B. LA TAXE CARBONE : UN ÉCHEC QUI A NUI À LA CAUSE DE LA FISCALITÉ ÉCOLOGIQUE

Plusieurs réformes fiscales emblématiques entreprises dans le sillage du Grenelle de l'environnement ont connu un sort contrarié. En témoignent la rénovation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) applicable aux déchets ménagers, qui a dû faire l'objet d'ajustements significatifs depuis son vote en loi de finances initiale pour 2009, ou encore l'éco-redevance sur les poids-lourds dont l'entrée en vigueur, initialement prévue en 2011, se fait encore attendre. L'échec majeur du Grenelle fiscal réside toutefois dans l'abandon de la taxe carbone, dans le coup d'arrêt presque complet 42 ( * ) qu'il a porté au processus de « verdissement » de la fiscalité et dans les effets désastreux qu'il a produits sur la crédibilité de la fiscalité environnementale auprès de l'opinion publique.

1. Un dispositif peu ambitieux, d'emblée perclus de dérogations

Le projet de taxe carbone 43 ( * ) proposé par le Gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010 s'est d'emblée inscrit très en-deçà des ambitions affichées au cours des débats du Grenelle et des préconisations des experts.

Ce manque d'ambition s'est d'abord traduit par la définition d'une assiette étroite, limitée aux consommations de carburants et combustibles fossiles , soit principalement l'essence, le gazole, le fioul, le charbon et le gaz naturel. La taxe carbone ne visait donc pas les consommations d'électricité et ne pouvait donc être considérée comme une véritable « contribution climat-énergie » dont l'objectif aurait été de réduire l'ensemble des consommations énergétiques et de favoriser la transition vers un modèle économique sobre en énergie .

De surcroît, le tarif initial retenu pour la contribution aurait dû s'établir à 17 euros par tonne de CO 2 , soit « l'ordre de grandeur des prix sur le marché européen du carbone depuis le début de la deuxième phase du marché, en février 2008 ». Ce niveau était toutefois significativement moins élevé que les préconisations des experts . Pour mémoire, la commission présidée par Alain Quinet avait fixé la valeur tutélaire du carbone à un niveau initial de 32 euros par tonne , ce tarif ayant vocation à augmenter progressivement pour s'établir à 100 euros en 2030. Cette valeur de départ avait en outre été retenue au terme de la « conférence de consensus », présidée par Michel Rocard préalablement à la création de la taxe carbone.

En outre, et bien que qu'un consensus se fût dégagé sur la nécessité d'augmenter progressivement le prix du carbone et d'annoncer la trajectoire de cette augmentation le plus en amont possible afin de favoriser l'adaptation des comportements, la loi de finances pour 2010 s'est abstenue de déterminer, à compter de 2010, un tarif pluriannuel croissant , contrairement à ce qui avait été prévu en matière de taxe générale sur les activités polluantes relative aux déchets ménagers 44 ( * ) . C'est donc à une commission de suivi qu'avait été confié le soin de se prononcer sur l'évolution du taux de la contribution.

D'un tarif modéré, reposant sur une assiette étroite, la contribution carbone était enfin percluse de dérogations sectorielles qui en atténuaient d'emblée la lisibilité et la portée . Ces dérogations intéressaient :

1) les installations soumises au système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE ou ETS), ayant vocation à y entrer à terme 45 ( * ) , ou faisant l'objet de mesures équivalentes 46 ( * ) , qui étaient totalement exonérées ;

2) huit secteurs non industriels dont il avait été jugé nécessaire de préserver la compétitivité ou dont la contribution à la lutte contre l'effet de serre avait été mise en évidence , soit les transports fluviaux et maritimes, la pêche, l'agriculture, le transport routier, le transport public en commun de voyageurs, les biocarburants ou la déshydratation de luzerne ( cf . tableau).

Les dérogations sectorielles à la contribution carbone

Dérogations initialement prévues par le Gouvernement

Dérogations ajoutées à l'initiative du Parlement

Agriculture - Remboursement a posteriori de 75 % de la contribution.

Transport fluvial de marchandises - Tarif réduit de 35 % sur le fioul domestique des péniches (Sénat).

Pêche - Tarif réduit de 75 %.

Transports maritimes nationaux - Réduction de tarif de 35 % (Sénat).

Transport routier de marchandises - Compensation de 35 % de la contribution, via la majoration d'un remboursement de TIPP existant.

Déshydratation de luzerne - Exonération totale de contribution (Assemblée nationale).

Transport public routier en commun de voyageurs - Compensation intégrale, sous forme de majoration du remboursement de TIPP existant.

Biocarburants - Compensation totale, via une majoration du tarif réduit de TIPP qui leur est appliqué par ailleurs (Assemblée nationale).

Source : commission des finances

Si votre rapporteure générale n'était pas opposée par principe à l'atténuation des effets de la nouvelle fiscalité carbone sur les secteurs économiques les plus fragiles et les plus exposés à la concurrence internationale, le choix d'exonérations ou d'atténuations a priori apparaissait contre-productif, en ce qu'il brouillait le signal-prix envoyé par la nouvelle taxe. C'est donc par le biais de compensations postérieures au paiement de l'impôt que les effets de la contribution carbone auraient dus être modérés, le cas échéant servies en contrepartie d'engagements des acteurs économiques à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre.

2. Un mécanisme injuste... et finalement censuré

A l'instar de toute fiscalité de consommation, la contribution carbone était susceptible d'avoir un impact plus fort sur les ménages les plus modestes , dont les consommations énergétiques représentent une part proportionnellement plus importante du budget 47 ( * ) . L'introduction de cette nouvelle fiscalité aurait donc dû s'accompagner de mécanismes d'atténuation en faveur des ménages les plus modestes, et par conséquent calibrés en fonction de leurs revenus .

Tel n'a pas été l'arbitrage du Gouvernement, qui n'a retenu comme critères de modulation de la compensation servie aux ménages que la composition du foyer fiscal et son lieu de résidence. Cette compensation devait donc prendre la forme d'un crédit d'impôt sur le revenu forfaitaire de 46 euros, mais doublé pour les couples soumis à imposition commune, augmenté de 10 euros par personne à charge, et majoré pour les contribuables réputés vivre en zone rurale 48 ( * ) . Le coût budgétaire du dispositif était estimé à 2,65 milliards d'euros en 2010, soit le produit de la contribution carbone acquitté par les ménages.


Exemples de montant du crédit d'impôt

Cas

Milieu urbain (PTU)

Milieu rural (Hors PTU)

Célibataire sans enfant

46 euros

61 euros

Couple sans enfant

92 euros

122 euros

Couple avec trois enfants

122 euros

152 euros

Source : Sénat, rapport général sur le projet de loi de finances pour 2010, tome II, fascicule 1, volume 1 (n° 101, 2009-2010)

Dans sa décision sur la loi de finances pour 2010 (n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009), le Conseil constitutionnel a finalement censuré les articles 7, 9 et 10 de la loi, qui instituaient respectivement la contribution carbone, le crédit d'impôt restituant forfaitairement la contribution aux ménages et un mécanisme de remboursement partiel au bénéfice des exploitants agricoles. Le Conseil a observé que les « régimes d'exemption totale » de contribution carbone étaient « par leur importance », « contraires à l'objectif de lutte contre le changement climatique et cré(ai)ent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques » 49 ( * ) .

Bien que marquant un coup d'arrêt durable et regrettable à la mise en oeuvre d'une véritable fiscalité carbone en France, cette décision ne faisait que hâter la fin d'un impôt mal conçu et dont la viabilité n'était guère assurée.


* 42 En dehors de la réforme des taxes d'urbanisme, les mesures prises postérieurement à l'abandon de la taxe carbone ont principalement consisté en des ajustements de dispositifs existants.

* 43 Taxe rebaptisée « contribution carbone » au cours des débats au Sénat.

* 44 Dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2009.

* 45 Il s'agissait des industries chimiques dont les procédés ne sont pas placés hors champ de la directive, mais qui seront intégrées dans le système communautaire à compter de 2013.

* 46 Soit les secteurs de la production de papier, de céramique, de tuiles ou de briques, autorisés à sortir du mécanisme des quotas en faisant la démonstration qu'ils sont soumis à des mesures leur permettant d'atteindre des réductions d'émissions équivalentes.

* 47 Selon une note de veille de 2009 du Centre d'analyse stratégique, les dépenses énergétiques mobilisent 15 % du budget des 20 % des ménages dont les revenus sont les plus faibles et 6 % du budget des 20 % des ménages aux revenus les plus élevés.

* 48 Le distinguo rural-urbain était opéré sur le fondement de l'intégration ou non du domicile du contribuable dans un périmètre de transports urbains (PTU), tel que défini à l'article 27 de la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs.

* 49 Considérant 82. Le Commentaire aux cahiers étaie cette conclusion en soulignant que « le Conseil constitutionnel n'a pu que constater l'effet de la somme des exemptions totales instituées par l'article 7 de la loi de finances » , exemptions conduisant « à ce que 93 % des émissions industrielles de dioxyde de carbone soient totalement exonérées » , de même que « 100 % du transport aérien (...) alors que c'est le mode de transport qui engendre la plus grande quantité d'émission de dioxyde de carbone par passager au kilomètre et par tonne de fret au kilomètre » .

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