B. MME SANDRINE PAILLARD, SOUS-DIRECTRICE EN CHARGE DE LA PROSPECTIVE, INSTITUT NATIONAL DE RECHERCHE AGRONOMIQUE (INRA)

Bonjour à tous, merci de me donner l'occasion de présenter l'exercice Agrimonde. Pourquoi l'INRA et le CIRAD ont-ils décidé de lancer la prospective Agrimonde ? En effet, comme Céline l'a rappelé, après la révolution verte un certain nombre d'évolutions inquiétantes ou en tout cas qui changent la donne, des indices de stagnation des rendements d'une part, des enjeux environnementaux avec un problème éventuel, en tout cas dans certaines régions, de rareté de l'eau, une dégradation de la biodiversité et de la qualité des sols, le changement climatique et j'en passe. Et puis aussi évidemment des limites liées aux énergies fossiles dont le coût est croissant. L'économie qui est fondée sur ces énergies essentiellement émet évidemment des gaz à effets de serre, ce qui renforce le changement climatique. Ensuite, la croissance démographique, puisqu'on va entre 2000 et 2050 selon les prévisions, encore augmenter au niveau mondial de 50 % de population avec l'augmentation la plus importante en Afrique subsaharienne avec plus 150 % entre 2000 et 2050. On a aussi des modifications importantes des régimes alimentaires, notamment avec la transition alimentaire dans les pays émergents avec une augmentation de l'apport calorique total dans ces régions et une part en produits animaux dans le régime alimentaire qui est croissante. La question centrale en effet peut se poser : est-ce que la planète pourra produire assez pour nourrir toute l'humanité ? Question subsidiaire et très importante : la production agricole permettra-t-elle d'assurer un développement et des revenus suffisants pour assurer la sécurité alimentaire des populations les plus pauvres dans les villes et dans les campagnes ? Très rapidement, Agrimonde, c'est un projet conjoint INRA-CIRAD qui avait pour objectif d'explorer les futurs possibles des agricultures et des alimentations dans le monde pour évidemment identifier des enjeux pour la recherche et contribuer à orienter la recherche de ces deux instituts et puis aussi contribuer aux débats internationaux sur le sujet. Je passe très vite sur le fonctionnement : en gros, Agrimonde est un collectif d'experts dont certains membres sont ici aujourd'hui. C'est aussi un outil quantitatif très important qui s'appelle Agribiom qui a été développé par le CIRAD, par Bruno Dorin et Tristan Le Cotty. C'est un outil quantitatif qui permet de revisiter le passé pour mieux le comprendre et en fait Agribiom rassemble des données sur les ressources et emplois agricoles sur la période 1961-2003. Il permet de construire des scénarios quantitatifs de ressources et d'emplois de biomasse alimentaire avec une quantification possible à dire d'experts essentiellement des usages des sols et des rendements, des populations et de leur régime alimentaire et puis des bilans emplois-ressources notamment à travers une fonction de production animale qui permet de transformer la biomasse végétale en production animale. Dans Agrimonde, nous distinguons quatre catégories de biomasse alimentaire : les végétaux, les ruminants, les monogastriques et les produits aquatiques. Spécificité importante de l'outil, nous avons opté pour une unité de mesure : la calorie alimentaire. On est vraiment dans un modèle de ressources-emplois quasi comptable. Il n'y a pas de mécanisme économique dans la modélisation ou dans la quantification Agrimonde.

Je fais un petit point sur les tendances passées - très rapidement puisque Céline les a présentées en grande partie. La population entre 1961 et 2003 a doublé, avec une part d'urbain qui a augmenté rapidement. Les disponibilités alimentaires, c'est-à-dire ce qui est à disposition du consommateur en kilocalories ont également, au niveau mondial, augmenté. Cela, c'est au niveau mondial mais évidemment, on a encore des inégalités très marquées entre les régions : là vous avez l'OCDE à gauche et l'Afrique subsaharienne à droite. Vous voyez qu'en kilocalories par habitant et par jour, on atteint 4 000 en 2003 en OCDE et un petit peu plus que 2 300 en Afrique subsaharienne, avec une part animale beaucoup plus importante en OCDE et aussi des différences importantes sur les pertes puisque les pertes, après mises à disposition du consommateur qui sont comprises dans ces disponibilités, sont potentiellement très importantes surtout dans les pays les plus riches. Côté ressources, des surfaces agricoles qui augmentent : ce qu'il faut retenir, c'est qu'entre 1961 et 2003, on a eu 4 millions d'hectares par an en plus de surfaces cultivées, un peu plus du double en pâtures, par contre une réduction de la forêt. Les rendements aussi ont évolué, vous voyez la courbe des rendements, le monde divisé en six grandes régions. En pointillés, vous avez la moyenne mondiale - cela, c'est en kilocalories par hectare et par jour. On a un doublement des rendements entre 1961 et 2003 au niveau mondial avec pour l'augmentation la plus importante l'Asie - qui a augmenté ses rendements au rythme de 2,5 % par an - et l'Afrique avec la croissance la plus faible qui a augmenté ses rendements d'1,6 % par an sur cette période. Alors, maintenant les scénarios. Ce qu'on a choisi de faire, d'abord ce sont des scénarios à horizon 2050, en divisant le monde en six grandes régions, les six grandes régions que le Millenium Ecosystem Assessment, qui avait fait des scénarios sur la gestion des écosystèmes, avait retenues. C'est donc un monde découpé en six grandes régions : Afrique du nord - Moyen-Orient, Afrique subsaharienne, Amérique latine, Asie, OCDE et ex-Union Soviétique. Nous avons construit simplement pour l'instant deux scénarios et on a supposé que les populations régionales étaient identiques dans les deux scénarios parce qu'on voulait que la pression démographique soit identique dans les deux scénarios. Un de nos objectifs, c'est d'apprécier la capacité de chaque région à satisfaire les besoins alimentaires de sa population, donc pas seulement avoir un équilibre emplois-ressources au niveau mondial. On a envisagé des échanges seulement quand on a pu évaluer la capacité de chaque région à nourrir sa population, ce qui implique qu'on n'a pas de simulation des marchés. Agrimonde est assez faible sur le plan économique. Deux scénarios : Agrimonde G0 qui est un scénario plutôt tendanciel et Agrimonde 1 qui suppose la durabilité des agricultures et alimentations du monde en 2050 avec l'objectif non pas seulement de faire un scénario rose mais d'essayer de mieux comprendre le développement durable, les tensions et les défis qu'il représente. Agrimonde 1, plus précisément, c'est un scénario possible parmi d'autres, d'agriculture et d'alimentation durable. C'est-à-dire que c'est un scénario qui réduit de façon drastique la sous-alimentation mais aussi les excès de l'apport nutritionnel puisqu'on a considéré que l'obésité était un vrai problème de santé publique dans le monde. Et puis c'est un scénario au niveau de la production qui est un scénario d'intensification écologique où les agricultures ont trois principales fonctions : elles répondent aux besoins croissants en alimentation, elles sont piliers du développement et elles doivent être respectueuses de l'environnement. A côté de cela, nous avons repris le scénario Global Orchestration du Millenium Ecosystem Assessment. C'est pour cela que nous appelons le deuxième scénario Agrimonde G0. Pourquoi ? Parce que c'est le scénario le plus performant des scénarios du Millenium en termes de réduction de la pauvreté. C'est un scénario qui suppose un progrès technique très rapide et une libéralisation des échanges qui produit justement la réduction de la pauvreté mais évidemment qui est réactif en termes de gestion des écosystèmes. Les hypothèses quantitatives, on les fait au niveau régional, je ne vais pas pouvoir vous détailler bien sûr mais elles sont bien faites au niveau de chaque grande région. Pour les emplois, comme je vous ai dit, les populations sont les mêmes dans les deux régions : c'est la projection médiane dont Céline vient de nous parler, donc à peu près 9 milliards d'habitants en 2050. Pour la consommation alimentaire, Agrimonde G0 reprend les hypothèses du Millenium, c'est-à-dire qu'on a une évolution tendancielle - un peu plus que tendancielle puisque c'est un scénario de réduction de la pauvreté. En gros, toutes les régions se sont développées économiquement et ont une forte croissance économique en 2050 - avec un maintien des différences importantes entre les régions. Agrimonde 1 est radical : toutes les régions vont à la moyenne mondiale actuelle, c'est-à-dire 3 000 kilocalories par hectare et par jour, quelles que soient les régions avec la même part de végétaux et de produits animaux. Sur les ressources animales, maintenant, pour Agrimonde G0, nous avons repris tout simplement les hypothèses de Global Orchestration en termes de rendement et d'occupation des sols. Pour Agrimonde 1, on a construit des hypothèses en se posant la question suivante : quelle est la progression possible des rendements et des surfaces cultivées dans telle région étant donné les tendances passées et les niveaux atteints aujourd'hui et aussi avec la contrainte de préserver les écosystèmes et les ressources naturelles, enfin - je ne l'ai pas noté mais c'est très important - étant donné ce qu'on peut attendre des impacts du changement climatique sur le potentiel cultivable en termes de surfaces et sur les rendements. Sur les ressources animales, nous avons fonctionné à partir d'une fonction de production qui transforme dans chaque région les pâtures de la région et la production végétale destinée à l'alimentation des animaux en production animale. On a fait des scénarios au niveau régional. Ce que cela donne au niveau mondial : vous voyez que la population augmente entre 2000 et 2050 d'à peu près 50 % dans les deux scénarios. Pour la consommation en kilocalories par habitant et par jour, on a une augmentation en moyenne de 20 % des apports caloriques - ingestion plus pertes bien sûr - dans Agrimonde G0 alors qu'on est stable dans Agrimonde 1. La part animale passe de 16 % en 2000 - c'est ce qu'on observe aujourd'hui - à 23 % des régimes alimentaires au niveau mondial alors qu'elle est stable - cette part animale - dans Agrimonde 1. Au niveau des ressources, les surfaces cultivées dans Agrimonde G0 augmentent de 23 %, beaucoup plus dans Agrimonde 1 (39 %), ce qui représente par rapport aux quatre millions d'hectares dont je vous parlais tout à l'heure pour la période passée, + 7 millions d'hectares par an dans Agrimonde G0 et + 12 millions d'hectares par an dans Agrimonde 1 avec, dans les deux scénarios, à peu près 11 % des surfaces qui sont destinées aux valorisations agricoles non alimentaires (VANA) - on pourra y revenir si vous le voulez. Les forêts : dans les deux scénarios, on a stabilité et les pâtures augmentent de 7 % dans Agrimonde G0 alors qu'elles baissent de 15 % dans Agrimonde 1. En gros, les surfaces cultivées, on les prend essentiellement sur les pâtures parce qu'on ne peut pas les prendre sur les forêts pour les raisons de protection des écosystèmes que j'ai évoquées tout à l'heure qui sont un des principes de construction du scénario. Les rendements : dans Agrimonde G0 ils augmentent de 75 % entre 2000 et 2050, 7 % seulement dans Agrimonde 1. Si l'on regarde par rapport au passé, c'était du 2 % par an entre 1961 et 2000. Dans Agrimonde G0, qui est un scénario tendanciel et qui est un scénario de progrès technique rapide, les experts - les experts du MEA puisqu'on a repris leurs hypothèses - ont quand même supposé un ralentissement de ces rendements, + 1,14 % par an sur la période 2000-2050, et dans Agrimonde 1, on est beaucoup plus bas puisqu'on a 0,14 % de croissance par an. Au niveau mondial, dans les deux scénarios, les ressources couvrent les emplois en 2050, donc la planète dans les deux scénarios nourrit sa population mais trois régions important des calories alimentaires, sont en déficit : l'Afrique du Nord - Moyen-Orient, l'Afrique subsaharienne et l'Asie dans les deux scénarios. Les échanges minima inter-régions qui sont liés à ces déficits augmentent considérablement entre 2000 et 2050 quel que soit le scénario mais beaucoup plus dans le scénario Agrimonde 1 où les déficits et les surplus sont beaucoup plus marqués. La planète peut donc nourrir ses habitants, mais du contenu de nos assiettes dépendront beaucoup la santé des hommes en termes de sous-nutrition mais aussi de surnutrition, mais aussi la santé des écosystèmes. Les régimes alimentaires pèsent en effet énormément sur les bilans. Là, si vous regardez une comparaison des deux scénarios dans le monde, dans Agrimonde G0, on augmente de 20 % la disponibilité alimentaire par personne et par jour alors qu'elle est stable dans Agrimonde 1. La part animale, comme je vous l'ai dit, passe à 23 % dans Agrimonde G0 alors qu'elle était stable dans Agrimonde 1 à 15 %. Cela génère des besoins en calorie végétale en gigacalorie par jour de + 90 % par rapport à 2000 dans Agrimonde G0, de + 35 % par rapport à 2000 par rapport à Agrimonde 1. Vous voyez donc que la différence de régime alimentaire est énorme : c'est 90 %. C'est à rapprocher pour Agrimonde G0 du tendanciel que calcule la FAO qui est plutôt à 70 % mais comme je vous le disais, Agrimonde G0 Global Orchestration est un scénario plutôt très optimiste en termes de développement.

Les échanges seront donc nécessaires pour garantir la sécurité alimentaire puisqu'il y a des déficits. Ces échanges nécessaires, ils écoulent de quoi ? Ils découlent de deux choses assez simples : c'est d'abord que les ressources naturelles et les populations ne sont pas distribuées de la même façon. Cela est clair pour Asie et Afrique du nord - Moyen-Orient, le potentiel cultivable et l'augmentation des rendements est très faible par rapport à l'augmentation de la population mais aussi dans le cas de l'Afrique subsaharienne, parce qu'on a supposé dans Agrimonde 1 que le développement agricole prend du temps. On a donc supposé une augmentation des rendements relativement lente en Afrique subsaharienne, dans Agrimonde 1 en tout cas. Mais évidemment le développement des agricultures locales est indispensable à l'augmentation des revenus et à la sécurité alimentaire. Les échanges seront indispensables mais évidemment l'accès à l'alimentation pour les populations les plus pauvres, cela suppose des revenus suffisants, donc le développement de l'agriculture.

Côté ressources, il y a deux points de débat. D'abord, Agrimonde 1 et Agrimonde G0 ne traduisent pas seulement deux stratégies surfaces-rendements. Comme vous l'avez vu dans Agrimonde 1, on augmente beaucoup les surfaces mais peu les rendements, dans Agrimonde G0 on augmente un peu moins les surfaces mais beaucoup les rendements. Ces deux scénarios ne traduisent pas seulement ces deux stratégies sans innovations majeures. Agrimonde 1 n'est absolument pas durable sur le plan environnemental parce qu'augmenter de 40 % les surfaces en termes de perte de biodiversité et en termes d'émission de gaz à effets de serre, ce n'est absolument pas durable si l'on ne change pas les systèmes de production. Je dirais que sans innovation majeure, Agrimonde 1 n'est absolument pas plausible tout simplement parce que l'agriculture n'est pas attractive, notamment dans les pays en développement. Agrimonde 1, c'est un scénario où on essaie de limiter l'exode rural au maximum, je pourrai y revenir. Ceci dit, sans une agriculture innovante et attractive, on ne peut absolument pas atteindre cet objectif donc Agrimonde 1 n'est pas plausible sans innovation majeure. Autre sujet de débat très important et je pense que Monsieur Bachelier y reviendra, Agrimonde 1, est-ce que c'est vraiment un scénario durable en Afrique subsaharienne ? Je prends les chiffres, simplement pour cette région : l'augmentation de la population, 150 % dans les deux scénarios, la consommation, elle augmente, à peu près pareil, de 30 % (un peu plus dans Agrimonde 1 - et notamment un peu plus de calories animales puisqu'il y a un rattrapage encore plus déterminant dans Agrimonde 1 de l'Afrique subsaharienne par rapport à Agrimonde G0). Les surfaces cultivées augmentent de 76 % dans Agrimonde 1 et de 58 % dans Agrimonde G0. Par contre, les gains annuels de rendement sont très faibles dans Agrimonde 1, + 0,44 % par an, par rapport au passé où on avait déjà les gains les plus faibles mais à un niveau de + 1,63 % par an alors que dans Agrimonde G0, on a + 1,80 % par an de progrès des rendements. Les deux scénarios en termes de déficit, puisque l'Afrique subsaharienne est déficitaire dans les deux scénarios, on a un déficit qui représente 20% des emplois dans Agrimonde G0, 50 % des emplois dans Agrimonde 1. Il est donc clair que notre hypothèse de rendements pour l'Afrique subsaharienne dans Agrimonde 1 est vraiment trop faible pour donner un scénario durable pour l'Afrique subsaharienne.

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