C. LA NÉCESSITÉ D'UNE « REMISE À PLAT » ET D'UN PILOTAGE GLOBAL DE L'OFFRE SYMPHONIQUE À PARIS

Comme l'anticipait le rapport Belaval-Auberger dès 2003, « une nouvelle salle va immanquablement redistribuer les cartes : il faut profiter de cette opportunité pour tout remettre à plat, dans le plus grand intérêt des musiciens et des professionnels, des publics, et sans doute aussi du contribuable national ou local. »

1. La conquête de nouveaux publics par le renouvellement de l'offre

Comme votre rapporteur spécial l'a souligné ci-avant, l'un des enjeux associés à l'ouverture de la Philharmonie de Paris est la démocratisation culturelle , c'est-à-dire l'élargissement du concert symphonique et, plus généralement, de la musique classique, à un public moins averti et plus jeune que celui que l'on peut trouver aujourd'hui à Pleyel. De plus, la Philharmonie a vocation à accueillir un public non exclusivement parisien, mais également francilien , voire au-delà. Or, malgré la volonté et la détermination affichée en la matière, tant par le ministère de la culture et de la communication et la Ville de Paris, que par le président de la Philharmonie, ce défi ne sera probablement pas facile à réaliser .

Sur ce point, on peut confronter deux points de vue . Le premier, optimiste, estime que le développement de l'offre fera le public, comme l'Opéra Bastille a su le faire, avec, aujourd'hui, plus de 450 000 spectateurs par an. C'est le cas par exemple du rapport Larquié : « les manifestations de qualité, dans le domaine lyrique, tout comme les concerts des formations prestigieuses, les récitals de grands solistes, bénéficient de taux de fréquentation très importants. Toutes les indications dont on dispose démontrent que la demande de musique reste forte, diverse mais exigeante. Dès lors, il y a bien un problème d'offre qui, dès qu'elle sait s'adapter, se trouve largement plébiscitée ».

De plus, selon ce point de vue, l'érosion du public, au-delà du phénomène de vieillissement, ne tiendrait pas tant à l'absence d'intérêt des jeunes générations pour le concert symphonique qu'à l'incapacité des pouvoirs publics à mener des politiques cohérentes et attractives . Là encore, le rapport Larquié est éclairant : « l'explication de ce phénomène de "crise" relative paraît résider beaucoup plus dans les politiques menées à l'égard des publics, et dans le relatif conservatisme qui semble caractériser sur ce point la plupart des grandes institutions françaises : "on ouvre les portes et on attend que les spectateurs arrivent". L'offre est dispersée, les politiques commerciales sont illisibles, les efforts pour trouver les publics sont rares, la qualité de l'information et de l'accueil reste médiocre : par-delà les discours et les déclarations d'intention, seul un public d'initiés est visé ; comment les autres, en effet, pourraient-ils se sentir simplement concernés ? (...) La programmation des grandes salles britanniques paraît, à cet égard, largement instructive : environ un tiers de l'activité consacrée aux différentes "musiques légères" y traduit bien en effet une volonté d'ouverture sur des publics variés, et la programmation des orchestres permanents frappe par la diversité des oeuvres programmées ».

Le rapport Belaval Auberger résume cette vision optimiste en une belle synthèse : « Le dynamisme d'exploitation d'une salle de concert n'est pas fondé sur la demande, mais sur l'offre, comme le démontrent tant d'exemples français et étrangers. Il n'y a jamais saturation définitive du public : l'offre est extensible, sous réserve, évidemment, de prix raisonnables, lorsqu'un projet culturel clair et novateur est proposé aux publics. Il faut innover, savoir prendre des risques, mélanger les propositions culturelles, créer des événements. »

A l'inverse, un second point de vue, plus pessimiste, considère qu'une offre plus importante, dynamique et diversifiée ne suffit pas pour créer un public .

A cet égard, une étude de la fondation Terra Nova 78 ( * ) , qui met en avant des facteurs plus sociologiques, n'est pas dénuée d'intérêt : « rien ne garantit que la création de la Philharmonie de Paris permette la conquête de nouveaux publics . Les porteurs du projet considèrent que la Philharmonie pourra drainer le public actuel de la Cité de la musique (100 000 à 120 000 spectateurs par an en moyenne), une partie de celui de la Salle Pleyel et attirera de nouveaux publics des arrondissements de l'est parisien et des communes voisines, compte tenu de l'évolution sociologique de ces quartiers, de l'amélioration des transports et des effets de la politique d'éducation artistique. Cependant, s'il est effectivement possible de penser que le public de la Cité de la musique constituera le coeur du public de la Philharmonie de Paris, il faut craindre que la conquête de nouveaux publics ne soit pas si facile . En effet, comme le montre notamment Olivier Donnat dans « Les pratiques culturelles des Français à l'ère numérique », l'écoute de la musique classique et la fréquentation des concerts de musique classique ne cessent de reculer en France et notamment chez les jeunes générations et au sein des catégories populaires ».

Quel que soit le résultat final, il n'en reste pas moins que la volonté de renouveler le public a conduit les promoteurs de la Philharmonie à élaborer un volet pédagogique important , dont le coût ne sera pas négligeable ( cf . infra ).

2. Un besoin de coordination accrue

L'avènement de la Philharmonie de Paris dans la vie musicale parisienne n'est pas sans interpeller les autres salles et acteurs de cet univers culturel. Une prise de conscience semble avoir émergé parmi eux sur la nécessité d'une coordination des salles , des formations, voire des programmations, pour éviter les doublons , tenter de fidéliser un public , mais aussi pour limiter un éventuel phénomène d'inflation des cachets . Toutefois, les modalités, le niveau et la formalisation d'une telle coordination ne font pas forcément consensus et, dans la pratique, peu d'initiatives existent aujourd'hui à Paris.

Rares sont les interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur spécial qui considèrent que la coordination se fait naturellement, dans la pratique, notamment pour des questions de concurrence. Au contraire, la plupart d'entre eux estiment que « l'événement » Philharmonie de Paris impose désormais une pensée coordonnée de l'offre musicale pour les décennies à venir .

Le rapprochement de l'orchestre de Paris, de la Cité de la musique et de la Philharmonie, sur lequel travaillent actuellement les tutelles, va dans ce sens. Le choix d'un directeur commun à la Cité de la musique et à la Philharmonie de Paris , à l'image de ce qui existe aujourd'hui entre Pleyel et la Cité de la musique, favoriserait sans doute une cohérence de programmation entre ces deux lieux.

Actuellement, cette coordination est embryonnaire et se fait de façon informelle . Par exemple, le directeur général du théâtre du Châtelet, rencontré par votre rapporteur spécial, a indiqué que les directions de la communication et du marketing des principales salles se concertent, la plupart du temps, pour éviter de programmer des premières le même soir.

En ce qui concerne les rares initiatives existantes, votre rapporteur spécial citera le cas de Radio France, dont le contrat d'objectifs et de moyens 2010-2014 prévoit que l'entreprise renforcera la coordination avec les différentes salles de concert parisiennes , afin de proposer une offre musicale complémentaire. Cela révèle que le ministère de la culture est sensible à cette problématique.

Toutefois, concrètement, la coordination n'est pas sans poser plusieurs difficultés :

- toute coordination est tributaire de la volonté de chacune des salles et des formations, jalouses de leurs spécificités, de se coordonner ;

- la coordination des concerts entre les différents établissements peut présenter des limites, car elle implique de dévoiler précocement sa programmation, ce que les salles ne souhaitent pas nécessairement faire trop tôt ;

- pour certains, coordonner davantage les programmes serait utile mais semble utopique compte tenu, notamment, de l'impossibilité de négocier le contenu des programmations des orchestres en tournée . Une telle coordination est plus facile pour l'opéra, qui programme à plus long terme.

A titre de comparaison, chez nos voisins européens, l'intensité des formes que peut revêtir la coordination est très variable , entre une absence revendiquée de dispositif en Allemagne où, dans la majorité des cas, les doublons sont assumés et ne semblent pas poser de problème en raison notamment de la forte identité de chacun des orchestres, et le système très formalisé du London Orchestra's clash diary , qui permet d'établir une typologie des risques de doublons et prévoit une procédure formelle de concertation.

Selon les représentants de la Ville de Paris, il semble qu'une voie moyenne de concertation simple puisse être envisagée. Toutefois, ils n'ont pas précisé quelle forme pourrait revêtir cette coordination médiane.


* 78 Terra Nova, note «  Réussir la Philharmonie de Paris, bâtir bien plus qu'une simple salle de concert » , de Jean-Philippe Thiellay et Nicolas Delatour (pseudonyme).

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