B. LES JURIDICTIONS PLACÉES EN SITUATION DIFFICILE

Il ressort de l'enquête menée par la Cour des comptes que la mise en oeuvre de la réforme de la protection juridique des majeurs s'est traduite, au niveau des juridictions, par un accroissement de la charge de travail sans que les moyens augmentent à due concurrence .

1. Un surcroît d'activité
a) Pour les parquets civils

Avec la réforme de 2007, la faculté de saisine d'office du juge a été réservée à la famille et aux proches. Les signalements émanant des services sociaux et des établissements de soins ou médico-sociaux doivent désormais être systématiquement adressés ou réorientés par le juge au parquet civil qui se voit confier un rôle de filtre .

Si cette suppression de la saisine d'office a entraîné en 2009 une diminution significative du nombre des demandes d'ouverture de régime de protection (leur nombre est en effet passé de près de 101 000 à un peu moins de 81 000, soit une baisse de 20 %), cette baisse ne s'est pas poursuivie en 2010 puisque les demandes d'ouverture de régime de protection ont à nouveau augmenté (+ 8,9 %).

A ce flux croissant s'ajoutent plusieurs nouvelles missions incombant aux parquets civils dont notamment :

- la révision quinquennale des mesures de tutelles , le parquet devant viser l'ensemble des dossiers avant l'audience ;

- certaines prérogatives de surveillance générale des mesures de protection, notamment la visite des personnes protégées ou encore la convocation des personnes chargées de la protection.

Au total, cette réforme s'est traduite par un rallongement des délais de saisine du juge des tutelles et elle rend quasi impossible la prise de mesures d'urgence, alors que la sauvegarde du patrimoine peut exiger l'accomplissement immédiat de certains actes. La seule baisse d'activité enregistrée par les tribunaux de grande instance (TGI) est due au transfert aux Cours d'appel, le 1 er janvier 2010, du contentieux de l'appel, puisque le parquet n'a plus à viser les dossiers et à assister aux audiences.

b) Pour les juges des tutelles

L'obligation de révision des mesures de protection impose une surcharge de travail importante pour les juridictions, via l'augmentation du nombre d'audiences et de jugement. En effet, cette révision obligatoire doit être réalisée au plus tard le 31 décembre 2013 pour l'ensemble du stock des dossiers ouverts (soit 750 000 dossiers au 1 er janvier 2010).

A cet égard, il convient de souligner que « tous les juges de tutelles interrogés estiment qu'à cette date, seulement 50 % environ des mesures de protection ouvertes auront pu faire l'objet d'une révision ».

Cette situation crée un risque juridique considérable pour les majeurs dont le dossier n'aura pas été révisé à temps et qui sera par conséquent caduc. L'article 443 du code civil impose en effet que ces mesures soient revues dans un délai de cinq ans sous peine de prendre fin de plein droit. Le point de départ du délai de caducité de cinq ans a été fixé au jour de la publication de la loi, c'est-à-dire le 5 mars 2007. La loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures a cependant repoussé ce point de départ au jour de l'entrée en vigueur de la réforme : la caducité est donc encourue à compter du 1 er janvier 2014 (au lieu du 5 mars 2012 comme initialement prévu).

Par ailleurs, les juges des tutelles ont vu leur champ d'intervention s'élargir sous l'effet de la réforme. Les nouvelles attributions du juge le conduisent en effet à intervenir dans toutes les dimensions de la vie du majeur (et non plus seulement dans les décisions relatives à son patrimoine). Ces nouvelles interventions alourdissent évidemment le suivi des dossiers, en exigeant dans de nombreux cas par exemple l'audition du majeur avec le déplacement corrélatif à son domicile.

Même la création du mandat de protection future (MPF), qui s'inscrit pourtant dans une perspective de « déjudiciarisation » contribuant à alléger l'intervention judiciaire dans la mise en oeuvre de la protection juridique, n'épargne pas le juge des tutelles. En effet, plusieurs phases de ce nouveau dispositif, dont le contentieux (révocation, suspension, aménagement) ou l'exercice même de cette mesure, nécessitent l'intervention du juge des tutelles. Celui-ci se voit ainsi confier un nouveau rôle d'arbitre et de surveillance d'une mesure de protection conventionnelle .

Au total, selon la Cour des comptes, « ces nombreuses interventions nouvelles entraînent une grande dispersion de l'activité du juge sur un ensemble de petites tâches , rendant impossible le recentrage sur ses missions visé par la réforme. Si la flexibilité et le détail des mesures constituent un progrès certain par rapport au dispositif antérieur, il s'agit aussi d'un contentieux de masse qui ne laisse aucune marge de manoeuvre (en termes de temps) supplémentaire ».

c) Pour les greffes

Alors que dans le projet de réforme, l'étude d'impact réalisée par la direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) prévoyait un « recentrage et une amélioration qualitative de la charge administrative des greffes », le constat dressé par la Cour des comptes va dans le sens inverse .

Les procédures de vérification des comptes annuels de gestion des tuteurs , des curateurs et des mandataires judiciaires chargés de mesures d'assistance judiciaire confiées au greffier en chef sont modifiées dans le sens d'un renforcement de la qualité (le greffier en chef peut solliciter des renseignements aux banques et bénéficier du concours d'un expert). Par ailleurs, le juge peut prendre des mesures tendant à décharger le greffe (par le biais par exemple d'une dispense de production des comptes pour les personnes ne disposant pas de patrimoine).

Cependant, les greffiers doivent assumer les charges administratives liées aux nouvelles compétences et aux obligations du juge des tutelles. Ils sont en outre largement impliqués dans la procédure de MPF.

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