Annexe 5 - Résolution 1888 (2012) - La crise de la démocratie et le rôle de l'Etat dans l'Europe d'aujourd'hui

1. En 2011, la démocratie a été au centre du débat public européen, faisant l'objet de positions très controversées. Pour certains, encouragés en particulier par les puissants mouvements populaires du Printemps arabe, 2011 est même devenue «l'année de la démocratie».

2. Pour de nombreux autres Européens, toutefois, la démocratie est l'une des principales victimes de la crise financière qui a débuté en 2008. Cette position confirme les conclusions des débats de 2008 et 2010 de l'Assemblée sur l'état de la démocratie en Europe, selon lesquelles les démocraties européennes sont en déclin et traversent une crise qui érode la confiance de nombreux citoyens envers leurs institutions politiques. En 2012, plusieurs débats de l'Assemblée parlementaire sont consacrés aux actuelles «menaces pour la démocratie» que représentent les programmes d'austérité mis en oeuvre dans toute l'Europe et leur impact sur les droits sociaux et démocratiques, sur les pouvoirs locaux et régionaux et plus particulièrement sur les jeunes, qui souffriront le plus de la crise économique et financière.

3. La crise a, en particulier, fait apparaître les limites du pouvoir de la démocratie et a accru la méfiance des citoyens envers la démocratie. Globalement, elle est la conséquence de graves insuffisances du fonctionnement des institutions démocratiques, qui n'ont pas été capables d'anticiper et d'empêcher la crise, ni de lui apporter des réponses rapides et adaptées en épargnant les personnes qu'elles étaient censées servir et protéger.

4. Des Européens s'inquiètent de plus en plus de voir le déclin de leur capacité démocratique à faire face aux conséquences de la crise financière internationale.

5. -Pour ces Européens, il est devenu évident que leurs démocraties nationales n'ont pas été capables de les protéger des conséquences négatives d'une crise financière. Comme ils ne veulent pas renoncer aux avantages de la démocratie, certains exigent plutôt qu'elle soit mise en place au niveau transnational afin de donner aux institutions européennes la légitimité nécessaire pour intervenir et limiter le marché et les forces économiques dans l'intérêt public et lorsque ces forces ont des effets négatifs sur les droits sociaux et démocratiques ou sur l'environnement.

6. Afin de regagner la confiance de leurs citoyens, les États doivent relever les défis auxquels ils sont confrontés aujourd'hui, y compris la nécessité de débattre en profondeur de la construction, de la mise en oeuvre et de l'évolution de l'euro. Ceux-ci comprennent l'érosion de la confiance dans les organes démocratiques représentatifs et dans les partis politiques, le mouvement de millions de personnes en Europe ou de l'extérieur du continent vers l'Europe, l'incapacité de l'État-nation à affronter des problèmes qui le dépassent, ainsi que l'extrémisme accru et le nationalisme dans toute l'Europe, un problème déjà examiné par l'Assemblée dans sa Résolution 1754 (2010) sur la lutte contre l'extrémisme: réalisations, faiblesses et échecs.

7. La crise mondiale est la conséquence de nombreux facteurs économiques complexes et d'insuffisances de la réglementation, dont certaines découlent d'erreurs politiques passées.

8. Dans un certain nombre de pays européens, les processus politiques ont, depuis peu, été soumis à des pressions extrêmes de la part, d'un côté, des marchés et des institutions financières internationales et, de l'autre, des citoyens.

9. Face à l'effondrement de leurs économies et, parfois, au risque d'une faillite de l'État, les gouvernements ont mis en oeuvre des politiques d'austérité drastiques consistant en une baisse des salaires et des prestations sociales et une augmentation des impôts. Les populations de nombreux pays d'Europe, confrontées à une chute brutale de leur niveau de vie qui a amené de vastes segments de la société près ou en-dessous du seuil de pauvreté, sont descendues dans la rue pour protester, parfois violemment, contre des politiques gouvernementales perçues comme étant un diktat des marchés, refusant de devoir payer le prix de la crise.

10. Les problèmes actuels auxquels doit faire face la démocratie sont le résultat cumulé de nombreuses années de mauvaise gouvernance, de myopie politique et de déni de la réalité de la part des gouvernements comme des citoyens.

11. Dans une économie de plus en plus mondialisée centrée sur le marché financier, il y a une dissonance entre l'impact que les agents financiers peuvent avoir sur l'économie des États souverains et le fait que leurs intérêts peuvent diverger. De surcroît, la concentration du pouvoir entre les mains de réseaux financiers intégrés mondiaux représente un risque plus grand encore pour la stabilité des États-nations et des gouvernements.

12. L'État ne peut généralement pas être solide sans une démocratie vivante et forte. Réciproquement, une démocratie forte a aussi besoin d'un État solide pour s'épanouir et répondre aux attentes des citoyens, en particulier en matière de justice sociale. Pour arriver à cette fin, tous les moyens de rendre un État plus responsable devraient être explorés, y compris le développement de liens étroits avec des organisations représentatives de la société civile, un soutien à des medias courageux et qui ne sont pas concentrés dans quelques mains, ainsi que la promotion d'une citoyenneté instruite.

13. Après le déclenchement de la crise, les États sont apparus comme le dernier recours pour sauver l'économie de marché: la désintégration complète des marchés financiers et des banques privées n'a pu être empêchée que grâce à l'intervention publique des gouvernements nationaux, qui a considérablement aggravé les dettes souveraines.

14. Le refinancement de sociétés privées par des fonds publics, et en dehors de toute transparence, a fait peser une charge fiscale supplémentaire sur les citoyens et érodé plus encore leur confiance envers l'équité et l'efficacité de l'État.

15. Afin de remédier à la crise actuelle et de concevoir des stratégies de stabilisation sur le long terme, les États devraient restaurer ou développer leurs capacités de réglementation des marchés financiers internationaux. Cet effort devrait aussi inclure la capacité et le choix politique de taxer les transactions financières s'il y a un accord international en ce sens.

16. Des États solides devraient développer des stratégies de réduction des dettes souveraines en veillant dans le même temps à préserver la croissance économique et l'intégration sociale. Cet objectif implique une capacité des États à collecter des impôts et à adapter les niveaux d'imposition aux besoins actuels et à long terme de la société. Il nécessite aussi que les niveaux d'imposition soient acceptables par une majorité des citoyens pour une répartition équitable des charges fiscales.

17. Des États solides devraient aussi être capables de concevoir des stratégies de croissance et de modernisation de la société, en particulier au moyen d'investissements dans de nouvelles infrastructures et dans des projets de développement durable, notamment pour les économies d'énergie et l'utilisation des énergies renouvelables. Le cas échéant, les formalités administratives devront faciliter et stimuler le développement durable.

18. Pour l'avenir, les États solides auront besoin de capacités accrues de coopération avec d'autres pays, car de nombreux domaines d'action sont déjà trop vastes pour être gérés à l'échelle de la plupart des États-nations. Les organes décisionnels devraient en particulier être dotés d'une plus grande légitimité démocratique au niveau européen, où la mise en place d'un véritable gouvernement économique pourrait être la prochaine étape dans le processus d'intégration politique.

19. Les États solides reposent sur des démocraties fortes. Ceci suppose d'améliorer la représentativité des structures démocratiques existantes. Pour ce faire, ils peuvent introduire des éléments de démocratie directe, qui devront être conçus avec soin de manière à développer la participation des citoyens, et promouvoir une citoyenneté active, comme le propose l'Assemblée parlementaire dans sa Résolution 1874 (2012) sur la promotion d'une citoyenneté active en Europe.

20. Tous les niveaux de gouvernements devraient être guidés par l'intérêt public plutôt que par les intérêts de tel ou tel acteur. Les États solides, capables d'assurer leurs principales fonctions et de conserver un haut niveau de confiance de la part de leurs citoyens, doivent être à même de résister aux abus de pouvoir politique, administratif ou judiciaire, aux comportements contraires à l'éthique tels que la corruption, le favoritisme à l'égard d'acteurs privés et l'influence indue des médias ou de groupes d'intérêt, tout en étant à même d'élaborer des politiques énergiques en faveur de la croissance et de la cohésion sociale. Sans des efforts permanents pour rendre les États capables de résister à ces phénomènes, la confiance des citoyens dans les décideurs continuera de s'éroder.

21. Les décideurs politiques disposent d'une référence importante avec les «douze principes de bonne gouvernance démocratique au niveau local», adoptés par le Comité des Ministres en mars 2008 dans le cadre de sa «Stratégie pour l'innovation et la bonne gouvernance au niveau local», laquelle constitue un instrument moderne et un modèle utile pour tous les niveaux de gouvernement.

22. Afin de pouvoir défendre durablement le modèle économique et social européen et la liberté des citoyens de donner corps aux valeurs politiques européennes, il faudrait à la fois européaniser la démocratie et démocratiser l'Europe.

23. Dans ce contexte, l'Assemblée invite les États membres du Conseil de l'Europe :

23.1. à réfléchir, par exemple dans le cadre du Forum mondial de la Démocratie devant se tenir à Strasbourg en octobre 2012, aux moyens de renforcer la démocratie en l'ancrant plus profondément dans l'État nation et en la renforçant au niveau transnational ;

23.2. à engager avec elle un dialogue sur l'état de la démocratie en Europe, de manière à consolider le rôle du Conseil de l'Europe en tant que «gardien» de la démocratie au sein de la Grande Europe ;

23.3. à réfléchir à la manière dont ce débat pourrait être organisé dans les États membres, à des fins de sensibilisation et pour identifier des moyens de renforcer la démocratie, de bâtir des États solides et de démocratiser l'Europe afin qu'elle ne perde pas davantage de sa légitimité.

24. L'Assemblée appelle plus particulièrement les parlements nationaux à exercer leur rôle clé pour la défense de la démocratie représentative en Europe, à réfléchir et à émettre des conseils sur la manière dont la démocratie moderne pourrait s'adapter, et dans le cadre de son propre travail, elle s'efforcerait également de promouvoir ce but au sein des 47 États membres du Conseil de l'Europe.

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