Annexe 2 - Résolution 1892 (2012) - La crise de la transition démocratique en Égypte

1. Bien que l'Assemblée parlementaire se réjouisse de l'élection du premier président civil en Égypte, suite à un scrutin qui semble s'être déroulé, de manière générale, de façon libre et équitable, ce qui constitue une étape historique dans la transition du pays vers la démocratie, elle est profondément préoccupée par le fait que cela fasse suite à la dissolution du parlement récemment élu et aux changements constitutionnels faits par le Conseil suprême des forces armées (CSFA).

2. Le Président nouvellement élu, issu des rangs des Frères Musulmans, semble jouir de la légitimité requise pour initier des réformes absolument indispensables en vue de bâtir une administration civile débarrassée des pratiques de corruption du passé et de redynamiser une économie égyptienne qui a terriblement souffert au cours de la dernière année. La communauté internationale et les États membres du Conseil de l'Europe pourraient apporter leur aide à cet égard, notamment en encourageant les investissements dans le pays.

3. L'Assemblée note cependant que le Président nouvellement élu devra d'abord rassurer les Égyptiens qui aspirent à la sécurité et à la stabilité et au développement économique du pays, tout en étant profondément divisés. Il est en particulier nécessaire de rassurer le mouvement révolutionnaire, qui craint la confiscation des objectifs de la révolution par les militaires d'une part et par les Islamistes de l'autre. Les choix que fera le nouveau Président s'agissant de la formation de son gouvernement seront décisifs à cet égard.

4. L'annonce des résultats du scrutin le 24 juin 2012, avec quatre jours de retard, est aujourd'hui source d'un certain optimisme dans le pays et au sein de la communauté internationale, notamment du fait de la dissipation des craintes de possibles violences généralisées.

5. Cependant, l'Assemblée est profondément préoccupée par une série de développements récents, qui constituent des obstacles réels pour la démocratie qui émerge lentement dans un pays dépourvu dans la pratique de toute expérience en la matière.

6. L'Assemblée s'inquiète en particulier de la dissolution du parlement, suite à un arrêt de la Cour constitutionnelle du 14 juin 2012 déclarant inconstitutionnelle l'élection d'un tiers des députés sur une liste de candidats individuels. Cette dissolution a annulé les premières élections législatives de l'ère post-Moubarak, auxquelles avaient participé près de 30 millions de personnes et qui étaient considérées comme de manière générale libres et équitables.

7. Par ailleurs, une Déclaration constitutionnelle intérimaire adoptée par le CSFA le 17 juin 2012 a accordé à celui-ci le pouvoir législatif jusqu'à la mise en place d'un nouveau parlement et renforcé le rôle de l'armée dans l'élaboration de la future Constitution. La déclaration a retiré au président du pays les pouvoirs en matière de budget, de politique étrangère et de défense, pouvoirs qui sont désormais assurés par l'armée.

8. Tandis que la levée de l'état d'urgence le 31 mai 2012 a été saluée comme une évolution positive, un décret promulgué le 13 juin 2012 par le CSFA a accordé à l'armée de larges pouvoirs d'arrestation et de détention de civils en vue de leur jugement devant des tribunaux militaires.

9. L'Assemblée note de ce fait les questions sérieuses soulevées quant à l'avenir de la transition démocratique en Égypte. L'un des défis fondamentaux qui se pose est la forme que prendra l'équilibre des pouvoirs en Égypte dans le futur proche et en particulier comment l'armée partagera en définitive les pouvoirs avec le président nouvellement élu et son futur gouvernement, et quand un nouveau parlement pourra se mettre au travail et endosser pleinement son rôle législatif.

10. Dans le même temps, sans douter de la légitimité du nouveau président ou sous-estimer l'importance de cette élection, la prudence est de mise s'agissant de questions fondamentales telles que le rôle des femmes ou des minorités religieuses dans la nouvelle Égypte. Se pose ainsi la question de savoir si la Charia sera considérée ou non comme la première source du droit dans la future Constitution et, si tel devait être le cas, comment seront conciliés la Charia et les principes de l'État de droit, et comment l'égalité déclarée entre les hommes et les femmes, et entre les musulmans et les chrétiens, pourra être mise en oeuvre.

11. L'Assemblée regrette en particulier que la situation des communautés chrétiennes en Égypte ne se soit pas améliorée avec le Printemps arabe et la chute de Moubarak et que des actes de violence continuent d'être perpétrés contre ces communautés, ainsi que contre d'autres minorités religieuses. Elle invite par conséquent les États membres à mettre en oeuvre les mesures énoncées dans sa Recommandation 1957 (2011) sur la violence à l'encontre des chrétiens au Proche et au Moyen-Orient, et notamment à prendre en compte la situation des communautés religieuses chrétiennes et autres dans leur dialogue politique bilatéral et à promouvoir une politique, au niveau national comme au niveau du Conseil de l'Europe, qui intègre la question du respect des droits fondamentaux des minorités chrétiennes et des autres religions, dans leurs relations avec l'Égypte.

12. L'Assemblée note en conclusion que la question de la nouvelle Constitution est symbolique et que tous ces aspects cruciaux doivent être traités, d'une manière ou d'une autre, dans ce texte fondamental. A cet égard, l'Assemblée souligne le rôle bénéfique important que pourrait jouer le Conseil de l'Europe par l'intermédiaire de sa Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), qui bénéficie d'une expertise unique et internationalement reconnue en matière d'élaboration de constitutions.

13. Pour finir, l'Assemblée rappelle sa Résolution 1831 (2011) sur la coopération entre le Conseil de l'Europe et les démocraties émergentes dans le monde arabe et confirme qu'elle est prête à partager son expérience en matière de transition démocratique avec les institutions égyptiennes afin de faciliter la transition politique difficile du plus grand pays du Proche-Orient.

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