D. LE GLISSEMENT LENT DE LA RESPONSABILITÉ

« On ne sort de l'ambiguïté qu'à son détriment . »

Cardinal de Retz

L'absence de visibilité des élus et des services déconcentrés de l'État quant à l'étendue de leur responsabilité et des conditions dans lesquelles elle pourra être recherchée est, avec les incertitudes en matière de financement, le principal frein à la mise en oeuvre d'une politique dynamique et pérenne de prévention du risque inondation en France.

Le premier paradoxe de cette situation, c'est que plus les responsabilités se diversifient et s'accumulent sur les épaules des élus, plus ils sont amenés à faire le dos rond. Au-delà des diligences ordinaires garantissant le fonctionnement normal des équipements et du service public local, agir, ne réduit pas le risque d'incrimination, il l'augmente. Assumer les responsabilités des propriétaires riverains à leur place, expose à plus difficultés que de ne rien faire. Mettre en place un service d'alerte de crue suscitera plus de vocations de plaideurs que d'attendre les messages de la préfecture.

Le second paradoxe c'est que, jusqu'à présent, et autant que l'on sache en tous cas, la pénalisation croissante de la vie publique en matière d'inondation ne s'est pas traduite par des condamnations. Le fantôme du préfet du Vaucluse, mis en examen à 79 ans pour avoir autorisé en 1965, un lotissement qui sera emporté par l'Ouvèze en 1992, lors de la catastrophe de Vaison-la-Romaine, mais bénéficiant finalement d'un classement sans suite, continue à hanter les préfectures. Là est l'une des raisons essentielles de l'attitude d'emblée maximaliste des préfets et des services suivie de la crispation assurée des élus, lors de la mise en place des PPRI.

Dans cette situation, jamais la maxime du cardinal de Retz n'a été aussi juste. La situation est si peu claire du point de vue juridique que l'attentisme pour l'élu et le traitement au cas par cas pour le juge, du point de vue individuel, apparaissent comme la moins mauvaise solution. Du point de vue de la collectivité et de l'intérêt général, c'est tout autre chose.

Le bon sens voudrait que l'on définisse le ou les niveaux légaux de protection dus par la collectivité à la population, qu'il y ait une définition légale de la situation « de force majeure » à l'occasion de laquelle la responsabilité de la collectivité pourra être recherchée seulement pour faute dans la gestion de l'alerte et des secours, que les responsables puissent être incriminés seulement pour des faits résultant d'un manquement à la législation ainsi qu'à la réglementation, notamment aux dispositions du PPRI, et du non respect, évalué au terme d'un délai raisonnable, des engagements induits par le PPRI.

Sans clarification et limitation de la responsabilité pénale des décideurs publics en matière de délits non intentionnels, on ne pourra sérieusement leur demander d'assumer les responsabilités des propriétaires riverains et des usagers divers, leur demander, ce qui serait pourtant un puissant facteur de dynamisme, de partager la responsabilité du préfet dans une sorte de co-production du PPRI.

1. Un paysage juridique difficile à cerner

Ce qui frappe d'abord, c'est la difficulté à avoir une idée claire et précise, faute d'études exhaustives récentes, de la jurisprudence relative aux inondations, particulièrement celles ayant fait l'objet d'une déclaration de catastrophe naturelle. On en est donc réduit à des impressions générales qui gagneraient à une validation objective, mais comment faire autrement ?

Les corpus étudiés distinguent rarement les mises en cause à l'occasion de catastrophes naturelles en général et celles spécifiques aux inondations. S'agissant de celles-ci, sont souvent regroupées des situations très différentes, une catastrophe ayant entraîné de nombreuses victimes emportées par un torrent et l'inondation d'un entrepôt par le débordement d'une canalisation communale. Regroupés aussi des motifs d'incrimination très différents : imprécision dans l'annonce de la crise, gestion fautive des secours, recours contre un PPRI, jugé trop laxiste en termes de définition des zones inondables ou trop restrictif, etc.

Faute d'exemples spécifiques en matière pénale (mise en danger d'autrui notamment), on raisonne par analogie avec la jurisprudence relative aux avalanches alors que les situations ne sont pas forcément comparables. Mais les problèmes sont-ils comparables ?

Sont concernées aussi bien la juridiction administrative (contentieux de l'indemnisation) que judiciaire (civile et pénale), ce qui ne simplifie pas vraiment les choses.

Devant la juridiction administrative, où se retrouvent les contentieux les plus nombreux, sont jugés les recours en rapport avec les ouvrages publics, leur présumé défaut d'entretien, leur rôle dans l'aggravation des dégâts, leur mauvaises conception ou utilisation, etc. Nombre de recours concernent l'insuffisance des réseaux d'évacuation des eaux. Ont fait aussi l'objet de recours l'implantation d'un camping et de constructions en zones inondables, le non respect des dispositions du PPRI, les retards dans l'annonce des crues, les déficiences des services de lutte contre les inondations, les PPRI, etc.

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