2. Un scepticisme durable

De même qu'on distingue, en économie, la sphère financière de la sphère réelle, il est possible de distinguer, pour ce qui est du commerce, la sphère numérique de la sphère physique. Toute intervention dans la sphère numérique du commerce trouve habituellement sa traduction dans la sphère physique (livraison ou service effectifs), sauf pour quelques biens complètement dématérialisés (musique, programmes, etc.).

Après une période de fascination initiale, beaucoup ont réalisé que les changements étaient finalement ténus pour ce qui concerne la sphère physique : le commerce électronique, en dépit de la multiplication de ses avatars, ne s'émanciperait guère des fondamentaux de la traditionnelle vente à distance (VAD) .

Pour Alain Rallet 8 ( * ) , « (...) jusqu'à maintenant, le e-commerce n'est qu'une version plus attrayante d'un vieux canal de vente. Il y a d'ailleurs un paradoxe à l'avoir érigé comme parangon de la modernité commerciale. C'est le résultat de la fascination pour la technologie en tant que telle au détriment de l'attention portée aux pratiques commerciales. On arrive ainsi à s'émerveiller de la possibilité de commander par un clic plutôt que par téléphone. Mais en vérité, l'essentiel de l'activité est la même, à savoir la gestion logistique des flux . C'est bien pourquoi les acteurs de la VAD traditionnelle ont fait un retour en force dans le e-commerce. Tandis que les nouveaux acteurs qui ont réussi sont ceux qui ont su acquérir les compétences de la VAD traditionnelle ».

Si, au milieu de la décennie 2000, l'e-commerce renoue avec une croissance largement supérieure à 20 %, cette progression ne porte que sur des volumes encore peu significatifs et les anticipations dominantes vont demeurer celles d'un ralentissement notable de la croissance du commerce électronique, marqué par la difficulté de s'émanciper nettement de l'étiage traditionnel de la vente à distance.

Le même auteur explique que « la vente en ligne reste un phénomène limité par rapport à l'ensemble du commerce de détail .

« Les ventes sur Internet augmentent de manière importante, à raison même de la croissance et de la taille de la « base installée » du commerce en ligne, mais ne perdons pas de vue qu'à l'échelle, non des commerçants en ligne ou de tel ou tel secteur, mais de l'économie tout entière, la commande en ligne reste un marché de niche, celui de la vente à distance dont le poids traditionnel se situe entre 2 et 5 % du commerce de détail selon les pays .

« Les chiffres de croissance impressionnants annoncés par les acteurs du secteur ne doivent pas nous tromper : bien que dopée par Internet, la vente à distance n'a pas encore changé d'échelle .

« Prenons l'exemple du marché qui est sans doute le plus avancé, celui du marché américain. Le commerce en ligne ne représente que 3,8 % 9 ( * ) du commerce de détail aux États-Unis. Il a constamment progressé mais il n'a pas non plus explosé ». Pour le même auteur, « il est bien difficile de prédire l'évolution à 10 ans de la part du e-commerce. Car de nombreux facteurs sont en jeu. On peut cependant formuler une hypothèse simple : le e-commerce sortira de la niche de marché de la VAD s'il propose de réelles innovations aux consommateurs ».

Selon la Fédération e-commerce et vente à distance (FEVAD), la cannibalisation progressive par Internet des canaux de commande de la vente à distance est en effet avérée : « la part des commandes par Internet dans le CA de la VAD a progressé de 15 % en 2001 à 79 % en 2008 (contre 20 % pour les commandes par téléphone et courrier). Il reste une marge de progression mais elle est faible et n'accroît pas, en tant que telle, la part de marché de la VAD ».

Autre exemple de prudence : dans le rapport de Greenwich Consulting annexé au rapport de la commission des finances (voir encadré ci-dessous), il était anticipé, de 2009 à 2014, un ralentissement assez marqué de la croissance annuelle de l'e-commerce : de 15 % en 2010 à 5 % en 2014.


* 8 « L'évolution de l'e-commerce à l'ère de l'économie numérique », Prospective et Entreprise n°11, février 2010.

* 9 Cette part est passée de 3,8 % au 4ème trimestre 2009 à 4,6 % au deuxième trimestre 2011.

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