II. GARANTIR LA QUALITÉ DE PRISE EN CHARGE POUR LES PATIENTS

A. LA PERTINENCE DES SOINS ET DES SÉJOURS : LUTTER CONTRE LES ACTES INUTILES

Selon une récente enquête menée par la FHF 62 ( * ) , les médecins estiment qu'environ 28 % des actes médicaux ne sont pas « pleinement justifiés ». Les praticiens sondés expliquent ce phénomène principalement par la demande des patients et la peur du risque judiciaire, mais aussi par les insuffisances de la formation initiale, l'absence de référentiels et de contrôle des pratiques et par les incitations économiques.

Elle confirme le sentiment recueilli par la Mecss d' un nombre élevé, mais non évalué précisément, d'actes inutiles . Nombre de médecins rencontrés durant les travaux se sont régulièrement fait l'écho de cette préoccupation : si des examens ou actes sont naturellement coûteux pour la société, ils peuvent surtout présenter des inconvénients pour les patients eux-mêmes et ils réduisent inutilement le temps médical et soignant dans un contexte démographique défavorable.

Ainsi, une étude conduite par la même FHF entre décembre 2009 et septembre 2010 a révélé certaines pratiques divergentes des recommandations de bonnes pratiques 63 ( * ) , par exemple pour des radiographies du crâne, considérées comme inutiles pour les traumatismes crâniens simples, des cholécystectomies (en 2004, 11 % des ablations de la vésicule biliaire ne correspondaient pas aux indications figurant dans les recommandations de bonnes pratiques) ou des examens de dépistage systématique des cancers du sein et de la prostate. Il existe également un risque de redondance de certains actes, par exemple la réalisation d'un scanner dans l'attente d'une IRM.

La société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar) a récemment publié une recommandation relative aux examens préinterventionnels systématiques avec pour objectif de les limiter au strict nécessaire. Si le caractère non automatique de ces examens complémentaires (électrocardiogrammes ou radios thoraciques par exemple) avait déjà été souligné en 1998 dans un précédent document, la Sfar regrette le maintien de ces examens « en batterie » qui, estime-t-elle, ne servent à rien, coûtent cher et font perdre un temps précieux au patient et à l'hôpital. Elle préconise une plus grande sélectivité, fondée sur la prise en compte du type de chirurgie pratiquée, de l'état de gravité du patient et des facteurs de risques.

Il est vrai que les référentiels de bonnes pratiques développés par la HAS sont encore insuffisants et son président a reconnu devant la Mecss une certaine lenteur dans les travaux qui étaient menés. L'agence a décidé d' accélérer ses études , ce qui est indispensable : elle a achevé celle sur la césarienne programmée, celle sur l'amygdalectomie devant être publiée prochainement ; elle en a prévu sur l'appendicectomie, l'opération de la cataracte et dans le domaine de la chirurgie orthopédique.

Le déplacement de la mission à l'Institut Sainte-Catherine en Avignon a montré que certaines spécialités sont en avance en matière de référentiels et de bonnes pratiques ; c'est particulièrement le cas en cancérologie, où les molécules peuvent être très onéreuses.

Rapport de l'assurance maladie
sur les charges et produits pour l'année 2013

L'article L. 111-1 du code de la sécurité sociale prévoit que l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) transmet, chaque année, au Gouvernement des propositions relatives à l'évolution de ses charges et produits. Dans le cadre de son rapport 2012, adopté le 19 juillet dernier, l'Uncam évoque notamment les aspects liés aux bonnes pratiques, à partir de quelques exemples.

Arthrose du genou suivie d'une pose de prothèse (1,1 milliard d'euros pour l'ensemble du processus de soins)

Des publications médicales et certaines équipes recommandent l'usage de prothèses cimentées mais il n'existe pas en France de recommandations nationales issues d'un suivi en vie réelle de ces prothèses. Or, elles s'avèrent 25 % moins chères que les autres, alors que le risque de révision serait moins élevé (selon un registre clinique réalisé en Suède).

En outre, le contenu de la rééducation n'est aujourd'hui pas défini précisément dans un référentiel de bonnes pratiques professionnelles. Si 69 % des patients opérés sont orientés vers une prise en charge en SSR, le taux varie de 51 % à 81 % selon les régions. Pour l'assurance maladie, le coût s'élève à 4 820 euros en SSR et à 860 euros en ville, le reste à charge étant souvent plus élevé pour le patient en ville qu'en établissement.

Chirurgie des varices des membres inférieurs (264 millions)

La France n'utilise quasiment pas les nouvelles techniques non chirurgicales, qui représentent 56 % des actes au Royaume-Uni. Or, elles peuvent être réalisées en ambulatoire et améliorer la qualité de prise en charge des patients en évitant une anesthésie générale. La HAS n'en a cependant pas publié d'évaluation.

En outre, les indemnités journalières sont aujourd'hui très nettement supérieures à la durée moyenne d'arrêt validée par la HAS.

Cancer de la prostate

A contrario , la HAS ne recommande pas le dépistage systématique du cancer de la prostate par dosage de PSA (prostate-specific antigen) , alors que la pratique d'un dépistage de masse existe dans les faits : paradoxalement, le taux de dépistage de ce cancer est supérieur à celui du cancer du sein ou colorectal. En outre, les taux varient du simple au double selon les départements.

Par ailleurs, une étude nationale menée sur la période 2010-2011 par la DGOS sur les inadéquations hospitalières en médecine et chirurgie montre que, sur un jour donné dans les établissements de santé, 10,3 % des lits sont occupés de façon non pertinente. Le pourcentage est de 5 % dans les services de chirurgie et 17,5 % dans ceux de médecine. 3,8 % des hospitalisations sont inadéquates dès l'admission tandis que 12,5 % d'entre elles comportent au moins une journée inadéquate.

Pour autant, la montée en puissance de la T2A a entraîné une nette diminution de la durée des séjours, parfois critiquée quand elle est excessive. Ce sujet de la pertinence des séjours pose donc un ensemble plus vaste de questions : la coordination des différents acteurs, la disposition de places en aval de la prise en charge sanitaire 64 ( * ) ou encore les alternatives à l'hospitalisation. Dans un établissement visité par la mission, ses responsables ont également dénoncé des phénomènes inadmissibles d'entrée de personnes âgées à l'hôpital le vendredi, car la maison de retraite qui les héberge ne souhaite pas avoir à les prendre en charge le week-end en cas de problème de santé.

Dans le même esprit, l'affaiblissement de la médecine de ville, notamment en cas de difficultés démographiques sur un territoire, pèse sur l'hôpital, établissement de recours, et entraîne une activité et un coût pour la société peu justifiés ; la directrice du centre hospitalier de Laval évoquait à ce sujet les spécialités de pédiatrie, d'ophtalmologie ou d'ORL.

Plusieurs personnes interrogées par la mission ont également souligné le fait que les étudiants en médecine sont aujourd'hui insuffisamment sensibilisés aux enjeux médico-économiques . La multiplication d'examens à la nécessité variable semble ainsi trop souvent considérée par les jeunes praticiens comme le gage d'un meilleur diagnostic et d'une prise en charge plus adaptée.

Par ailleurs, les patients , de mieux en mieux informés, peuvent eux-mêmes contribuer à la multiplication d'actes non pertinents.

Les actions menées par six ARS dans le cadre d'un groupe de travail incluant la DGOS, la Cnam et la HAS pour définir une méthodologie permettant de repérer les actes non pertinents et agir en conséquence auprès des établissements de santé devraient être renforcées par la création sur l'ensemble du territoire de véritables observatoires de la qualité et de la pertinence des soins .

Propositions

Développer les référentiels de la Haute Autorité de santé pour le plus grand nombre de pathologies.

Créer des observatoires de la qualité et de la pertinence des soins au sein des ARS.

Revoir la question de la couverture assurantielle des praticiens et des établissements afin d'éviter la multiplication des actes destinés à une couverture médico-légale.

Faire évoluer la médecine « expertale » pour la rapprocher de l'exercice en situation.

Intégrer la dimension médico-économique et la pertinence des actes dans les études de santé initiales, mais aussi continues (médecins, infirmières, sages-femmes, masseurs-kinésithérapeutes).


* 62 « Les médecins face aux pratiques d'actes injustifiés », sondage réalisé auprès de 803 médecins hospitaliers et libéraux et publié le 4 juillet 2012.

* 63 Travaux présentés dans la Revue hospitalière de France par le professeur René Mornex, président de la commission chargée de travailler sur la pertinence des actes médicaux, n° 537, novembre-décembre 2010.

* 64 Le manque de places en SSR a notamment été soulevé pour le Vaucluse, lors du déplacement au centre hospitalier d'Avignon.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page