B. CLARIFIER SANS RIGIDIFIER, AFIN DE PRÉSERVER LES SPÉCIFICITÉS DES INITIATIVES LOCALES

Unanimement souhaitée, la clarification des rôles de chacun n'est pas un exercice facile, pour plusieurs raisons.

Tout d'abord, parce que la politique de l'emploi doit être conçue de façon intégrée et non cloisonnée. Or, en l'état actuel de la répartition des compétences entre les catégories de collectivités, cela implique nécessairement qu'aucune d'entre elles ne soit écartée des politiques de l'emploi. C'est la raison pour laquelle il convient de relier la clarification des rôles à un renforcement de la coordination entre les acteurs.

Ensuite, parce que les politiques de l'emploi sont menées à plusieurs échelles, ce qui implique nécessairement plusieurs niveaux d'intervention.

De plus, et cet aspect n'a pas manqué d'être évoqué à l'occasion des auditions, il est toujours difficile de redistribuer les cartes une fois que les structures sont en place.

La diversité de l'organisation des territoires doit également mettre en garde contre toute tentation de rigidification du système , qui aurait pour conséquence, par exemple, de remettre en cause des instances qui ont localement fait leurs preuves et qui sont désormais connues des demandeurs d'emploi. Les atouts de la préservation d'une certaine stabilité, qu'il s'agisse des outils déployés ou des structures qui les mettent en oeuvre, ne doivent pas être négligés, sans toutefois faire obstacle aux besoins d'adaptation des politiques publiques.

Par ailleurs, il convient de ne pas dissocier la réflexion sur la répartition des compétences de la question des moyens dont disposent les différents acteurs pour remplir les missions qui leur sont attribuées.

1. Reconnaître dans les faits le rôle des collectivités territoriales
a) Une compétence qui doit rester exercée en complémentarité par l'Etat et les collectivités territoriales

La compétence « emploi » doit rester une compétence exercée en complémentarité par l'Etat et les collectivités territoriales.

Evoquée par certains, l'incorporation des instances auxquelles participent les collectivités territoriales (maisons de l'emploi, missions locales, PLIE) au sein de Pôle emploi doit être résolument écartée. Un tel transfert engendrerait des lourdeurs de gestion considérables pour Pôle emploi, qui deviendrait une structure gigantesque, alors qu'il est déjà en proie à des difficultés. L'opérateur national serait confronté à la responsabilité d'un ensemble d'initiatives nombreuses, diverses et à périmètres variables, dont il est quasiment certain que les spécificités (proximité et souplesse) ne pourraient être conservées.

S'agissant des missions locales notamment, la mission présidée par Claude Jeannerot ne concluait pas autrement : « le constat général de la complexité du SPE [service public de l'emploi] et des imperfections de la cotraitance n'a pas conduit la mission d'information à préconiser une unification ou une « fusion-absorption » globale des deux réseaux de cotraitance [les missions locales et Cap emploi] avec Pôle emploi. Elle présenterait sans doute l'avantage d'une plus grande simplicité mais risquerait de s'accompagner d'une certaine lourdeur de gestion, inhérente à toute structure de cette taille, et serait peu compatible avec la volonté de la mission d'associer les collectivités territoriales au SPE local 51 ( * ) . » Le conseil national et l'union nationale des missions locales ont particulièrement insisté, pour leur part, sur la nécessité du maintien de l'identité des missions locales, garante de la préservation de leurs spécificités.

A l'inverse, et suivant un raisonnement similaire, les collectivités territoriales ne revendiquent pas l'exclusivité de la compétence « emploi », bien au contraire. Aucune des associations d'élus rencontrées dans le cadre de ce rapport n'a remis en cause le maintien de prérogatives de l'Etat dans ce domaine. Cette posture se traduit notamment par leur constante recherche de complémentarité entre leur action et celles des autres acteurs, notamment l'Etat et Pôle emploi.

M. Jean-Paul Denanot, président du conseil régional du Limousin, entendu au nom de l'Association des régions de France (ARF), a exprimé cette position de façon très claire : « les régions doivent être davantage impliquées sans que l'Etat soit exonéré de ses responsabilités en la matière. L'Etat doit garder des compétences à caractère stratégique. » La partie réglementaire liée à l'indemnisation des demandeurs d'emploi et l'organisation du travail, par exemple, doivent à ses yeux rester du domaine de l'Etat.

Les représentants des organisations syndicales au niveau national ont pour leur part fortement insisté sur la nécessité du maintien d'un service public dont le cadre est défini au niveau national, afin d'éviter une trop forte hétérogénéité entre les territoires.

Ont également été évoqués les risques inhérents à une mise en compétition des territoires dans ce domaine, certains élus pouvant être tentés de privilégier leurs habitants plutôt que ceux des territoires avoisinants dans le cadre des initiatives menées afin de favoriser l'emploi.

b) Une reconnaissance qui doit s'accompagner des moyens adéquats

La reconnaissance du rôle des collectivités et des instances auxquelles elles participent dans le domaine de la politique de l'emploi doit s'accompagner, dans les faits, des moyens adéquats.

S'agissant des missions locales, la dotation de l'Etat a été maintenue dans le projet de loi de finances pour 2012 à 179 millions d'euros, après 179,1 millions en 2011 et 179,6 millions en 2010, alors qu'elles voient le nombre de jeunes en contact avec le réseau augmenter chaque année, comme l'a remarqué notre collègue François Patriat.

La réduction des crédits apportés par l'Etat aux maisons de l'emploi est particulièrement frappante. Ces crédits font l'objet d'âpres discussions et négociations à l'occasion de chaque débat budgétaire, alors qu'une certaine stabilité - ou du moins une meilleure prévisibilité, compte tenu du contexte budgétaire actuel - faciliterait leur action. C'est un point sur lequel ont particulièrement insisté l'Alliance Villes Emploi et Bernard Charles, adjoint au maire de Lille, représentant également l'Association des maires de France.

L'Alliance Villes Emploi rappelle que « concernant les crédits attribués par l'Etat, le projet de loi de finances 2011 inscrivait une baisse de 50 % des budgets des Maisons de l'Emploi. La loi de finances 2011 a finalement été votée avec 21,45 % de baisse des crédits, baisse plus importante que pour tous les autres chapitres du budget emploi. La mobilisation forte des parlementaires pour la loi de finances 2012 a ramené une baisse du budget prévisionnel de 34 % à 10,4 % dans la loi votée.

En 2010, les MDE bénéficiaient d'un budget de 82 millions d'euros, en 2011, 64,4 millions d'euros (dont 59,4 millions ont été attribué en région) et 2012, 57 millions d'euros. Le budget initial des MDE était en 2009 de 100 millions d'euros. En trois ans, les MDE ont perdu pratiquement 50 % de leur budget. »

Comme l'a relevé notre collègue Claude Jeannerot dans son avis budgétaire sur la mission « travail et emploi », « en 2011, le ministère de l'emploi s'est attaché à ne pas diminuer la dotation des maisons de l'emploi de manière uniforme : il a veillé à ce que les écarts de dotations entre les régions soient réduits et a demandé aux préfets de région d'apprécier les situations au cas par cas. Il n'en reste pas moins que la diminution des dotations ne saurait être trop brutale afin de laisser le temps aux acteurs sur le terrain de se réorganiser 52 ( * ) . »

Ces réductions drastiques, et les âpres débats qui les accompagnent pour en atténuer les effets semblent en contradiction avec la reconnaissance du rôle des collectivités et des instances qu'elles soutiennent, dans les textes ou les discours des membres du Gouvernement. L'Etat ne peut pas à la fois s'appuyer sur ces instances et leur couper les financements.

Compte tenu du travail partenarial qui est mené au sein de ces structures, entre les collectivités, l'Etat et Pôle emploi notamment, il paraît primordial de mettre un frein à ce désengagement global de l'Etat et de soutenir effectivement des structures dont la plus-value a été démontrée.

S'agissant de la modulation des subventions en fonction des performances des différentes entités, elle semble a priori légitime dans la mesure où l'hétérogénéité de leur action a été soulignée. Les conventionnements effectués par l'Etat doivent néanmoins veiller à préserver l'autonomie des instances financées, afin que leur spécificité soit conservée.

Or, comme l'a souligné M. Jean-Patrick Gille, président de l'Union nationale des missions locales, l'Etat est de plus en plus dans une logique de définition de prestations à leur égard, alors que leur plus-value réside justement dans l'approche globale et partenariale qu'elles mettent en oeuvre, au plus près des territoires.

C'est un sujet qu'a également souligné le rapport de l'Inspection générale des finances remis en juillet 2010 : « l'Etat doit éviter toute gestion de fait malgré son implication croissante dans le financement et la définition des objectifs des missions locales 53 ( * ) . »

Par ailleurs, l'Etat doit rechercher une certaine stabilité des outils mis à la disposition des collectivités et des instances auxquelles elles participent, et adapter leurs modalités de mise en oeuvre à ces derniers. Notre collègue Gérard Roche a ainsi regretté la gestion chaotique de la politique des contrats aidés à laquelle les conseils généraux participent, alors qu'une certaine continuité est recommandée en matière de politique d'insertion.

Il importe donc, de manière générale, d'améliorer la prévisibilité des financements des instances territoriales intervenant dans le domaine de l'emploi et d'assurer aux différents acteurs une certaine visibilité sur les outils mis à leur disposition.

En outre, une adaptation de l'Etat à cette montée en puissance des instances territoriales serait bienvenue. En particulier, un effort doit être mené afin que les indicateurs de performances de ses services, de Pôle emploi et des instances auxquelles il participe, n'aient pas pour effet de les mettre en concurrence. Les actions redondantes, en particulier entre les DIRECCTE et les maisons de l'emploi, doivent être supprimées. Une clarification des compétences sur les interventions réciproques de l'Etat et des collectivités doit intervenir.

c) Renforcer les partenariats avec Pôle emploi

Les relations entre les collectivités et Pôle emploi doivent être renforcées. Il serait souhaitable qu'une relation de confiance s'installe dans la durée, par une meilleure connaissance réciproque, une amélioration de la qualité des prestations de Pôle emploi , et un développement des partenariats, dans un respect réciproque des responsabilités et des rôles de chacun.

Votre rapporteure prend note de la formalisation de cet effort dans la dernière convention tripartite, et de l'affirmation d'une volonté forte en ce sens, notamment exprimée dans le cahier d'acteur de Pôle emploi transmis au Sénat dans le cadre des Etats généraux de la démocratie territoriale engagés par notre Président.

Il lui semble qu'un renforcement de la représentation des élus locaux dans la gouvernance de Pôle emploi pourrait contribuer à son développement. A l'heure actuelle, son conseil d'administration est composé de cinq représentants de l'Etat, cinq représentants des organisations syndicales de salariés, cinq représentants des organisations professionnelles d'employeurs, deux personnalités qualifiées désignées par le ministre de l'emploi et un seul représentant des collectivités territoriales.

Proposition 1 : Renforcer la place des collectivités territoriales ou de leurs groupements dans la gouvernance de Pôle emploi

Comme l'a souligné Rémy Pointereau, qui a notamment mis l'accent sur le rôle du département, cette question des partenariats entre Pôle emploi et les collectivités revêt une importance particulière s'agissant du suivi des bénéficiaires du RSA, compte tenu de la diversité des situations rencontrées à ce sujet et des difficultés qu'un manque de coopération peuvent engendrer. La coopération ne doit néanmoins pas se résumer à une mobilisation des financements des conseils généraux, comme l'a fait remarquer notre collègue.

Un effort particulier est également nécessaire au niveau de l'échange de données relatives aux personnes à la recherche d'un emploi entre les acteurs de la politique de l'emploi. Il est en effet particulièrement pénible, notamment pour les demandeurs d'emploi déjà en situation difficile, d'avoir à exposer les étapes de leur parcours à chaque rencontre avec un nouvel interlocuteur.

Si aucune avancée n'était possible dans ce domaine, une réflexion devrait être menée sur la création d'un livret ou d'une carte individuel(le), qui faciliterait l'accès des acteurs de l'emploi et de l'insertion aux différentes informations nécessaires à l'accompagnement de chaque demandeur d'emploi : formations suivies, expériences professionnelles, démarches entamées...

Cette proposition, notamment discutée lors de la rencontre avec le Directeur régional de Pôle emploi de Provence-Alpes-Côte d'Azur, a également été exprimée dans le rapport d'Alain Joyandet portant sur « l'emploi des jeunes, grande cause nationale », remis en janvier 2012.

Proposition 2 : Réfléchir à la possibilité de la création d'un livret ou d'une carte individuel(le) facilitant l'accès des acteurs de l'emploi et de l'insertion aux informations nécessaires à l'accompagnement des personnes à la recherche d'un emploi


* 51 « Pôle emploi : une réforme nécessaire, une dynamique de progrès à amplifier », rapport d'information n° 713 de M. Jean-Paul Alduy, fait au nom de la Mission commune d'information relative à Pôle emploi, tome I (Sénat, 2010-2011), p. 137.

* 52 Avis n° 109 sur le projet de loi de finances pour 2012, tome VII, Travail et emploi, p. 18.

* 53 « Les missions locales pour l'insertion professionnelle et sociale des jeunes », rapport de l'IGF, juillet 2010, p. 27.

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