B. UNE PLUS GRANDE CONCURRENCE SOUHAITÉE PAR LES ACTEURS DE MARCHÉ

Il n'est pas d'émetteur ou d'investisseur qui ne se prononce en faveur d'un renforcement de la concurrence sur le marché de la notation. Un surcroît de concurrence n'irait cependant pas sans risque, comme le suggère l'analyse des conséquences de la montée en puissance de Fitch. Par ailleurs, si l'on admet que le marché de la notation constitue un oligopole naturel, il est peut-être envisageable de voir arriver sur le marché un ou deux nouveaux acteurs de taille mondiale, mais sans doute guère davantage.

1. Les avantages attendus d'un surcroît de concurrence

Selon l'enquête 185 ( * ) réalisée par l'IFOP pour le Sénat sur la confiance portée aux agences de notation, les investisseurs souhaitent à une écrasante majorité plus de concurrence dans le secteur de la notation : 64 % d'entre eux demandent plus de concurrence, 25 % déclarent même en souhaiter « beaucoup plus ».

a) Une liberté de choix accrue

Le premier avantage de l'entrée de nouveaux acteurs sur le marché de la notation serait de donner plus de liberté de choix aux émetteurs comme aux investisseurs.

Une plus grande liberté de choix favoriserait la baisse des prix. Aujourd'hui, les grandes agences de notation envoient leurs tarifs aux émetteurs qui n'ont que fort peu de marge de négociation. Un émetteur qui sait que les investisseurs attendent une double notation par Moody's et Standard and Poor's n'a d'autre choix que d'accepter les conditions proposées. Une concurrence entre un plus grand nombre d'acteurs, tous également crédibles et reconnus, réduirait donc le coût de la notation.

Elle devrait également améliorer la qualité de la notation. Jouissant d'un marché captif, les trois grandes agences ne sont guère incitées à consacrer plus de moyens à la notation de leurs émetteurs. Elles peuvent être tentées de privilégier plutôt leurs marges. Elles ne subissent en outre aucune sanction du marché même lorsqu'elles commettent des erreurs graves. La présence de nouveaux acteurs permettrait aux émetteurs et aux investisseurs de se détourner des agences qui ont perdu en crédibilité et serait donc un facteur de discipline pour la profession.

b) Un plus grand pluralisme des analyses

Comme l'explique la Commission européenne dans son projet de règlement en discussion au premier semestre 2012, « la pluralité et la diversité des avis exprimés, des perspectives retenues et des méthodes appliquées par les agences de notation devraient déboucher sur l'élaboration de notations de crédit moins semblables et, à terme, améliorer l'évaluation de la qualité de crédit des émetteurs » 186 ( * ) . De nouveaux entrants sur le marché de la notation pourraient apporter des innovations sur le plan méthodologique, ou en matière de modélisation des risques financiers, et se distinguer ainsi par la précision de leurs notations. Des progrès dans la qualité de la notation pourraient être un levier permettant à de nouveaux acteurs de prendre pied sur le marché.

Plusieurs interlocuteurs du Sénat ont exprimé le souhait de disposer d'une agence européenne, qui porterait sans doute sur les entités européennes un regard différent de celui des trois grandes agences qui sont issues d'une culture anglo-saxonne 187 ( * ) .

Peter Etzenbach, responsable des investissements chez Allianz France, indique que ses équipes préféreraient « avoir le choix entre un plus grand nombre d'agences, dont une européenne » 188 ( * ) . Bertrand Badré, directeur financier du groupe Société générale, estime pour sa part que les grandes agences font preuve d'un « biais anglo-saxon très clair » car « leur approche est fondée sur les normes de la comptabilité d'outre-Atlantique » 189 ( * ) . Pierre de Lauzun, directeur général délégué de la Fédération bancaire française, critique également le biais favorable aux normes comptables américaines dont font preuve les agences de notation 190 ( * ) .

Actuellement, l'agence Dagong tente de se démarquer des trois grandes agences, lesquelles attribuent généralement des notes très voisines.

Concernant la dette souveraine, on observe ainsi que Dagong note plus sévèrement les grands pays développés (jusqu'à quatre crans d'écart) et note en revanche plus généreusement les pays émergents (Brésil, Chine, Inde, Russie, Afrique du Sud...). Dagong n'a pas la même crédibilité internationale que les trois grandes agences ; ses notes ne sont pas utilisées par les investisseurs internationaux, mais ces écarts contribuent néanmoins à nourrir le débat et à alimenter la réflexion sur le risque souverain. En 2011, l'économiste Patrick Artus a ainsi estimé que les notes émises par Dagong pour la dette des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France, de l'Espagne, de l'Italie et de la Belgique étaient plus justes que celles émises par les trois grandes agences internationales 191 ( * ) .

c) Les limites de la concurrence

Si chacun est favorable à plus de concurrence, il est difficile de faire entrer sur le marché de la notation un grand nombre de nouveaux acteurs fiables et de grande taille.

La notation représente en effet un coût pour les émetteurs : coût direct via le paiement des services facturés par l'agence et coût indirect via le temps passé par les directions financières à dialoguer avec les agences. Le temps que les cadres dirigeants consacrent à la notation est précieux et il n'est pas réaliste d'envisager qu'ils veuillent répéter cet exercice avec de nombreux interlocuteurs .

Catherine Gerst, ancienne directrice générale de Moody's France, fait état des réticences des émetteurs face à une nouvelle offre de notation : « Entre 2006 et 2008, j'ai travaillé pour l'agence canadienne DBRS, qui n'est restée en Europe que deux ans : alors qu'ils déploraient depuis longtemps l'oligopole des trois grandes agences, les émetteurs prétendaient avoir déjà assez à faire avec celles-là, et s'ils acceptaient d'être évalués gratuitement, ils refusaient de changer de prestataire... » 192 ( * ) .

De leur côté, si les investisseurs apprécient d'avoir plusieurs points de vue, il n'est pas certain qu'ils souhaitent étudier les analyses d'une pléthore d'agences pour un même produit.

De ce fait, si l'arrivée de quelques grandes agences sur le marché est certainement possible, il est, en revanche, peu probable que le marché de notation puisse fonctionner avec une myriade d'acteurs.


* 185 Échantillon de 352 investisseurs professionnels, utilisant les agences de notation dans le cadre de leur activité, représentatif des entreprises du secteur financier et de l'assurance concernés par les notes des agences. Méthode des quotas.

* 186 Cf . le considérant 8 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement CE n° 1060/2009 sur les agences de notation de crédit.

* 187 Marc Ladreit de Lacharrière conteste vigoureusement l'idée qu'il n'existe pas déjà aujourd'hui d'agence européenne de notation : « je suis le Président de FitchGroup ainsi que le Président du Comité Stratégique. Je suis résident à Paris. Le " Chief Financial Officier " est français, lui aussi est basé à Paris. Le " Chief Executive Officier " (CEO), est anglais, il est basé à Londres ainsi que la division " sovereign " et son directeur. Les normes d'appréciation des États se font à partir de Londres. Quand les États de la zone euros sont notés, ce n'est pas par des américains. Est-il normal que José Manuel Barroso, Président de la Commission Européenne ose dire que " les agences de notation sont américaines " ? " Il me semble étrange que qu'il n'y ait pas une seule agence venant d'Europe " déclare-t-il avant d'accuser celles qui ont pignon sur rue d'avoir " un parti pris contre l'Europe " ! Quel est le but d'une telle désinformation ? ».

* 188 Audition devant la mission commune d'information du Sénat le 11 avril 2012.

* 189 Audition devant la mission commune d'information du Sénat le 28 mars 2012.

* 190 Audition devant la mission commune d'information du Sénat le 30 mai 2012.

* 191 Cf . « L'agence de rating chinoise (Dagong) a-t-elle raison ? », par Patrick Artus, Flash Marché, n° 430, 9 juin 2011.

* 192 Audition devant la mission commune d'information du Sénat le 14 mars 2012.

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