente . - Après les rapporteurs spéciaux, je passe la parole à nos autres collègues. Je salue tout particulièrement les sénateurs nouvellement élus : ils verront que l'on fait au Sénat un excellent travail.

M. Michel Vergoz . - J'aimerais donner un coup de projecteur sur la politique dite de « continuité territoriale ». Je n'aime pas que l'on parle de « bons » accordés aux ultramarins pour leurs déplacements : je préférerais « avoirs sur titres ». Sénateur de La Réunion, je suis avant tout un élu de la République ! La continuité territoriale est une notion que l'on a vidée de son sens. La Corse bénéficie chaque année de 180 millions d'euros d'aide d'État pour la continuité territoriale, à quoi s'ajoutent les subventions de la collectivité de Corse, quand les Antilles, la Guyane et La Réunion réunies ne touchent que 100 millions pour la continuité territoriale et les passeports mobilité ! N'y a-t-il pas là deux catégories de Français ? La continuité territoriale avec l'outre-mer n'est qu'un leurre. Il faudrait que l'on puisse décider dans la journée de se rendre en métropole, que les chefs d'entreprise puissent se déplacer en fonction de la demande !

L'article 50 de la LODEOM a créé une usine à gaz. Il y a un an, je me suis étonné que le conseil régional de La Réunion ne soit pas représenté au conseil d'administration de LADOM, qu'il finance à hauteur de 8 millions d'euros, autant que l'État qui prélève une partie du produit de la taxe de l'aviation civile !

La Cour des comptes recommande de « consolider et d'approfondir la voie du conventionnement avec les collectivités ». Il faut ramener tous les partenaires autour de la table, et créer un guichet unique de la mobilité. Je dis bien : de la mobilité. Il sera temps lorsque la crise sera passée de songer à la continuité territoriale, mais ne nous payons pas de mots !

Un bémol sur l'offre de formation, qui est loin d'être toujours satisfaisante. Il y a quinze jours, EDF cherchait encore des ouvriers pour monter une usine thermique ! Et souvenez-vous, il y a dix ans, des carreleurs du port et des soudeurs de l'usine hydro-électrique de Saint-André ! Que dire des infirmières et des aides-soignantes, que nous recrutons dans les autres pays d'Europe ? On ne peut pas tout faire depuis Paris : il faut aller sur le terrain pour rencontrer les dirigeants de PME, de TPE, de services publics. Je me réjouis que ce rapport contribue à bousculer les certitudes.

La politique de mobilité ne favorise pas la concurrence entre les compagnies aériennes ni la baisse des prix. J'ai suggéré au président de région de lancer un appel d'offres sur des ensembles de sièges : le prix serait sûrement inférieur ! Les compagnies s'entendent, comme dans le secteur de l'importation de produits pétroliers, où des entreprises ont été condamnées en première instance puis en appel. Il y a d'immenses chantiers à ouvrir, et je remercie la Cour des comptes et tous les intervenants de nous aider à aller au fond des choses.

Mme Michèle André , présidente . - Soyez-en sûr : la nouvelle délégation à l'outre-mer, voulue par le président Jean-Pierre Bel, y travaillera. Je retiens de votre intervention votre ferme intention d'être considéré comme un sénateur de la République française, et je suis persuadée que vous saurez mettre votre belle énergie au service de notre institution et de nos concitoyens.

M. Félix Desplan . - L'extension des aides à la continuité territoriale aux déplacements internes à la Guyane est à l'étude. Y réfléchissez-vous aussi pour la Guadeloupe, où le même problème se pose pour relier les îles du Sud à la Grande-Terre et à Basse-Terre ?

M. Vincent Bouvier . - L'extension du dispositif aux déplacements internes sera d'abord expérimentée en Guyane, où certaines communes sont très enclavées, et fera l'objet d'une évaluation. Mais nous ne fermons pas la porte à ce que d'autres territoires en bénéficient à l'avenir.

M. Maurice Antiste . - En Martinique, j'ai pu constater l'acharnement de LADOM à résoudre les problèmes rencontrés. Il est bien normal que la Cour des comptes contrôle l'agence, puisqu'elle reçoit des fonds publics, mais je souhaiterais que ses moyens soient renforcés : ses armoires sont pleines de dossiers en souffrance !

La continuité territoriale n'implique pas seulement de faciliter les déplacements. Il y a aussi une continuité immatérielle, qui passe par la culture, l'éducation, etc.

J'ai été heureux de participer à ce débat. Il faut préserver l'outil dont nous disposons et redoubler nos efforts pour répondre aux besoins.

M. François-Xavier Bieuville . - Nous mettons en place une procédure dématérialisée qui permettra de déposer en ligne les demandes d'aide à la continuité territoriale et de passeport mobilité.

M. Maurice Antiste . - Je m'en réjouis : les queues devant les guichets ne sont pas dignes du vingt-et-unième siècle !

Mme Michèle André , présidente . - Maurice Antiste a raison de parler de continuité immatérielle. Au Sénat, nous portons beaucoup d'affection à Aimé Césaire et aux autres poètes et artistes antillais et ultramarins. Le président Jean-Pierre Bayle veut-il conclure ?

M. Jean-Pierre Bayle . - La Cour prend acte des engagements très clairs pris devant votre commission par les représentants de LADOM et de sa tutelle. Ils ne nous ont pas surpris : les auditions nous avaient déjà persuadés de leur bonne volonté. Nous nous assurerons que ces engagements soient tenus.

Mme Michèle André , présidente . - Il me reste à vous remercier, et à demander aux membres de la commission des finances s'ils acceptent la publication du rapport.

M. Éric Doligé , rapporteur spécial . - Je n'y vois pour ma part aucun inconvénient, bien au contraire. Nos nouveaux collègues constateront qu'au Sénat, on s'intéresse beaucoup à l'outre-mer. Si toutes nos recommandations avaient été suivies d'effet, il n'y aurait plus guère de problèmes !

La commission autorise, à l'unanimité, la publication de l'enquête de la Cour des comptes ainsi que du compte-rendu de la présente audition sous la forme d'un rapport d'information.

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