V. FRANÇOIS COPIGNEAUX, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE COLIPOSTE

1 - Présenter les solutions d'acheminement adoptées en France pour la vente à distance, ainsi que l'état du marché (La Poste, grands expressistes...).

En France, les activités colis de La Poste, représentent environ 1/10 des activités courrier. Cette activité est soit réalisée en interne par sa division ColiPoste sous la marque Colissimo, soit à travers des filiales, comme par exemple Chronopost. . Au tournant des années 2000, l'activité de livraison B2B avait été largement gagnée par la concurrence et La Poste n'avait conservé le B2C que par défaut. C'est à ce moment que La Poste a décidé de proposer aux vendeurs par correspondance des services de meilleure qualité, à un prix il est vrai plus élevé. L'e-commerce s'est ainsi développé au moment où La Poste fiabilisait ses services.

D'après La Poste, le marché de la vente à distance représente environ 330 millions de colis de moins de 30 kg par an (La Poste n'est pas présente au-delà, notamment sur le marché de la livraison du gros électroménager). En acte d'achat, le textile représente 70 % de la vente à distance, si bien que le poids moyen du colis est inférieur à 2 kg.

Malgré les présentations optimistes de la FEVAD quant à la croissance du commerce électronique, il existe des vases communicants significatifs de la vente à distance traditionnelle vers le commerce électronique, qui explique en partie que le trafic ne croisse pas à due proportion. De 2007 à 2010, le nombre de colis transporté par ColiPoste a même légèrement décru, passant de 274 millions à 264 millions d'unités, même si le chiffre d'affaire a parallèlement augmenté par un effet de gamme, par lequel les clients expéditeurs optaient de plus en plus pour une livraison en Colissimo au détriment du ColiEco traditionnel.

Plusieurs facteurs expliquent cette déconnexion entre l'essor du commerce électronique et la croissance du marché de la livraison de colis de 0 à 30 kgs : la croissance des achats de services (spectacles, paiements divers et variés), la dématérialisation (téléchargements licites ou non de film et de musiques), l'abandon des prises de commandes par téléphone ou courrier au profit de l'internet mais à chiffre d'affaires égal, ou le développement des ventes du gros électroménager qui requièrent d'autres modes de transport. In fine, il est sans doute probable que l'évolution de la nature des biens achetés à distance ait profondément changée et que le nombre de colis pour 100€ de chiffre d'affaire réalisé baisse : la valeur du panier moyen d'achat et donc du colis augmente sans doute.

Parmi les premiers clients figurent le groupe français Redcats (qui comprend notamment les marques La Redoute, La Maison de Valérie, Cyrillus, Vertbaudet..), bientôt dépassé par Amazon qui vient, lui-même, de dépasser les 3 Suisses. Pour les petits colis, la concurrence provient :

- du système des points-relais (Mondial Relay, Relais Colis ou Kiala), mis en place à la suite des conflits de 1995,

- de la société Adrexo, pour la livraison à domicile, mais dont l'activité demeure encore relativement confidentielle,

- des « expressistes », qui permettent des livraisons plus rapides que La Poste (à signaler que dans ce marché de niche, Chronopost, filiale de la Poste, demeure le numéro 1).

2 - Au regard d'autres configurations logistiques nationales, caractériser la situation française. Quelles en seraient les lignes de force et de faiblesse ?

La Poste a accompagné la croissance des e-commerçants, notamment celle des pure players -dont l'essor est plus marqué en France que chez nos voisins, où la croissance de l'e-commerce s'est davantage appuyée sur des distributeurs traditionnels ayant développé des offres en lignes, « les click and mortars » .

Bien entendu, la santé de l'e-commerce en France mérite sans doute d'être nuancée car certains acteurs sortent du peloton quand d'autres donnent des signes de faiblesses. Amazon connaît une croissance phénoménale, peut-être de l'ordre de 20 % à 30 % par an et, corrélativement, beaucoup d'autres clients de La Poste doivent aujourd'hui se trouver dans une situation moins confortable. Cette entreprise propose des frais de port gratuits pour le livre (l'entreprise est sortie victorieuse des attaques judiciaires dont elle a fait conséquemment l'objet sur le fondement de la règlementation du prix du livre).

La faible pénétration du commerce électronique en Italie et en Espagne s'explique à la fois par un manque de confiance dans le paiement électronique (provenant d'un moindre usage de la carte bancaire au quotidien) et dans des services postaux insuffisamment performants, malgré d'incontestables progrès dans la période récente.

3 - Quels sont, pour les 10 ans à venir, les facteurs de progrès (coût, rapidité, bilan écologique), envisageables :

- pour les livraisons nationales

- pour les livraisons transnationales, notamment intra-européennes ?

Il est probable que les livraisons transfrontalières ne représenteront jamais plus de 5 à 10 % de l'activité car, passé un certain seuil d'internationalisation des débouchés, les e-commerçants préfèrent monter un entrepôt dans les pays de conquête, ou acheminer directement leur marchandise dans les plates-formes de tri postal.

4 - La tendance est-elle à des solutions de livraison de plus en plus individualisées ?

C'est indubitable ; une nouvelle offre de La Poste, dénommée « So Colissimo », tend à diversifier les solutions de livraison auprès du consommateur, offrant 4 ou 5 propositions : au domicile le matin, le soir sur rendez-vous, au bureau de poste, dans un commerce de proximité (concurrençant ainsi Kiala) et, du moins à Paris, dans un réseau de consigne automatique faisant l'objet d'une expérimentation locale.

5 - L'acheminement de biens commandés électroniquement est-il pensé comme un outil d'aménagement du territoire ? Avec quelles conséquences (prospective, politiques) ? La question de la permanence de la péréquation tarifaire se pose-t-elle ?

Le commerce électronique permet à une pléthore de petits commerçants d'alimenter toute la France, et bien au-delà. Parmi d'innombrables exemples, un magasin de broderie basé à Fécamp alimente ainsi le monde entier ( www.universbroderie.com/ ). Contrairement à certaines affirmations, le e-commerce est plutôt une opportunité pour consolider des commerces de proximité en zone rurale puisqu'il permet d'étendre la zone de chalandise d'un magasin.

Concernant la question de la permanence de la péréquation tarifaire, il est à noter que, dans 50 % des cas, les colis sont livrés avec le courrier. Ainsi, en zone rurale, il existe de fortes marges de croissance du trafic de colis sans que le modèle économique de La Poste s'en trouve déséquilibré. Même si rien n'oblige La Poste à maintenir son modèle de péréquation tarifaire, ses clients y sont, en outre, manifestement attachés. Avec La Poste, il sera donc durablement possible de se faire livrer ses achats en zone rurale et d'y développer des activités de vente à distance. L'e-commerce est un facteur de développement des territoires.

6 - Dans quelle mesure estimez-vous que, pour l'avenir, l'essor du commerce électronique est tributaire d'une amélioration des conditions tarifaires ou de la rapidité de l'acheminement ?

Quel pourrait être l'impact d'une forte augmentation des coûts de traction, en conséquence d'un renchérissement de l'énergie ?

Dans la perspective d'une croissance soutenue du commerce électronique, quelles seraient, selon vous, les solutions d'acheminement susceptibles d'émerger à moyen-long terme ? Dans quelle configuration de marché ? Le commerce électronique pourrait-il, selon vous, atteindre une « masse critique » telle qu'il suscite le développement de logistiques d'acheminement mutualisées et performantes ? Que sera la Poste dans 10 ans ?

Je suis très confiant dans le développement de l'e-commerce, notamment en raison des perspectives de renchérissement de l'énergie, susceptible de peser très lourd sur le prix d'acquisition d'un bien avec déplacement en magasin pour les particuliers, alors que son impact sur les tarifs postaux serait beaucoup plus limité.

Des enquêtes régionales menées à l'occasion de « rencontres territoriales de l'e-commerce », que La Poste a organisées depuis octobre dernier, montrent que les économies de carburant constituent un mobile de recours au commerce électronique d'autant plus puissant qu'on habite loin des zones de commerce. De fait, comme l'a montré une récente étude réalisée par Estia pour la FEVAD, la vente à distance est très écologique. Son essor paraît d'autant plus assuré que les solutions de livraison seront, par ailleurs, de plus en plus individualisées et adaptées aux besoins des consommateurs.

A quoi ressemblera La Poste dans 10 ans ? Si La Poste est « challengée » par les prix avec des concurrents souvent moins chers, elle conserve de vrais atouts, principalement la connaissance du terrain par le facteur. Une électronisation progressive de l'ensemble des offres de La Poste pourrait déboucher sur une information continue des destinataires de colis.

7 - La Poste réfléchit-elle à la mise en place d'une offre de livraison de produits frais ?

Concernant le « frais », La Poste n'a pas de projet précis pour l'instant. Il s'agit d'un métier où s'illustre actuellement Star's Service, qui a développé des services de livraison réfrigérée auprès de nombreuses enseignes (Auchan, Casino, Carrefour, Monoprix...).

Pour La Poste, le modèle économique d'un service d'acheminement réfrigéré semble difficilement soutenable au premier abord : les livraisons sont souvent pénibles, sachant qu'en étage, elles concernent 50 % de clients sans ascenseur. En conséquence, les rendements déçoivent, avec en moyenne quatre points de livraison à l'heure au lieu d'une vingtaine. Comme le prix des biens livrés est généralement faible rapporté à leur poids, le coût de livraison apparaît proportionnellement très élevé. On pourrait cependant envisager un éclatement des fournisseurs, qui « casserait » le phénomène de caddy lourd.

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