B. LES CONDITIONS DE NÉGOCIATION DES PRIX

1. Le régime actuel
a) Rappel général

Pendant très longtemps, le secteur laitier a vécu sous un régime de prix quasi administrés. La première trace d'un prix « officiel » ou prix indicatif remonte à une loi française de 1935. Le prix était alors donné en fonction du coût de revient des producteurs. Ce dispositif a été repris dans le cadre du droit de l'Union européenne. Le Conseil fixait chaque année un prix indicatif, sorte de prix objectif applicable aux échanges de lait, et un prix d'intervention, sorte de prix de réserve applicable au beurre et à la poudre de lait. Pour reprendre l'expression du professeur Chalmin, « un bon ministre était un ministre qui ramenait de bons prix » .

La réforme de la PAC de 1999 a mis fin au régime des prix administrés. Le prix d'intervention demeure à titre symbolique mais il est tellement décalé par rapport au prix du marché qu'il n'a plus aucune influence sur le prix des échanges. Aujourd'hui, le prix du lait est celui du marché, il résulte de la confrontation d'une offre et d'une demande, nationale et internationale. L'influence des facteurs internationaux est croissante et le prix de la poudre de lait, seul produit qui fasse vraiment l'objet d'un négoce international, est déterminant dans le prix du lait. Pour les acteurs de la filière, la volatilité des prix est d'ailleurs un problème aussi important que celui du niveau des prix. Des contrats conclus entre producteurs/éleveurs et industriels/fabricants permettent dans une certaine mesure de limiter cette volatilité. Dans une certaine mesure seulement puisque, comme on l'a vu, les contrats étaient, jusqu'en 2011, des contrats souvent oraux passés de surcroît entre deux parties inégales.

L'absence de prix public de référence n'exclut pas quelques repères institutionnels ou professionnels. C'est à la fin des années 60 et à l'initiative de deux députés de la Manche, MM. Emile Bizet et Pierre Godefroy, que le Code rural prévoit le paiement du lait en fonction de sa composition et de sa qualité hygiénique et sanitaire 8 ( * ) .

b) Le rôle de l'interprofession laitière

Mais l'essentiel reposait sur des repères professionnels, en l'espèce, l'interprofession laitière , le CNIEL qui réunit éleveurs-producteurs, industriels-fabricants et coopératives. Depuis 1997, le CNIEL communiquait des recommandations de prix trimestrielles, non obligatoires mais qui servaient de référence au niveau des centres régionaux, les CRIEL, et des acteurs de la filière (éleveurs et fabricants).

Cette pratique a été condamnée et a été abandonnée. Elle a été remplacée par un dispositif plus neutre d'indices de tendances dont la légalité a été assise par un amendement à la loi de finances pour 2009. L'article 141 de la loi n° 1425 du 28 décembre 2008 de finances pour 2009 ajoute un nouvel article L. 632-14 au Code rural permettant au CNIEL d'élaborer non plus des « recommandations » mais des « indices de tendances » des prix du lait. Cet article ainsi rédigé :

Code rural et de la pêche maritime

Article L. 632-14

Le Centre national interprofessionnel de l'économie laitière peut élaborer et diffuser des indices de tendance, notamment prévisionnels, des marchés laitiers, ainsi que tout élément de nature à éclairer la situation des acteurs de la filière laitière.

Les centres régionaux interprofessionnels de l'économie laitière peuvent élaborer et diffuser des valeurs qui entrent dans la composition du prix de cession du lait aux collecteurs ou aux transformateurs, en s'appuyant notamment sur les indices mentionnés à l'alinéa précédent.

Les opérateurs de la filière laitière peuvent se référer aux indices et valeurs mentionnés aux deux premiers alinéas dans le cadre de leurs relations contractuelles.

Ces pratiques ne sont pas soumises aux articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce .

Ainsi, le CNIEL garde un rôle neutre et purement informatif qui permet de donner un éclairage du marché à l'usage des parties. Ces indices de tendance, communiqués par le CNIEL, se composent d'un certain nombre d'indicateurs complétés par des valeurs publiées en région par les CRIEL, il s'agit de valeurs liées à la qualité sanitaire et hygiénique, ainsi qu'une grille de saisonnalité différente suivant les régions. La mise à jour régulière des données (pratiquement mois par mois) est extrêmement précieuse pour les parties. Ces formules conduisent à un barème de prix exprimé en euros par mille litres, dans une fourchette large de l'ordre de 33 % entre le moins bien et le mieux payé des producteurs au sein d'un même acheteur de lait. Le tableau suivant illustre la variété des indicateurs :

1. Éléments constitutifs des indices de tendance du CNIEL

- Prix des produits industriels (beurre, poudre de lait...)

- Prix des fromages export (Gouda/Edam/Emmental)

- Indicateurs mixtes de produits français exportés

- Différence entre le prix du lait français / Allemagne

- Indicateur de coût de production du lait (ratio coût de l'alimentation du bétail / prix du lait)

2. Valeurs publiées par les CRIEL

- Correction de saisonnalité

- Prime de qualité de lait (germes, cellules somatiques, incidence butyrique...)

3. Des primes diverses peuvent être ajoutées (bonne pratique d'élevage, prime de refroidissement, prime d'environnement, prime de race...)

La Commission européenne, les juridictions européennes et nationales sont en revanche très attentives à ce que ces informations ne puissent, en aucune façon, s'apparenter à une incitation à la fixation collective d'un prix. Selon une information recueillie au cours des entretiens, en Allemagne, une juridiction aurait même interdit la publication de statistiques de prix si elles dataient de moins de six mois... Alors que, partout, tout s'accélère, cette précaution semble dérisoire.

2. Les dispositions du paquet lait

Le paquet lait modifie les articles du règlement n° 1234/2007 (dit règlement OCM unique). Si l'entente sur un prix est évidemment prohibée, les règles européennes relatives aux prix sont plutôt complexes.

Le nouvel article 123 du règlement dispose que les États membres peuvent reconnaître les organisations interprofessionnelles qui (...) « c) mènent une ou plusieurs activités suivantes (...) i) amélioration de la connaissance et de la transparence de la production et du marché, au moyen, notamment, de la publication de données statistiques relatives aux prix , aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus pour la livraison de lait cru, ainsi que de la réalisation d'études sur les perspectives d'évolution du marché au niveau régional, national ou international ».

L'article 126 quater relatif aux organisations professionnelles dispose, dans son paragraphe 2. b) « que les négociations peuvent être menées par les associations de producteurs (...), que le prix négocié soit ou non identique pour la production conjointe de tous les agriculteurs membres de l'OP ou de seulement certains d'entre eux ».

L'article 126 quinquies relatif à la régulation de l'offre pour les fromages bénéficiant d'une AOP (appellation d'origine contrôlée) ou IGP (indication géographique protégée) dispose que, « à la demande d'une OP , (...), les États peuvent définir des règles portant sur la régulation de l'offre de fromages (...) [à condition que] ces règles ne permettent pas la fixation de prix , y compris à titre indicatif ou de recommandation ».

L'article 177 bis , relatif aux interprofessions et aux accords, décisions et pratiques concertées dans le secteur du lait et des produits laitiers, stipule (dans son paragraphe 4.d) que « les accords , décisions et pratiques concertées sont déclarés, en tout état de cause, incompatibles avec les règles de l'Union s'ils impliquent (...) la fixation de prix ».

Ainsi, la fixation d'un prix est évidemment prohibée. Des accords impliquant ou permettant la fixation de prix le sont aussi. Mais les OP peuvent établir des statistiques relatives au prix et des études sur les perspectives de marché.


* 8 Code rural, articles L. 654-30 et 31 et D. 645-29 à 33. Les arrêtés du 28 juillet 2000 et du 1 er avril 2008 précisent également les modalités d'application du décret n° 97-1319 du 30 décembre 1997 relatif aux modalités de paiement du lait de vache.

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