B. QUELS LIENS ENTRE PRIX DE L'ÉNERGIE ET PRIX AGRICOLES ?

Quoiqu'il en soit de ces avantages fiscaux, le contenu élevé en énergie des consommations intermédiaires du secteur agricole rend celui-ci vulnérable aux variations du prix du pétrole.

Par exemple, la hausse du prix du pétrole entre 2006 et 2008 a provoqué en France une augmentation de 46 % des prix des carburants, de 62 % pour les engrais et de 38 % pour l'alimentation animale achetée.

Compte tenu des perspectives structurelles des énergies fossiles c'est une question cruciale de savoir si prix de l'énergie et prix des matières premières agricoles sont susceptibles d'évoluer parallèlement.

Dans le passé, la corrélation entre les prix agricoles et du pétrole a été plutôt lâche sur longue période. Toutefois, depuis les années 2000, surtout à partir de 2004, ces prix semblent plus étroitement corrélés.

Évolution des prix des matières premières

On relève que la forte corrélation des prix des matières premières agricoles avec celui du pétrole s'observe dans la phase de hausse de celui-ci, ce qui suggère l'existence de fluctuations asymétriques selon le sens des prix des énergies fossiles.

Quoiqu'il en soit, une corrélation n'est pas une causalité et sur longue période le prix de l'énergie, s'il a pu influencer le prix des produits agricoles, n'a pas exercé d'effets entièrement déterminants.

De même, le resserrement de la corrélation depuis les années 2000 ne peut être attribué sans précaution à l'instauration d'un lien resserré entre prix du pétrole et prix agricoles.

Il n'empêche que plusieurs variables pourraient aller à l'avenir dans ce sens.

Du côté des conditions de l'offre, la variation des coûts de production agricole pourrait être fortement influencée par des hausses importantes du prix du pétrole. Il est, en effet, possible que leurs effets ne soient pas strictement linéaires, autrement dit qu'au-delà d'un certain seuil les prix agricoles régissent davantage aux prix des énergies fossiles.

Par ailleurs, le développement des biocarburants pourrait resserrer considérablement le lien entre prix de l'énergie et prix agricoles.

En effet, la production de biocarburants dépend toutes choses égales par ailleurs de l'écart entre leur prix et celui des produits agricoles.

Or, les premiers dépendent des prix du pétrole. Dès lors, une augmentation du prix du pétrole conduit à résorber l'écart entre le prix des biocarburants et celui des produits agricoles et à rapprocher la production de bioénergies de la situation où celle-ci est rentable.

Au demeurant, si le coût de production de la biomasse utilisée pour produire les biocarburants est inférieur à celui des aliments, le seuil de rentabilité au-delà duquel l'exploitation des surfaces agricoles pour les biocarburants devient justifiée économiquement par rapport à une destination alimentaire peut être rejoint assez vite dans un contexte d'élévation du prix de l'énergie.

Prix des énergies fossiles-prix alimentaires

Le schéma de propagation des hausses de prix de l'énergie fossile aux prix des produits alimentaires passe par deux canaux :

 le renchérissement des consommations intermédiaires de l'agriculture induit une augmentation des coûts de production que les producteurs essayent de répercuter dans les prix ;

 la hausse du prix de l'énergie fossile permet aux produits énergétiques de l'agriculture de concurrence ou les énergies traditionnelles et l'écart entre les prix des bioénergies et des produits alimentaires se réduit à un point tel que les productions de l'agro-énergie sont une alternative profitable par rapport aux productions agro-alimentaires. La réduction de la production alimentaire crée des tensions sur les prix. Celle-ci peut engendrer un mécanisme autorégulateur dès lors que la hausse des prix des produits alimentaires suscite un supplément de production - mais les conditions techniques des exploitations n'en garantissent nullement l'immédiateté du fait d'une certaine inertie des systèmes productifs.

Là aussi, des phénomènes de rupture peuvent intervenir une fois le seuil de rentabilité de la culture des biocarburants atteint.

Il en résulterait un déplacement de la production agricole des productions alimentaires vers des produits énergétiques, qui pourrait être massif.

La réduction de la production alimentaire qui s'en suivrait, en restreignant l'offre, pourrait provoquer une élévation des prix des produits alimentaires dont l'ampleur est partiellement incertaine mais pourrait être particulièrement élevée à court terme.

Autrement dit, sur une tendance haussière des prix des produits alimentaires la volatilité pourrait augmenter et aggraver sporadiquement les tensions sur les prix.

* *

*

Pour conclure sur ce sujet, plusieurs observations peuvent être avancées.

Globalement, la corrélation entre prix du pétrole et prix agricoles n'apparaît pas linéairement étroite. Elle semble beaucoup plus forte lorsque les prix de l'énergie accélèrent nettement.

Il semble que ce phénomène soit attribuable aux propriétés particulières d'une croissance élevée des prix du pétrole :

- elle a tendance à se diffuser plus généralement dans les économies si bien que les écarts concurrentiels ex ante offrent moins d'occasion de points de résistance par lesquels les producteurs les plus compétitifs peuvent contraindre leurs concurrents à maintenir leurs prix ;

- elle réduit la faisabilité des efforts de marge et contraint les producteurs à répercuter davantage les hausses des coûts de production dans leurs prix ;

- elle pourrait aussi affecter la production alimentaire en favorisant des substitutions entre productions agricoles à destination alimentaire et à destination énergétique.

Ce dernier processus, qui a été incriminé au cours de l'épisode de flambée des prix alimentaires de la fin des années 2000, pourrait devenir structurel et appelle un examen particulier (v. le II du présent chapitre).

Quoi qu'il en soit la perspective d'une accélération des prix de l'énergie résultant d'un épuisement de l'offre pétrolière annonce un équilibre des prix alimentaires marqué par leur augmentation.

La diversification de l'offre énergétique pourrait atténuer cette menace mais, comme elle est tributaire de prix plus élevés et pourrait impliquer la mobilisation d'une partie du potentiel agricole, il ne faut pas attendre de miracle.

Une agriculture plus sobre serait une solution. Les marges de manoeuvre pour y aboutir doivent être systématiquement explorées. Certains pays paraissent plus avancés que le nôtre dans la voie d'une immunisation du secteur agricole contre la dépendance énergétique. La méthanisation est particulièrement développée en Allemagne. Son bilan complet reste toutefois incertain.

Quoi qu'il en soit, la dépendance énergétique de l'agriculture et l'objectif de voir celle-ci réduire sa contribution au réchauffement climatique invitent à inscrire la production agricole mais aussi les échanges dans le cadre d'un objectif d'économie d'énergie. La réhabilitation des circuits courts, trop souvent décriée, ainsi que la limitation du recours aux échanges internationaux comme clef de voûte du système alimentaire mondial sont cohérents avec cet objectif. En bref, la variable énergétique et sa prospective, doivent être pleinement mesurées.