E. FINANCER LA PÉRÉQUATION ENTRE TERRITOIRES INONDABLES

La difficile question de la solidarité entre l'amont et l'aval d'un cours d'eau précédemment rencontrée (Titre III.II.A.4, p. 128) pourrait recevoir un début de réponse à travers la modulation des charges de financement des EPAGE et EPTB et de mesures compensatoires attribuées aux zones pénalisées en termes de protection.

L'existence de zones d'expansion des crues (ZEC), destinées à limiter la violence de celles-ci, principalement pour le bénéfice des zones urbanisées aval, au détriment des zones rurales amont pose à l'évidence un problème, non résolu, d'équité. Si Napoléon III entendait concilier les intérêts des urbains et des ruraux, cette préoccupation semble passée de mode aujourd'hui où il va de soi que le destin des zones rurales est d'être inondées pour le plus grand bien des zones urbaines. La réponse la plus classique, à ce problème, c'est... qu'il n'y a pas de problème, ce qui a toujours été inondé doit le rester 204 ( * ) . Étrange raisonnement qui, non seulement néglige que les situations actuelles sont souvent le produit de rapports de forces anciens, et qui poussé à son terme prive de fondement tout système de solidarité entre ceux qui vivent dans des zones exposées à des risques majeurs récurrents et les autres, sauf à penser qu'ils n'ont pas à être là où ils sont. Si ce qui est inondable doit le rester pour les uns, pourquoi pas pour les autres ?

On a redécouvert l'intérêt des ZEC, notamment pour de vastes bassins comme celui du Rhône, quand on s'est aperçu des limites du recours à des ouvrages de protection, imposants et coûteux. Une ZEC est donc un espace, généralement amont et peu urbanisé. Elle est inondée volontairement pour préserver les espaces situés en aval ou, du moins, réduire la crue prévisible à l'échelle d'un bassin versant ou d'une commune. Ce choix entre des territoires, on s'en doute, ne fait pas l'objet de débat comme on l'a vu, dans les deux sens sur les exemples de Piolenc-Mornas (voir p. 175) et de la Camargue.

Inondée régulièrement, une ZEC se trouve donc limitée dans son développement puisqu'elle ne doit pas contenir d'espaces très urbanisés ou des équipements industriels ou publics. La constructibilité et l'habitabilité de la zone sont limitées de fait.

Pour l'heure, l'idée selon laquelle cette servitude de fait demanderait compensation commence à peine à germer. Ainsi, dans son rapport de 2001, la commission d'enquête de l'Assemblée nationale préconisait-elle d'« inciter à la restauration et au développement des zones d'expansion des crues, assorties de mécanismes adéquats d'indemnisation des servitudes ainsi créées » . Ce souhait a été exaucé en 2003 par l'introduction d'un article L. 211-12 au sein du code de l'environnement 205 ( * ) qui s'inspire fortement du dispositif qui existait déjà pour les polders du Rhin.

Un tel dispositif serait aussi de nature à réduire les tensions qui peuvent exister entre les collectivités d'un même bassin versant qui, au sein d'un même syndicat en arrivent à s'accuser d'arrière-pensée dans la définition des ouvrages de protection programmés et du calendrier de leur réalisation 206 ( * ) .

Il serait enfin de nature à réduire les tensions sur un même territoire entre les professions. L'exemple de la basse vallée de l'Argens est à cet égard significatif. Pour les représentants des agriculteurs rencontrés par la mission, elle est en train de se transformer en bassin de rétention de crue qui ne dit pas son nom. « S'il s'agit d'un objectif des pouvoirs publics, il faut l'assumer et le dire, argumentent-ils. Il s'agit de 3 000 ha, gérés par 70 exploitations, nous voulons savoir ce que l'on compte faire de nous. » (Fréjus, 4 avril 2012)

Les zones d'expansion des crues du Rhin
prévues par la loi n° 91-1385 du 31 décembre 1991

Le Rhin est, du fait de son cours, soumis à un régime particulier fixé par voie de convention internationale entre les États riverains. La France et l'Allemagne sont ainsi liées par la convention du 6 décembre 1982 207 ( * ) . Cette convention fait suite à la première convention du 4 juillet 1969 et à celle du 16 juillet 1975 qui prévoyaient notamment la construction d'un barrage supplémentaire à Neuburgweier. Du fait de l'opposition de la population du côté allemand, les travaux n'ont finalement pas été réalisés. Pour tirer les conséquences de ce choix, les deux États ont alors décidé d'assurer une protection contre les crues par des barrages agricoles et des polders. Ces derniers ont une fonction d'écrêteurs de crue puisqu'en cas de phase ascendante des eaux du Rhin, le volume supplémentaire peut ainsi être temporairement stocké par ces polders.

Pour assurer le respect de cette convention internationale, le législateur français a spécifiquement prévu l'instauration de servitudes devant permettre d'inonder ces polders le long du Rhin. La loi n° 91-1385 du 31 décembre 1991 a institué un régime juridique applicable à ces espaces. Il peut se résumer ainsi :

- le préfet fixe, par arrêté et après enquête publique, des zones de rétention de crues ;

- le préfet impose des prescriptions pour permettre l'inondation périodique de ces zones (suppression ou modification d'éléments existants) ;

- les propriétaires et exploitants de la zone sont soumis à des contraintes en termes d'activités ou de construction pour ne pas nuire à la vocation de la zone ;

- les contraintes nées de l'institution de ces zones sont indemnisées par l'État, et les propriétaires bénéficient d'un droit de délaissement de leurs terrains vis-à-vis de l'État.

Constatons que les dispositions de l'article L. 211-12 du code de l'environnement sont ignorées, y compris des fonctionnaires de l'État concernés au premier chef par la prévention des inondations et la mise en cohérence des opérations conduites au niveau des grands bassins.

Une évaluation de ce dispositif paraît, au minimum, s'imposer pour connaître l'usage qui en est fait, sur le terrain, par les représentants de l'État.

Mais, la question mérite surtout d'être remise sur le métier pour que voit enfin le jour un mécanisme de compensation des services rendus par certaines zones du même bassin versant au profit d'autres. Sans conclure, on pourrait imaginer un financement de ces mesures compensatoires par une fraction de la taxe affectée aux EPAGE et EPTB. La répartition pourrait relever de la compétence du comité de bassin en fonction de deux critères : les besoins exprimés (travaux, fonctionnement, etc.) et des contraintes que ces zones subissent, particulièrement les ZEC. Une modulation de leur participation au financement des EPAGE et EPTB peut aussi être envisagée, sur le modèle hollandais.

- Instaurer un mécanisme de compensation des contraintes subies par les zones d'expansion des crues.


* 204 Telle est la position du préfet de bassin M. Jean-François Carenco : « Il existe une vérité historique : l'île de la Barthelasse est inondable. L'histoire est plus forte que les hommes... » , ce que confirme le préfet de région Hugues Parant : « La Barthelasse a toujours été entièrement inondable. Or, dans les années trente, les cabanons qui s'y trouvaient se sont rapidement agrandis, pour devenir parfois de véritables villas, qu'il faudrait aujourd'hui protéger, au détriment d'autres zones ! Ce n'est pas logique. De surcroît, toutes les constructions de l'île étaient, naguère, bâties sur pilotis. (...)La solidarité doit prévaloir sur les systèmes de compensation fondés sur les contribuables. »

La Barthelasse, une des plus grandes îles fluviales d'Europe, peuplée de 1 000 habitants, située en face du palais des Papes à Avignon, s'est effectivement développée depuis les années trente, comme le reste de la ville. Si les constructions étaient autrefois sur pilotis, ces espaces de protection contre l'inondation ont eu tendance à être clos pour les rendre habitables, notamment dans le but de les louer en période de festival.

Par contre, comme le note M.  Jean-François Carenco, avec le franc-parler que l'on sait, la Camargue, un beau jour, semble avoir mystérieusement cessé d'être inondable :

« Jean-François Carenco - Prenez l'exemple de la Camargue : on ne veut plus l'inonder ! Une fois qu'on a dit que le principe était de tout faire pour ne pas l'inonder, cela devient très compliqué.

Le rapporteur - Qui a dit qu'on ne pouvait plus inonder la Camargue ?

Jean-François Carenco - C'est ainsi. C'est dans l'air du temps, le fait de la pression des uns et des autres, de l'intérêt économique de ceux qui font des lotissements ou qui veulent être élus, des préfets qui ont peur. Peu à peu, sans le dire, l'objectif est de ne plus inonder la Camargue. Si c'était le cas, tout le monde trouverait cela bien ! »

À noter aussi que Paris est de toute éternité pareillement située en zone inondable, prouvant avec la Camargue que les poids relatifs des hommes et de l'Histoire varient selon les lieux.

* 205 Cet article résulte de l'article 48 de la loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003 relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages.

* 206 Ainsi la mission a-t-elle constaté les doutes des élus de la commune d'Aimargues (voir Titre III.II.A.4, p. 129) sur la conception des digues destinée à la protection de la basse vallée du Vidourle et dont les discontinuités créent une ZEC, de fait, protégeant opportunément la ville de Lunel. Peu rassurés, ils demandent la création d'une seconde ligne de digues.

* 207 Cette convention internationale a été approuvée par la loi n° 83-1108 du 21 décembre 1983 et ratifiée par le décret n° 84-284 du 12 avril 1984.

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