III. TRACER DES PERSPECTIVES À MOYEN ET LONG TERME

Les propositions de la Commission européenne doivent être saluées. Elles sont ambitieuses et placent les Etats face à leur responsabilité. Les maux sont parfaitement connus, les remèdes crédibles.

Toutefois, faut-il s'arrêter là et retenir pour seul horizon de nos réflexions les propositions de la Commission européenne ? Certainement pas. D'une part, parce qu'il est sûr qu'elles ne sortiront pas indemne des négociations en cours. D'autre part, parce qu'aussi ambitieuses soient elles, elles demeurent en deçà de ce dont l'Union européenne a besoin pour acquérir une véritable capacité d'action.

A. RÉFLÉCHIR À D'AUTRES RESSOURCES PROPRES

La Commission européenne a fait le choix de ne retenir que deux nouvelles ressources propres : une ressource TVA et une part de la future taxe sur les transactions financières. Comme l'a expliqué M. Hervé Jouanjean, directeur général du budget à la Commission européenne, cette solution a été obtenue par un jeu d'élimination. Les autres idées de ressources propres régulièrement évoquées ont été abandonnées pour des raisons mêlant des objections économiques, techniques et d'opportunité :

- la taxe sur le secteur aérien en raison du coût que ce secteur, déjà fragilisé, va devoir supporter à la suite de l'extension du système de quotas d'émission de gaz à effet de serre. C'est un des secteurs les plus taxés de manière générale ;

- les recettes de la mise aux enchères de ces quotas d'émission, afin de ne pas déstabiliser un système déjà très complexe à mettre en oeuvre et de la charge inégale qui pèserait sur certains pays. La Pologne et l'Allemagne concentrent une part importante de ces quotas en raison du poids de l'industrie et de la production d'électricité à partir d'énergie fossile ;

- un impôt européen sur les sociétés en raison de sa complexité (la définition d'une assiette commune en particulier). La proposition de directive qui est sur la table depuis près d'un an avance lentement.

- une taxe sur les activités financières qui se prêterait mieux à une mise en oeuvre au niveau national (ce que de nombreux Etats ont déjà fait, notamment la France en loi de finances pour 2011).

Cette stratégie fait courir le risque de se retrouver dans la même situation qu'aujourd'hui en cas d'échec de la discussion. Les choix de la Commission sont trop restreints et placent les Etats membres dans la position délicate du tout ou rien. Soit ils acceptent d'abonder le budget de l'Union avec une TTF européenne, soit ils admettent le statu quo avec une part des contributions nationales proches de 80 %.

Ce risque doit conduire à ne pas écarter d'autres pistes. Rien n'interdit que le budget de l'Union soit alimenté par une diversité de ressources propres. Certaines pistes comme l'utilisation d'une partie du produit des enchères des quotas de CO2, les accises sur le tabac ou l'alcool ou une taxe sur l'énergie ont été écartées trop rapidement.

1. Une taxe européenne sur le tabac et l'alcool

La fiscalité sur le tabac fait déjà l'objet d'une harmonisation avancée dans l'Union européenne. La directive du Conseil 2011/64/UE du 21 juin 2011 concernant la structure et les taux des accises applicables aux tabacs manufacturés codifie l'ensemble des directives en vigueur dans ce domaine, en particulier la directive du Conseil 2010/12/UE Ce dernier texte prévoit notamment une augmentation progressive, jusqu'en 2014 ou 2018 selon les pays, des niveaux minimaux communautaires de taxation applicables aux cigarettes et au tabac fine coupe.

Les Etats membres doivent appliquer aux cigarettes un taux spécifique par unité de produit et un taux ad valorem calculé sur la base du prix moyen pondéré de vente au détail. De plus, au niveau des tabacs manufacturés autres que les cigarettes, les Etats membres peuvent choisir entre un taux d'accise ad valorem, un taux spécifique ou un mélange des deux.

Selon les données de la Commission européenne, les accises sur le tabac ont généré en 2010 dans l'Union européenne un produit d'environ 75 milliards d'euros (plus de 10 milliards pour la France). Ces chiffres n'incluent évidemment pas le produit de la TVA.

La simplicité de ces taxes, leur harmonisation de plus en plus avancée, la nécessité de réduire les écarts de taxation entre les Etats membres, ainsi que les enjeux de santé publique plaident en faveur de la création d'une tranche européenne de taxation des tabacs manufacturés 26 ( * ) . Son montant pourrait être arrêté à un niveau correspondant à 10 % du produit actuel de ces taxes. Cela permettrait d'abonder le budget de l'Union européenne d'environ 7,5 milliards d'euros , si l'on se base sur l'année 2010.

La fiscalité sur l'alcool fait aussi l'objet d'une harmonisation dans l'Union européenne. La directive 92/83/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur l'alcool et les boissons alcooliques, définit les catégories d'alcool et de boissons alcooliques soumises à accises et la méthode de calcul de l'accise. Quatre catégories sont distinguées : la bière, le vin, les produits dits intermédiaires et l'alcool éthylique (boissons spiritueuses). La directive 92/84/CEE du Conseil du 19 octobre 1992 concernant le rapprochement des taux d'accises sur l'alcool et les boissons alcoolisées fixe des taux minimaux.

Les écarts de taxation entre les Etats membres demeurant très variables, la Commission européenne a présenté en 2006 une proposition de directive, afin de réévaluer les taux minimaux des accises 27 ( * ) . Toutefois, elle n'a toujours pas été adoptée.

Bien que la dynamique d'harmonisation et d'augmentation des taux soit moins forte que pour le tabac, les accises sur l'alcool se prêteraient bien elles-aussi à l'introduction d'une part européenne de taxation.

Selon les données de la Commission européenne, les accises sur l'alcool ont rapporté près de 30 milliards d'euros au sein des vingt-sept Etats membres. La création d'une part européenne correspondant à 10 % du produit actuel de ces taxes rapporterait près de 3 milliards d'euros au budget de l'Union.

Au total, ce sont 10 milliards d'euros qui pourraient ainsi abonder le budget de l'Union. La simplicité de la perception des accises (les droits d'accises sont payés par le destinataire dans le pays de destination), l'harmonisation des assiettes et les objectifs de santé publique plaident en ce sens.

2. Le produit des enchères de quotas de gaz à effet de serre

En application du « paquet énergie-climat », et en particulier de la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 28 ( * ) , le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE) connaîtra de profondes mutations à compter du 1er janvier 2013. La principale innovation consistera en une mise aux enchères des quotas, aujourd'hui principalement alloués à titre gratuit 29 ( * ) .

La décision de la Commission européenne du 9 juillet 2010 a fixé à 1.926.876.368 le nombre de quotas pour 2013 dans l'ensemble de l'Union, avec une diminution de ce nombre d'un facteur linéaire de 1,74 % par an. Dès 2013, les entreprises du secteur de la production électrique devront acquérir la totalité de leurs quotas dans le cadre d'enchères. Les autres secteurs industriels verront progressivement la part des allocations gratuites de quotas diminuer, passant de 80% en 2013 à 30% en 2020. Seuls les secteurs industriels identifiés comme soumis à un risque élevé de fuites de carbone (délocalisation des productions dans des pays non soumis à une contrainte sur le CO2) pourront continuer à bénéficier d'une allocation gratuite de leurs quotas.

Selon une étude du Centre d'analyse stratégique 30 ( * ) , les enchères de quotas pourraient rapporter 20 milliards d'euros en 2020 dans l'hypothèse d'un prix du permis de 20 euros par tonne de CO2.

Le produit des enchères de quotas aiguise beaucoup d'appétits. L'article 10 de la directive 2003/87/CE précité laisse aux Etats membres le soin de déterminer l'usage qui en sera fait. Toutefois, les Etats auront l'obligation de consacrer au moins 50 % des recettes tirées de la mise aux enchères des quotas à des actions tendant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Cette contrainte reste assez théorique, car rien n'empêche un Etat de diminuer par ailleurs les crédits qu'il consacre déjà à des actions de ce genre. L'aide au développement est aussi fréquemment citée parmi les utilisations possibles de ces recettes nouvelles.

Votre rapporteur estime pour sa part que le budget de l'Union serait un bénéficiaire légitime de ces enchères. Le marché du carbone est en effet un marché artificiel créé par les vingt sept Etats membres. C'est un instrument intégré de réduction des émissions de gaz à effet de serre à l'échelle de l'Union européenne. Certes, se pose la question de la contribution équitable des Etats membres. Certains Etats reçoivent une part de quotas supérieure à leur poids dans le PIB de l'Union en raison de leur structure économique et de leur bouquet énergétique (l'Allemagne reçoit environ 23 % des quotas, la Pologne 11 %, la France 7%). Une clef de répartition pourrait être définie prenant en compte le PIB et la part dans les émissions de CO2.

Un autre avantage de cette ressource est que les Etats membres n'en ont pas encore bénéficiés. Il est toujours plus facile d'allouer des ressources dont personne n'a profité que d'en soustraire à quelqu'un. Dans le contexte d'extrême rigueur budgétaire des Etats, il est certain que ces derniers sont avides de ces rentrées exceptionnelles. Mais si l'Union en était le destinataire, cela permettrait aussi de baisser le montant des contributions des Etats membres au budget communautaire. L'équation budgétaire est équivalente pour les Etats membres. Mais dans la seconde hypothèse, la part des ressources propres de l'Union augmente.

Enfin, l'Union devrait légitimement en être le destinataire, car elle devra contribuer au Fonds mondial de lutte contre le changement climatique, créé lors de la conférence de Cancun sur le climat. Ce fonds devrait s'élever à 76 milliards d'euros par an d'ici 2020 pour financer des actions contre le changement climatique des pays en développement.

Par conséquent, votre rapporteur propose que la majeure partie du produit des enchères (les Etats membres recevant une part de quotas supérieure à leur poids dans le PIB pourraient en conserver une partie) aille au budget communautaire . Cela suppose une révision de la directive 2003/87/CE précité. Sur la base des estimations du Conseil d'analyse stratégique pour 2020, le budget de l'Union pourrait encaisser au moins dix milliards d'euros en 2020.

3. Et d'autres pistes encore...

Le cumul des accises sur le tabac et l'alcool et du produit des enchères de quotas de CO2 pourrait atteindre aisément 20 milliards d'euros. Le cadre financier pluriannuel 2014-2020 présenté par la Commission prévoit pour l'année 2020 138 milliards d'euros (prix 2011) de crédits de paiement. Ces 20 milliards d'euros couvriraient 14,5 % des besoins de financement.

Si les ressources propres traditionnelles (droits de douanes) avoisinent 18 % des ressources totales de l'Union en 2020 31 ( * ) , la part des ressources propres authentiques serait d'au moins 32 % .

Dans l'hypothèse où la ressource TVA serait aussi réformée conformément aux propositions de la Commission européenne (18 % des ressources propres en 2020 selon les prévisions de la Commission), les ressources propres authentiques couvriraient alors la moitié des besoins de financement de l'Union en 2020 .

L'objectif de 60 % de ressources propres authentiques en 2020 serait alors tout près d'être atteint, sans que l'affectation du produit de la TTF européenne soit nécessaire.

Votre rapporteur reste bien sûr extrêmement favorable à la ressource TTF, mais les incertitudes sont aujourd'hui très fortes sur sa création. Des solutions alternatives doivent être envisagées.

Pour des raisons de faisabilité et de rapidité, votre rapporteur met donc en avant les accises sur le tabac et l'alcool et les enchères de quotas.

D'autres pistes, à moyen terme, mériteraient d'être encore explorées : l'impôt européen sur les sociétés, une taxe européenne sur l'énergie . De même, les jeux en ligne , dont la nature se prête à une harmonisation de la taxation à l'échelle de l'Union européenne, pourraient être aussi soumis à une taxe européenne. On pourrait aussi imaginer une taxe sur le commerce des armes. Enfin, des taxes plus modernes reposant sur une économie de flux et non de stock restent à développer. La TTF en est une d'ailleurs. Plus généralement, l'essor des technologies de l'information ouvre des perspectives.

Au final, on distinguera trois catégories de ressources propres :

- celles avancées par la Commission européenne : la TVA et la TTF ;

- les accises sur le tabac et l'alcool et les enchères de quotas qui pourraient être mises en oeuvre rapidement dès 2013 ;

- d'autres ressources à approfondir à moyen terme comme les jeux en ligne, le commerce des armes, un impôt européen sur les sociétés (si l'on parvient à une harmonisation de l'assiette), une taxe européenne sur l'énergie...


* 26 Cette idée n'est pas entièrement nouvelle. En 1978, la Commission avait proposé une taxe sur l'alcool et le tabac. Elle estimait qu'une simple taxe de 0,15 écus sur chaque paquet de cigarettes permettrait de collecter l'équivalent de 0,3 % du PIB de la CEE.

* 27 COM (2006) 486.

* 28 La directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 modifiant la directive 2003/87/CE afin d'améliorer et d'étendre le système communautaire d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SCEQE).

* 29 Voir les rapports d'information n° 543 (2008-2009) et n° 300 (2009-2010) de Mme Fabienne Keller, faits au nom de la commission des finances.

* 30 Note d'analyse n° 252 de novembre 2011 du Centre d'analyse stratégique relative aux financements innovants au service du climat.

* 31 Ce sont les prévisions de la Commission européenne. Ces ressources représentent aujourd'hui 14 % du budget. La baisse des frais de perception retenus par les Etats augmenterait mécaniquement le produit versé à l'Union.

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