B. UN MARCHÉ DE CONSTRUCTION PASSÉ DANS DES CONDITIONS DE SECURITÉ JURIDIQUE DOUTEUSES

1. L'abandon du partenariat public-privé
a) L'hypothèse initiale d'un partenariat public-privé

Selon l'association de préfiguration, en 2007, les tutelles ont souhaité que soit étudiée l'opportunité de recourir à un contrat de partenariat public-privé (PPP) 43 ( * ) . Cette solution semblait, au regard des contraintes de temps, la plus adaptée à la complexité du projet. Selon l'étude alors conduite par l'association, le périmètre couvert par le contrat aurait inclus le financement, la construction de l'ouvrage et ses équipements, l'entretien et la maintenance technique, ainsi que certains services d'exploitation et de gestion 44 ( * ) . La Philharmonie de Paris aurait, en revanche, conservé la maîtrise totale du contenu de la programmation culturelle . Fin 2007, la Philharmonie a remis son projet de dossier d'évaluation préalable à la Mission d'appui au partenariat public-privé (MAPPP), qui a conclu, pour le volet financier, à un léger différentiel de valeur actualisée nette en faveur de la solution en PPP.

b) Des hésitations prolongées

Plusieurs documents transmis à votre rapporteur spécial indiquent que des hésitations ont perduré pendant plusieurs mois sur la forme que devait revêtir le marché de construction . Deux notes du secrétaire général du ministère de la culture au directeur de cabinet, préparatoires à des réunions interministérielles prévues fin 2008, pesaient ainsi les avantages et inconvénients respectifs du recours à un marché de travaux sous le régime de la loi « MOP »  précitée, de la conclusion d'un partenariat public-privé « classique » ou encore d'un PPP « adapté ». Le tableau ci-dessous synthétise ses réflexions.

Avantages et inconvénients d'un marché de travaux sous la loi MOP, du PPP classique et du PPP « adapté »

Avantages

Inconvénients

Marché de travaux

(loi MOP)

Contrôle sur les travaux ; économie de certains frais par rapport à l'option PPP

Impossibilité de transformer l'association en EPCC pendant la durée du contrat ; risque de requalification en PPP ; nécessité d'une disponibilité immédiate des crédits budgétaires

PPP adapté

Contrôle sur les travaux

Risque d'infructuosité de l'appel d'offres ou d'accroissement des coûts ; frais liés au PPP

PPP classique

Contrôle sur les travaux existant de fait

Frais liés au PPP

Source : commission des finances

c) Le choix final d'un contrat global de construction-exploitation

Pour autant, la piste du contrat de partenariat a finalement été abandonnée , l'association de préfiguration souhaitant conserver le contrôle de la maîtrise d'ouvrage d'un projet techniquement très complexe. De fait, le recours à un tel contrat aurait pu susciter plusieurs difficultés :

1) le bâtiment étant particulièrement complexe à construire, le transfert des risques de la maîtrise d'ouvrage au partenaire privé aurait pu décourager les entreprises à se porter candidates , ce qui aurait nui à une mise en concurrence suffisante pour modérer le prix de la construction ;

2) l'association souhaitait pouvoir piloter directement un chantier particulièrement innovant sur le plan architectural qui nécessiterait vraisemblablement des arbitrages et adaptations permanents ;

3) un transfert de la maîtrise d'ouvrage risquait de compromettre l'exigence de qualité acoustique 45 ( * ) ;

4) il convenait de prendre en compte, au gré du chantier, les contraintes de fonctionnement futures de l'établissement, ce pourquoi un mandataire, avant tout soucieux de respecter ces délais, ne serait pas le mieux placé.

Il n'en reste pas moins que, selon la mission d'inspection conjointe IGF-IGAC, l'association de préfiguration a manifesté une nette préférence pour la rapidité d'exécution, au détriment de la maîtrise des coûts et des risques . C'est dans ce contexte que les tutelles auraient dû être plus présentes. Au final, a été acté le recours à un marché unique de construction, maintenance et entretien . Selon les responsables de l'association, ce marché global permettra à la Philharmonie de Paris de :

« - conserver la maîtrise d'ouvrage du projet tout en étant en capacité de sécuriser les délais de construction et de mise en exploitation grâce à des dispositions contractuelles ad hoc ;

« - maîtriser ses coûts d'investissement et d'exploitation , le titulaire assurant la construction de l'ouvrage ainsi que les services de maintenance et d'entretien, sur la base d'une rémunération forfaitaire, pendant toute la durée du contrat ;

« - limiter la durée contractuelle d'engagement en dissociant la durée d'amortissement de l'ouvrage de la durée du contrat de prestations ;

« - réduire les délais et les coûts de procédure : la procédure d'appel d'offre public restreint est plus courte et moins onéreuse qu'un dialogue compétitif. » 46 ( * )

Cette décision ne signait pas pour autant la fin des vicissitudes du projet. En effet, la procédure d'appel d'offres s'est avérée quelque peu chaotique .

2. L'échec de l'appel d'offres et ses conséquences
a) Un appel d'offres infructueux

Le 26 février 2009, la Philharmonie de Paris a lancé une procédure d'appel d'offres restreint . Alors que le ministère du budget avait exprimé sa préférence pour une procédure de dialogue compétitif 47 ( * ) , le choix d'un appel d'offres restreint semble avoir été commandé par la volonté de l'association de préfiguration :

1) de raccourcir au maximum les délais et de tenir l'objectif d'une ouverture de l'équipement à l'automne 2012 ;

2) de ne pas déstabiliser la maîtrise d'oeuvre et la maîtrise d'ouvrage en laissant entendre que l'ensemble des éléments du projet étaient discutables.

A la date de réception des candidatures, fixée le 8 avril 2009, deux dossiers ont été déposés respectivement par le groupement Bouygues et le groupement SICRA. Après analyse des candidatures, ces deux groupements ont été admis à déposer une offre. Suite à la réception de deux courriers de demande de report émanant de chacun des deux groupements, la date limite de réception des offres initialement fixée au 9 juillet 2009 a été reportée au 5 août 2009. L'analyse des offres reçues a conclu à leur non-conformité, en raison des surcoûts très significatifs qu'elles présentaient par rapport aux évaluations initiales de l'association .

Ainsi, selon la mission IGF-IGAC, « alors que le seul budget de construction avait été fixé à 175 millions d'euros, l'offre la plus basse - celle du groupe Bouygues - se situait à 306 millions d'euros, soit 75 % au-dessus du budget initial, tandis que l'offre SICRA se montait au niveau très élevé de 365 millions d'euros, soit 108 % au-dessus de ce même budget initial » 48 ( * ) . Par ailleurs, la Philharmonie de Paris fait valoir que SICRA avait rayé la durée du marché telle qu'elle figurait dans l'acte d'engagement et n'avait pas fourni de lettre d'acceptation sans réserves des pièces contractuelles, mais un courrier expliquant que l'offre était assortie de modifications d'ordre technique et administratif indissociables de l'offre elle-même.

b) Le recours contestable à un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence

Selon la Philharmonie de Paris, « compte tenu de ce qui précède, il a été décidé de relancer la consultation sous la forme d'un marché négocié sans publicité ni mise en concurrence 49 ( * ) . L'offre remise par le groupement SICRA ne respectant pas les modalités de présentation des offres, il a été décidé de ne faire participer à la négociation que le seul groupement Bouygues » 50 ( * ) .

Ce choix n'était pourtant pas le seul qui s'offrait à l'association. Celle-ci aurait, en effet, pu :

1) procéder à un nouvel appel d'offres ou à un dialogue compétitif sur la base du même projet. Cette solution n'a pas été retenue en raison du faible nombre d'acteurs susceptibles de se porter candidats ;

2) recourir à une procédure négociée avec publicité et mise en concurrence des deux candidats. Cette option aurait toutefois nécessité d'offrir à ces derniers un nouveau délai de remise des offres incompatible avec le calendrier souhaité par les promoteurs du projet ;

3) allotir la tranche de construction et exploitation en différents corps d'état, ce qui aurait favorisé une plus large mise en concurrence. Une fois de plus cette solution ne paraissait pas compatible avec les délais impartis 51 ( * ) .

En décembre 2009, la mission d'inspection IGF-IGAC de 2009 portait un jugement nuancé sur le choix de recourir à une procédure de négociation sans publicité ni mise en concurrence. Elle considérait en premier lieu que l'exclusion du groupement SICRA n'avait pas permis de le faire participer à la négociation et de faire bénéficier le projet de l'effet déflationniste d'une mise en concurrence . Par ailleurs, le recours à la procédure négociée interdisait de modifier substantiellement les conditions initiales du marché, ce qui en limitait drastiquement les opportunités d'aménagement . Là encore, cette solution n'a pas favorisé la baisse des coûts, puisque les seuls gisements d'économies ont résidé dans une explicitation de certaines particularités du projet potentiellement mal appréhendées par les entreprises candidates, ou dans la modification d'aspects techniques non substantiels et dans la redéfinition de certains modes opératoires.

3. Des négociations supplémentaires pour un marché complexe

Le groupement Bouygues a été invité à remettre une offre pour le mardi 29 septembre 2009. Cette offre ne comportait qu'un rabais commercial et s'établissait à 303,7 millions d'euros hors taxes pour les travaux . Elle n'était, à l'évidence, toujours pas compatible avec l'enveloppe budgétaire assignée au projet.

a) Plusieurs mois de négociations pour aboutir à la passation finale du marché

La nouvelle offre de Bouygues ayant encore été jugée trop élevée, la maîtrise d'ouvrage a alors conduit plusieurs mois de négociations pour parvenir à une diminution des coûts. Au final, après des discussions complexes, la maîtrise d'ouvrage a réussi à ramener le coût des travaux à 215,9 millions d'euros 52 ( * ) . Le marché a été validé par la commission des marchés le 21 décembre 2010, approuvé par les membres du conseil d'administration le lendemain et signé par le directeur de la Philharmonie de Paris le 25 janvier 2011 .

Il comprend donc, au total, les travaux de construction de la Philharmonie proprement dits, décomposés en six domaines techniques 53 ( * ) , ainsi que les prestations de services confiées au titulaire. Ces dernières concernent l'entretien et la maintenance des ouvrages réalisés par le titulaire au titre des travaux de construction, ainsi que l'entretien et le renouvellement des espaces verts , le nettoyage de l'enveloppe du bâtiment et l'exploitation, l'entretien et la maintenance du parc de stationnement .

b) Les marchés annexes

Outre le marché de construction, maintenance et entretien, ont été ou seront passés :

1) un marché de financement pour la part financée par emprunt garanti par la Ville de Paris ( cf. infra ) ;

2) des marchés liés au fonctionnement et à l'exploitation du site (accueil des publics, surveillance et sécurité du site, services généraux, services informatiques et télécom, adaptation de l'équipement à l'usage) ;

3) des marchés liés aux mobiliers et aux premiers équipements et notamment à la fabrication, l'installation et l'harmonisation de l'orgue ( cf . encadré), ainsi qu'aux autres équipements, destinés à accueillir, informer, orienter et proposer un service aux publics 54 ( * ) , les équipements nécessaires à la programmation, à la conception et à la production d'un concert 55 ( * ) , à la programmation, à la conception et à la production d'une activité pédagogique ou d'une exposition 56 ( * ) et les équipements destinés à assurer la gestion administrative et financière de l'établissement, le pilotage des services délégués et la maintenance du site 57 ( * ) ;

4) les marchés relatifs aux services d' assurance de l'ouvrage 58 ( * ) , à l'aménagement et à l'exploitation des espaces de restauration et de l'espace boutique-librairie .

L'orgue de la Philharmonie

Le projet de salle de concert de la Philharmonie de Paris comporte un grand orgue pour les répertoires symphonique et soliste . L'intégration de cet instrument dans la salle sera une synthèse entre musique et architecture. Les caractéristiques de l'orgue couvriront l'ensemble du répertoire symphonique interprété par les différentes formations que la Philharmonie de Paris accueillera : orchestres symphoniques, orchestres de chambre, choeurs, ensemble divers. Il privilégiera un répertoire de concert. L'enjeu est aussi de jouer la musique symphonique et la musique contemporaine destinée spécifiquement à l'orgue avec des incursions possibles dans d'autres répertoires . Il s'agira également d'un instrument source d'inspiration pour les compositeurs et interprètes d'aujourd'hui.

Le marché relatif à la fabrication, à l'installation et à l'harmonisation de l'orgue recouvre : 1) la fabrication de l'orgue s'intégrant à l'architecture de la salle, comportant quatre ou cinq claviers, au minimum 75 jeux, une console mécanique et une console déportée sur la scène, suivant les détails communiqués au cahier des clauses techniques particulières (CCTP) ; 2) l'installation de l'orgue derrière les gradins de choeur, dans la grande salle de concert suivant les détails communiqués au CCTP ; 3) l'harmonisation de l'orgue ; 4) la formation des futurs utilisateurs.

A l'issue de la commission des marchés du 27 janvier 2010, Il a été proposé d'attribuer le marché à la société Rieger Orgelbau Gmbh. Il y sera consacré un budget de 2,57 millions d'euros hors taxes , recouvrant la conception, la fabrication, l'harmonisation et la mise en place de l'instrument.

Source : commission des finances, d'après le dossier historique du projet fourni par la Philharmonie de Paris


* 43 Le contrat de partenariat est un contrat par lequel est confiée à une entreprise, pour une période déterminée, en fonction de la durée d'amortissement des investissements ou des modalités de financement, une mission globale portant sur le financement, la construction d'ouvrages ou d'équipements, ainsi que leur entretien, leur maintenance ou leur exploitation. Le recours à la formule du contrat de partenariat doit permettre de tirer profit des compétences du secteur privé pour respecter des délais et des coûts, réaliser des économies d'échelle et garantir une meilleure gestion à terme de l'équipement.

* 44 Gestion des énergies, gestion des services généraux (réservation de salles, accueil, courrier, économat, propreté, mouvements et déménagements, reprographie, gestion des livraisons et flux associés, gestion de l'accueil et de l'information générale des visiteurs, des accès et des flux, gestion de la sécurité et de la sûreté).

* 45 Et ce d'autant plus que les études de conception avaient été réalisées dans leur quasi-intégralité par la Philharmonie de Paris.

* 46 Dossier historique du projet.

* 47 Comme le relève la mission d'inspection IGF-IGAC, annexe 1, p. 23 : « Pour tenir les délais d'une ouverture prévue à l'automne 2012, la solution d'une mise en oeuvre de la procédure de dialogue compétitif, qui était privilégiée par la direction du budget, n'a pas été retenue, en raison de sa longueur ». La mission d'inspection s'appuyait sur une note du secrétaire général du ministère de la culture et de la communication adressée au directeur de cabinet de la ministre, préalable à la réunion interministérielle du 2 décembre 2008.

* 48 Les raisons de ces surcoûts sont analysées plus loin, dans la partie du rapport consacrée à la dérive des coûts du projet.

* 49 En application du 1° du I de l'article 33 du décret n° 2005-1742 du 30 décembre 2005.

* 50 Dossier historique du projet.

* 51 Cette solution aurait nécessité un important travail d'étude préalable consistant à définir les caractéristiques techniques des travaux et des prestations, et un examen des candidatures et des offres lot par lot.

* 52 Et 218,6 millions d'euros frais inclus.

* 53 Génie civil - clos et couvert ; génie technique ; second oeuvre, agencements spécifiques et mobilier structurant ; aménagements extérieurs et paysagers ; signalétique ; aménagements et dispositifs scénographiques.

* 54 Hall d'accueil, foyers, vestiaires du public.

* 55 Auditorium, salles de répétition et studios, loges vestiaire.

* 56 Atelier, bureaux, réserves, salle.

* 57 Locaux administratifs, vestiaires des personnels et espaces de repos, salle du restaurant interentreprises.

* 58 Police responsabilité civile du maître d'ouvrage, police dommages-ouvrage et complémentaire de groupe, police tous risques chantier et police exploitation du futur établissement.

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