II. UN SECTEUR DE PLUS EN PLUS PRODUCTEUR D'ÉNERGIE : OPPORTUNITÉ OU MENACE ?

Ces dix dernières années ont été marquées par un fort développement des agro-carburants33(*).

Celui-ci a été voulu par les pouvoirs publics - dans plusieurs régions du monde, dont l'Europe - comme un élément important de leur politique énergétique et environnementale mais aussi comme représentant une source nouvelle de revenus pour les agriculteurs.

L'agro-énergie a donc été considérée comme une diversification souhaitable de l'offre agricole. Cependant, cette approche pose problème à l'heure du défi alimentaire.

L'impact du développement des biocarburants sur la sécurité alimentaire passe par l'effet d'éviction qu'il peut exercer sur un usage des terres destiné à satisfaire les besoins de consommation alimentaire.

Cette inquiétude est légitime, mais deux autres effets méritent un examen particulier :

 les effets des biocarburants sur les prix de l'énergie et leur incidence sur les prix des productions alimentaires doit être considéré ;

 de même, la contribution des biocarburants à la prévention des changements climatiques et, par conséquent, à l'évitement des conséquences qu'ils pourraient avoir sur les équilibres alimentaires ne sauraient être occultés.

A. UNE PRODUCTION D'AGRO-CARBURANTS EN FORTE CROISSANCE

1. Une forte croissance, surtout dans certains pays

Les deux filières de biocarburants34(*)

Les biocarburants se partagent principalement en deux filières, correspondant aux deux grands types de moteurs à explosion : la filière de l'alcool pour les moteurs à allumage commandé, qui fonctionnent à l'essence, et la filière de l'huile pour les moteurs Diesel à allumage par compression, fonctionnant au gazole.

Source : DG Trésor

La filière de l'alcool comprend le bioéthanol et l'ETBE. Le bioéthanol est obtenu par fermentation du sucre extrait des plantes, soit directement, à partir de la betterave sucrière en Europe ou de la canne à sucre sous les tropiques, soit indirectement, par transformation de l'amidon contenu dans les graines de céréales. L'ETBE (Ethyl Tertio Butyl Ether) est le résultat d'une réaction chimique entre l'éthanol et l'isobutène, produit dérivé du raffinage du pétrole.

L'incorporation de bioéthanol ou d'ETBE dans l'essence présente l'avantage d'augmenter l'indice d'octane du carburant, ce qui diminue le risque d'autoallumage qui abîme le moteur à la longue.

La filière de l'huile comprend d'une part, les huiles végétales pures, obtenues en Europe à partir des graines de colza ou de tournesol, et qui peuvent éventuellement être utilisées directement par certains moteurs Diesel dans les pays où cette pratique est autorisée, en Allemagne notamment, et d'autre part, le biogazole ou EMHV (Ester Méthylique d'Huile Végétale), issu d'une réaction chimique de l'huile végétale avec du méthanol, lui-même fabriqué à partir du méthane ou d'autres hydrocarbures.

L'EMHV présente des caractéristiques chimiques proches du gazole qui permettent son incorporation dans ce carburant sans difficulté et même avec certains avantages techniques, l'EMHV présentant un pouvoir lubrifiant permettant l'économie d'additifs.

Á l'échelle mondiale, la production de biocarburants avoisine 1 % de la consommation mondiale de pétrole dans les transports. La production de bioéthanol, aux trois quarts réalisée aux États-Unis et au Brésil, est dix fois supérieure à celle de biogazole, à 90 % d'origine européenne. L'Allemagne produit à elle seule autant de biodiesel que le reste de l'Europe.

La production de biocarburants est en plein essor. Elle a plus que quintuplé entre 2000 et 2009.

Évolution 2000-2009 de la production de biocarburants

Source : AIE - RoW reste du monde

En 2009, les biocarburants représentent 3 % des carburants utilisés pour les transports routiers (2 % des carburants mobilisés par l'ensemble des transports).

La production est concentrée aux États-Unis, au Brésil et dans l'Union européenne. C'est aux États-Unis que la production a le plus augmenté suivi par le Brésil alors que seul l'éthanol de ce dernier pays est réellement compétitif par rapport aux sources d'énergie fossile.

2. Des politiques d'encouragement à la production d'agro-carburants

Mais, dans tous les pays considérés des politiques de soutien à la production de biocarburants ont été mises en oeuvre.

Ces politiques emploient des instruments divers. La combinaison d'obligations d'incorporation avec des régimes d'incitation fiscale35(*) est particulièrement employée pour ses propriétés d'optimalité. Les obligations d'incorporation sont en oeuvre dans une cinquantaine de pays dont ceux de l'Union européenne.

Les biocarburants ont été encouragés par des incitations publiques.

Aux États-Unis, la politique fédérale a reposé sur des objectifs nationaux de consommation, sur des subventions au prix à la pompe, et sur des aides directes aux producteurs.

Au Brésil, l'obligation d'incorporer un minimum d'éthanol dans l'essence se combine avec une subvention au prix à la pompe, et des aides à l'achat des véhicules pouvant fonctionner avec de l'éthanol pur ou en mélange (Fuel Flexible).

Dans l'Union européenne, la directive 2003/30/CE du 8 mai 2003 visant à promouvoir l'utilisation de biocarburants a imposé aux États membres une part minimale de biocarburants, en teneur énergétique, dans la quantité totale d'essence et de gazole mise en vente sur leur marché : 2 % en 2005 et 5,75 % en 2010.

La directive 2009/28/CE du 23 avril 2009 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables, cible un taux de 10 % en 2020 pour les transports et de 20 % pour l'ensemble de l'énergie36(*).

En France, l'article 4 de la loi de programme du 13 juillet 2005 fixant les orientations de la politique énergétique a prévu des objectifs d'incorporation encore plus ambitieux que les objectifs européens, renforcés par l'article 48 de la loi du 5 janvier 2006 d'orientation agricole : 5,75 % en 2008, 7 % en 2010, 10 % en 2015.

Ce plan repose sur un dispositif fiscal incitatif avec :

 une exonération partielle de la taxe intérieure de consommation. Cet avantage fiscal ne bénéficie qu'aux biocarburants issus des unités de production ayant reçu un agrément pour un volume déterminé à travers une procédure d'appels à candidature communautaire37(*) ;

Le montant d'exonération de la TIC a été fixé jusqu'en 2011 par la loi de finances pour 2009. Son objectif étant de compenser les surcoûts, il diminue progressivement avec l'augmentation de la rentabilité des biocarburants.

Par exemple, en 2008, les carburants fossiles étaient soumis en France à une taxe de 42,84 €/hl pour le gazole et 60,69 €/hl pour l'essence sans plomb. Cette taxe s'élevait à 20,44 €/hl pour le biodiesel, et 33,69 €/hl pour le bioéthanol, qui bénéficiaient donc respectivement d'une exonération de 22 €/hl et 27 €/hl.

 un supplément à payer au titre de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) par les distributeurs de carburants ne respectant pas les taux d'incorporation ;

 une autorisation dès 2006 de l'autoconsommation d'huile végétale pure (HVP) non transformée chimiquement comme carburant agricole. L'HVP est exonérée de la taxe intérieure de consommation ;

 depuis le 1er janvier 2007, les HVP peuvent être commercialisées comme carburant agricole ou pour l'avitaillement des navires de pêche38(*).

Les deux premiers outils ont été mis en place pour agir de façon complémentaire. La TGAP doit assurer un développement quantitatif de la filière, permettant ainsi d'atteindre les objectifs établis nationalement, et la défiscalisation vise à compenser les producteurs à raison des surcoûts de production.

Les montants de la défiscalisation accordés aux deux principaux biocarburants de première génération, le biogazole (EMHV) et le bioéthanol sont présentés ci-dessous.

Un rapport effectué par une mission confiée au Conseil Général des Mines, à l'Inspection générale des Finances et au Conseil général du GREF (2005) sur la politique de soutien aux biocarburants, a suggéré que depuis plusieurs années les montants de défiscalisation compensaient les producteurs au-delà des surcoûts de production.

La directive communautaire de 2009 tient compte d'une partie des débats suscités par le développement des énergies renouvelables en imposant des critères de durabilité aux biocarburants.

La production de biocarburants doit respecter des critères de durabilité et la production de biocarburants de deuxième génération doit être opérationnelle en 2020.

Les principaux critères de durabilité à respecter sont les suivants :

- la réduction d'au moins 35 % des émissions de GES en 2010, puis 50 % en 2017 ;

- l'exclusion, pour le calcul des quotas d'incorporation des biocarburants produits sur des terres de grande valeur en terme de biodiversité (forêts primaires, zones protégées, zones de protection d'espèces, prairies à forte biodiversité), ou sur des terres présentant un important stock de carbone ou des tourbières (qui sont donc réputés ne pas respecter le mécanisme mis en place) ;

- les biocarburants (européens) doivent être issus de productions agricoles respectant les règles d'éco-conditionnalité de la PAC ;

- s'agissant des pays tiers, une obligation de provenance « de pays devant avoir ratifié et mis en oeuvre certaines conventions internationales relatives au travail et à l'environnement en relation avec les critères de la directive » est posée ;

- les opérateurs doivent pouvoir justifier de mesures prises pour la protection des sols, de l'eau, de l'air, et la restauration des terres dégradées.

La loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement prévoit quant à elle que « la production en France des biocarburants est subordonnée à des critères de performances énergétiques et environnementales comprenant en particulier leurs effets sur les sols et la ressource en eau. »

Les opérateurs économiques des différentes filières biocarburants devront démontrer le respect des critères de durabilité et en assurer un contrôle régulier. À défaut, les biocarburants produits ne pourront pas être comptabilisés dans les objectifs, Ils ne pourront pas non plus bénéficier d'aides publiques. Ces critères s'appliquent aux productions nationales comme aux importations, même si, à l'évidence, il peut être malsain d'en contrôler le respect lorsque les pays de provenance de la matière première sont étrangers.


* 33 Les observateurs et acteurs avisés du sujet ont tendance à user d'une terminologie différente selon qu'ils soutiennent le développement de cette source d'énergie ou qu'ils y sont défavorables. Les premiers usent de l'euphémisme « biocarburants », les seconds du vocable, plus accusatoire, d'« agro-carburants ». Votre rapporteur souhaite échapper à cette querelle sémantique en utilisant indifféremment les deux termes.

* 34 Extrait de la note de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur les biocarburants.

* 35 Ou de pénalisation en cas de manquement aux obligations d'incorporation.

* 36 L'objectif de 20 % pour l'ensemble de l'énergie consommée peut techniquement être atteint à travers les biocarburants mais aussi par les autres formes d'énergies renouvelables tandis que pour les transports les biocarburants semblent être la seule ressource disponible.

* 37 Dans ce cadre, 29 unités de production de biodiesel (dont 11 à l'étranger), 20 d'éthanol et 4 d'ETBE ont été agréées, soit 53 unités de production dont 21 nouvelles construites pour un investissement supérieur à 1 200 M€.

* 38 Selon l'ADEME, sur 2 millions de tonnes de fioul consommés chaque année par les engins agricoles, 20 % pourraient être à terme remplacés par les HVP.