N° 123

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 novembre 2012

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation (1) sur la coopération décentralisée ,

Par M. Jean-Claude PEYRONNET,

Sénateur.

(1) La délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation est composée de Mme Jacqueline Gourault, présidente ; MM. Claude Belot, Christian Favier, Yves Krattinger, Antoine Lefèvre, Hervé Maurey, Jean-Claude Peyronnet, Rémy Pointereau et Mme Patricia Schillinger, v ice-présidents ; MM. Philippe Dallier et Claude Haut, secrétaires ; MM. Jean-Etienne Antoinette, Yannick Botrel, Mme Marie-Thérèse Bruguière, MM. François-Noël Buffet, Raymond Couderc, Jean-Patrick Courtois, Michel Delebarre, Éric Doligé, Jean-Luc Fichet, François Grosdidier, Charles Guené, Pierre Hérisson, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Georges Labazée, Joël Labbé, Gérard Le Cam, Jean Louis Masson, Stéphane Mazars, Rachel Mazuir, Jacques Mézard, Mme Renée Nicoux, MM. André Reichardt, Bruno Retailleau et Alain Richard .

INTRODUCTION

La coopération décentralisée est souvent le premier contact des citoyens avec l'international. Elle est le fruit d'une volonté politique forte, qui s'est développée à partir de la fin de la seconde guerre mondiale dans un souci de rapprochement entre les peuples, puis de solidarité internationale. Témoins de cet attachement des élus locaux, les actions de coopération décentralisée font très rarement l'objet d'une remise en cause ou d'un abandon lors d'un changement de majorité dans la collectivité.

La notion de coopération décentralisée est vaste. Pour l'Union européenne, elle regroupe toute action non étatique dans le domaine de la coopération et de l'aide au développement. Le ministère français des Affaires étrangères et européennes inclut dans sa définition toutes les actions extérieures des collectivités territoriales, y compris les actions ponctuelles et non conventionnées.

Toutefois, dans le cadre de ce rapport, la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation souhaite étudier l'action extérieure des collectivités territoriales dans le domaine de l'aide au développement vers les pays du Sud. Dès lors, tant les jumelages -notamment avec les pays européens- ayant pour but des échanges culturels que les partenariats économiques ou scientifiques entre collectivités de pays industrialisés sont exclus du présent rapport.

Depuis une quinzaine d'années, la coopération décentralisée connaît des évolutions majeures : juridiques tout d'abord, afin de sécuriser ses actions ; géographiques ensuite, par le développement de projets dans des zones géographiques jusque là peu concernées par la coopération décentralisée ; thématiques enfin, en s'intéressant à de nouveaux domaines mais également en transformant la manière d'agir : l'aide au développement à visée humanitaire est devenu avec le temps la coopération au développement. La collectivité partenaire n'est plus seulement considérée comme un simple bénéficiaire de l'aide mais comme un acteur à part entière.

En outre, la coopération décentralisée a connu une nouvelle dimension ces dernières années, du fait de l'intérêt croissant des institutions internationales pour la diplomatie des villes ainsi que de la prise de conscience du rôle que peuvent jouer les collectivités territoriales dans la lutte contre la pauvreté.

Aujourd'hui, dans un contexte de difficulté économique et de crise des finances publiques, la question de la légitimité des actions de coopération décentralisée peut se poser.

Pourquoi dépenser de l'argent public pour financer des projets à l'international alors que la population locale éprouve elle-même des difficultés ? D'autant plus que la coopération décentralisée française est marquée par une profusion d'actions sans coordination ou mutualisation entre les collectivités. Ainsi, plusieurs collectivités interviennent sur une même zone, voire une même ville, sans véritable concertation. Des risques de doublon et de gêne entre les différentes actions peuvent en résulter.

Dans ce contexte, alors que la Cour des comptes a publié en juin 2012 un rapport thématique public sur la politique française de l'aide au développement, la Délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation ne saurait faire l'économie d'une réflexion sur la coopération décentralisée.

Il s'agit de présenter un état des lieux de l'aide au développement des collectivités territoriales, d'examiner son évolution, mais également de mettre en avant les principaux enjeux : le financement, la justification et le renforcement de la coordination ainsi que la mutualisation des actions de coopération décentralisée, sans toutefois conduire à une tutelle ou à une remise en cause de la liberté d'action des collectivités françaises dans ce domaine.

I. SOIXANTE ANS DE COOPÉRATION DÉCENTRALISÉE : LES FAITS PRÉCÈDENT LE DROIT

« On peut dire que s'il est un domaine où les faits précèdent le droit avec une énergie irréfragable qui échappe à toute maîtrise c'est bien celui de la coopération décentralisée » 1 ( * ) .

A. LE TEMPS DES BALBUTIEMENTS

Au lendemain de la Seconde guerre mondiale, les jumelages ont été la première forme de coopération mise en place par les collectivités territoriales. En 1948, la ville de Brest signe le premier accord de jumelage franco-américain avec la ville de Denver. La création de deux associations témoigne de ce phénomène : le Conseil des communes d'Europe, en 1951, dont les membres prennent « l'engagement solennel (...) de maintenir des liens permanents entre les municipalités de nos communes, de favoriser en tous domaines les échanges entre leurs habitants pour développer, par une meilleure compréhension mutuelle, le sentiment vivant de la fraternité européenne », et la Fédération nationale des villes jumelées, en 1951. Le développement du jumelage naît dans un contexte marqué par la montée des tensions de la guerre froide et le souvenir des malheurs de la Seconde guerre mondiale, de la volonté de réconciliation et de rapprochement. Édouard Herriot, premier président de l'Association française pour le Conseil des communes d'Europe souligne que « le rapprochement communal est la meilleure condition du rapprochement humain » . D'abord principalement concentré sur le continent européen, un nombre important de jumelages vont voir le jour en Afrique et en Asie, dans les pays issus de la décolonisation.

Pendant longtemps, la coopération décentralisée s'est développée en l'absence de toute base juridique. Les textes ont d'ailleurs souvent donné une assise à des relations préexistantes pour permettre une action dans un cadre sécurisé. Il faut attendre le décret du 24 janvier 1956 pour voir l'adoption d'un cadre réglementaire applicable aux jumelages. Ce dernier, outre la création d'une commission chargée de coordonner les échanges internationaux dans le domaine communal, rend obligatoire une déclaration au préfet préalable à toute démarche officielle auprès d'une autorité étrangère. A la suite de cette déclaration, le préfet « devra saisir la commission par l'intermédiaire du ministère de l'Intérieur » 2 ( * ) .

Cependant, ce texte réglementaire a été mal accueilli par les organisations d'élus locaux, qui y voyaient une atteinte à ce qu'ils considéraient comme une liberté communale. Le ministre de l'Intérieur, Maurice Bourguès-Maunoury, dût clarifier la situation. La circulaire aux préfets du 9 mai 1957 précise que « la création de cette commission n'a nullement pour effet - et je tiens à le souligner expressément afin que vous puissiez donner tous apaisements à cet égard aux élus locaux - d'instaurer une nouvelle forme de tutelle. Le rôle que devra jouer cette commission consistera non seulement à « coordonner », mais également à favoriser une large politique d'échanges dans le domaine communal - et notamment les jumelages... » 3 ( * ) .


* 1 , Rapport sur l'état de la coopération décentralisée dans l'ensemble du monde et les propositions auxquelles conduit l'observation de son évolution depuis 1987, Hubert Perrot, délégué à l'action extérieure des collectivités locales.

* 2 Article 3 du décret du 24 janvier 1956 portant création d'une commission chargée de coordonner les échanges internationaux dans le domaine communal.

* 3 Antoine Vion, « l'invention de la tradition des jumelages (1951-1956) : mobilisations pour un droit », Revue française de science politique 4/2003 (Vol. 53), p. 559-582.

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