IV. BENOÎT TABAKA, DIRECTEUR DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES, PRICEMINISTER

PriceMinister a été créé dans la perspective d'offrir une alternative à E-bay, premier site de commerce électronique aux Etats-Unis. En 2009, la division « automobile » de PriceMinister a été vendue à L'Argus. En 2010 PriceMinister a été racheté par Rakuten, grand conglomérat (Internet) japonais. Rakuten mise sur PriceMinister pour conquérir les marchés italiens, espagnols, anglais et allemands.

Sur le site de PriceMinister, les vendeurs peuvent ajuster leurs prix en ayant connaissance des prix moyens pratiqués par les autres commerçants. Il y a très peu de contestation, avec environ 9 000 réclamations par mois pour 600 000 ventes, et l'on ne compte jamais plus de 10 contentieux par an.

Le panier moyen approche 50 euros, ce qui est inférieur à la moyenne générale, de l'ordre de 100 euros. PriceMinister vit des commissions sur les transactions effectuées par son intermédiaire, commissions facturées avec TVA aux vendeurs commerçants et non professionnels, et sans TVA aux vendeurs commerçants situés dans un autre pays de l'Union européenne. PriceMinister est fiscalisé en France.

Certains vendeurs, situés à l'étranger, arrivent à vendre en France des produits neufs exempts de droits de douane et, proposant ainsi des prix inférieurs de 20 à 25 % aux offres françaises, grignotent plusieurs marchés. Dans le volume des ventes drainées par PriceMinister, le poids des produits culturels est en baisse et l'on sent dorénavant l'effet de l'e-book.

Désormais la moitié du chiffre d'affaires de PriceMinister provient de divers marchands : les grandes marques, de grands « pure players » (Discount, LDLC, Discounteo, etc.), des petits commerçants et, de plus en plus, des fabricants et des éditeurs, petits ou grands.

Il convient de rappeler que Voyages-SNCF est le premier site de commerce électronique en France.

1- En France, le développement du commerce électronique suit une pente très ascendante. Selon vous, doit-on parler de rattrapage ou de véritable conversion des Français à l'e-commerce ?

L'e-commerce connaît actuellement une croissance en « décroissance » . On observe début 2011 un essoufflement qui se constatera à la fin du premier semestre. Une modification en profondeur du comportement des consommateurs serait nécessaire pour relancer le commerce électronique.

2- Anticipez vous des innovations (techniques, méthodes commerciales, logistique) porteuses pour le développement de l'e-commerce ? Identifiez vous, réciproquement, des risques significatifs de nature technique (données personnelles, saturation des réseaux, pannes...) susceptibles de compromettre ce développement ?

On citera le site « InstantLuxe » qui propose aux particuliers de vendre d'occasion des produits de luxe. Concernant les risques, le premier aléa est celui d'une grève « dure » dans le transport postal : le e-commerce s'arrêterait net ; ce scénario noir explique en partie que les commerçants électroniques diversifient leurs offres d'acheminement en recourant aux expressistes et aux points-relais, qui constitueraient une solution de secours - certes rapidement saturée - si ce risque venait à se réaliser. Les intempéries et les pannes de réseau constituent deux autres risques majeurs.

3- Par-delà le succès national que représente PriceMinister, diriez-vous que la France se manifeste par une certaine créativité en matière de commerce électronique ?

On mentionnera la technique du « drop-shipping » suivant laquelle un e-commerçant se contente d'indiquer à son fournisseur à qui expédier ses produits, sa marge étant constituée de la différence entre le prix fournisseur et celui qu'il a proposé à son client. Le vendeur n'a ici besoin ni de stock ni de logistique.

4- Le commerce via un mobile (m-commerce) vous semble-t-il promis à un bel avenir en France ? Croyez-vous au potentiel d'interactions entre e-commerce et réseaux sociaux ?

Il convient de distinguer « l'achat sur mobile », par lequel le portable est utilisé en lieu et place d'un terminal informatique, et « l'achat itinérant ».

Le mobile permet, par exemple, de savoir que les délais d'enchère sont expirés sur e-Bay, ou de matérialiser des billets SNCF ou Air-France. Le mobile nécessite des outils de paiement adaptés. Le « one click payment » d'Amazon évite ainsi le renseignement des codes. PriceMinister développe une application grâce à laquelle il suffira de « flasher » tout code barre pour savoir à quel prix est proposé le produit concerné sur le site. Puis en cliquant (« one click payment »), l'acte d'achat sera lancé.

Le développement du m-commerce au Japon doit beaucoup à la technique, généralisée sur place, du paiement à la réception. Les choses sont plus compliquées en France puisque les actes d'achat et de paiement sont associés.

Les terminaux de type I-pad permettent de se connecter en mobilité.

Concernant les interactions avec les réseaux sociaux, il importe de noter que les rapports aux choses et aux prix évoluent fortement. Ainsi, non seulement les prix sont de plus en plus volatiles, mais les clients anticipent désormais la revente pour évaluer le coût de revient final d'un produit. Par ailleurs les gens sont de moins en moins sensibles à la logique des promotions et des soldes qui prennent un caractère permanent. De ces évolutions résulte ainsi une perte de repères qui invite les consommateurs à recourir à des systèmes de communication ou de recueil d'avis afin de les aider dans la décision d'achat. A cet égard, une consommatrice du site « Groupons » a pu déclarer qu'elle « ne pouvait plus acheter sans un bon de réduction ».

Au Royaume-Uni, qui est en avance pour le commerce électronique, la clientèle tend à ne plus être captée que par le facteur prix, car la confiance est désormais très grande parmi les consommateurs. En bref, aujourd'hui au Royaume-Uni, et probablement demain en France, on peut dire que le commerce physique a une clientèle et que le commerce électronique a des utilisateurs .

D'où le problème des marges qui sont insuffisantes, si bien que seuls les plus gros marchands devraient survivre, à l'exception des commerces ayant un positionnement de niche.

5- Comment voyez vous l'avenir du commerce électronique concernant l'alimentaire ?

L'alimentaire est le principal marché de Rakuten au Japon. Un marchand y vend ainsi pour un million d'euros d'oeufs frais par mois ! En France, aujourd'hui, le recours à l'e-commerce alimentaire est, soit la réponse au manque de temps d'une clientèle plutôt aisée et urbaine, soit un canal de distribution de produits de luxe ou atypiques.

La France souffre notamment de l'absence de logistique pour produits frais comme il en existe au Japon. Il se trouve que La Poste réfléchit aujourd'hui à des trajets frigorifiés... pour les produits sanguins, ou autres, à destination des hôpitaux et des laboratoires. Mais, en cas de succès, elle ne s'interdira pas de réfléchir à une extension du bénéfice de ses trajets frigorifiés à l'alimentaire. Quoiqu'il en soit, la France ne bénéficie pas aujourd'hui d'une telle logistique (aujourd'hui mise en oeuvre au Japon par des coopératives de producteurs) alors que l'alimentaire constitue potentiellement un débouché énorme compte tenu de la réputation des produits nationaux (l'Italie a déjà esquissé une telle logistique).

6- L'e-commerce engendre-t-il un surcroît de concurrence qui pèse sur les prix ? Qu'en est-il dans le marché intérieur européen ? La réduction des marges constitue-t-elle un risque pour la viabilité de ce commerce ? Les fonctions de recherche (sélections des moteurs de recherche, comparateurs de prix) permettent-elles d'accéder aux meilleures offres ?

En Europe, les échanges transfrontaliers restent limités puisque seuls 6 % des internautes ont déjà acheté à l'étranger. Des problèmes d'harmonisation subsistent avec, notamment, la redevance sur les supports enregistrables. Il faut se méfier de la concurrence des commerces électroniques étrangers. En dépit de la distance, le site britannique « asos » spécialisé dans les grandes marques de vêtements, présente une interface en français et livre ses produits sur notre territoire en 48 h, frais de port gratuits. Bénéficiant d'une technologie unique en 3 D, ce site connaît un grand succès qui souligne aussi le déficit français de soutien à l'innovation. D'une façon générale, la frilosité des grands décideurs à l'égard de l'e-commerce peut se lire dans le fait qu'aucun repreneur français ne se soit manifesté pour racheter PriceMinister.

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