b) Le risque d'un éloignement croissant par rapport au « terrain »

De nombreux maires ayant répondu au questionnaire craignent qu'un renforcement supplémentaire des missions répressives et des pouvoirs de police judiciaire des policiers municipaux les éloigne du terrain, c'est-à-dire des missions au cours desquelles ils sont présents sur la voie publique, au contact des habitants .

En effet, le renforcement de ces missions judiciaires signifie davantage de contrôles routiers, d'opérations conjointes avec la police et la gendarmerie nationales dans le cadre des missions de celles-ci, d'interpellations, puis de travail procédural afin que l'ensemble de ces actes puisse s'insérer dans la chaîne répressive sous la direction de l'autorité judiciaire.

Cette tendance serait encore accentuée si les policiers municipaux, comme les agents de police judiciaires, étaient en outre amenés à entendre des personnes susceptibles d'avoir commis des infractions ou des témoins, à effectuer de véritables contrôles d'identité, ou encore à poursuivre les délinquants routiers au lieu de les confier à la gendarmerie. En particulier, plusieurs interlocuteurs de la mission ont insisté sur le fait qu'il n'était pas souhaitable que les agents de police puissent recevoir les plaintes des habitants, ce qui constituerait un facteur évident de diminution de la présence sur la voie publique.

Ces maires (ainsi que certains agents de police municipale entendus par vos rapporteurs) craignent que la police municipale prenne ainsi le même chemin que la police nationale . En effet, alors que la formation judiciaire des policiers nationaux a longtemps été insuffisante, le niveau a été fortement augmenté au cours des dernières années. Parallèlement, le nombre d'officiers de police judiciaire s'est accru de manière importante. Cette évolution a eu pour effet d'éloigner la police nationale du terrain, créant un vide qui a été partiellement comblé par la progression des effectifs de policiers municipaux , eux-mêmes tendent ensuite progressivement à déléguer certaines de leurs missions aux agents de surveillance de la voie publique.

L'exemple des sorties d'école illustre bien ce phénomène de délégation en chaîne . Cette tâche était autrefois volontiers assumée par les forces de sécurité nationales. Progressivement, elle a été prise en charge par les policiers municipaux. Dans de nombreuses communes, ceux-ci l'ont déléguée aux agents de surveillance de la voie publique. Aboutissement du processus, ce sont désormais les habitants eux-mêmes qui sont parfois invités à assurer les sorties d'école. Ainsi, à Dijon, cette mission était auparavant assumée par la police nationale. Le maire a ensuite décidé de la confier aux policiers municipaux. Finalement, sauf pour quatre écoles considérées comme plus sensibles, des « sécuricoles » ont été recrutés parmi des chômeurs de longue durée, puis formés pour cette tache. Quant à la commune de Nice, elle a mis en place un dispositif de « papis-mamies trafic ».

Cette évolution a pour effet de diminuer la fréquence des contacts de la police municipale avec la population, donc la qualité de la relation avec les citoyens, gage d'efficacité de la prévention.

Enfin, la judiciarisation tend à rendre les policiers municipaux plus indépendants des maires en les rattachant davantage à la chaîne pénale qui va du Parquet aux agents de police judiciaires. Si cette évolution est souhaitée par certains syndicats et si elle est cohérente avec l'idée de créer un corps spécifique pour les policiers municipaux en dehors de la fonction publique territoriale (cf. partie II), elle ne recueille pas l'assentiment de vos rapporteurs qui estiment que la police municipale doit rester la police du maire.

Des forces nationales qui peinent à fixer leur doctrine
sur les missions de proximité

Si l'attribution de missions de proximité aux polices municipales semble aller de soi, la doctrine de la police et de la gendarmerie nationales à cet égard apparaît fluctuante.

La loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 a, pour la première fois, explicitement mentionné la police de proximité. Cependant, celle-ci a été mise en place en tant que doctrine d'emploi de la police nationale entre 1997 (année du colloque de Villepinte) et 2002, avec la création de nouvelles structures déconcentrées, commissariats et postes de police. Cette police devait, par la territorialisation, une présence visible et le développement de partenariats, permettre de prévenir les troubles à l'ordre public et de lutter contre l'insécurité au quotidien. Elle devait en outre contribuer à « retisser du lien social » et instaurer une relation de confiance avec la population.

Cette politique a été plébiscitée par les maires, ainsi que l'attestent les résultats du questionnaire élaboré à l'occasion de la mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté, rapportée par notre collègue Pierre André en 2006. Toutefois, il a été mis fin à cette expérience dès 2003 au nom de la politique du résultat, trop rapidement pour que des conclusions puissent en être véritablement tirées. Il était notamment reproché aux nouvelles structures de fixer les policiers sur des lieux déterminés au détriment de leur présence sur la voie publique, les horaires d'ouverture des commissariats et postes de police ne permettant pas d'assurer une présence tardive et nocturne, pourtant indispensable pour contenir la délinquance.

A partir de 2003, une réorientation a donc eu lieu, avec comme mot d'ordre un retour à une politique d'interpellations et d'action judiciaire. Une des mesures-phares de cette nouvelle politique dans les quartiers en difficulté a été de mettre l'accent sur le travail des brigades anti-criminalité (BAC), composées de policiers en civil circulant dans des véhicules banalisés et censés assurer une présence efficace dans les lieux réputés particulièrement criminogène.

Par ailleurs, les pouvoirs publics ont mis en place depuis 2002 plusieurs nouvelles configurations destinées à retrouver à la fois une meilleure efficacité et une plus grande acceptation sociale de la police : unités territoriales de quartier (Uteq) puis brigades spécialisées de terrain (BST), compagnies de sécurisation, et plus récemment les patrouilleurs.

Toutefois, bien que de nombreux maires soient favorables à la présence d'Uteq ou de compagnies de sécurisation (la Cour des Comptes a toutefois souligné l'échec de la mise en place de celles-ci), elles n'assument pas véritablement les fonctions classiques de la police de proximité. Lors de leur création, le gouvernement a en effet insisté sur la différence entre les UTeQ et la police de proximité telle qu'elle avait existé avant 2003. Les nouvelles UTeQ devaient ainsi être imprégnées de la même « culture du résultat » que les autres forces de police, exercer un rôle de répression autant que de prévention, arrêter les délinquants et alimenter les procédures judiciaires.

En revanche, par une circulaire du 27 avril 2011, le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration a entrepris une réforme de la « couverture » de la voie publique en créant les patrouilleurs, avec l'objectif d'augmenter la visibilité des policiers en uniforme sur la voie publique. Il s'agit ainsi « d'assurer une présence rassurante de nature à combattre le sentiment d'insécurité » , ce qui constitue bien l'un des objectifs traditionnellement affichés de la police de proximité.

Au total, si la notion de « police de proximité » a été fortement critiquée au cours de la période récente s'agissant des missions que doivent remplir la police nationale, les pratiques que cette expression recouvre n'ont été ni totalement abandonnées aux polices municipales, ni pleinement assumées.

La situation est quelque peu différente en ce qui concerne la gendarmerie nationale, celle-ci ayant depuis longtemps une forte dimension « de proximité ». Toutefois, de nombreux maires se plaignent aujourd'hui que les réorganisations successives de la gendarmerie auraient considérablement diminué sa disponibilité sur le terrain, en particulier en ce qui concerne le contact quotidien avec la population.

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