3. Les contrôles de l'assurance maladie : un dialogue impossible ?

Le financement des établissements de santé par l'assurance maladie repose sur les données de facturation qu'ils adressent à celle-ci, de manière indirecte actuellement. Ce système déclaratif implique, en contrepartie, de pouvoir contrôler le respect des règles de codage et de facturation , l'exactitude des informations médico-administratives produites au cours d'un séjour et la conformité de l'ensemble à la législation de sécurité sociale.

La procédure

Le contrôle de ces règles et informations est effectué sous l'autorité des directeurs généraux d'ARS et dans le cadre de priorités fixées nationalement, avec une forte implication de l'assurance maladie . Dans chaque région, une commission de contrôle, où siègent à parité les représentants de l'Etat et de l'assurance maladie, est placée auprès du directeur général de l'ARS. Elle intervient dans la définition du programme de contrôle et dans les suites qui lui sont données. La commission de contrôle s'appuie elle-même sur une instance technique Etat-assurance maladie, l'unité de coordination régionale (UCR), qui est en charge de la conduite effective du contrôle externe et se compose pour environ un tiers de personnels de l'ARS. Les contrôles sur pièces et sur site sont réalisés par des médecins-conseil de l'assurance maladie et des médecins des ARS .

Schématiquement, la procédure s'enchaîne comme suit : l'établissement reçoit du directeur général de l'ARS notification du contrôle, qui peut porter sur des périodes ou des champs d'activité délimités ; les médecins-conseil de l'assurance maladie et les médecins de l'ARS procèdent au contrôle, qui s'achève par une phase de concertation avec le médecin DIM, puis transmettent leur rapport à l'établissement qui dispose de trente jours pour faire part de ses observations ; sur la base du rapport définitif, l'assurance maladie calcule le cas échéant les sommes indûment perçues par l'établissement au titre des dossiers contrôlés et les lui réclame ; en outre, le directeur général de l'ARS peut décider de sanctions financières à l'encontre de l'établissement, en fonction de la gravité des manquements constatés et de leur caractère réitéré, et sur la base des avis de la commission de contrôle.

Des priorités de contrôle sont définies au niveau national par le Conseil de l'hospitalisation. Elles doivent en principe assurer une certaine cohérence entre les programmes de contrôle arrêtés par les ARS. Il existe également un guide du contrôle externe, établi sous l'égide de l'assurance maladie en liaison avec le ministère de la santé et censé homogénéiser les pratiques. Ce guide n'avait fait l'objet d'aucune mise à jour durant plusieurs années. Il fait actuellement l'objet d'une refonte complète, signe que la version actuelle était loin d'être pleinement satisfaisante.

Le contrôle est généralement effectué sur la base d'un échantillon de dossiers tirés au sort (une centaine au minimum). L'assurance maladie est en droit de réclamer la rétrocession des sommes indûment versées sur les dossiers contrôlés sur site . Peut s'ajouter à ce remboursement une sanction décidée par le directeur général de l'ARS , dont le montant est quant à lui calculé non plus sur les dossiers effectivement contrôlés, mais sur l'ensemble du champ d'activité ayant fait l'objet du contrôle. Le directeur général de l'ARS dispose d'une certaine marge d'appréciation. Le projet de sanction qui est initialement communiqué à l'établissement résulte d'une stricte application du barème. Le directeur général de l'ARS peut en réduire le montant lorsqu'il prononce la sanction définitive, voire renoncer à toute sanction.

Le tableau ci-après porte sur la campagne de contrôles relatifs aux facturations 2008 et détaille les montants respectifs des indus réclamés aux établissements par les caisses d'assurance maladie (34,7 millions d'euros, dont 27,9 millions ont été recouvrés) et des sanctions prononcées par les directeurs généraux d'ARS (51,3 millions d'euros finalement notifiés, pour 141,5 millions initialement envisagés). On constate une réduction sensible du montant des sanctions entre la première signification aux établissements et la notification définitive. Toutefois, certains établissements ne bénéficient d'aucune réduction des sanctions, alors que pour d'autres, seul subsiste un montant symbolique. Les sanctions concernaient 227 établissements, soit les deux tiers des établissements contrôlés, avec un montant moyen de 225 000 euros par établissement mais de fortes variations entre eux.

Bilan des contrôles réalisés sur la facturation 2008

(en millions d'euros)

Ex DG

Ex OQN

Total

Nombre d'établissements contrôlés

176

156

332

Montant des indus notifiés

34,7

Montant des indus recouvrés

27,9

Montant initial des sanctions maximales

Nombre d'établissements concernés

127,0

139

14,5

107

141,5

246

Montant initial des sanctions maximales

pour les établissements retenus par le DG ARS

Nombre d'établissements concernés

118,4

132

11,7

95

130,1

227

Montant total des sanctions retenues

et notifiées par le DG ARS

Nombre d'établissements concernés

46,0

132

5,3

95

51,3

227

Sanctions notifiées/sanctions maximales

Dispersion selon les établissements

39 %

6 % à 100 %

45 %

2 % à 100 %

39 %

2 % à 100 %

Source : DGOS et Cnam

Les données disponibles sur les contrôles relatifs aux facturations 2009 et 2010 ne sont pas significatives, l'ensemble des procédures, qu'elles concernent les redressements sur l'exercice 2009 ou les contrôles sur l'exercice 2010, ayant été suspendues durant cinq mois au cours de l'année 2011, en l'attente de l'adoption d'un nouveau cadre réglementaire. Sur les facturations 2009, 115 établissements étaient susceptibles d'être sanctionnés sur 284 établissements contrôlés. Les indus réclamés se montaient à 21,8 millions d'euros et les sanctions finalement notifiées ont concerné 42 établissements pour un montant de 4,6 millions d'euros, déduction faite de 7 millions d'euros correspondant à des sous-facturations constatées. Sur les facturations 2010, 209 établissements ont été contrôlés. Les montants attendus des récupérations sur indus et des sanctions sont respectivement de 22,5 et de 23 millions d'euros.

A titre d'illustration des difficultés soulevées par le contrôle externe, on peut citer la récente décision du tribunal administratif de Dijon, en date du 12 avril dernier, annulant les pénalités financières prononcées par l'ARS Bourgogne à l'encontre de quatre établissements hospitaliers. Ces pénalités portant sur l'année 2008 s'élevaient d'un montant allant de 60 000 euros pour le centre hospitalier de Clamecy (pour un trop-perçu de 55 000 euros) à 1,87 million d'euros pour le CHU de Dijon (pour un trop-perçu de 95 000 euros). La juridiction a fondé son jugement sur l'insuffisante motivation des décisions de l'ARS.

Des pratiques largement désapprouvées dans les établissements

Que ce soit au cours des auditions ou de ses déplacements, la Mecss a recueilli de nombreuses et vives critiques des responsables d'établissements et des médecins quant au déroulement des contrôles externes et au régime de sanctions associé.

D'une manière générale, ceux-ci reprochent au contrôle d'être souvent mené systématiquement à charge , dans un esprit de suspicion à l'encontre des établissements. Si les responsables hospitaliers, administratifs et médicaux, admettent la légitimité d'un contrôle et l'existence d'erreurs de codage, ils font valoir que ces erreurs sont rarement intentionnelles, ce qui supposerait une parfaite maîtrise de la tarification par les praticiens, et qu'elles résultent le plus souvent de négligences ou d'oublis. Le « sous-codage », qui pénalise financièrement les établissements, serait au moins aussi fréquent, sinon plus, que le « surcodage », mais il n'entrait pas, jusqu'à récemment, dans le champ du contrôle. Les contrôles seraient en outre ciblés sur certaines activités situées dans des zones d'ambiguïté de la tarification, et donc davantage propices aux erreurs.

Les contestations portent également sur les critères retenus par les médecins contrôleurs. On peut ici pratiquement parler d'un fossé d'incompréhension entre les praticiens et leurs confrères de l'assurance maladie. Ceux-ci feraient trop souvent abstraction des situations réelles des prises en charge, par exemple lorsque l'urgence ou l'incertitude du diagnostic expliquent des décisions rapides et des examens ou des actes qui ne seraient peut-être pas nécessaires dans des circonstances courantes. Autre reproche, les médecins contrôleurs accuseraient un temps de retard par rapport à l'évolution des pratiques médicales et s'appuieraient sur des textes de référence obsolètes ou incomplets par rapport aux travaux des sociétés savantes. Les délais de publication ou d'actualisation des référentiels de la HAS, voire l'absence de référentiels, ont été déplorés. Au total, les modalités du contrôle engendrent parfois un sentiment d'injustice et de frustration, notamment de la part de praticiens exerçant dans des spécificités pointues ou peu fréquentes.

Les procédures de contrôles et de sanctions sont largement critiquées . Il est reproché à l'assurance maladie d'être juge et partie, même si celle-ci répond n'agir qu'en vertu des dispositions législatives et réglementaires lui confiant cette mission, dans un cadre établi par les ARS et en liaison avec elles. Les contrôleurs disposeraient d'un trop large pouvoir d'appréciation et le principe du contradictoire serait insuffisamment respecté, le contrôle de la T2A comportant bien moins de garanties pour l'établissement qu'il n'en est prévu pour les particuliers ou les entreprises en cas de contrôle fiscal ou social.

A propos des sanctions financières prononcées contre les établissements, et qui s'ajoutent aux sommes récupérées sur les anomalies constatées, le responsable d'un syndicat de praticiens parle de véritable « racket », dans la mesure où les contrôles consistent à déceler des erreurs sur un échantillon de dossiers puis à infliger une pénalité calculée par extrapolation du taux d'erreur sur l'ensemble de l'activité concernée réalisée durant l'année, alors même que les contrôles sont ciblés a priori sur des atypies constatées dans les bases de données. Les montants peuvent ainsi atteindre plusieurs millions d'euros et déstabiliser les finances de l'établissement.

Enfin, il a été fait état d'une grande hétérogénéité des modalités de contrôle et des suites qui leur sont données selon les régions. Certains établissements se sentent sévèrement sanctionnés, alors que d'autres vivraient sans difficulté cet aspect de leurs relations avec l'assurance maladie. A l'appui de cette impression, on peut mentionner un centre hospitalier visité par la Mecss qui avait pu obtenir de la caisse d'assurance maladie un versement substantiel après avoir chiffré, grâce aux services d'une société spécialisée, son manque à gagner du fait d'un sous-codage de ses activités au cours de trois exercices passés.

D'après les informations recueillies par vos rapporteurs 42 ( * ) , les établissements ne sont pas systématiquement ni régulièrement contrôlés . Le contrôle est effectivement ciblé sur certains établissements et certaines activités en particulier. Un outil informatique a été développé par l'Atih (Datim) pour déceler les atypies de facturation. C'est en fonction des indications obtenues sur leurs données de facturation que les établissements à contrôler sont choisis. Certains établissements peuvent être contrôlés chaque année si l'analyse de leurs indicateurs détecte chaque année une atypie. D'autres établissements sont en revanche rarement contrôlés car les indicateurs n'ont jamais montré de singularité.

Une réforme récente, relativement timide

Le décret n o 2011-1209 du 29 septembre 2011 a modifié les dispositions relatives au contrôle de la tarification à l'activité des établissements de santé afin de prendre en compte certaines des critiques précédemment exposées.

Les fédérations hospitalières seront informées en amont de la préparation du programme de contrôle et des prescriptions méthodologiques données aux contrôleurs. Le principe du contradictoire sera mieux pris en compte dans la procédure, en allongeant le délai laissé aux établissements pour présenter leurs observations à la commission de contrôle (trente jours au lieu de quinze) et en leur permettant d'être auditionnés après réception de la notification précisant le montant maximal de la sanction encourue.

Le décret introduit le principe plus équitable de la compensation entre les surfacturations et les sous-facturations constatées sur l'échantillon contrôlé. Pour le recouvrement des indus, l'assurance maladie devra donc déduire les sous-facturations des surfacturations constatées sur l'échantillon. Dans le cas où il n'y aurait que des sous-facturations ou dans le cas d'une compensation favorable, les sommes dues seront reversées à l'établissement.

Enfin, le montant maximal des sanctions est mieux encadré. La sanction maximale correspondra, pour l'établissement, à la plus favorable des trois valeurs suivantes : le produit du taux d'anomalies, en tenant compte des sur et des sous-facturations, par le montant des recettes annuelles afférentes au champ de contrôle ; dix fois le montant des sommes indûment perçues , déduction faite des sous-facturations constatées ; 5 % de la recette annuelle d'assurance maladie perçue au titre de l'année civile antérieure au contrôle.

La circulaire du 20 octobre 2011 dispose que la sanction peut être modulée en fonction de la gravité des manquements et de leur caractère réitéré . La gravité des faits pourra être appréciée selon les critères suivants : importance du taux d'anomalies sur une même activité, prestation ou séjours présentant une caractéristique commune ; cas où le manquement constaté relève de l'absence de réalisation de la prestation ; caractère réitéré du manquement sur la même activité, prestation ou séjours présentant une caractéristique commune.

Cette même circulaire prévoit un délai d'un an entre deux contrôles dans un même établissement et sur un même champ de contrôle, afin de laisser le temps à l'établissement de corriger sa pratique. En revanche, un même établissement pourra être contrôlé deux années consécutives sur des champs différents.


* 42 Par exemple, les HCL ont été contrôlés cinq fois en six ans ; le centre hospitalier de Château-Thierry ne l'a pas été depuis plusieurs années.

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