LES INTERROGATIONS JURIDIQUES ET ÉTHIQUES

M. Jean-Louis Touraine. Pour aborder notre dernière table ronde, je donne la parole à M. Bertrand Mathieu, agrégé de droit public, professeur à l'École de droit de la Sorbonne - Université de Paris I.

M. Bertrand Mathieu, professeur à l'École de droit de la Sorbonne (Université Paris I), membre du Conseil supérieur de la magistrature, président de l'Association française de droit constitutionnel. En France, les dispositions réglementaires précisant les hypothèses dans lesquelles on peut recourir à l'examen des caractéristiques génétiques ont pour pendant l'article du code civil selon lequel « nul ne peut faire l'objet de discriminations en raison de ses caractéristiques génétiques », prescription reprise dans le code pénal, le code du travail, le code des assurances et le code de la sécurité sociale. Cette énumération est elle-même significative : si l'on affirme un principe, c'est parce que l'on ressent qu'il est menacé.

Plusieurs principes, notamment constitutionnels, sont en jeu. Les principes du droit au travail, de non-discrimination, de respect de la vie privée doivent être conciliés avec ceux de sécurité des salariés et de liberté contractuelle.

On retrouve la même construction dans les textes internationaux. La Déclaration sur le génome humain de l'UNESCO interdit les discriminations fondées sur ses caractéristiques génétiques. La Convention bioéthique du Conseil de l'Europe prohibe toute forme de discrimination à l'encontre d'une personne en raison de son patrimoine génétique ; il est précisé qu'il ne peut être dérogé à ce principe alors même qu'il s'agirait de « mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sûreté publique, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé publique ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». Cependant, le rapport explicatif fait état de l'ambiguïté de la rédaction de la version anglaise du texte, qui ne vise que les « discriminations injustifiées » : or si l'on sait ce qu'est une discrimination, on sait moins ce qu'est une discrimination injustifiée ! De manière plus générale, le recours à la notion anglo-saxonne de discrimination, comme se référant seulement aux discriminations injustifiées, est susceptible d'affaiblir la portée de l'interdiction.

Le protocole additionnel à cette Convention, relatif aux tests génétiques à des fins médicales, prohibe toute forme de discrimination à l'encontre d'une personne en raison de son patrimoine génétique.

Par ailleurs, une résolution de 1989 du Parlement européen préconise l'interdiction de l'usage de tests génétiques en matière d'emploi et d'assurance.

Ainsi, sur le plan moral, le principe de non-discrimination semble relativement clair. Cependant, sur le plan juridique, les choses sont un peu plus compliquées.

En effet, le droit applicable à l'utilisation des tests génétiques est plus flou qu'une lecture rapide des textes pertinents pourrait le laisser supposer. Par ailleurs, l'utilisation de tests génétiques concernant une personne par un tiers doit être envisagée à plusieurs niveaux : Soit un employeur ou un assureur peut exiger d'être informé des résultats d'un test génétique ; soit l'employeur ou l'assureur peut demander à la personne de subir un test génétique ; soit encore la personne est autorisée à divulguer spontanément ses propres caractéristiques génétiques - ce qui peut conduire aux mêmes conséquences que la possibilité d'exiger des informations génétiques car, dès lors que l'accès aux tests est aisé, le fait qu'une personne ne divulgue pas les résultats sera nécessairement considéré comme une information défavorable.

En matière d'emploi, l'interdiction de recourir à des tests génétiques est fondée sur l'interdiction des discriminations opérées à partir des caractéristiques génétiques. Cependant le recours aux résultats de tests génétiques est susceptible d'être légitimé dans deux hypothèses : d'une part, lorsqu'un test génétique démontrera l'existence d'une prédisposition particulière à une maladie liée à l'environnement de travail ; d'autre part, lorsqu'une prédisposition génétique est susceptible de révéler un risque de danger pour autrui - par exemple chez les pilotes de ligne ou les chauffeurs routiers. Dans ces hypothèses, la connaissance de la prédisposition génétique a pour objet non pas d'opérer une discrimination entre des individus, mais de protéger les droits de l'individu lui-même ou la vie d'autres individus.

Le Comité européen d'éthique, dans un avis de 2003, a analysé de manière prospective les conditions d'une réglementation et d'un encadrement au niveau européen du recours aux tests génétiques en matière d'emploi. Autrement dit, si un jour les tests sont fiables, on les utilisera ; ce qui conduit à affirmer que, premièrement, il est interdit de discriminer, mais que, deuxièmement, on recherche les moyens de discriminer le moins possible !

Si l'on fait abstraction de la question de la protection des droits d'autrui, il reste à s'interroger sur le point de savoir jusqu'à quel point on peut protéger une personne contre elle-même et opérer à sa place un choix entre le risque de développer certaines pathologies et la perte d'un emploi ou l'abandon d'une profession.

En matière d'assurance, la question de la discrimination génétique se pose dans des termes voisins. Cependant, les intérêts liés à la protection d'autrui ou de l'intéressé ne sont pas ici des justificatifs pertinents à l'utilisation des tests. Sont en jeu, dans ce cas, l'intérêt des assureurs et, si l'assureur est la sécurité sociale, celui de la collectivité.

En l'état, il est interdit aux assureurs d'utiliser les résultats de tels tests, quelle que soit la manière dont ils sont susceptibles de se les procurer. Mais pourquoi faut-il réserver un sort particulier à ces tests ? Plusieurs réponses sont possibles.

On peut considérer les informations génétiques comme échappant par nature au domaine des informations auxquelles l'assureur peut avoir accès. Cette solution très protectrice se heurte cependant à certaines objections. D'une part, elle conduit à opérer une distinction incertaine entre les maladies génétiques et les autres maladies : pourquoi pourrait-on être obligé de fournir des informations relatives, par exemple, aux maladies des parents, et ne pas pouvoir donner des informations génétiques ? On n'est pas plus responsable des unes que des autres... D'autre part, cette solution se heurte à un environnement juridique favorable à la communication à l'assureur d'informations relatives à la santé : en France, le code pénal exclut expressément du cadre des infractions pénales « les discriminations fondées sur l'état de santé, lorsqu'elles consistent en des opérations ayant pour objet la prévention et la couverture du risque décès, des risques portant atteinte à l'intégrité physique de la personne ou des risques d'incapacité de travail ou d'invalidité ». Dans toutes ces hypothèses, la discrimination génétique est permise. Par ailleurs, la Convention bioéthique du Conseil de l'Europe ne s'oppose pas à ce qu'un candidat à l'assurance fasse spontanément état de tests génétiques favorables.

Une autre logique peut conduire à distinguer les différents types d'assurance. La possibilité offerte à l'assureur de connaître l'ensemble des données disponibles relatives à l'état de santé relève de la logique du contrat de droit privé et du mécanisme même de l'assurance, qui implique notamment la bonne foi et l'égalité de traitement entre les assurés. L'interdiction faite à l'assureur de connaître les résultats de tests génétiques obéit à une logique de protection des droits de l'individu, notamment de son droit à ne pas faire l'objet de discrimination. Or le principe de non-discrimination ne joue pas de manière générale dans le droit des assurances, même en matière de santé. En revanche, l'accès aux soins représente un droit fondamental pour lequel il ne peut être opéré de distinction. Il est assez logique qu'une personne souscrivant une assurance-vie soit conduite à faire état des données relatives à leur santé ; et de ce point de vue, les données génétiques ne sont que des données parmi d'autres. Les assurances liées à l'accès au logement doivent obéir à la même logique, dès lors que l'accès au logement est un objectif constitutionnel. Il appartient à la société de définir ce qui relève de la solidarité et ce qui relève des lois du marché.

En tout cas, le développement des tests génétiques s'inscrit dans une logique de renforcement du contrôle social sur l'individu, sujet qu'il conviendra d'approfondir.

M. Jean-Louis Touraine. Merci beaucoup. Je donne maintenant la parole à Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l'Agence de la biomédecine.

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave, directrice générale de l'Agence de la biomédecine. Les missions de l'Agence de la biomédecine sont définies aux articles L.1418-1 et suivants du code de santé publique, au sein duquel est codifiée la loi de bioéthique, actuellement réexaminée par le législateur.

En matière de génétique, seule la génétique médicale fait partie des missions de l'Agence de la biomédecine. Nous ne sommes pas compétents sur les aspects judiciaires ou d'identification des personnes. Nous ne le sommes pas non plus pour contrôler ou censurer les dérapages de l'activité de génétique.

Nous envisageons la génétique médicale comme une activité médicale au service des patients. Comme dans les autres domaines dont elle a la charge, l'Agence a une mission d'encadrement, par la définition de règles ; d'accompagnement des professionnels dans leur travail ; d'évaluation de l'activité et des résultats de ces professionnels ; enfin, d'information du Parlement et du Gouvernement, mais aussi de la société à travers les médias et la presse. L'information est en effet une ardente obligation en matière de génétique -car celle-ci quitte à peine le laboratoire pour devenir une science médicale.

En ce qui concerne les maladies monogéniques, les activités de l'Agence sont au nombre de trois : le diagnostic préimplantatoire, qui a concerné 71 naissances en 2008 ; le diagnostic prénatal, avec 3150 tests de maladies aujourd'hui disponibles et proposés aux couples ; le diagnostic postnatal, tout au long de la vie, réalisé dans  près de 862 laboratoires et qui concerne en France 1 060 maladies, ayant donné lieu à environ 270 000 analyses de génétique moléculaire en 2 009 - je ne parle pas ici de la cytogénétique, qui ne concerne pas les maladies monogéniques.

Jusqu'à présent, l'Agence a eu une activité d'agrément des praticiens des laboratoires de génétique postnatale. Elle va continuer à l'exercer. Néanmoins, en la matière, le médecin prescripteur - qui informe, conseille, rend le résultat et apporte des informations sur la maladie au vu du résultat rendu - a un rôle essentiel.

Même si nous l'envisageons à la lumière des activités que nous encadrons depuis longtemps - comme la greffe ou l'assistance médicale à la procréation -, la génétique médicale est une discipline tout à fait nouvelle. Elle fait rencontrer des patients symptomatiques, c'est-à-dire malades, mais aussi des patients asymptomatiques - et c'est cela qui est nouveau -, c'est-à-dire des personnes qui ne sont pas, qui ne se sentent pas malades.

La prise en charge de ces dernières doit donner lieu à une véritable réflexion. Comment accueillir une personne asymptomatique susceptible d'être porteuse de la maladie et, s'il s'agit d'une maladie récessive, de la transmettre ? Comment lui annoncer qu'elle est porteuse d'une maladie et la prendre en charge ? Comment la conseiller sur la suite à donner pour elle-même, mais aussi pour ses proches ? Des consultations pluridisciplinaires se mettent en place, ce qui est souvent une nouveauté pour les établissements hospitaliers. Les équipes pluridisciplinaires doivent se déclarer à l'Agence, mais n'ont commencé à le faire que timidement.

Je voudrais insister sur le lien entre la recherche et la médecine en matière de génétique. S'agissant de la génétique moléculaire portant sur les maladies rares, le passage n'est pas encore terminé entre le laboratoire de recherche et l'équipe médicale. Cela pose des problèmes, notamment d'accès aux soins. L'Agence doit donc s'interroger sur la meilleure façon de rendre disponibles des tests tout récents, qui viennent d'être découverts par des équipes de recherche. Devons-nous forcer la main à ces équipes pour que ces tests soient très rapidement diffusés dans un grand nombre de laboratoires ? Ou devons-nous, s'agissant de maladies rares, nous contenter d'adresser les patients à ces laboratoires, qui ne sont pas encore de vraies équipes médicales, mais qui savent bien faire les tests, pour permettre à ces patients de disposer le plus rapidement possible d'un test fiable ?

Il convient également de s'interroger sur le rôle du réseau. Devons-nous développer des laboratoires nombreux, avec le risque qu'ils soient moins compétents ? Devons-nous, au contraire, nous orienter vers une politique de réseau ? C'est la voie que notre pays a privilégiée jusqu'à présent. Maintenant, le relais doit être assuré notamment par les schémas régionaux d'organisation sanitaire en matière de génétique, en cours d'élaboration.

Deux évolutions techniques suscitent de la part de l'Agence quelques inquiétudes.

La première est le développement très rapide de l'analyse du génome entier - même si cela nous fait un peu sortir de la problématique des maladies monogéniques. Que devra-t-on faire si, en voulant soigner un patient atteint d'une maladie, l'analyse de son génome amène à trouver autre chose ? Nous devons réfléchir avec les professionnels à la conduite à tenir face à ces découvertes fortuites.

La deuxième est la génétique « récréative », c'est-à-dire les tests sur Internet. Pour qu'ils permettent de gagner de l'argent, on ne les cible pas sur des maladies très rares... Ils portent donc sur diverses prédispositions, mais ils nous posent de vrais problèmes, à nous agence de régulation, en termes d'accompagnement des patients. Qui interprétera le résultat ? Quel médecin prendra en charge le patient si quelque chose est découvert ? Comment éviter l'errance diagnostique - autrement dit que la personne avec son test ne sache pas à qui s'adresser ? Enfin, quelle est l'utilité clinique d'un test qui révèle une prédisposition dont on ne sait pas quoi faire ?

Face à cela, le rôle de l'Agence reste constant : rédiger des règles de bonnes pratiques en génétique pour les professionnels, diffuser ces règles et l'information qui les accompagne à la population tout entière, afin que celle-ci soit bien informée sur les conditions de passage de la recherche au diagnostic, sur les conditions de l'accès aux soins en génétique, enfin sur les modalités d'information du patient et de recueil de son consentement, un rôle majeur revenant au médecin. La génétique est en effet de la médecine et doit le rester ; le médecin doit accompagner le patient, qu'il ne doit pas laisser seul face à une maladie, une suspicion de maladie ou une prédisposition à une maladie. L'exclusion de la génétique médicale du champ de la médecine aboutirait, en termes de santé publique, à des résultats très mauvais et très coûteux. Il s'agit donc là d'une responsabilité lourde pour l'Agence.

M. Jean-Louis Touraine. Merci beaucoup, Madame.

Nous allons maintenant entendre Mme Dominique Stoppa-Lyonnet, membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), professeur de génétique, chef du service de génétique oncologique de l'Institut Curie.

Mme Dominique Stoppa-Lyonnet, membre du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), professeur de génétique, chef du service de génétique oncologique de l'Institut Curie. Entre 1985 et 2009, le Comité national d'éthique a rendu 12 avis touchant aux tests génétiques, qu'il s'agisse de diagnostic préimplantatoire, de diagnostic prénatal ou de test postnatal sur les prédispositions aux maladies. L'ensemble de ces travaux fait ressortir l'importance de l'information concernant les enjeux et les limites des tests génétiques. C'est une information un peu particulière puisqu'elle porte sur des éléments constitutifs de l'individu - une information sur l'être plus que sur l'avoir, qui relie l'individu à sa famille et qui dit quelque chose de son destin. On voit d'ailleurs aujourd'hui le succès sur Internet du test sur la longueur des télomères : le fait qu'elle pourrait être proportionnelle à l'espérance de vie a été aussitôt traduit par les médias en possibilité de connaître l'heure de la mort. Je ne reviens pas sur les risques de discrimination, qui ont été évoqués. Information, autonomie, consentement sont les notions les plus présentes dans les différents avis.

Le CCNE s'est par ailleurs autosaisi du problème des tests génétiques de susceptibilité - multigéniques. Ce travail va démarrer.

Quels sont les problèmes éthiques soulevés par les tests génétiques ?

Tout d'abord, il faut impérativement s'interroger à la fois sur la validité scientifique du test et sur son utilité clinique. Dans le cas des tests de susceptibilité, la validité scientifique est très grande, mais l'utilité clinique est quasi-nulle. Pour les maladies monogéniques, des gènes sont identifiés, mais on ne sait pas encore précisément quelle va être leur pénétrance - c'est-à-dire le risque de maladie associée ; pourtant, on pressent bien que ce sont des gènes importants pour la santé. J'insiste donc sur l'importance de l'épidémiologie génétique : il est crucial d'examiner les manifestations associées à la mutation d'un gène. Cela suppose la participation des patients : c'est grâce à eux, il faut en être bien conscient, que les gènes ont pu être identifiés et que la recherche peut progresser.

En deuxième lieu, il apparaît, notamment avec le séquençage, que des gènes de maladie présentent des variations génétiques, dont on ne connaît pas toujours la signification biologique. La compréhension de ces « variants » doit devenir un sujet très important de recherche clinique et de recherche fondamentale ; on parle maintenant de génomique ou génétique fonctionnelle.

S'agissant des résultats d'un test, se pose tout d'abord le problème de la diffusion de l'information à la parentèle. Les dispositions proposées dans le cadre du projet de loi bioéthique devraient constituer un progrès, mais tout n'est pas réglé - notamment le cas où une personne ne souhaite pas la diffusion d'une information qui pourrait être importante pour ses apparentés.

Autre problème : les tests génétiques pour les maladies monogéniques sont en train de sortir de l'histoire familiale. Jusqu'à présent, on répondait à une demande ; c'est ainsi qu'ont été mis en place les tests sur la maladie de Huntington, dans des conditions très encadrées. Nous sommes maintenant dans une situation nouvelle : des facteurs génétiques vont être identifiés chez des personnes qui n'avaient pas demandé grand-chose. Ainsi en va-t-il pour le diagnostic postnatal de mucoviscidose, avec les tests génétiques à rebours chez les parents puis les apparentés des sujets porteurs. C'est toute la problématique des tests pratiqués chez les porteurs sains ; l'avis n° 97 du CCNE, relatif aux questions éthiques posées par la délivrance de l'information génétique néonatale à l'occasion du dépistage de maladies génétiques , témoigne d'une très grande prudence quant à la communication aux parents des résultats des tests génétiques pratiqués sur l'enfant. Bien entendu, il est difficile de s'assurer que les parents seront en mesure de décider s'ils veulent savoir ou ne pas savoir. On peut aussi citer l'exemple des études « génome entier » ou « exome » : on identifie des gènes altérés qui, dans le cas d'une maladie dominante, concernent la personne elle-même, mais qui, dans celui d'une maladie récessive, pourront concerner sa descendance ; on pourrait ainsi être amené, si ces personnes ont un projet parental, à proposer un test au conjoint pour savoir s'il est également porteur de l'altération.

Ces tests sont aujourd'hui réalisés dans un cadre de recherche. L'anticipation est sans doute le maître mot : il s'agit d'anticiper les données génétiques incidentes non recherchées. Par ailleurs, on va faire des progrès dans l'analyse du génome ; il va falloir anticiper le fait que l'interprétation du génome est appelée à évoluer.

En ce qui concerne les maladies récessives, une question m'est très souvent posée dans ma pratique. Un enfant est atteint d'une maladie récessive ; on identifie la mutation à l'état hétérozygote chez un frère ou une soeur, à l'âge adulte, qui a un projet parental ; que doit-on dire à son conjoint ? Faut-il qu'il fasse un test, même si le risque qu'il soit porteur est faible ? Pour répondre, il faut réfléchir au coût, et par ailleurs être conscient que l'on peut trouver des variants, de signification biologique inconnue, dont on ne va pas savoir quoi faire.

M. le président Claude Birraux. M. Mathieu a évoqué les problèmes de traduction de la Convention du Conseil de l'Europe, mais il existe une différence plus fondamentale encore entre les Britanniques et les Français : en Grande-Bretagne, il n'y a pas de règlements ni de circulaires d'interprétation ; c'est la jurisprudence qui vaut règlement. La vision britannique du droit est toujours en perspective.

M. Bertrand Mathieu. La Cour européenne des droits de l'homme raisonne de plus en plus comme vous dites, c'est-à-dire en considérant que la Convention européenne des droits de l'homme n'est qu'un texte attributif de compétences, qu'elle interprète totalement librement. Il suffit donc pour elle d'estimer que l'équilibre entre plusieurs droits fondamentaux n'est pas assuré comme il convient en France pour qu'elle lève certaines interdictions : nous ne sommes pas du tout à l'abri de cette évolution.

Mme Emmanuelle Prada-Bordenave. Permettez-moi une dernière remarque : nous n'avons pas en France beaucoup de médecins généticiens compétents ; il ne faut pas gaspiller cette ressource rare en l'utilisant à des fins de génétique récréative. Le colloque qui s'est tenu il y a deux ans sur le diagnostic prénatal a bien montré qu'en France, comme le veut la loi, ce diagnostic est réservé aux maladies graves et incurables, alors qu'aux Etats-Unis on n'hésite pas à dépenser beaucoup d'argent pour des designer babies . Nous devons veiller à ce que les ressources dédiées à la génétique dans notre pays ne soient pas, par un dérapage insidieux, détournées des personnes qui en ont vraiment besoin.

M. le président Claude Birraux. Nous en sommes certainement tous pleinement d'accord.

Merci à tous pour votre participation à cette audition, dont nous ne manquerons pas de tirer les conclusions.

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