B. UN BOULEVERSEMENT DU QUOTIDIEN DE TOUS LES PERSONNELS DU MINISTÈRE

Les témoignages sont unanimes : cette réforme a bouleversé des modes de fonctionnement profondément ancrés dans la culture des trois armées et des services. Bien plus que la professionnalisation des armées, elle a entraîné une réelle perte de repères avec la disparition de tous les anciens référentiels et modes de fonctionnement, parfois séculaires.

1. Les personnels du soutien directement affectés par la réforme

A la suite de la réforme, ce sont concrètement 30 000 personnes qui ont changé de chef, ont été extraites de leurs armées respectives pour être mises sous l'autorité du Commandement interarmées du soutien (COMIAS).

Ces personnels ont intégré des structures nouvelles, interarmées, et ont dû faire face dans le même temps à un changement de leurs outils et habitudes de travail. Ils ont parfois dû absorber une surcharge de travail, liée à la montée en puissance des bases et à la déflation de 15% des effectifs affectés au soutien.

Cette réforme est intervenue au moment où nos forces devaient faire face à plusieurs engagements extérieurs de haute intensité, et où les projections extérieures ont pu, y compris dans le soutien, désorganiser des équipes.

Dans la plupart des cas, la réforme du soutien était concomitante avec d'autres changements importants concernant le format des forces ou leur implantation, ou encore la réforme des échelons intermédiaires du soutien, principaux interlocuteurs des acteurs du soutien en base de défense.

Dans cet univers nouveau, aux repères brouillés, on peut toutefois relever un aspect positif : une certaine valorisation des métiers du soutien, par la volonté d'impulser une approche « métiers », plus professionnelle.

2. Un bouleversement culturel pour les unités soutenues, surtout sensible dans l'armée de terre

Le choc culturel est fort pour les unités soutenues, qui se sont vu retirer des moyens dont elles disposaient en propre. En particulier pour l'armée de terre, dans la mesure où le concept de « base » était déjà acclimaté dans la culture des marins ou des aviateurs.

Depuis la fin du XIX ème siècle au moins, l'armée de terre était construite en unités à l'organisation autarcique, dans lesquelles le chef de corps avait en main tous les leviers pour répondre à ses besoins : activités opérationnelles, maintien en condition opérationnelle, ressources humaines (le « chancelier »), médecin, soutien, budget propre.... Le chef de corps était en quelque sorte le « père » du régiment.

C'était au niveau du corps, quel que soit sa taille, qu'étaient dupliqués les moyens d'administration et de soutien. Clé de l'autonomie opérationnelle et manifestation de la plénitude du commandement, cette organisation pouvait aussi être source d'une certaine dispersion des moyens. Elle marque toutefois très fortement la culture de l'armée de terre.

Cette organisation pluriséculaire des régiments de l'armée de terre est aujourd'hui remise en cause 24 ( * ) par la mutualisation du soutien.

Outre la perte de « confort » pour les unités soutenues, qui doivent désormais demander auprès d'un tiers les moyens nécessaires à leur activité, cette situation suscite parfois une franche incompréhension lorsque les nouvelles chaînes du soutien ne fonctionnent pas encore de façon satisfaisante.

Ainsi par exemple certains chefs de corps ont fait état de leur impuissance face à des PME locales qui subissaient des retards de paiement importants liés à l'engorgement et à la désorganisation de la nouvelle chaîne des achats. Auparavant, le chef de corps pouvait agir auprès de son trésorier pour arranger la situation ; cela lui est désormais impossible, les processus, ressentis comme inutilement lourds, lui échappent.

Il faut dire en outre que l'armée de terre est relativement plus impactée par cette réforme, du fait du positionnement territorial de ses unités. Ainsi, la marine nationale avait déjà largement concentré l'essentiel de ses forces en métropole autour des ports de Brest et Toulon. L'armée de l'air avait réduit le nombre de ses bases aériennes depuis 15 ans, s'appuyant sur une organisation où la base soutenait les formations stationnées dans son périmètre. L'armée de terre avait quant à elle essentiellement conservé une organisation régimentaire et de nombreuses implantations de l'ordre de 1000 personnes sur tout le territoire.

S'y ajoute un facteur peut-être plus subjectif. L'armée de terre, plus nombreuse que l'armée de l'air et la marine, voit certains de ses régiments rattachés à des bases de défense commandées par l'armée de l'air ou la marine. Elle peut donc se trouver en situation de « minorité » au sein d'une base. En revanche, aucune base aérienne ou navale n'est rattachée à une base de défense à dominante terre. Il faut toutefois relativiser ce facteur dans la mesure où, en métropole, 34 bases sur 51 sont « monocolores » et soutiennent des unités appartenant à la même armée.

3. Les civils : un certain désarroi est parfois perceptible

Vos rapporteurs ont pu constater, dans leurs différents entretiens avec les organisations syndicales représentatives du personnel civil, un certain désarroi face à la réforme.

Le personnel civil, autrefois géré directement par les formations, a le sentiment d'avoir perdu en proximité, du fait de l'éloignement des centres ministériels de gestion . On perçoit en outre une certaine difficulté à comprendre la logique de la réforme et son bien-fondé.

Les syndicats rencontrés à Tours ont manifesté une réelle inquiétude sur le devenir de certaines unités, et se sont plaints d'un manque d'information.

4. Commandant de base de défense : un rôle intenable ?
a) L'irruption d'une organisation « matricielle » dans un univers culturellement hiérarchique

Alors que traditionnellement l'organisation militaire répond au paradigme « un chef, une mission, des moyens », la nouvelle organisation des soutiens, transversale, a installé une organisation matricielle qui, pour être déjà pratiquée dans le monde de l'entreprise, est relativement inédite dans l'univers militaire.

« Intégrateur » des soutiens , suivant la terminologie officielle, agissant au profit de tous les organismes de la base de défense, le commandant de la base de défense est le responsable local de l'efficacité et de la cohérence d'ensemble de tous les soutiens, sur lesquels il n'a pourtant pas totalement la main.

Cette fonction, qu'il cumule parfois avec celle de commandant d'une unité, suivant le principe de la double (voire triple) casquette, exige du commandant de base des capacités d'animation et de persuasion.

Ainsi un commandant de base a-t-il confié à vos rapporteurs : « En quittant mon poste à l'Otan, je ne pensais pas qu'il me faudrait encore être diplomate, en tant que commandant de base de défense ! ».

Ce rôle d'animateur et de coordonnateur l'expose forcément davantage au « bon vouloir » des différents acteurs du soutien : de l'aveu de plusieurs commandants de base, le système ne fonctionne que parce que tout le monde y met de la bonne volonté...

b) La gestion d'un environnement particulièrement complexe

Sans parler des soutiens spécifiques d'armées, le commandant de base de défense n'a pas d'autorité hiérarchique sur les soutiens dits « spécialisés » : informatique, infrastructures, centre médical.

Il se trouve donc enserré au sein de chaînes hiérarchiques qui lui échappent, comme le montre le schéma ci-dessous :

Source : ministère de la défense


* 24 Il faut noter toutefois que l'armée de terre avait expérimenté dans les années 1990 des formes de mutualisation du soutien à travers les « bases terre », ou encore dans certains endroits comme le camp de Canjuers

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