C. ALLIER RÉNOVATION URBAINE ET POLITIQUE DE L'HABITAT POUR CRÉER LES CONDITIONS D'UNE RÉELLE MIXITÉ SOCIALE

1. Faire toute la transparence sur la répartition géographique des demandeurs relogés
a) Le difficile respect de l'objectif de mixité sociale dans la mise en oeuvre du DALO

Le respect de l'objectif de mixité sociale fait partie intégrante de la loi instituant le DALO . A son article 7, celle-ci impose au représentant de l'État de procéder au relogement « après avis des maires des communes concernées et en tenant compte des objectifs de mixité sociale par l'accord collectif intercommunal ou départemental ».

Dès l'origine, le risque pour le DALO d'accentuer la ségrégation sociale et territoriale par la concentration des populations les plus en difficulté dans des quartiers déjà déshérités n'a pu être écarté. Le comité de suivi de la mise en oeuvre du DALO en rappelait, dans son premier rapport annuel, les graves enjeux : « La mise en oeuvre du DALO va conduire à attribuer prioritairement des logements sociaux à des ménages qui connaissent des difficultés sociales. Il s'agit de veiller à ce que cela se fasse de la façon la plus répartie, et que la production des nouveaux logements sociaux corrige les déséquilibres actuels 24 ( * ) ».

Il ressort des sollicitations recueillies par vos rapporteurs auprès des commissions départementales de médiation, que celles-ci s'inquiètent elles-mêmes fréquemment du risque d'atteinte à l'équilibre social engendré par leurs décisions.

Ces inquiétudes se comprennent aisément au regard de la tendance lourde qui voit, depuis cinq décennies, le parc immobilier social se paupériser sous la pression des mutations économiques et sociales, en particulier dans les zones urbaines sensibles (ZUS) qui réunissent le plus grand nombre des logements sociaux à bas loyer. Le parc accessible y est en effet surreprésenté : comme l'indique le Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, les ZUS disposent de 31 % du parc accessible aux ménages les plus pauvres alors qu'elles comptent pour 23 % du parc social.

Faute d'évolution dans la répartition du parc social et compte tenu du manque cruel de logements sociaux, les relogements consécutifs à la reconnaissance du DALO ont majoritairement lieu dans les communes disposant d'un parc social important mais dont la population se trouve en voie de précarisation croissante.

Entre 1973 et 2006, la part des locataires du parc social appartenant au premier quartile des revenus est progressivement passée de 12 % à près de 40 % tandis que la proportion de locataires du parc social appartenant au quart le plus élevé des revenus, a été divisée par trois . Quand il n'est pas motivé par le choix de l'accession à la propriété, le départ des locataires de ce dernier quartile s'explique de plus en plus par l'effet du surloyer imposé aux ménages qui dépassent les plafonds de ressources en application de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion du 25 mars 2009. A l'existence d'un parc social ancien peu cher mais concentrant toujours davantage les publics fragiles, s'ajoute la difficulté posée par la stigmatisation des demandeurs ayant obtenu le « label » DALO.

L'accentuation du mouvement d'accueil très social du parc HLM ne pourra être que croissante si le problème n'est pas pris à bras le corps.

A moyen terme, seul le développement du logement social sur les parties des territoires qui en sont le moins pourvus et le maintien d'une offre locative privé à loyers abordables permettront de concilier mise en oeuvre du DALO et respect de la mixité sociale.

b) Prévoir des outils de suivi des parcours résidentiels

Pour faire toute la transparence sur la répartition géographique des demandeurs relogés, vos rapporteurs estiment indispensable que les pouvoirs publics se dotent des outils permettant d'assurer un suivi des parcours résidentiels dans l'espace et dans le temps. Plusieurs commissions de médiation partagent cette exigence.

Il convient en effet d'améliorer la connaissance des bénéficiaires du dispositif DALO et de la mettre en perspective avec les caractéristiques matérielles et géographiques des logements mobilisés. Une appréciation doit également pouvoir être portée sur la pérennité des solutions de relogement .

2. Pour un acte II de la rénovation urbaine répondant véritablement aux enjeux de la mixité sociale

Le traitement de la question de l'habitat ne saurait se limiter à la question quantitative du logement social. Ses enjeux dépassent même la question du logement en général pour englober la question de l'équilibre social des territoires, de l'accessibilité des zones d'emploi ainsi que des équipements et des services. Elle implique très directement les choix effectués en matière d'urbanisme et appelle à renouveler notre manière d'envisager les modalités d'aménagement des villes.

Dans cette perspective, vos rapporteurs appellent de leurs voeux la poursuite de la rénovation urbaine engagée il y a une décennie. Mais ils souhaitent insister sur sa nécessaire réorientation vers une meilleure coordination avec les politiques de droit commun en faveur de la mixité sociale.

a) Des résultats décevants en matière de mixité sociale

Initié par la loi n°2003-710 du 1 er août 2003 d'orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine, le programme national de rénovation urbaine avait pour objectif de rénover 490 quartiers classés en ZUS à travers des opérations portant à la fois sur le logement (démolitions et reconstructions ou réhabilitations) et sur les espaces publics (aménagements, « résidentialisation », construction d'équipements etc.).

Les opérations de rénovation urbaine ont apporté des améliorations tangibles aux cadres de vie des habitants des quartiers visés. Malgré ces réussites, les effets des travaux réalisés sur la situation individuelle et sociale des habitants demeurent trop peu palpables .

L'engagement d'une deuxième phase d'opérations devra naturellement permettre de mener à leur terme les travaux engagés afin que le déficit des reconstructions n'aboutisse à amplifier durablement les tensions dans le secteur du logement social.

Mais ce second acte devra surtout s'inscrire au coeur de bassins d'habitat comportant des quartiers dégradés et stigmatisés pour déboucher sur de véritables transformations sociales.

A l'heure du bilan, les résultats obtenus par le PNRU en matière dynamiques sociales et de mobilité résidentielle ne donnent pas satisfaction.

La segmentation du parc locatif social entre des quartiers appartenant à des ZUS, qui concentrent les logements dont les loyers sont les plus bas, et des quartiers où les logements sont à la fois neufs, plus petits et plus chers, conduit à orienter, par un effet mécanique, les ménages les plus pauvres vers les logements les plus anciens des ZUS. De plus, la précarisation des populations de ces quartiers dans un contexte de renchérissement général du coût eu logement limite leurs parcours résidentiels.

Enfin, l'abandon des ZUS par les classes moyennes, favorisé par l'étalement urbain et les mesures de solvabilisation en faveur de l'accession à la propriété, s'opère au détriment des quartiers les plus fragiles. Le comité d'évaluation et de suivi (CES) de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) observe ainsi que la tendance à la paupérisation des quartiers visés n'a pu être infléchie .

L'Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS) confirme le diagnostic de l'enlisement des conditions de vie des habitants des quartiers visés : la proportion de personnes vivant sous le seuil de pauvreté y est presque trois fois plus élevée que le niveau atteint par l'agglomération environnante ; le nombre de chômeurs y est deux fois plus important.

En outre, tandis que la reconstruction de l'offre a surtout eu lieu dans les quartiers en rénovation urbaine, des mouvements de report des difficultés vers les quartiers qui n'entraient pas dans le périmètre du PNRU ont pu être constatés.

b) Inscrire l'acte II de la rénovation urbaine au coeur d'une politique de cohésion sociale mobilisant une conduite intégrée des projets

Vos rapporteurs sont convaincus que pour lutter efficacement contre la dynamique de ségrégation sociale et territoriale, les opérations de rénovation urbaine doivent s'inscrire au coeur d'un projet de cohésion sociale mobilisant les politiques de droit commun : éducation, transport, emploi, logement, développement économique des activités commerciales et artisanales, culture. En assurant un rééquilibrage entre les dimensions sociale et urbaine du PNRU, il s'agit de redonner une réelle attractivité aux quartiers pour des catégories diversifiées de population.

Les orientations formulées par le CES de l'ANRU 25 ( * ) dans la perspective du prochain programme de rénovation urbaine retiennent toute l'attention de vos rapporteurs :

- en particulier, l'adaptation de l'échelle d'intervention apparaît essentielle . Les premières opérations de rénovation urbaine ont été trop centrées sur le périmètre communal alors que l'insertion des quartiers en difficulté et leur désenclavement ne peuvent être atteints qu'à une échelle plus large, celle de l'intercommunalité ou de l'agglomération plus généralement.

A cette fin, le CES de l'ANRU propose que l'ANRU conditionne ses financements à une initiative concertée au niveau intercommunal et qui démontrerait sa cohérence au sein d'un projet global de développement du territoire ;

- le renforcement de l'intensité urbaine des quartiers doit faciliter la diversification de l'habitat (locatif libre, accession à la propriété, accession sociale) par une plus grande reconstitution hors site des logements sociaux . Il s'agirait de fixer comme objectif une reconstitution de 75 % des logements démolis hors site dans le cadre maintenu de la règle du « 1 pour 1 ». Le comité propose également de limiter la TVA à 5,5 % aux seules ZUS, et de permettre des extensions dérogatoires lorsqu'un projet urbain le nécessite.

De plus, le traitement des ensembles de copropriétés dégradées devrait être intégré aux prochaines opérations. Pour éviter que la diversification de l'habitat ne se traduise par l'apparition de futures copropriétés dégradées, la mise en place de procédure de sécurisation des accédants doit être envisagée ;

- une révision des pratiques en matière de politique locale d'installation des différents réservataires doit être entreprise pour remédier à la concentration des ménages les plus pauvres dans les quartiers rénovés. Il convient de renforcer la collaboration entre bailleurs dans le cadre d'une mutualisation des relogements et de renforcer leurs obligations quant à la localisation géographique des logements proposés aux ménages les plus modestes ;

- une articulation plus cohérente doit être recherchée entre le PNRU et les exigences de la loi SRU : il s'agirait de conditionner les financements de l'État et de l'ANRU à la reconstitution d'un quota des logements démolis dans le cadre des opérations de rénovation urbaine dans les communes de l'agglomération déficitaires en logements sociaux au titre l'article 55 de la loi SRU et de limiter les attributions effectuées au titre du DALO dans les zones en rénovation urbaine ;

- des réponses adaptées doivent être apportées aux enjeux particuliers du renouvellement urbain en Île-de-France , région qui concentre actuellement une centaine de projet de rénovation urbaine et un tiers des subventions de l'ANRU. Le territoire francilien se caractérise par une répartition très inégale du parc social, une pénurie marquée de l'offre, une faible production de logements neufs et de notables inégalités financières entre collectivités territoriales. Seule une gouvernance unique, à l'échelle régionale, des volets habitat, logement et transport des projets de rénovation urbaine, permettraient une réponse à la hauteur des enjeux. Il faudrait imposer le principe d'une reconstruction hors site d'au minimum 75 % des logements sociaux et d'au moins 50 % de logements aux loyers très sociaux (PLAI) ;

- enfin, davantage de place doit être accordée à la participation des habitants afin qu'ils puissent à la fois s'exprimer et s'approprier les projets de transformation des quartiers dans le but d'améliorer la qualité des actions qui seront mises en oeuvre.


* 24 Premier rapport annuel du comité de suivi de la mise en oeuvre du DALO, « Franchir les étapes pour rendre effectif le droit au logement opposable », octobre 2007.

* 25 « Les quartiers en mouvement : pour un acte 2 de la rénovation urbaine » (2011).

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page