D. UN IMPACT DIRECT SUR L'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

Pour Jacques-Joseph Brac de la Perrière, délégué général de Ville & transports en Ile-de-France « Comme jadis le moteur à explosion, le béton armé ou l'ascenseur, [le commerce électronique] est de nature à bouleverser la structure urbaine, même si, comme lors de la naissance de l'imprimerie, on ne mesure pas d'emblée les effets d'une telle révolution. Elle aura pourtant des conséquences sur l'environnement, l'urbanisme, les modes et les rythmes de vie » 186 ( * ) . Il est très probable que certaines évolutions prévisibles, plus ou moins reliées entre elles ainsi qu'à l'essor de l'e-commerce, auront un impact appréciable sur l'aménagement du territoire :

- relative défaveur de la très grande distribution périurbaine ;

- nouvelles implantations correspondant aux besoins spécifiques de l'e-commerce (entrepôts, « drives », centres logistiques) ;

- augmentation du coût de l'énergie et des transports ;

- essor du télétravail et de la population des « néoruraux » ;

- adhésion croissante à des modes de vie perçus comme écologiquement soutenables ;

- « électronisation » du commerce de proximité ;

- multiplication des points de livraison (postes, points-relais, « drives ») ;

- adaptation des logements neufs, voire anciens, aux livraisons en l'absence des occupants ;

- accès généralisé au haut débit, puis au très haut débit.

La grande distribution, à la fois concurrencée par l'e-commerce et le petit-commerce de centre ville (le cas échéant sous la même enseigne), sera vraisemblablement amenée à réduire progressivement le nombre des grandes surfaces. Ni les « drives », en partie susceptibles de les remplacer sur place mais pour des surfaces très inférieures, ni l'apparition de nouveaux sites dédiés à la logistique de l'e-commerces (qui obéiront à des logiques de concentration différentes), ne les « remplaceront » véritablement avec, en tout état de cause, des surfaces cumulées beaucoup moins importantes pour un même volume de vente. Ce mouvement aboutirait à multiplier les « friches commerciales » , qui seraient à la grande distribution ce que les friches industrielles sont aux grandes usines du passé.

Déjà, on observe que la tendance au déplacement de la population des centres-villes vers la périphérie se ralentit fortement. Sous l'impact de son « électronisation », l'offre commerciale en centre ville deviendrait plus complète et cohérente. Cette polyvalence pourrait encourager puis accélérer le retour vers les centres-villes d'une population de moins en moins séduite par un mode de vie périurbain dont la soutenabilité écologique et économique (coût d'acquisition et d'usage des maisons et voitures particulières) pose problème. Dans la configuration actuelle, le potentiel du commerce en centre ville est toutefois amoindri par la relative faiblesse des surfaces qui n'excèderait guère, en moyenne, 50 m 2 .

Par ailleurs, la logistique de livraison peut encore s'améliorer. En premier lieu, la mutualisation des transports, avec des initiatives qui se multiplient, ainsi que l' intermodalité 187 ( * ) , plus complexe à organiser, devraient progresser pour une meilleure performance de livraison (rapport coût économique et environnemental / rapidité). On envisage de contourner certaines difficultés spécifiques aux grandes agglomérations (congestion, pollution) par la construction d'« hôtels logistiques » alimentés par des poids lourds, les livraisons finales s'effectuant en véhicules légers avec comme objectif l'utilisation de véhicules propres.

Jacques-Joseph Brac de la Perrière indique que « Sogaris vient de remporter un appel d'offres de la SNCF pour la porte de La Chapelle, qui signifie à la fois des emplois en plus et des camions en moins (13 700 environ). L'activité de l'hôtel ira du dégroupage de la marchandise au sein du bâtiment à sa distribution par une flotte non polluante. S'y ajouteront des activités tertiaires complémentaires, et des logements, pour que le site soit économiquement rentable ». Ce type d'organisation peut néanmoins se heurter à l'hostilité de riverains, tandis que les progrès attendus en termes de circulation demeurent hypothétiques selon l'analyse de certains acteurs ; ainsi, pour Philippe de Clermont-Tonnerre, de Star Service, « il n'est pas certain que cette architecture résolve les difficultés de la logistique urbaine qui sont particulièrement sensibles dans les grandes métropoles : partage des voies de circulation, gestion des encombrements, des aires de livraison..., en dépit d'annonces formulées par des autorités communales ».

Avec l'essor du télétravail, qui pourrait être propulsé par les progrès attendus sur Internet en termes d'universalité d'accès et de bande passante, mais aussi la diffusion de l'e-administration, il se peut que la population des néo-ruraux connaisse parallèlement un nouvel essor qu'encouragerait un commerce électronique soutenu, en tant que de besoin, par des progrès logistiques résultant d'initiatives publiques locales aux fins de désenclavement. Alain Rallet rappelle à juste titre que « le commerce électronique reste un instrument d'aménagement du territoire pour les personnes éloignées des centres urbains, dans les petites villes, les espaces ruraux » 188 ( * ) . Pour Jean Prévost, « le e-commerce, loin d'être un vecteur de désertification des campagnes, sera même un outil de redensification des villages ».

C'est ainsi que l'e-commerce se conjuguerait aux progrès des technologies domestiques destinées aux personnes dépendantes pour favoriser leur maintien à domicile, notamment en milieu rural.

Quoi qu'il en soit, le commerce « électronisé » se caractérise d'abord par sa souplesse et son adaptabilité à la diversité des situations économiques, urbaines et sociales. On peut avancer l'hypothèse que, d'une façon générale, il saura désormais accompagner l'évolution des modes de vie et de la répartition des habitants sur les territoires, plutôt qu'il ne la façonnera . Historiquement, le commerce est un élément très structurant pour les villes ; déjà, la prolifération des moyens de mobilité privés jointe à l'avènement des grandes surfaces de vente périurbaines a réduit à la fois ce rôle structurant et l'intérêt des centres-villes...

Compte tenu de l'extrême plasticité du commerce électronique, un éventuel retour vers les centres-villes, de même qu'un ré-investissement des campagnes, ainsi que toute espèce de poursuite ou d'inversion des tendances actuelles, résulteront largement de facteurs exogènes tels que le coût de l'énergie, la performance énergétique des habitations, la recherche d'une certaine qualité de vie... sinon de simples effets de mode, ou de l'évolution des sensibilités collectives, parfois peu prévisibles.


* 186 Propos tenu lors de l'atelier de prospective organisé par la Délégation à la prospective, intitulé : « Commerce électronique : quel développement ? Quelles conséquences ? », qui s'est tenu au Sénat le 28 septembre 2011.

* 187 Combinaison de plusieurs modes de transport.

* 188 Interview à InternetActu.net du 9/11/2006.

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