3. La conquête spatiale

En 2012, la conquête spatiale a deux facettes : le vol habité, dans le cadre de la Station spatiale internationale (ISS) et les missions scientifiques d'exploration robotique vers des destinations lointaines, notamment - mais pas seulement - vers la planète Mars.

On remarquera que la composante « exploration lointaine » de notre politique spatiale n'est pas complètement étrangère aux préoccupations de « l'espace pour la Terre », puisqu'elle s'intéresse à l'évolution des planètes et l'origine de la vie, ce qui est un autre moyen de mieux comprendre ce qui s'est produit par le passé et pourrait se produire, à l'avenir, sur Terre. Il en est de même pour l'ISS (cf encadré : « Utilité de l'ISS).

a) La Station spatiale internationale

Un autre enjeu majeur de la réunion du Conseil ministériel de l'ESA de novembre 2012 est l'avenir de la participation européenne à l'ISS 74 ( * ) . Celle-ci est assurée, jusqu'en 2015, par la fabrication et le lancement de cinq modules de ravitaillement ATV (Automated transfer vehicle).

Faut-il poursuivre cette coopération, au-delà de 2015, jusqu'en 2020, et sous quelle forme ?

Placée en orbite basse (environ 400 km), la Station est le résultat d'une coopération entre agences spatiales américaine, russe, japonaise, européenne et canadienne. Si elle est occupée en permanence depuis 2000, son assemblage ne s'est terminé qu'en 2011, avec le dernier vol de la Navette.

Le coût total de la Station est estimé par l'ESA à 100 milliards d'euros. Son coût pour la France est de 90 millions d'euros par an.

LA PARTICIPATION DE L'EUROPE À L'ISS

La Station spatiale internationale est un programme mené en coopération entre les États-Unis, la Russie, le Japon, le Canada et l'Europe. Pouvant accueillir jusqu'à 6 astronautes, elle pèse 450 t et permet de conduire des recherches dans les domaines des sciences de la vie et des matériaux.

Les deux principales contributions de l'Europe à l'ISS sont les suivantes :

- le laboratoire Columbus, opéré par l'Agence spatiale allemande, spécialisé en physique des fluides, sciences des matériaux et sciences de la vie, qui constitue une part substantielle de la capacité de recherche de la Station ;

- le véhicule de transfert automatique (ATV), opéré par le CNES à Toulouse, qui a trois fonctions : il transporte jusqu'à 7,7 t de ravitaillement et carburant à la Station ; il permet de rehausser la Station qui est naturellement attirée vers la Terre ; il en évacue les déchets avant de brûler dans l'atmosphère. Deux ATV ont rempli ces missions en 2008 et 2011. Le troisième ATV, appelé Edoardo Amaldi, a été lancé par Ariane 5 en mars 2012. Ce vaisseau cargo de 20 tonnes a été amarré avec une précision de 6 cm sur la Station, grâce à l'aide de l'astronaute de l'ESA alors présent à bord de la Station, André Kuipers. Il est précipité quelques mois plus tard dans l'atmosphère. Le lancement de l'ATV 4 (Albert Einstein) est prévu au printemps 2013. Cinq ATV sont programmés au total.

Le coût de l'ISS est de 100 milliards d'euros, dont 8 milliards pour l'Europe, soit, d'après l'ESA, « seulement » 1 euro par habitant de l'Europe et par an (pendant 30 ans)... Près de 90 % du coût de la contribution européenne à l'ISS est payé par l'Allemagne (41 %), la France (28 %) et l'Italie (20 %).

Eu égard à son coût exorbitant, quelle est l'utilité réelle de l'ISS et son apport à la recherche scientifique et technologique ? La NASA met en avant de nombreux exemples d'avancées scientifiques permises par la Station, sans qu'il soit aisé de distinguer les découvertes découlant directement de l'existence de la Station et celles s'inscrivant dans un cadre plus large (par exemple pour ce qui concerne la recherche sur l'ostéoporose) et sans qu'il soit aisé non plus de distinguer entre espoirs et réalisations.

UTILITÉ DE L'ISS

Les « bénéfices de la Station spatiale pour l'humanité » 75 ( * ) sont classés en trois catégories :

- Les bénéfices pour la santé humaine : par exemple


• La technologie qui a permis de construire les robots canadiens (notamment le bras Canadarm) en charge de l'assemblage et du ravitaillement de la Station a été adaptée pour le développement de NeurArm, bras chirurgical de haute précision fonctionnant en association avec l'imagerie par résonance magnétique (IRM) ;


• Le développement de la recherche sur les vaccins bénéficie de la virulence accrue de certains microbes dans l'espace (par exemple la salmonelle)


• Les recherches menées pour la prévention et le traitement de la perte osseuse subie par les astronautes lors de leur séjour dans un environnement de microgravité bénéficient à la recherche sur l'ostéoporose


• Des recherches menées sur les astronautes permettent d'améliorer la prévention des crises d'asthme (mesure du taux de monoxyde d'azote dans l'air expiré en vue de détecter précocement une inflammation des voies respiratoires)


• Des recherches ont été menées sur les systèmes d'administration de traitements anticancéreux par micro-encapsulation


• Des modes de détection précoce des changements immunitaires ont été développés afin de prévenir les lésions douloureuses du zona


• La Station a permis le développement d'une technologie de pointe au service des efforts internationaux de purification de l'eau.

- Les bénéfices pour l'observation de la Terre et la gestion des catastrophes naturelles

La station spatiale offre un point de vue unique permettant d'observer les écosystèmes terrestres. Elle permet de recueillir des données sur le climat, les changements environnementaux et les risques naturels, grâce à la combinaison d'équipements actionnés par l'équipage et automatisés. Cette souplesse est avantageuse par rapport aux capteurs satellitaires, notamment lors de la survenue de catastrophes naturelles. La présence humaine à bord de la Station permet d'améliorer l'utilité des données de télédétection. Cette capacité s'est concrétisée lors du tsunami qui a affecté le Japon en mars 2011, la Station ayant transmis des images uniques de cet événement.

- Les bénéfices pour l'éducation

Grâce à sa capacité à stimuler l'imagination, la Station a servi de base à de nombreux projets éducatifs : programme de radioamateur, acquisition de connaissances sur la Terre, communications avec les membres de l'équipage...Ces projets visent à une meilleure compréhension par le public des phénomènes observés sur notre planète. Ils contribuent à inciter les jeunes à se tourner vers des carrières dans les domaines des sciences, des technologies, de l'ingénierie et des mathématiques. Les activités éducatives proposées vont aussi au-delà de ces domaines comme l'illustre par exemple la rédaction d'un poème collectif commencé par un astronaute. « En continuant à utiliser la Station, nous stimulons et inspirons la prochaine génération de scientifiques, d'ingénieurs, d'écrivains, d'artistes, de politiciens et d'explorateurs ».

- La Station permet aussi de faire de la recherche fondamentale , avec par exemple des expériences sur les fluides complexes (conversion de liquides en solides par application d'un champ magnétique), sur les matériaux avancés (nouveaux alliages), en physique fondamentale (horloges spatiales et physique quantique), en astrophysique...

En définitive, si la Station peut-être un outil de recherche scientifique, singulièrement dans le domaine médical et de la recherche fondamentale, il convient de souligner surtout :

- sa dimension symbolique et éducative ;

- son importance pour consolider les compétences précédemment acquises dans le domaine du vol habité et des séjours en microgravité ;

- la nécessité de rentabiliser l'investissement réalisé au cours des dernières décennies.

D'une part en effet, la Station suscite la réflexion sur l'avenir terrestre et extra-terrestre de l'Humanité. Elle est un support de diffusion de la culture scientifique et technologique. Les astronautes oeuvrent activement à cet objectif, la communication sur leur métier et sur leur expérience éventuelle à bord constituant un aspect important de leur rôle. Que serait, a contrario , un monde qui aurait abandonné toute ambition dans le domaine du vol habité ? L'ISS, actuelle frontière de l'humanité, offre un point de vue sur notre planète qui, d'après ceux qui y ont séjourné, modifie le regard sur notre condition : ainsi que l'a indiqué à vos rapporteurs Michael Coats, directeur du Johnson Space Center de la NASA à Houston, ancien astronaute de la NASA, : « Quand vous volez dans l'espace et vous tournez vers le vaisseau spatial « Terre », vous avez envie de la prendre dans vos bras pour la protéger. ». C'est une perspective partagée par l'ensemble des astronautes.

D'autre part, l'ISS est moins une fin en soi qu'une étape. Selon Samantha Cristoforetti, astronaute de l'ESA, également rencontrée par vos rapporteurs à Houston, l'ISS est un pas indispensable vers un avenir qui, pour l'humanité, s'envisagera nécessairement au-delà d'une planète aux ressources limitées. De fait, l'ISS permet de consolider l'expérience acquise par les Russes et par les Américains dans le domaine du vol habité depuis 50 ans, avant d'envisager des destinations plus lointaines, au-delà de l'orbite basse, lorsque cela sera financièrement, technologiquement et, surtout, politiquement envisageable. En effet, à la question : « pourquoi l'homme doit-il être présent dans l'espace ? » l'expérience montre que la réponse a toujours été d'abord politique : les programmes soviétiques et américains, dont la conquête de la Lune, furent une conséquence de la guerre froide. L'ISS a symbolisé pour sa part la coopération internationale post-guerre froide, et permis d'éviter la dissémination des compétences ex-soviétiques. La question de savoir si l'homme doit ou non demeurer dans l'espace aura sans doute à l'avenir aussi une réponse de nature géopolitique, tenant à la nécessité de développer la coopération internationale et la solidarité entre les peuples, en élargissant peut-être cette coopération aux puissances spatiales des pays émergents, dont la Chine.

Enfin, poursuivre la Station est logique du point de vue du retour sur investissement. La Navette a été maintenue suffisamment longtemps pour terminer l'assemblage des différents modules. Mais son abandon a diminué les capacités de ravitaillement tant en hommes qu'en matériel, en sorte que les possibilités qu'offre la Station pour la recherche sont sous-utilisées. La desserte humaine de la Station dépend actuellement uniquement du vaisseau russe Soyouz, ce qui constitue un facteur de vulnérabilité auquel les Américains tentent de remédier en développant une nouvelle capacité autonome de desserte de l'orbite basse. L'utilisation de la Station n'est pas optimale et il convient de ne pas aggraver cette situation pour la suite.

Dans ce contexte, vos rapporteurs estiment que l'Europe doit réaffirmer son soutien à la Station spatiale jusqu'en 2020, quand bien même ce soutien ne serait pas absolument nécessaire aux Américains, puisque l'Europe n'assume que 8 % du coût de la Station. Outre qu'il est souhaitable de valoriser l'investissement réalisé par le passé - l'assemblage de la Station étant terminé depuis peu - il n'est pas exagéré de considérer la participation à la Station comme un signe de la puissance spatiale et même, dans une certaine mesure, de la puissance politique de l'Europe.

La poursuite de la participation à la Station spatiale internationale ne doit toutefois évidemment pas être inconditionnelle. Il ne s'agit pas, pour l'Europe, de « signer un chèque » à la NASA. Il doit s'agir de développer, dans la droite ligne de ce qu'est l'ATV, un outil susceptible de valoriser les compétences scientifiques et industrielles européennes, c'est-à-dire un élément innovant pouvant donner lieu à des développements au-delà de sa contribution à la Station : par exemple, un module capable de ramener des débris spatiaux dans l'atmosphère.

Ce module serait, plus particulièrement, susceptible de participer à la désorbitation de l'ISS elle-même, puisqu'il faut d'ores et déjà envisager un démantèlement dont le coût pourrait dépasser 2 Mds$ 76 ( * ) . Ce démantèlement pose de multiples questions : quels sont les éléments susceptibles d'être ramenés préalablement sur Terre ? Pourra-t-on désorbiter l'ensemble de la Station (qui pèse 420 tonnes), ou faudra-t-il la démonter puis la faire rentrer dans l'atmosphère en plusieurs étapes ?

Orientations

- Continuer à participer à la Station spatiale internationale jusqu'en 2020, sous une forme technologiquement innovante

- Étudier les modalités et les coûts de démantèlement de l'ISS


* 74 International Space station

* 75 International Space Station Benefits for Humanity (2012). Voir également sur le site internet de la NASA : http://www.nasa.gov/mission_pages/station/research/benefits/index.html

* 76 D'après le rapport précité de la Commission présidée par Norman Augustine

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