D. UN CONTRÔLE ADMINISTRATIF NAISSANT, DES EXIGENCES À RENFORCER

Jusqu'en 2007 aux États-Unis et jusqu'à la crise des subprimes en Europe, le principe de l'autorégulation a prévalu pour renforcer les exigences vis-à-vis des agences de notation. Le législateur français a été de ce point de vue en avance pour appeler à un contrôle accru en adoptant deux dispositions sur les agences de notation dans la loi de sécurité financière. L'Autorité des marchés financiers (AMF) a néanmoins jugé ne pas pouvoir exercer de pouvoirs réels vis-à-vis des agences de notation.

Depuis le règlement européen du 16 septembre 2009, ces pouvoirs existent. Ils sont exercés depuis juillet 2011 par une seule autorité, l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), qui s'est substituée aux autorités nationales. Ces pouvoirs prennent principalement deux formes : une obligation d'enregistrement des agences de notation souhaitant exercer une activité auprès d'entités européennes et une capacité d'investigation, assortie d'éventuelles sanctions en cas de manquements au règlement européen.

L'essentiel est de mettre en oeuvre ces procédures d'enregistrement et de contrôle de manière crédible. Pour cela, il faut identifier les zones de risque pertinentes en ce qui concerne les agences.

1. Un secteur incontrôlé jusqu'à la crise des subprimes
a) La volonté contrariée du législateur français d'un vrai contrôle des agences de notation

La loi de sécurité financière du 1 er août 2003 a introduit deux dispositions permettant à l'Autorité des marchés financiers (AMF) d'engager une supervision des agences de notation exerçant leur activité en France. L'AMF a considéré que ces dispositions ne lui donnait en réalité ni pouvoirs de supervision ni de coercition.

Aussi n'a-t-elle pas mis en oeuvre la disposition lui permettant d'obtenir les documents préparatoires à l'émission d'une notation . Sur le fondement de l'ancien article L. 544-3 du code monétaire et financier, en vigueur jusqu'en 2010, les agences de notation avaient l'obligation de conserver pendant trois ans tous les documents préparatoires à l'émission d'une notation et de les tenir à disposition de l'AMF.

À l'initiative du Sénat, la loi de sécurité financière a aussi confié à l'Autorité des marchés financiers (AMF) la responsabilité de publier chaque année « un rapport sur le rôle des agences de notation, leurs règles déontologiques, la transparence de leurs méthodes et l'impact de leur activité sur les émetteurs et les marchés financiers » 163 ( * ) . Cette disposition est toujours en vigueur.

Dès son premier rapport, au titre de l'année 2004, l'AMF a considéré que la demande faite par le Parlement ne pouvait consister en un véritable contrôle des agences. Elle a ainsi précisé qu'il n'était « pas possible de lui confier une mission de contrôle sur les agences de notation dans la mesure où celles-ci proposent des notations d'ordre général sur les entreprises et ont toutes leur siège ou leurs équipes à l'étranger » et que « dans ces conditions, un contrôle assez rigoureux (...) est impossible ». Il est vrai que les débats parlementaires n'ont pas incité l'autorité à faire de ce rapport un support de contrôle. Pour le rapporteur de la commission des finances de l'Assemblée nationale, il s'agissait seulement de réaliser « un progrès évident dans la connaissance du travail de ces agences de notation » et, pour le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, de demander à l'AMF un rapport annuel « dans la mesure de ses moyens », « sur ce qu'elle pense desdites agences de notation , de leurs méthodes et des règles déontologiques appliquées à leur personnel ».

En pratique, jusqu'en 2010, l'AMF s'est fondée pour réaliser ce rapport sur un questionnaire portant sur « la structure juridique, capitalistique, fonctionnelle et organisationnelle des agences, les services qu'elles proposent, leurs méthodes de travail, les problématiques en lien avec la déontologie, la transparence ainsi que les mesures d'éventuels impacts de leurs notations » adressé aux agences, sur leurs réponses collectées sur une base déclarative, ainsi que sur un certain nombre d'entretiens bilatéraux.

Tableau n° 54 : volume des rapports de l'Autorité des marchés financiers
consacrés aux agences de notation

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Nombre de pages hors annexes

58

16

78

59

72

111

25

Dont pages sur les conflits d'intérêt, la déontologie et les ressources humaines

4

0

4

5

1

1

3

Dont pages sur la titrisation

0

0

12

19

40

17

0

Source : rapports annuels de l'Autorité des marchés financiers sur les agences de notation

Ce rapport a été une source d'information majeure sur le marché de la notation en France, malgré des limites liées aux difficultés à consolider des données des agences de notation hétérogènes par nature.

Depuis 2010, l'AMF ne publie plus de données originales sur le sujet, au motif que son rapport annuel risque d'être redondant avec les rapports annuels de l'Autorité européenne des marchés financiers. Elle juge que les agences sont désormais supervisées de manière centralisée au niveau européen et qu'elles sont elles-mêmes organisées sur un périmètre européen, rendant caduc un rapport national sur les agences de notation.

Encore faudrait-il que les autorités européennes exercent un réel suivi du marché de la notation en Europe et produisent des données chiffrées consolidées. L'étude d'impact de la Commission européenne sur la proposition de modification du règlement européen en cours d'examen au premier semestre 2012 puise la majorité de ces données chiffrées dans les rapports de la SEC américaine.

L'examen des rapports passés de l'AMF souligne, en outre, deux aspects. Les enjeux liés à la titrisation n'ont pas été éludés : à partir de 2006, et jusqu'en 2009, le rapport consacre de larges développements à la notation de la titrisation. Ainsi l'AMF a-t-elle pu publier en mars 2007 un document « Risques et tendances » intitulé « la notation est-elle une réponse efficace aux défis du marché des financements structurés ? ». A cette occasion, Michel Prada, alors président de l'AMF, avait donné une interview au Financial Times , dans laquelle il insistait sur la question des conflits d'intérêts dans le cadre de la titrisation.

En dehors de cet aspect, en revanche, les rapports de l'AMF ont comporté un nombre de pages très limité sur les questions déontologiques et la gestion des ressources humaines des agences, alors que des cas concrets de manquements déontologiques ont pu être mis en évidence aux États-Unis. Faute d'enquêtes menées in concreto avec les analystes des agences de notation, de tels manquements n'ont pas été repérés en France.

Moins qu'un instrument de contrôle des agences de notation, le rapport de l'AMF est apparu comme un révélateur, posant la nécessité de nouveaux modes de régulation. C'est dans cette perspective que le régulateur français a activement participé aux groupes de travail de l'Organisation internationale des commissions de valeurs et du Comité européen des régulateurs de valeurs mobilières.

B) À l'international, une préférence pour l'autorégulation jusqu'en 2007, un retard européen par rapport aux États-Unis

Le choix de réglementer l'activité des agences de notation a été pris très tardivement, quelques mois avant la crise des subprimes aux États-Unis, un an après celle-ci en Europe. Le premier règlement européen sur les agences de notation ne date que de 2009.

C'est l'Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV), organisme regroupant les régulateurs des principales bourses dans le monde, dont l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui a d'abord pris l'initiative d'un code de bonne conduite, en décembre 2004. Ces règles, qui existent toujours, ne sont pas contraignantes.

Le code de l'organisation internationale, révisé pour la dernière fois en 2008 a été conçu comme un référentiel commun à toutes les agences. Il s'articule autour de quatre grands thèmes : qualité et intégrité du processus de notation, indépendance des agences et gestion des conflits d'intérêts, responsabilité vis-à-vis des émetteurs et des investisseurs, confidentialité de l'information.

Le bien-fondé de ce code n'a pas été contesté par les agences. Sur une base volontaire, elles en ont intégré les principales dispositions dans leur code de conduite interne selon le principe du « comply or explain » : les agences indiquent dans quelle mesure elles appliquent les règles de bonne conduite et se justifient des règles qu'elles n'entendent pas appliquer.

Leur code de conduite interne est public. Cependant, dans son rapport annuel 2005 sur les agences de notation, l'AMF relevait « qu'elles dégagent leur responsabilité vis-à-vis de quiconque au titre de leur code, politiques ou procédures internes... en conséquence elles estiment qu'aucun tiers n'est habilité à revendiquer l'application des dispositions qu'elles ont prises ».

En 2009, l'OICV a publié un rapport dont l'objet était de déterminer dans quelle mesure les agences de notation avaient intégré ses principes dans leurs propres codes de bonne conduite. Le rapport soulignait l'adoption progressive des principes de l'organisation internationale, notamment chez les grandes agences de notation. Il faisait aussi valoir qu'aucun contrôle de la mise en oeuvre de ces règles n'était effectif.

Aux États-Unis, c'est en 2007, à partir de la mise en application du « US Credit Agency reform Act » qu'un mécanisme d'enregistrement des agences, dont l'un des critères est l'existence d'un code de déontologie, a été mis en place. En 2009, la Securities and Exchange Commission (SEC) a renforcé les obligations relatives à la séparation des activités commerciales des activités de notation.

L'approche américaine de la régulation repose sur la diffusion d'une information détaillée sur les procédures que l'agence de notation a l'obligation de respecter de façon permanente. Une fois l'information publique, la SEC est chargée de contrôler effectivement l'application des procédures annoncées. Dans son dernier rapport, la SEC relève des faiblesses dans les procédures de prévention et de gestion des conflits d'intérêts, notamment en ce qui concerne l'interdiction faite au personnel de procéder à des transactions sur des émissions notées.

Le règlement européen du 16 septembre 2009, et les modifications intervenues en 2011, constituent une déclinaison fidèle et tardive de l'approche américaine, ainsi que du code de conduite de l'OICV : obligation d'enregistrement et respect des règles liées notamment à la prévention des conflits d'intérêts.

Le Comité européen des régulateurs de marchés de valeurs mobilières (CESR) créé en 2001, collège auquel participait l'Autorité des marchés financiers (AMF), a été remplacé depuis 2011 par l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). Celle-ci doit veiller au respect du règlement européen.

c) Une autorité désormais européenne dont les moyens doivent être mis au regard de ses missions

Suite à la révision du règlement européen, l'ensemble des pouvoirs d'enregistrement et de contrôle des agences de notation, exercés auparavant par un collège d'autorités nationales de régulation, dont l'AMF, ont été transféré le 1 er juillet 2011 à l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). L'Autorité exerce trois missions principales au titre de la supervision des agences de notation : l'enregistrement des agences souhaitant exercer une activité en Europe, et, le cas échéant, le retrait du certificat des agences ayant enfreint le règlement européen, la conduite d'investigations sur pièces et sur place et la centralisation de l'ensemble des informations transmises par les agences. Elle gère ainsi une base de données normalisées relatives aux notes émises, à leurs modifications et à leurs performances passées.

Comme pour la Securities and Exchange Commission (SEC) , l'exercice de ces missions dépendra des ressources employées par l'AEMF et de leur qualité 164 ( * ) . Aux États-Unis, le Congrès a ainsi mis en échec, après l'avoir voté dans la loi Dodd-Frank en 2010, la constitution au sein de la SEC d'un Bureau des agences de notation entièrement consacré à l'élaboration et au contrôle de la règlementation. Les adversaires de la régulation financière aux États-Unis ont refusé les moyens financiers permettant de créer cette entité.

Au sein de l'AEMF, les moyens alloués à la supervision des agences de notation représentent près de 14,5% de son budget total. À la fin de l'année 2011, on comptait 12 équivalents temps plein en plus du chef d'unité et de son assistante pour superviser les agences de notation européennes. L'objectif est d'atteindre 20 équivalents temps plein. Le budget consacré à la supervision des agences est de 3 millions d'euros et comprend, outre la masse salariale, les dépenses liées aux projets informatiques (mise en place d'un outil interne de détection des infractions éventuelles des agences de notation).

L'appréciation sur le juste niveau des ressources humaines consacrées à la supervision des agences de notation est délicate, faute de critères adéquats. L'AEMF mutualise les moyens des autorités nationales sur lesquelles elle peut continuer de s'appuyer partiellement.

Au sein de l'AMF, alors qu'en 2008 et 2009, le nombre d'équivalents temps plein dédiés à la régulation des agences était de l'ordre de 0,5 par an, principalement consacré à la rédaction du rapport annuel, 3,8 équivalents temps plein (direction de la régulation et des affaires internationales, direction de la gestion d'actifs et des marchés et direction des affaires juridiques) ont été recensés pour travailler sur les agences de notation en 2010 et 2,8 en 2011.

Par rapport à la SEC, les moyens sont de même ordre. La loi Dodd-Frank prévoyait en effet pour le bureau des agences de notation un effectif de 20 personnes.

Si le règlement en cours d'examen au premier semestre 2012 devait attribuer de nouvelles missions à l'Autorité européenne des marchés financiers - vérification préalable des changements de méthodologie et conservation d'un nombre de données accru - le nombre de personnes affectées à la supervision des agences de notation devrait légitimement augmenter.

On peut ainsi rappeler qu'une activité de conseil en notation comme celle de l'équipe de CIB Crédit agricole emploie pas moins de sept personnes en France. Son métier, qui consiste à examiner en détail les méthodologies des agences, ressemble pour partie à celui de l'AEMF.

d) L'effort règlementaire : un poste de coût important pour les agences

L'effort consacré par les agences au respect de leurs exigences règlementaires est devenu très substantiel.

Ainsi DBRS, agence de notation canadienne, a-t-elle expliqué à la Chambre des Communes britannique, que 50 % de ses coûts, pour la première année après son installation en août 2010, avaient été liés aux formalités d'enregistrement et aux obligations posées par le règlement européen.

Le Sénat a interrogé les trois grandes agences sur leurs coûts liés à la mise en oeuvre des règlementations.

Les périmètres de leurs réponses sont très différents mais soulignent l'importance de leur investissement règlementaire.

Ainsi, Fitch estime que ces coûts de mise en conformité par rapport aux règlementations représentent 25 millions de dollars annuels au niveau mondial, soit 16 % de son résultat d'exploitation . La masse salariale représente 80 % de ces coûts. Ils ne comprennent pas les dépenses qui seraient réalisées de toute façon par l'entreprise au titre de ses bonnes pratiques professionnelles.

Moody's ne calcule pas de coût global pour ce que représente la conformité de son activité aux différentes règlementations. L'agence indique que le coût mondial additionnel correspondant à l'enregistrement et à la mise en conformité règlementaire devrait être de l'ordre de 10 à 15 millions de dollars en 2012.

Standard and Poor's propose un coût global induit par la règlementation de 80 millions de dollars en 2010, contre 63 millions de dollars en 2009 . L'augmentation liée aux nouvelles exigences règlementaires aurait représenté entre 12 et 15 millions de dollars en 2011 .


* 163 Cf . article L. 544 du code monétaire et financier.

* 164 Au sein de l'AMF, les personnes appelées à contribuer à l'enregistrement et à la régulation des agences de notation étaient des cadres, d'ancienneté variable (3 à 15 ans d'expérience de l'économie et des marchés) et généralement de formation Bac + 5 (Sciences Po, DEA de finance, DEA d'économie, doctorat d'économie, doctorants d'économie et finances...). Leurs parcours respectifs étaient diversifiés : carrière réalisée entièrement au sein du régulateur, économistes senior issus du secteur public ou privé, experts alternant des fonctions auprès de la direction de la régulation et des affaires internationales, direction de la gestion d'actifs et des marchés. Leur formation initiale ressemble en partie aux analystes recrutés par les agences de notation. Depuis fin 2010, l'expert de l'AMF sur les agences de notation est également en charge des dossiers relatifs à la titrisation et à la finance structurée. Cette double compétence apparaît nécessaire, compte tenu notamment de l'importance de la notation dans l'économie des véhicules de titrisation.

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