Annexe 4 - Résolution 1884 (2012) - Mesures d'austérité - un danger pour la démocratie et les droits sociaux

1. Depuis 2009, des programmes d'austérité stricts ont été appliqués à travers l'Europe dans l'intention de consolider les budgets publics. Plus récemment, tant l'efficacité économique des mesures d'austérité que les causes profondes de la crise sont de plus en plus remis en question par les experts internationaux et les organisations internationales. Les effets négatifs à court et à long terme des mesures sur les processus démocratiques et les normes en matière de droits sociaux ont également été critiqués.

2. L'Assemblée parlementaire s'inquiète des conséquences profondes des programmes d'austérité actuels sur les normes en matière de démocratie et de droits sociaux. Elle est préoccupée par le risque que les approches restrictives actuellement poursuivies, essentiellement fondées sur des coupes budgétaires dans les dépenses sociales, n'atteignent pas leurs objectifs de consolider les budgets publics, mais aggravent encore plus la crise et nuisent aux droits sociaux puisqu'elles touchent principalement les classes aux plus bas revenus et les catégories les plus vulnérables de la population.

3. Dans ce contexte, l'Assemblée appelle à une nouvelle évaluation de la crise actuelle, qui reconnaisse parmi ses causes profondes le rôle joué par les plans de sauvetage de grande ampleur consentis aux banques européennes. L'Assemblée estime qu'il est nécessaire de dissocier la question à long terme de l'équilibre des finances publiques de celle des marchés financiers et de leurs dynamiques et intérêts à court terme spécifiques. Dans le cadre de l'Union européenne, l'interdiction du financement monétaire des États par la Banque centrale européenne devrait être débattue.

4. Face aux conséquences d'un libéralisme économique «effréné», le modèle social européen et ses diverses expressions nationales devraient être protégés en tant que vision européenne commune, caractérisée par les principes généraux d'une «économie sociale de marché», et l'État providence devrait être renforcé davantage, y compris par de nouveaux partenariats sociaux plaçant l'être humain au centre des préoccupations.

5. La mise en oeuvre des mesures d'austérité est souvent liée à des organes dont le caractère soulève des questions de contrôle et légitimité démocratique, tel que la «troïka» du Fonds monétaire international, de la Commission européenne et de la Banque centrale européenne, ou des gouvernements technocratiques tels que ceux récemment mis en place dans plusieurs États membres. Il est attendu que la décision la plus récente d'établir le Mécanisme européen de stabilité et le Traité fiscal européen, tous deux interconnectés, intensifiera davantage la pression sur les États membres pour poursuivre de nouveaux cycles de mesures d'austérité.

6. L'Assemblée recommande une profonde réorientation des programmes d'austérité actuels, pour mettre fin à l'accent quasi exclusif mis sur la réduction des dépenses dans des domaines sociaux comme les retraites, les services de santé ou les allocations familiales. Elle recommande de prendre des mesures visant à accroître les revenus publics en imposant davantage les catégories à plus hauts revenus et la richesse foncière, en renforçant l'assiette fiscale ainsi qu'en améliorant le recouvrement des impôts, l'efficacité de l'administration fiscale et la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

7. Afin de surmonter la crise actuelle et de garantir un développement économique durable, à la place d'une approche d'austérité, des mesures énergiques en faveur de la reprise économique devraient être prises, fondées sur la création de nouvelles possibilités d'emploi de qualité, l'égalité dans l'accès à l'emploi et le soutien aux jeunes dans la transition entre leur formation et leur carrière professionnelle.

8. Bien que nombre des décisions relatives à ladite «crise de la dette souveraine» soient prises dans le cadre des institutions de l'Union européenne et de la zone euro, de nombreux pays de la Grande Europe ressentent la nécessité de poursuivre la consolidation de leurs budgets publics pour diverses raisons, tout comme ils continuent de ressentir les effets de cette crise économique persistante. Tous les États membres du Conseil de l'Europe devraient donc s'impliquer activement dans la recherche de solutions communes pour surmonter la crise actuelle de la manière la plus démocratique et avec le plus grand respect des droits sociaux.

9. S'agissant de la protection des droits humains (y compris des droits sociaux), la Charte sociale européenne révisée (STE n° 163) reste la principale référence, tandis que la Stratégie pour l'innovation et la bonne gouvernance au niveau local, qui contient 12 Principes de «bonne gouvernance démocratique», élaborée par le Conseil de l'Europe en 2007, devrait être davantage promue en tant que référence importante pour les démocraties modernes.

10. A la lumière de cette évaluation, l'Assemblée parlementaire invite les États membres du Conseil de l'Europe :

10.1. à empêcher de porter atteinte aux normes démocratiques existantes lors de la prise de décisions liées à la «crise de la dette souveraine» et lors d'éventuelles actions communes européennes, en laissant la latitude maximale possible aux gouvernements nationaux et autres institutions nationales démocratiquement légitimées, en particulier aux parlements ;

10.2. à réfléchir à la manière dont ces processus pourraient être rendus plus démocratiques à l'avenir, en tenant compte également de l'élaboration des futures politiques économiques au niveau européen et, en attendant, agir avec la plus grande transparence lorsqu'on prend des décisions de vaste portée qui affectent profondément les économies nationales et la vie des populations ;

10.3. à signer et à ratifier la Charte européenne sociale révisée et le Convention européenne de sécurité sociale (STE n° 078), si cela n'a pas encore été fait, et à envisager de soutenir une mise à jour de cette dernière conformément aux besoins liés aux situations professionnelles et aux styles de vie d'aujourd'hui, afin d'améliorer les droits des citoyens des États membres jusqu'à un niveau au moins égal ou au-dessus des droits garantis par les accords bilatéraux sur la sécurité sociale;

10.4. le cas échéant, à initier un débat public sur les conséquences sociales et l'impact sur la souveraineté démocratique si le Mécanisme européen de stabilité et le Traité fiscal européen devaient entrer en vigueur ;

10.5. à envisager des mesures visant à moderniser les structures et processus démocratiques en ayant recours à de nouvelles formes de participation et de consultation des citoyens, comme les référendums, lorsque la Constitution ou la législation prévoient de telles possibilités ;

10.6. à évaluer avec précision les programmes d'austérité actuels du point de vue de leurs effets à court et à long terme sur les processus décisionnels démocratiques et les normes relatives aux droits sociaux, les systèmes de sécurité sociale et les services sociaux, tels que les systèmes de retraite et de santé, les services à la famille ou les services d'assistance aux groupes les plus vulnérables (personnes handicapées, migrants, personnes sans emploi, etc.) ;

10.7. à concevoir des programmes de consolidation budgétaire fondés non seulement sur les économies à appliquer aux budgets gouvernementaux à divers niveaux et aux dépenses sociales en particulier, mais aussi sur des revenus plus élevés à générer, en particulier grâce à des impôts accrus sur les groupes à hauts revenus et les larges bénéfices des entreprises et une lutte plus acharnée contre l'évasion fiscale, la fraude fiscale, les paradis fiscaux, la corruption et l'économie souterraine ;

10.8. si possible, à compléter les programmes de consolidation budgétaire par des mesures encourageant une croissance économique durable, y compris des mesures visant à créer de nouveaux emplois de qualité et les conditions et l'environnement économique permettant de développer, avec succès, des initiatives individuelles et l'entrepreneuriat, étant donné que l'emploi est une pré-condition pour de futures recettes fiscales ;

10.9. à lancer de vastes programmes de relance économique visant à lutter contre les forts taux de chômage et leurs conséquences économiques et sociales négatives, y compris des mesures spécifiques visant à soutenir les jeunes générations dans la période de transition entre formation et emploi ;

10.10. à poursuivre et soutenir les efforts entrepris pour renforcer la réglementation du secteur financier, et de structures financières dont la taille, l'intégration systémique, la complexité ou l'interconnexion pourraient compromettre la stabilité financière et la capacité des régulateurs à résister à leurs demandes, y compris des mesures concernant le système bancaire parallèle, comme celles demandées par le Parlement européen et initiées actuellement par la Commission européenne ;

10.11. à améliorer entre eux l'échange d'information, la coopération et l'harmonisation fiscale, à mettre en place des mesures communes pour la disparition progressive des paradis fiscaux et des zones fiscales opaques, et à étudier les possibilités de mettre en place de nouveaux impôts sur certains types d'opérations financières en Europe.

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