4. Changer la conception des PPRI
a) L'élaboration des PPRI : un acte commun de l'État et des collectivités territoriales

Le caractère antagonistique des relations État/élus, voire État/une partie de la population lors de l'élaboration des PPRI est une constante, plus ou moins affirmée certes, mais une constante. Cette opposition porte tantôt sur le principe du PPRI, tantôt sur les modalités d'application de celui-ci. En réalité, sous couvert de discussions techniques, ce sont généralement deux objectifs politiques qui s'affrontent : un objectif de protection maximale, porté par les services de l'État - au nom de leur interprétation de la loi, ce qui est dans leur rôle, voire de principes transcendants, ce qui l'est moins - contre un objectif de développement ou d'intérêt local, défendu par les élus.

Cette opposition trouve généralement sa résolution au terme d'un marchandage, ce qui conduit parfois à douter de la cohérence de l'action de l'État dès lors qu'on se risque à comparer le traitement réservé à chaque territoire 193 ( * ) .

Le sentiment de la mission est que la seule manière de sortir de cet affrontement qui mène à une impasse, c'est de poser le problème autrement, de le poser sous l'angle de l'aménagement du territoire et non plus du seul point de vue de la sécurité, la sécurité devenant l'une des conditions du développement, condition essentielle mais d'autant moins unique qu'elle ne saurait, comme on l'a vu, être absolue.

Loin de favoriser cette approche, les modèles mathématiques utilisés par les bureaux d'études dans l'élaboration des PPRI, la rendent plus difficile, leurs présupposés n'étant jamais mis sur la table et encore moins présentés pour ce qu'ils sont, des choix humains, choix raisonnables sans doute, mais choix. Un tel usage non scientifique des modèles de simulation est non seulement un abus de pouvoir, une cause de blocages ultérieurs. Si ce n'était pas le cas pourquoi pourrait-on trouver avec eux, comme Tartuffe avec le ciel, des accommodements au terme d'un marchandage ? Il conviendrait, comme le soulignait lors de son audition M. Paul-Henri Bourrelier, de se souvenir que les modèles sont relatifs et que leurs résultats dépendent largement des données introduites en amont.

Pour sortir de cette impasse, la mission s'est demandé comment faire évoluer l'élaboration des PPRI. Probablement en creusant la voie indiquée par Mme Stéphanie Bidault, délégué générale du CEPRI, lors de son audition qui faisait observer qu'un « partenariat [entre État et collectivités territoriales] fonctionne mieux qu'une logique réglementaire descendante ».

Dans cet esprit, la phase de concertation pourrait être améliorée : elle ne s'ouvrirait pas directement par la présentation d'un projet de PPRI mais par un ou plusieurs débats, l'un public, sur la nature du risque et le niveau de risque accepté pour continuer à vivre sur ce territoire. À cet effet les possibilités offertes par les outils présentés plus haut (Titre VI.II.B.1, p. 252) pourraient être sollicités.

C'est seulement après cette phase de concertation que viendrait la question des mesures à prendre contre le (ou les) risque(s), mutuellement compris et accepté(s). Actuellement, l'ouverture de l'enquête publique sur un projet déjà aussi avancé est un facteur de crispation, l'essentiel des décisions, déjà prises n'étant pas discutables.

On pourrait aussi aller plus radicalement dans la voie d'une véritable élaboration conjointe du PPRI par l'État et les collectivités. Cette solution qui, outre la question du financement, pose le problème de la responsabilité des décideurs a notamment été esquissée lors de l'audition de M. Hugues Parant, préfet de la région Rhône-Alpes, lui aussi conscient des difficultés récurrentes auxquelles se heurtent l'élaboration des PPRI.

Pourrait alors être confiée aux collectivités territoriales volontaires la réalisation du PPRI, quitte à maintenir le pouvoir d'approbation du représentant de l'État qui devrait alors motiver les modifications qu'il opèrerait par rapport au projet initial.

Pour sa part, M. Thibaud Normand, chef du service Prévention des risques de la DREAL-PACA, lors de son audition devant la mission à Paris a été clair : « Les circulaires émises par les ministères et le décret paru en juin 2011 nous demandent d'associer les collectivités par des réunions lors de prescription du PPRI. Il ne s'agit pas d'une co-construction des PPR pour autant, mais d'une association. » À bon entendeur...

- Améliorer l'élaboration des PPRI par une meilleure participation de la population et une plus grande participation des élus locaux à la décision finale.

La quasi impossibilité, de fait, de faire évoluer la réglementation d'un PPRI une fois approuvé, quels que soient les investissements, les aménagements réalisés ou les dispositions prises est l'une des raisons majeures des blocages dans leur élaboration. Il convient de changer cela.

b) Faciliter l'évolution des PPRI

La méthode d'élaboration des PPRI est aujourd'hui fortement contestée par les élus locaux. Comme dit M. Paul-Henri Bourrelier : « pour un maire, le danger, c'est le Plan de prévention des risques (PPR), pas le risque en lui-même ! »

L'une des raisons en est l'absence d'un cadrage national précisant les conditions d'élaboration de ces PPRI : choix de l'aléa de référence, modalités de désignation des zones de danger et de précaution, dont le nombre et la signification des couleurs utilisées varient, mode d'association des élus... Seules existent des orientations infra-règlementaires à travers le guide d'élaboration des PPRI publié par le ministère en charge de l'environnement. Au final, ce sont des services déconcentrés de l'État, de plus en plus squelettiques qui fixent les règles dont dépendra le produit final. Les élus ne manquent pas de remarquer que vérité dans un département peut être erreur au-delà.

Un zonage trop restrictif : l'exemple du PPRI de Vaison-la-Romaine

Le PPRI du bassin versant de l'Ouvèze sur la commune de Vaison-la-Romaine a été approuvé par l'arrêté préfectoral du 30 avril 2009. Au terme d'un recours gracieux infructueux, la commune a déposé un recours devant le tribunal administratif de Nîmes, le 5 novembre 2009.

Dans son jugement du 23 juin 2011, le tribunal annule partiellement l'arrêté ayant approuvé le PPRI. Il fonde sa décision sur une violation du II de l'article L. 562-1 du code de l'environnement qui définit le contenu des PPRI. Ces dispositions distinguent entre les « zones de danger » exposées au risque et les « zones de précaution » qui, sans être directement exposées au risque, contiennent des constructions ou des aménagements qui pourraient aggraver ce risque ou en créer un nouveau. Dans ces deux types de zone, les services de l'État peuvent fixer des interdictions de construction ou d'activité mais également des autorisations sous conditions.

Dans le cas de Vaison-la-Romaine, le préfet avait choisi de classer l'ensemble des zones répertoriées dans la catégorie des zones de danger. Se référant aux « travaux parlementaires relatifs aux dispositions issues de la loi du 30 juillet 2003 », le juge considère que « le législateur a entendu procéder à une distinction entre, d'une part, les zones de danger dans lesquelles le risque d'inondation apparaît manifeste et important et, d'autre part, les zones de précaution dans lesquelles ces risques sont plus modérés. »

Il estime que, dans le cas de Vaison-la-Romaine, plusieurs secteurs - zones orange avec une hauteur d'eau inférieure à 50 cm et une vitesse d'écoulement faible, zones jaunes avec un aléa faible et zones vertes avec un aléa très faible - ne devaient pas être considérés comme des zones de danger mais bien comme des zones de précaution.

Pour le tribunal, le préfet a donc commis une illégalité en adoptant un zonage trop contraignant pour la commune, n'usant pas de toutes les facultés que lui offre la législation actuelle pour moduler les prescriptions en fonction des aléas courus dans les différentes parties de la commune.

Ce jugement est actuellement frappé d'appel.

Non seulement ces variations écornent le principe d'équité, mais elles nourrissent l'impression que les arguments « scientifiques » des services de l'État sont le cache-misère de leur dogmatisme, dogmatisme qu'essaie d'entamer le marchandage des droits à construire qui suit et où les communes sont loin d'être à égalité.

Une clarification au niveau national, à l'instar des plans de prévention des risques technologiques, des règles applicables pour les PPRI apparaît donc nécessaire.

- Fixer au niveau national, par voie de décret des règles techniques et méthodologiques d'élaboration des PPRI, notamment pour la détermination du zonage.

Dans l'esprit du législateur, les PPRI devaient pouvoir s'adapter aussi bien aux évolutions des connaissances du risque que des moyens mis en oeuvre pour lutter contre lui. Constatons qu'une fois adoptés, les PPRI sont rarement révisés. Il faut dire que l'épreuve terminée on n'a pas envie de la renouveler ! Et pourtant, sans cela pas de dynamique locale de protection contre le risque possible. À quoi bon investir, des sommes considérables parfois, pour réduire le risque si la situation est figée pour l'éternité ? Nous reprendrons cette question essentielle plus loin.

Question qui se pose particulièrement pour les digues, la doctrine administrative étant restée immuable depuis 150 ans : « Dans le cadre de l'élaboration du projet de PPR, le principe qui doit guider l'action est qu'une zone protégée par une digue reste une zone inondable » ; « il s'agit d'une politique cohérente et constante de l'État, datant de la loi de 1858 relative à l'exécution des travaux destinés à mettre les villes à l'abri des inondations et qui a été rappelée à plusieurs reprises par l'intermédiaire de circulaires diffusées entre 1994 et 2004. 194 ( * ) »

Même analyse du côté des services déconcentrés. « Selon la politique actuelle de l'État, le PPR doit traiter de la situation actuelle », rappelle M. Thibaud Normand. « La prise en compte des ouvrages de protection dans les PPR est stricte : les ouvrages et les digues représentent pour l'État davantage une source de danger qu'une protection infaillible. Ils doivent protéger l'existant et non permettre de construire davantage. Concernant les perspectives, il n'est pas possible d'élaborer des PPR conditionnels qui soumettraient l'application du règlement à la réalisation de certains travaux, par exemple. »

Quoi qu'il en soit, il est clair que la doctrine actuelle est contre-productive en termes de lutte réelle contre les risques puisqu'elle nourrit une résistance aux PPRI qui paralyse leur développement dans la réalité, au nom de principes dont on peut douter de la pertinence.

En tout état de cause, en l'état du droit, deux procédures seulement permettent l'évolution des PPRI (article L. 562-3 du code de l'environnement) : la révision - selon les procédures applicables pour l'élaboration initiale du document - et la modification - dispensée d'enquête publique. Cette dernière faculté n'est possible que si « la modification envisagée ne porte pas atteinte à l'économie générale du plan ».

Le plan local d'urbanisme en offre une troisième : la révision simplifiée permettant la réalisation de projets (article L. 123-13 du code de l'urbanisme). Il est proposé de s'en inspirer et de prévoir une procédure de révision simplifiée des PPRI pour les cas où, sans remettre en cause l'économie générale du plan, une modification limitée de la délimitation des zones ou des prescriptions qui correspondent à celles-ci serait souhaitée.

- Introduire une procédure de révision simplifiée des PPRI.

c) Mieux prendre en compte le risque inondation dans les documents d'urbanisme

Lors de l'examen de la proposition de loi de notre collègue, M. Bruno Retailleau, suite à la mission commune d'information sur les conséquences de la tempête Xynthia, notre collègue, M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis, rappelait les liens juridiques unissant le PPRI, outil entre les mains de l'État, et le PLU de la compétence des autorités locales :

« En l'état du droit, la primauté des PPR sur les PLU est seulement formelle : bien qu'elle soit affirmée tant par le code de l'urbanisme que par la jurisprudence du Conseil d'État, cette hiérarchie est en effet dénuée de portée concrète, puisque rien n'oblige les acteurs locaux compétents en matière d'urbanisme à modifier un PLU pour y intégrer les prescriptions d'un PPR postérieur.

Cette carence découle du statut des PPR - qui ont valeur de servitude d'utilité publique (article L. 564-2 du code de l'environnement) -, qui impose de les annexer au PLU ou au POS, mais non de les modifier pour les rendre compatibles avec un PPR approuvé après leur adoption. [...] Pour faire respecter la primauté des PPR sur les documents d'urbanisme, le préfet est ainsi contraint d'utiliser la procédure des « projets d'intérêt général », en assimilant le PPR à un tel projet, pour pouvoir imposer à la commune ou à l'EPCI compétent en matière d'urbanisme de modifier le PLU dont le zonage ne serait pas conforme aux éléments contenus dans le PPR. 195 ( * ) »

Cette absence d'obligation de révision 196 ( * ) , qui brouille la lisibilité et la cohérence de la règle locale, est source d'insécurité juridique.

La mission propose donc de revenir à l'état du droit antérieur à la loi SRU du 12 décembre 2000, avec pouvoir au préfet de procéder d'office à cette révision en cas d'inaction de la commune ainsi que la mise en oeuvre de l'article 5 de la proposition de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine, adoptée par le Sénat le 3 mai 2011.

- Imposer la mise en conformité des PLU aux PPRI.

En même temps que la question de la lisibilité et de la cohérence de la règle locale d'urbanisme et du contrôle de la légalité formelle des actes, se pose aussi celle du contrôle de ce qui se passe réellement sur le terrain : conformité des constructions aux autorisations, absence d'autorisation de construire et aussi de remblayer, de surélever ou de combler des voies d'écoulement naturel, problème dont on a vu l'importance majeure.

- Renforcer le contrôle du respect des règles de prévention des inondations lors de la délivrance d'autorisation d'occupation des sols et de l'exécution des travaux.

- Renforcer la surveillance et la répression des mouvements de terrain (remblaiements, comblements, surélévations, excavations...) non autorisés.


* 193 De toute manière, toute contestation de quelque aspect que ce soit du projet de l'administration est souvent interprétée comme pure mauvaise foi : « Ces modèles mathématiques de simulation font l'objet de critiques mais la critique de l'outil sert souvent de paravent à une critique du principe même du PPRI et de l'inconstructibilité pour des motifs, certes légitimes, tirés du développement économique d'un territoire. » (Audition DREAL PACA).

* 194 Circulaire du 27 juillet 2011 du ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, relative à la prise en compte du risque de submersion marine dans les plans de prévention des risques naturels littoraux (NOR : DEVP1119962C).

* 195 Avis n° 423 (2010-2011) de M. Dominique de Legge, fait au nom de la commission des lois, déposé le 12 avril 2011 - p. 25-26.

* 196 L'obligation a été supprimée par la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains.

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