C. L'INACCEPTABILITE DES RESTRICTIONS A LA LIBERTÉ DE CIRCULATION A TITRE DE SANCTIONS POUR DES PRISES DE POSITIONS POLITIQUES

Selon la commission des questions juridiques et des droits de l'Homme, certains États membres du Conseil de l'Europe semblent abuser de leur droit d'interdire l'entrée sur leur territoire aux étrangers en incluant certaines personnes dans des « listes noires » en guise de « sanction » pour l'expression d'opinions politiques. De telles pratiques sont évidemment peu conciliables avec les règles en matière de libre circulation mais aussi avec les libertés d'expression, de réunion et d'association. Le refus d'autoriser une personne à entrer sur le territoire au seul motif de ses opinions politiques constitue, par ailleurs, une forme de discrimination au sens de l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Selon le rapport de la commission, l'Estonie, la Russie, l'Allemagne et la France, au travers du cas d'une militante néozélandaise de Greenpeace, ont eu recours à de telles pratiques.

L'adhésion d'un certain nombre d'États à l'espace Schengen renforce le problème, l'interdiction émise par un État empêchant l'accès de la personne concernée aux territoires des autres parties dudit espace.

M. Frédéric Reiss (Bas-Rhin - UMP) s'est néanmoins interrogé sur les critiques du rapport contre l'espace Schengen :

« Monsieur le rapporteur, votre rapport très documenté, riche en références, part d'un bon sentiment. Il évoque de grands principes qui nous sont chers : libre circulation, droits de l'Homme, liberté d'expression et de réunion. Il m'a cependant quelque peu surpris.

En premier lieu, vous semblez considérer que c'est la philosophie même de l'espace Schengen qui est inacceptable. Le point 42 de votre exposé des motifs est clair, pour vous « le fait de signaler une personne dans le SIS fait problème ».

Mais, monsieur le rapporteur, le droit de voyager au sein de cet espace de liberté est soumis à la nécessité pour les 26 États membres de coopérer et d'échanger des informations. La disparition des frontières intérieures et, donc, des contrôles au sein des 26 pays Schengen impose un contrôle renforcé et efficace aux frontières extérieures. Le SIS, que vous condamnez, permet notamment le dépistage de grands criminels, et donc de protéger les citoyens des 26 États membres.

Monsieur le rapporteur, il est regrettable que vous n'évoquiez que les pays de l'espace Schengen alors que les restrictions à la liberté de circulation à titre de sanction pour des prises de position politiques sont pratiquées, massivement parfois, par beaucoup d'autres pays du Conseil de l'Europe, mais également extérieurs à celui-ci. Vous ne pouvez pas ignorer que dans de nombre de pays, le simple fait d'avoir sur son passeport un visa ou un tampon d'entrée sur un autre territoire considéré comme « ennemi » suffit à interdire l'accès de ce pays. Pour ne citer qu'un exemple, combien de députés membres de cette Assemblée, après s'être rendus au Haut-Karabagh, se sont vu mis sur liste noire par l'Azerbaïdjan ! Combien de députés de notre Assemblée sont obligés de multiplier les passeports pour pouvoir entrer dans tel pays, car ils ont eu la mauvaise idée de se rendre dans tel autre ? Cela est inacceptable !

Vous ne pouvez pas ignorer non plus que des journalistes, des membres d'ONG, des défenseurs des droits de l'Homme sont régulièrement interdits d'accès ou expulsés de pays membres de notre Assemblée, alors qu'ils ne font que leur travail d'information. Pas un mot sur cela dans votre rapport. Pourtant, cela aussi est inacceptable !

Certes, monsieur le rapporteur, le système Schengen a besoin d'être amélioré, et il le sera grâce aux réformes en cours, mais la grande différence entre une personne signalée dans le SIS et les personnes dont vous ne parlez pas, c'est que l'Accord de Schengen offre une série de garanties, dont le droit à une protection juridictionnelle. Non, monsieur le rapporteur, Schengen n'est pas un abus de droit !

Enfin, à titre personnel, je trouve le projet de résolution que vous proposez bien moins critique que le rapport lui-même. C'est pourquoi je m'abstiendrai. »

M. René Rouquet (Val-de-Marne - SRC) a également remis en cause cette appréciation de la commission :

« Monsieur le rapporteur, vous émettez plusieurs critiques sur l'espace Schengen et son fonctionnement, notamment la procédure de signalement.

À la lecture de votre rapport, les pays membres de ces accords apparaissent comme quasiment les seuls responsables d'atteintes à la liberté de circulation pour des raisons politiques. Cela ne correspond pas à la réalité des droits de l'Homme dans l'Union européenne et ne prend pas en compte des situations bien plus inacceptables que les exemples cités dans votre rapport.

La liberté de circulation est l'une des pierres angulaires de l'Union européenne. Elle est au coeur du magnifique projet humain voulu par les Pères fondateurs après la guerre.

L'acquis de Schengen, cet espace de liberté dans lequel plus de 400 millions d'Européens de 26 pays peuvent voyager sans passeport, compte parmi les plus belles réalisations de l'intégration européenne. Cette liberté de circulation est plus que la simple faculté d'aller et de venir. Elle a permis un développement des programmes d'échanges de jeunes, des rencontres entre citoyens, et donc une meilleure compréhension, un vivre ensemble européen.

Bien entendu, cette disparition des contrôles aux frontières intérieurs est subordonnée au respect des obligations liées à l'acquis de Schengen.

Dans ce dispositif, le Système d'information Schengen permet de favoriser la coopération policière et judiciaire en matière pénale. Il est aussi utilisé, bien sûr, aux fins de délivrance des visas et des titres de séjour. Et dans cet espace sans frontières intérieures, contrairement à la position que vous défendez dans votre rapport, il est logique - et même indispensable ! - que les États membres signalent les uns aux autres les personnes devant faire l'objet d'un refus d'entrée. Chacun est, en quelque sorte, le gardien de la tranquillité de tous, le garant de la sécurité commune, car avec Schengen - et c'est bien la vocation de ce dispositif - chaque État partie accepte de ne plus être l'unique responsable de l'ordre public et de la sécurité des personnes et des biens sur son territoire. Avec Schengen, le territoire de chaque État est élargi aux limites de l'espace Schengen et la protection qu'il doit à sa population est élargie aussi de ses propres frontières à celles de tous les États parties du système.

Je rappelle enfin que le signalement d'une personne est très majoritairement fait pour des motifs tout à fait légaux. Il peut certes y avoir des erreurs, mais les personnes signalées disposent d'une série de garanties : droit d'accès aux informations les concernant, de rectification, d'indemnisation en cas de signalement erroné et d'un droit à une protection juridictionnelle.

Nous sommes bien loin, Monsieur le rapporteur, de cet abus de droit dont vous parlez dans votre rapport. D'autant plus - vous en convenez, d'ailleurs - qu'il n'existe pas un « droit à l'entrée sur le territoire d'un État », quel qu'il soit. »

La résolution adoptée par l'Assemblée rappelle que la liberté de circulation ne saurait être restreinte, au sein de tous les États membres du Conseil de l'Europe, en raison de l'expression d'une position politique. En ce qui concerne les parties de l'espace Schengen, l'Assemblée souligne que les signalements dans le Système d'information Schengen ne doivent pas être utilisés de manière abusive pour refuser aux non ressortissants d'un État membre de l'Union européenne l'accès à l'espace Schengen au motif qu'ils ont exprimé certaines positions politiques exprimées de manière pacifique. Le texte rappelle que ces signalements sont soumis à une procédure de contrôle juridictionnel censée être rapide.

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