DEUXIÈME TABLE RONDE : LES LIENS ENTRE RECHERCHE, PRATICIENS ET ASSOCIATIONS : QUESTIONS JURIDIQUES ET ÉTHIQUES

LA PLACE DES DIFFÉRENTS ACTEURS

M. Jean-Louis Touraine. La deuxième table ronde va porter sur les liens entre la recherche, les praticiens et les associations. Nous abordons, en premier lieu, la place des différents acteurs.

Je donne la parole à Mme le docteur Anne Cambon Thomsen, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), spécialisée en immunogénétique humaine. Elle dirige l'équipe « génomique, santé et société » au sein de l'unité « épidémiologie et analyses en santé publique » - unité mixte INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale)-Université Paul Sabatier, à Toulouse.

Mme Anne Cambon-Thomsen, directrice de recherche, membre du Public and professional policy committee (Société européenne de génétique humaine), ancien membre du Groupe européen d'éthique. J'interviendrai aujourd'hui en tant que membre du conseil d'administration de la Société européenne de génétique humaine ( European society of human genetics, ESHG), de membre de son Comité sur les politiques publiques et professionnelles ( Public and professional policy committee ) et d'ancien membre du Groupe européen d'éthique (GEE).

Créée en 1967, l'ESHG est une société scientifique, mais aussi professionnelle. Elle organise un maillage de comités sur les divers aspects de la génétique, en se préoccupant aussi bien de l'organisation de la profession que de la recherche, de l'éducation des professionnels, ou encore des contacts avec les associations de patients et les patients.

La génétique humaine, qu'elle soit de recherche ou clinique, est par nécessité une activité internationale, et notamment européenne. La France est très active au sein de l'ESHG : deux Français l'ont présidée, le prochain président sera également un Français et des membres français font partie des différents comités. L'ESHG est un fédérateur et un catalyseur d'acteurs divers, au-delà des acteurs professionnels. Elle a en particulier porté le projet de la reconnaissance officielle, au niveau européen, de la spécialité de génétique médicale - reconnaissance qui est effective depuis l'adoption par la Commission, le 3 mars 2011, d'un règlement sur le sujet.

L'ESGH a également une activité de veille et de réponse aux consultations publiques, par exemple au sujet de la recommandation du Conseil européen sur une action dans le domaine des maladies rares, mais aussi au sujet des propositions de révision de la directive sur les diagnostics in vitro .

Le Comité pour les politiques publiques et professionnelles est ouvert à d'autres spécialistes que des généticiens, notamment à des philosophes, et assure l'interface avec des associations de patients. Il produit des documents de base ( background documents ), souvent accompagnés de recommandations, qui sont publiés sur le site web de l'ESHG et dans le Journal européen de génétique humaine (EJHG) et qui deviennent souvent des points de référence. Ces documents et recommandations ont porté, notamment, sur les tests génétiques chez les mineurs (enfants asymptomatiques) ; sur les aspects éthiques, légaux et sociaux en matière de brevets et de licences dans le domaine des tests génétiques ; sur le conseil génétique ; sur l'organisation des services génétiques en Europe ; sur les programmes screening de dépistages génétiques ; sur les cohortes et les biobanques d'échantillons et de cellules... S'agissant des biobanques d'ADN et d'autres éléments du corps humain, dont on a vu l'importance pour les maladies rares, l'infrastructure qui se met en place associe les biobanques qui rassemblent des échantillons provenant de patients atteints de maladies rares. La mise en place de cette organisation témoigne de l'importance accordée aux maladies rares, et facilitera les échanges au niveau européen.

J'en viens aux projets européens.

Parmi les derniers appels d'offres, beaucoup sont dirigés vers les maladies rares. Dans le domaine du séquençage, qui prend actuellement une grande importance dans les recherches en génétique, quatre projets européens sont pilotés par l'Espagne, la Hollande, l'Angleterre et l'Allemagne. Mon équipe de l'INSERM à Toulouse ne participe qu'au titre des aspects sociétaux et éthiques. Autrement dit, en France la réflexion sur l'utilisation de ces techniques est très poussée, au regard de la réalité de la recherche et de la pratique clinique - mais après tout, il n'est pas forcément inutile de réfléchir avant d'agir !

Parmi les projets européens, ceux lancés par la DG SANCO (Direction générale santé et consommateurs) portent avant tout sur l'établissement de guidelines (guides de bonnes pratiques). L'un d'eux a pour objectif d'étudier la possibilité d'intégrer davantage la génétique dans la santé publique.

Ces projets sont des actions structurantes avec des acteurs variés, pouvant inclure des associations de patients. La Commission encourage en effet beaucoup la participation de ces dernières. Le deuxième projet Eurogentest, par exemple, qui a démarré l'année dernière, est un réseau d'excellence dont les branches sont dirigées vers l'industrie, la pratique de laboratoire, le conseil génétique, l'information des patients, mais aussi la participation d'associations.

Petit à petit, la structuration progresse - même si on n'en est pas, comme je l'avais proposé, à une infrastructure européenne de recherche sur les maladies rares... La reconnaissance officielle de la profession de génétique médicale au niveau européen, dont je parlais à l'instant, devrait permettre d'avancer.

Paradoxalement, le Groupe européen d'éthique - qui existe depuis 1991 et dont j'ai eu le bonheur de faire partie de 2005 à 2010 - s'est peu préoccupé de génétique. Il a rendu un avis en 2004 sur les tests génétiques dans le monde du travail, de multiples avis sur les cellules souches (notamment embryonnaires) ainsi que sur les inventions biotechnologiques ; il a rédigé une lettre sur les tests génétiques proposés directement au consommateur ; mais en dehors de cela, il n'a pas rendu d'avis sur les tests génétiques.

Néanmoins, des initiatives ont été prises au niveau de la Commission et du Conseil de l'Europe.

En 2004, un groupe d'experts, dont j'ai été le rapporteur, a rédigé un rapport sur les aspects éthiques, légaux et sociaux des tests génétiques, incluant 25 recommandations, dont un grand nombre sont particulièrement pertinentes au regard des maladies rares.

En 2008, un protocole additionnel à la Convention d'Oviedo sur les Droits de l'homme et la biomédecine, relatif aux tests génétiques dans le domaine de la santé, a été adopté par le Conseil de l'Europe. Même si peu de pays l'ont signé jusqu'à présent, il commence à faire référence en matière de bonnes pratiques dans différents domaines.

En conclusion, il existe au niveau européen un ensemble de professionnels actifs. La Société européenne de génétique humaine est un carrefour d'acteurs. Les maladies monogéniques et les maladies rares tiennent une grande place au sein de la génétique médicale. Mais la génétique étant extrêmement diverse, des régulations adaptées s'imposent ; il faut distinguer la génétique médicale pour les maladies monogéniques, la génétique dans le cadre de la pharmacogénétique et la génétique associée aux maladies multifactorielles.

M. Jean-Louis Touraine. Merci. Je donne maintenant la parole à Mme Martine Bungener, présidente du Groupe de réflexion avec les associations de malades (GRAM), directrice de recherche au CNRS, directrice adjointe du Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société (CERMES).

Mme Martine Bungener, directrice adjointe du Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale et société (CERMES), (CNRS, INSERM, EHESS), et présidente du Groupe de réflexion avec les associations de malades (GRAM). Le Groupe de réflexion avec les associations de malades (GRAM) a été mis en place en 2003 par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM), dont il est l'instance de réflexion et de proposition à la direction générale. Il est constitué de représentants de dix associations et de dix personnes représentant d'une part les chercheurs dans les différents volets de la recherche, d'autre part l'administration de l'INSERM.

La Mission INSERM Associations, créée dans la foulée, en est l'instance opérationnelle : elle met en place les opérations en direction des associations. À l'écoute de ces dernières, elle fait également remonter au GRAM puis à la Direction générale et maintenant à la présidence de l'INSERM leurs souhaits et les accords qui ont pu être négociés avec elles.

Le lien est établi avec 469 organisations - associations de patients, fédérations ou fondations, dont le nombre total en France est sans doute compris entre 2000 et 3000. 137 concernent des maladies rares, 111 des maladies génétiques et 76 des maladies d'enfants. Ces maladies ont donc un poids très important dans la demande adressée à la recherche  - car leur nombre ne résulte pas d'une sélection par l'INSERM lors de son appel à candidatures.

Au moment où ces associations se sont rapprochées de l'INSERM, la moitié d'entre elles avaient déjà un conseil scientifique, les deux tiers étaient déjà impliquées dans la recherche, pour certaines avec un financement direct, pour d'autres à travers un soutien logistique, pour d'autres encore en participant à des projets de recherche et à des essais thérapeutiques. Dans le cadre des liens que nous développons avec elles depuis 2003, les formes d'engagement de ces associations sont très diversifiées. Il s'agit tout aussi bien de  financer la recherche, de la stimuler par du lobbying, de l'orienter vers des domaines délaissés, d'apporter des connaissances propres, de participer à la recherche, d'en diffuser les résultats, d'avoir une influence sur les formes d'application de ces résultats, ou encore d'informer le monde « profane » - y compris le monde médical, tous les médecins généralistes ne connaissant pas les maladies rares -, en particulier sur de nouvelles thérapies.

L'engagement de ces associations est accompagné par différentes actions, mises en place en concertation avec elles par le GRAM et la Mission INSERM Associations : formations ciblées, débats réunissant chercheurs et associations. L'enjeu est en effet de renforcer les capacités de dialogue entre chercheurs et associations. Les sessions de formation sur les tests génétiques sont celles qui ont été le plus souvent demandées. Sur 30 sessions depuis 2004, 12 ont porté sur les tests génétiques, mobilisant 85 associations et, entre 2008 et 2010, 190 participants.

Une autre action du GRAM est de promouvoir la participation de membres associatifs aux instances. Au conseil d'administration de l'INSERM, il y a dorénavant une place pour un membre associatif. Le GRAM, je l'ai dit, comprend dix membres représentants d'associations. Le Comité d'orientation stratégique et de suivi des essais cliniques (COSSEC) compte six membres associatifs, ce qui permet une discussion en son sein sur les formes d'essais et leur orientation ; il a d'ailleurs favorisé l'essor du département de recherche clinique de l'INSERM ces quatre dernières années. Le Comité de qualification institutionnel (CQI), qui donne un avis éthique sur les recherches, comprend quatre membres associatifs. Le Collège de relecteurs, rattaché au département de recherche clinique, mobilise de façon tournante 69 associations. Il vérifie tous les documents transmis aux patients qui vont participer aux essais cliniques, évalue les enjeux éthiques, vérifie les niveaux de compréhension, et conseille éventuellement les promoteurs de ces essais cliniques que sont les chercheurs.

Après la participation de membres d'associations aux conseils d'orientation des programmes de recherche INSERM, une mise en place progressive d'associations se fait dans les conseils de réflexion des instituts thématiques multi-organismes (ITMO), nés de la création de l'Alliance nationale pour les sciences de la vie et de la santé (AVIESAN). Enfin, les associations ont leur place dans les expertises collectives, dont celle sur la drépanocytose.

Les associations ont donc un rôle de plus en plus important pour relier la recherche, le monde professionnel et la société civile. Elles diffusent des informations sur la recherche, notamment sur le lancement de projets, ainsi que des informations biomédicales ; elles valorisent leurs propres compétences et leurs savoirs profanes ; et elles font valoir leurs attentes pour que les projets de recherche soient mieux construits.

M. Jean-Louis Touraine. Merci. Nous allons maintenant entendre Mme Jenny Hippocrate Fixy, présidente de l'Association pour l'information et la prévention de la drépanocytose (APIPD). Elle a été assistante sociale et a fait des études de psychologie.

Mme  Jenny Hippocrate-Fixy, présidente de « Ensemble contre la drépanocytose », et de l'Association pour l'information et la prévention de la drépanocytose (APIPD), directrice française de l'Organisation européenne pour les anémies rares (EORA). Je me présente devant vous au nom du Collectif ECD, Ensemble contre la drépanocytose, qui regroupe une centaine d'associations, en tant que directrice française de l'European organisation for rare aneamias (EORA), basée en Grèce, et en tant que présidente de l'Association pour l'information et la prévention de la drépanocytose (APIPD), qui existe depuis 23 ans. Dans ces associations, je suis bénévole mais je travaille à plein temps. Et j'ai un deuxième travail à plein temps, celui de maman d'un adolescent atteint de drépanocytose. Pour pouvoir m'occuper de mon enfant et de toutes ces structures, j'ai dû démissionner de mes fonctions de psychologue dans le secteur carcéral. Je vis grâce aux bénéfices de la vente de mes ouvrages - mais je les reverse le plus souvent aux associations, notamment à l'APIPD - et au salaire de mon mari, éducateur à l'hôpital.

L'APIPD est une association dont les objectifs, depuis sa création en 1988, sont : faire reconnaître la lutte contre la drépanocytose comme une priorité dans les actions à mener par les gouvernements ; faire avancer la recherche ; accroître l'information sur cette maladie et y sensibiliser le public, le personnel de santé, les enseignants et les politiques ; conforter et associer les différents acteurs qui mènent souvent, à petite échelle et de manière confidentielle, des actions intéressantes qui méritent d'être développées dans un esprit de solidarité et d'humanisme ; assurer la diffusion de l'information sur la drépanocytose ; servir de trait d'union entre les malades drépanocytaires et les aider, eux et leur famille, à résoudre les diverses difficultés matérielles et morales engendrées par cette maladie ; contribuer à la diffusion des informations concernant le dépistage et les méthodes modernes de traitement de la maladie, ainsi que favoriser et organiser leur application ; faciliter la scolarité et la formation professionnelle de ces malades ; faciliter la recherche scientifique sur cette maladie ; être une association ouverte, se refusant à tout prosélytisme politique, religieux ou racial ; sensibiliser l'opinion publique sur cette maladie afin que les moyens soient alloués aux médecins pour la recherche ; établir une liaison avec les associations locales, nationales ou internationales analogues.

L'APIPD est gérée par un conseil d'administration de 46 membres. Elle dispose d'un conseil scientifique composé de 30 membres parmi lesquels figurent d'éminents professeurs spécialistes de la drépanocytose, en particulier Frédéric Galacteros et Robert Girot. Il y a aussi une APIPD Guadeloupe, une APIPD Martinique, une APIPD Mayotte, une APIPD Bordeaux Sud-Ouest et quarante-deux antennes à travers le monde.

L'APIPD est membre de : Eurordis ; l'Alliance maladies rares ; la Fédération des associations de lutte contre la drépanocytose (FALD), que j'ai également l'honneur de présider ; le Collectif « Ensemble contre la drépanocytose » ; l'Association des bénévoles AP-HP de Paris ; l 'European organisation for rare aneamias (EORA) ; la Commission des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge (CRUQPC), dont je suis une des titulaires ; le Comité de lutte contre la douleur (CLUD) ; le Collectif interassociatif sur la santé (CISS).

L'APIPD a l'agrément nécessaire pour intervenir en tant qu'association de malades, au sein des instances hospitalières. Elle travaille en collaboration avec : La Mutuelle nationale des hospitaliers et des personnels de santé (MNH) ; l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) ; le ministère de l'outre-mer ; le ministère de la santé ; la Mairie de Paris ; les associations analogues nationales et internationales ; une centaine d'associations culturelles et communautaires ; les Laboratoires Novartis ; les Laboratoires Addmedica ; l'Éducation nationale - en tant que formatrice, j'interviens auprès des élèves de terminale ES ; je suis directrice de mémoire et participe comme membre de jury à la soutenance de mémoires de pharmacie, de psychologie, etc.

L'Association enregistre environ 7 000 adhérents et sympathisants, et plus de 20 000 passages chaque année. Notre site Internet est très visité.

Nous accompagnons les malades, sans distinction. Nous sommes d'ailleurs très fréquemment sollicités par les assistantes sociales.

Nous avons pris l'initiative de sensibiliser le monde du travail aux contraintes liées à la drépanocytose, en travaillant avec UNIRH et Hanploi.com. Il faut en particulier éviter aux drépanocytaires les courants d'air, le chaud et le froid.

Les malades ou les familles s'adressent prioritairement à nous pour avoir des informations sur la drépanocytose. Nous assurons très souvent l'information et rédigeons des documents ad hoc pour informer et sensibiliser non seulement les malades, mais aussi le grand public, notamment en matière de dépistage.

En France, le dépistage est systématique, mais ciblé - donc au faciès ou au nom. Je pense donc qu'il y a - excusez-moi de froisser quelques susceptibilités - une question de racisme dans le fait de ne pas beaucoup s'occuper de la drépanocytose dans notre pays. À l'hôpital où j'ai emmené mon fils, j'ai entendu dire : « le petit drogué à la morphine », « le petit négro qui est dans la chambre d'à côté », « il en veut encore parce qu'il est drogué, il n'a pas si mal que ça »... Nous nous battons pour ne plus entendre ce genre de réflexion. Mon fils a frôlé la mort huit fois en étant victime de sept syndromes thoraciques aigus et d'un infarctus. La drépanocytose est une maladie qui accable les familles et qui met les malades au ban de la société ! Ce n'est pas normal !

La drépanocytose en chiffres, c'est 50 millions de dépenses par an, 17 % des lits d'hôpital de l'Ile-de-France, 20 jours d'hospitalisation minimum par malade. Et on ne fait rien. Mais nous ne devrions pas parler d'argent car nous avons tous droit à la santé.

L'APIPD joue un rôle capital au sein des hôpitaux. Nous sommes sollicités par les médecins, les assistantes sociales, les psychologues ; nous siégeons dans les commissions ; nous recevons les malades et les familles pour les aider à faire valoir leurs droits.

Il est faux de dire que la drépanocytose est une maladie de la population noire. L'EORA recense 2 000 malades en Grèce. La drépanocytose est certes plus fréquente dans les pays chauds ; des malades d'origine africaine sont donc présents en France. Les parents parlent encore de malédiction, de mauvais sort ; et quand nous arrivons à leur faire comprendre que c'est une maladie génétique, ils disent qu'ils ont cassé la chaîne de bonne santé de toute une famille. Ma ligne téléphonique est accessible 24 heures sur 24, on m'appelle à 2 heures du matin. Je connais un malade qui vit dans un squat et qui n'arrête pas de hurler : il faut l'emmener à l'hôpital, mais il a peur car il n'a pas de papiers, et il est dans le déni. Notre travail est fatigant, mais nous le faisons pour tous ces malades qui souffrent. En ce qui me concerne, je suis lasse, mais pas lassée : je vais continuer à me battre car on ne peut pas admettre une telle situation au pays des droits de l'homme.

Nos associations se substituent souvent - trop souvent - à l'État dans son rôle d'information et de formation sur la drépanocytose. À ce titre, elles sont officiellement reconnues, puisque sollicitées par l'État (ministères de l'éducation nationale, de la santé), mais insuffisamment, semble-t-il, pour prétendre à des subventions. Dans un souci de commodité pour les malades et leur famille, chaque association a un site Internet qu'elle met à jour et alimente à ses frais. L'APIPD écoute, soutient, informe, éduque. Elle sensibilise le grand public à travers des colloques organisés chaque année à ses frais. Elle soutient la recherche, notamment en exprimant les attentes et les besoins des malades auprès des instances de santé et des partenaires pharmaceutiques. On ne guérit pas encore la drépanocytose. Cependant, l'APIPD doit lutter chaque jour pour l'éradication des préjugés et des tabous liés à cette maladie discriminante et discriminatoire. Elle est dans l'action, immédiate et à long terme. Indéniablement, elle est un acteur et un partenaire de santé à part entière. Merci de nous aider !

M. Jean-Louis Touraine. Votre témoignage nous touche beaucoup, Madame. Nous avons bien conscience des discriminations qui peuvent exister et de la possibilité d'une répartition inéquitable de l'effort de recherche entre les maladies. Il est par exemple probable que si le paludisme avait été une maladie fréquente en Amérique du Nord et en Europe occidentale, la recherche aurait été plus active. Cette réunion a justement pour but d'identifier les priorités en matière de maladies monogéniques.

M. le président Claude Birraux. Vous pourrez faire savoir, Madame, que l'OPECST s'est saisi de cette question. Initialement, nous pensions étudier le seul cas de la drépanocytose, puis nous avons élargi nos travaux à l'ensemble des maladies rares. Le professeur Leboulch a tracé quelques pistes de recherche. Je retiens des diverses interventions qu'une avancée scientifique et médicale sur une maladie permet souvent de traiter d'autres maladies : c'est une leçon d'espoir.

Merci beaucoup pour votre témoignage, Madame.

M. Jean-Louis Touraine. Nous en venons à Mme Vololona Rabeharisoa, professeur au Centre de sociologie de l'innovation (CSI) de Mines Paris Tech, docteur en socio-économie de l'innovation, et qui s'intéresse en particulier à l'hybridation des savoirs entre génétique et psychiatrie à propos de l'autisme.

Mme Vololona Rabeharisoa, professeur de sociologie, Centre de sociologie de l'innovation (CSI) de Mines-ParisTech. La mobilisation de la recherche par les associations de malades est un sujet auquel je m'intéresse depuis une quinzaine d'années.

Mais tout d'abord, qu'est-ce qu'une association de malades ?

Les associations sont très diverses, tant par les maladies autour desquelles elles se mobilisent que par leur taille, leurs ressources humaines et financières, leur mode d'organisation ou leur gouvernance. Les chercheurs en sciences sociales, français et étrangers, qui s'intéressent aux associations de malades, ont convenu de retenir une définition relativement restrictive des associations de malades, afin de ne pas les confondre avec les associations professionnelles ou avec les associations caritatives du tiers secteur. Nous considérons donc qu'une association de malades est une organisation sans but lucratif, qui regroupe des personnes directement concernées par une maladie, un handicap ou un problème de santé, et au sein de laquelle le pouvoir de décision est entre les mains des personnes concernées.

La mobilisation de la recherche par les associations de malades, dans le monde occidental, est un phénomène récent. C'est à partir des années 1980 et 1990, avec les associations de lutte contre le sida, que les associations ont commencé à s'intéresser à la recherche. Mais les associations ont quantité d'autres missions. En France, celles constituées autour des personnes handicapées ont été longtemps, par délégation de service public, gestionnaires d'établissements. Historiquement, le rôle des associations est d'organiser l'entraide et de défendre les droits des malades et de leurs familles. L'engagement dans la recherche est donc le fait d'associations qui, à un moment de leur histoire, ont jugé nécessaire de contribuer à la lutte contre « leurs » maladies.

La mobilisation de la recherche par les associations doit être entendue au sens large.

Tout d'abord, elle ne concerne pas seulement la recherche génétique ou biologique. Elle porte aussi sur la recherche clinique, translationnelle, thérapeutique, technologique, en sciences humaines et sociales, médico-économique, éthique...

Ensuite, la mobilisation prend des formes très différentes. La forme la plus connue est le soutien financier à des équipes de recherche, mais il faut aussi mentionner la contribution à la collecte du matériau biologique - les gènes des malades par exemple, pour constituer des collections -, le recrutement de patients pour les essais cliniques, ou encore la collecte et la mise en forme d'informations scientifiques et médicales à destination des familles et du grand public.

L'engagement des associations dans la recherche et la lutte contre les maladies repose sur des bases légitimes.

D'une part, les membres des associations ont une expérience singulière de la maladie puisqu'ils la vivent au jour le jour. Les associations constituent donc des « experts d'expérience » et estiment qu'elles peuvent informer les professionnels de certaines manifestations de la maladie que les médecins, parfois, ignorent. Les associations portent là une revendication épistémologique.

Il s'y ajoute une revendication politique. Les associations étant les premiers groupes concernés par la recherche sur « leur maladie », elles réclament légitimement de participer aux actions de recherche menées en leur nom.

Les raisons historiques pour lesquelles les associations concernées par des maladies monogéniques s'intéressent à la recherche ne sont que des déclinaisons des deux raisons précédentes. Un grand nombre de maladies monogéniques sont rares, même si toutes les maladies rares ne sont pas d'origine génétique. Le fait qu'elles affectent des enfants, qu'elles soient mal connues, qu'il n'y ait pas de traitement, ni même de prise en charge adéquate, a conduit les associations à s'investir dans la recherche - parce que peu de chercheurs et de cliniciens s'y intéressaient. Ce n'est pas un hasard si en France, les associations constituées autour des maladies monogéniques sont très impliquées dans la recherche. Dans d'autres pays, comme le Royaume-Uni, le Portugal ou l'Italie, ces maladies sont prises en charge d'une façon différente - et au Royaume-Uni, par exemple, il y a une longue tradition de charities qui apportent un soutien significatif à la recherche médicale.

Les mécanismes au travers desquels les associations mobilisent la recherche sont au nombre de trois.

Le premier est la délégation. Les associations apportent leur soutien à la recherche mais confient aux scientifiques le choix de définir les recherches à soutenir : elles n'interviennent pas dans la définition des projets susceptibles d'aider les malades et les familles. C'est un mécanisme courant. Aux États-Unis, il prend la forme de ce qu'on appelle advocacy research : les lobbys professionnels aident les associations à obtenir que des lignes du budget fédéral soient affectées à un certain nombre de maladies, à charge pour les institutions scientifiques de définir les programmes de recherche sur telle ou telle pathologie.

Le deuxième mécanisme est l'expertise profane. La délégation ne permettant pas de contrôler l'utilisation de l'argent, de plus en plus d'associations se forment à la recherche, afin de pouvoir discuter avec les chercheurs, leur faire des propositions ou, au moins, avoir une lecture critique de ce qui leur est proposé. C'est maintenant un mécanisme général, voire institutionnalisé. Comme l'a dit Mme Bungener, la Mission INSERM-Associations y contribue en proposant des sessions de formation à la recherche aux associations.

Le troisième mécanisme, un peu plus avancé et qui nécessite l'acquisition de l'expertise profane, est le partenariat. Les associations, reconnues comme étant porteuses d'une connaissance particulière, collaborent avec des spécialistes dans des projets de recherche, mènent des enquêtes sur la qualité de vie des patients, participent à la lecture des clinical guidelines, etc. Elles apportent ainsi au monde scientifique à la fois leur force de mobilisation, mais aussi leur propre expertise basée sur leur expérience des maladies.

En conclusion, je tiens tout d'abord à souligner que les associations de malades n'ont pas pour objectif de soutenir la recherche pour la recherche : elles se mobilisent pour défendre un intérêt collectif qu'elles estiment négligé par les acteurs institutionnels. Leur soutien à la recherche ne correspond donc ni au modèle des politiques publiques, ni au modèle du marché, ni au modèle caritatif.

La mobilisation de la recherche par les associations est une action stratégique qui demande des moyens et qui doit s'articuler avec leurs autres missions. Ce choix stratégique peut d'ailleurs être temporaire : elles peuvent décider de s'engager dans le soutien à la recherche pendant un an ou deux avec un objectif précis, puis s'atteler ensuite à d'autres missions.

Enfin, certaines associations de malades ne souhaitent pas s'engager dans la recherche, et certains malades ne souhaitent pas se constituer en association ou adhérer à une association. Ceci est parfaitement légitime, et il est intéressant de comprendre pourquoi. Des études menées par des collègues américains ont montré qu'il y a quelques années aux États-Unis, des malades souffrant de drépanocytose, en majorité Africains-Américains, ne voulaient pas devenir membres d'associations, et encore moins participer à la recherche sur cette maladie. Ils craignaient en effet que la découverte du « gène de la drépanocytose » et son éventuelle qualification comme « gène Africain-Américain » n'accroisse la stigmatisation de cette population. D'une façon générale, une association peut s'abstenir de s'engager dans la recherche biomédicale afin de ne pas mettre en péril l'identité et l'existence sociale des malades.

M. Jean-Louis Touraine. Je donne à présent la parole à M. David Bardey, professeur d'économie à l'Université de Bogota, titulaire d'un doctorat de l'Université de Besançon sur les assurances santé et la concurrence.

M. David Bardey, professeur d'économie à l'Université de Bogota, et « visiting fellow » à l'Ecole d'économie de l'Université de Toulouse. Merci beaucoup de me donner l'opportunité de présenter nos travaux sur les problèmes que peut poser l'existence de tests génétiques sur les marchés d'assurance maladie, que ce soit des marchés au « premier euro » ou des marchés d'assurance complémentaire.

En matière de génétique, deux avancées sont susceptibles d'avoir des conséquences relativement importantes sur la gestion du risque santé. La première est la baisse du coût : le génome pourra bientôt être accessible de façon massive. La deuxième est la personnalisation des traitements, qu'ils soient curatifs ou préventifs. Mais les généticiens semblent travailler beaucoup plus rapidement que les économistes qui s'intéressent à ce domaine : nous sommes un peu « à la traîne » pour comprendre les conséquences de ces avancées sur la gestion du risque santé.

Examinons donc quelles pourraient être les conséquences, dans un avenir qui n'est peut-être pas si éloigné, d'une utilisation massive des tests génétiques par les assurés.

Considérons, dans un premier temps, que les individus ne peuvent pas modifier leur risque. Ils ont la possibilité de faire des tests génétiques qui vont les classer dans les « bons risques » ou les « mauvais risques ». La théorie du risque nous enseigne que la valeur de l'information est négative ; les tests génétiques peuvent donc réduire le bien-être économique des assurés.

En effet, avant de réaliser un test génétique, les individus sont caractérisés par un risque moyen. Or, s'ils s'assurent, c'est précisément parce qu'ils ont de l'« aversion à l'égard du risque ». Par conséquent, leur bien-être économique est supérieur lorsqu'ils ne prennent pas le risque de devenir un « mauvais risque » aux yeux des assureurs, ce qui se traduirait par des contrats beaucoup plus onéreux. C'est ce que les économistes ont coutume d'appeler « le bonheur derrière le voile d'ignorance ».

L'information fournie par les tests génétiques peut conduire à une variation des conditions dans lesquelles la personne va être assurée. Du côté des assureurs, on craint des phénomènes d'anti-sélection - les individus qui ont obtenu par des tests une information sur leur risque santé choisissant leur couverture en conséquence -, susceptibles de déstabiliser les marchés d'assurance, comme l'ont montré des chercheurs aussi confirmés que Rothschild et Stiglitz.

Finalement, un arbitrage se fait entre une efficacité ex ante - on préfère économiquement sa situation avant le test - et une efficacité ex post. le fait que les assurés peuvent entreprendre des actions qui leur permettent de réduire leur risque.

La meilleure des situations peut aujourd'hui paraître de faire le test, et de garder le résultat pour soi s'il révèle un risque supérieur à la moyenne. Mais si dans cinq ou dix ans, les tests génétiques deviennent une pratique courante, alors les personnes qui ne les produiront pas devant leur assureur santé seront suspectées d'avoir un risque plus élevé que la moyenne.

Les tests génétiques peuvent également donner une information utile pour entreprendre des actions de prévention primaire - permettant de réduire la probabilité de certaines maladies - et des actions de prévention secondaire - dépistage, ou encore pour personnaliser les traitements.

Bien entendu, l'efficacité de la prévention dépend du niveau de risque de la personne, révélé par le test. La valeur économique de l'information peut alors redevenir positive si la réduction du risque liée à la prévention est suffisante. Mais les efforts de prévention ne sont pas observables par les assureurs. Ceux-ci doivent inciter les assurés à effectuer des actes de prévention - par des franchises ou des co-paiements. Par ailleurs, les contrats d'assurance santé ne couvrent pas l'intégralité du risque. Cette couverture partielle peut encore réduire la valeur de l'information des tests génétiques.

En résumé, d'un point de vue économique, la valeur de l'information fournie par les tests génétiques est négative en l'absence de prévention ; elle peut redevenir positive si la prévention est suffisamment efficace ; mais elle peut à nouveau diminuer en raison de problèmes d'asymétrie d'information liés au risque moral sur les marchés d'assurance santé.

Les politiques publiques qui réduisent les coûts de la prévention peuvent avoir des effets ambigus. En effet la décision de faire un test n'est pas sans lien avec le coût de la prévention. Si ce coût est très faible, les individus ne seront pas incités à faire le test puisqu'ils pratiqueront de toute façon cette prévention ; s'il est très élevé, ils ne feront pas non plus le test car ils renonceront de toute façon à la prévention ; mais s'il se situe à un niveau intermédiaire, c'est le test génétique qui déterminera la réalisation des actes de prévention.

Quelle législation envisager concernant l'usage des tests génétiques ?

La législation ne peut pas être la même si l'usage des tests génétiques devient commun ou s'il concerne un très faible pourcentage de la population. Dans le premier cas, les individus ne pourront plus affirmer qu'ils n'ont pas fait le test car leur assureur les soupçonnera de cacher des résultats négatifs (négatif au sens économique du terme).

Le premier objectif que doit poursuivre la législation me paraît être de protéger la société contre la discrimination génétique. Personne n'étant responsable de ses gènes, cet objectif fait consensus.

Le deuxième objectif devrait être d'encourager l'usage de la génétique à des fins thérapeutiques et de prévention. Ce n'est pas parce que la valeur de l'information des tests génétiques peut être négative d'un point de vue économique qu'il faut oublier les autres dimensions de ces tests.

En troisième lieu, il faudrait faire en sorte d'éviter les problèmes d'anti-sélection sur les marchés d'assurance : il ne faut pas que les contrats d'assurance santé se trouvent totalement déséquilibrés par l'information privée obtenue par les assurés grâce aux tests.

Les différentes régulations en vigueur ne permettent pas de concrétiser ces différents objectifs. Elles s'attachent principalement à lier les mains des assureurs, c'est-à-dire à éviter qu'ils ne demandent systématiquement les tests génétiques à leurs assurés. Elles ne prennent pas en compte le comportement « proactif » des assurés ; si dans cinq ou dix ans, la plupart des individus présentent le résultat de leurs tests, la situation sera totalement différente, et il faudra impérativement repenser les législations actuelles.

Il faut éviter le piège de l'opposition classique entre la protection des assureurs et la protection les assurés. Les problèmes d'anti-sélection dont peuvent pâtir les assureurs finissent par se retourner contre les assurés. Il est donc nécessaire, à la fois, de protéger les assurés contre la discrimination génétique et de permettre aux marchés d'assurance de continuer à fonctionner. Quand le voile d'ignorance que se partagent les assurés et les assureurs tend à se déchirer de par la possibilité d'effectuer des tests génétiques, il faut élaborer de nouvelles législations.

M. Jean-Louis Touraine. Votre souci de protéger le fonctionnement des assurances est tout à fait légitime. Pour autant, la préoccupation première du législateur est de protéger l'individu. Nous préférerions maintenir une formule de solidarité par mutualisation. Sinon, nous nous acheminons vers un monde où les différents risques seront si bien identifiés que toute une frange de la population sera très malheureuse. Mais vous avez raison : il faudra adapter les textes aux évolutions à venir ; il est évidemment très différent de faire des tests pour chercher un petit nombre de choses au sein d'une catégorie limitée de personnes, ou d'en faire dans toute la population pour identifier la totalité des facteurs de risque. Cette deuxième voie serait quelque peu effrayante, mais nécessiterait de continuer à protéger l'individu, afin qu'il puisse, malgré telle ou telle faiblesse, trouver un emploi, contracter un emprunt pour se loger ou souscrire une assurance.

M. le président Claude Birraux. Je suis tout à fait d'accord : le rôle des politiques est d'assurer l'égalité des citoyens, en organisant la solidarité en faveur des faibles et des moins bien portants. Nous connaissons ce principe de répartition aussi bien dans les assurances que dans les systèmes de retraite.

La généralisation des tests génétiques pourrait certes avoir de lourdes conséquences. L'OPECST avait déjà mis en garde contre les tests sur Internet, dont la fiabilité n'est pas garantie. Par ailleurs, nous nous devons de protéger l'individu contre les inégalités, notamment devant l'emploi : comment faire pour qu'un employeur engage une personne s'il peut déduire de son profil génétique qu'elle sera absente une semaine par mois à partir de 40 ans ? C'est le rôle du politique de réfléchir à cela.

Dans le cadre d'une étude sur l'innovation face aux peurs et aux risques, Jean-Yves Le Déaut et moi-même avons rencontré dans nos circonscriptions de jeunes lycéens. Je leur ai expliqué le risque que représentera, à l'avenir, la possibilité pour des sociétés spécialisées de dégager leur profil psychologique à partir de celui qu'ils auront eux-mêmes mis sur les réseaux sociaux, d'en déduire leur aptitude à exercer tel ou tel travail et de décider de ne pas les embaucher.

Comment assurer une égale protection à tous nos concitoyens ? Cette question, peut-être la plus importante qui est posée aux politiques, ne concerne pas que les assurances. Une banque a été condamnée par la Cour de cassation pour avoir refusé d'accorder un petit prêt à un retraité sous prétexte qu'il avait 75 ans - prêt qu'il avait les moyens de rembourser et dont il avait besoin pour réaliser des travaux dans sa maison. On pourrait transposer cette jurisprudence dans le domaine de l'assurance en matière de profils génétiques.

M. David Bardey. Je partage totalement votre préoccupation. L'objectif est d'éviter toute discrimination génétique.

La législation est adaptée à la situation actuelle. Mais le sera-t-elle encore dans le futur, avec des assurés de plus en plus proactifs, qui multiplient les tests génétiques ? Pour l'instant, on lie les mains aux assureurs, et les choses se passent bien. Mais ne faudra-t-il pas également une régulation du côté des assurés, pour éviter un déséquilibre ? Il me semble nécessaire d'anticiper les problèmes futurs car, pour le bien-être économique des assurés, il faut que les marchés fonctionnent.

M. le président Claude Birraux. Madame Cambon-Thomsen, pourriez-vous nous dire pourquoi la France n'a pas encore ratifié le protocole additionnel à la Convention d'Oviedo ?

Vous avez dit que les équipes françaises ne pilotent pas les quatre projets européens, à l'exception des aspects médico-sociaux. Mais ces équipes ne sont-elles pas très spécialisées, alors que les appels européens sont formulés en termes très généraux ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. La France ne peut pas signer et ratifier le protocole additionnel car elle n'a pas encore signé et ratifié la Convention d'Oviedo elle-même. Une des raisons pour lesquelles elle n'a pas signé la Convention est l'interprétation à donner à certains articles, susceptibles d'empêcher certains types d'engagement ou de recherche. Le problème a été discuté par différents pays mais paraît désormais levé. D'après mes informations, il est donc prévu que la France signe la Convention ; il serait assez logique qu'elle signe également les protocoles additionnels.

Les projets européens dont j'ai parlé portent sur le séquençage, sujet sur lequel d'autres pays que la France sont sur le front. Mais il existe bien d'autres projets européens qui sont pilotés par des Français.

Permettez-moi de poser une question à notre collègue économiste.

Actuellement, la plupart des tests disponibles sur Internet portent sur des maladies qui ne sont pas monogéniques : ce sont des tests de susceptibilité, dont on ne peut pas faire grand-chose au niveau individuel et dont l'interprétation peut changer d'un jour à l'autre en fonction des publications qui paraissent. Il existe même une société qui réinterprète les mêmes tests au fur et à mesure de l'apparition de nouvelles publications, si bien qu'une personne peut être classée à risque un jour pour telle maladie, et considérée protégée six mois après. Mais tel que vous le présentez, monsieur Bardey, le risque est toujours négatif ; or dans notre génome, nous avons autant de gènes qui nous protègent que de gènes qui nous fragilisent - et l'interprétation est particulièrement difficile...

M. David Bardey. En parlant des comportements de prévention, primaire ou secondaire, qui peuvent respectivement réduire soit la probabilité d'occurrence d'une maladie, soit les conséquences de la maladie, je voulais nuancer ma vision pessimiste d'économiste sur le caractère plutôt négatif de la valeur d'information des tests, économiquement parlant. Cette valeur peut devenir positive s'il y a changement de comportement. Une personne qui présente un terrain favorable aux maladies cardiovasculaires adoptera plus facilement un comportement de prévention - comme s'abstenir de fumer - si elle a fait le test. Mais si l'on ne prend pas en compte les comportements de prévention, du point de vue des économistes il faut éviter les tests.

D'un point de vue sanitaire, bien sûr, ces tests génétiques apportent des informations précieuses. Certes, sur Internet, beaucoup laissent à désirer, mais je pense qu'une régulation sera mise en place ou que le marché opérera une sélection entre eux , ce qui nous permettra de disposer de tests assez fiables dans un futur assez proche.

M. Jean-Louis Touraine. Il faudra reprendre cette discussion dans quelques années...

Madame Cambon-Thomsen, la réglementation en matière d'accès aux tests génétiques est très différente d'un pays à l'autre, y compris à l'intérieur de l'Europe. On peut très bien aller faire ailleurs un test qui est interdit chez soi. Comment régler ce problème ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. Ce sujet a fait l'objet de discussions dans divers cercles.

La mobilisation de la législation sur la consommation et l'information des personnes constituent une forme de contrôle. Dire que des tests qui ne servent à rien sont utiles est une fausse information qui peut être combattue ! Et si l'on dit d'emblée qu'ils ne servent à rien, on peut faire confiance aux consommateurs pour en tirer les conclusions... On voit mal comment une loi pourrait réguler la vente des tests sur Internet ; je pense donc que l'essentiel est d'apporter aux consommateurs une information exacte, indépendante des sociétés qui vendent les tests.

M. Jean-Louis Touraine. Qu'en est-il des tests de paternité ?

Mme Anne Cambon-Thomsen. Même s'il lui est interdit d'utiliser les résultats, je ne vois pas comment on peut empêcher une personne qui veut savoir si elle va aller ou non au procès de faire un test de paternité dans un autre pays.

Mme Martine Bungener. Ce test-là a une valeur pour la personne ; ce n'est pas la même chose qu'un test de prédisposition.

M. Jean-Louis Touraine. Il reste qu'on doit tenir compte de l'environnement international.

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