B. UN RECOURS EXCESSIF AUX PROCÉDURES PRIORITAIRES

Par exception aux principes rappelés ci-dessus, la loi autorise le préfet à refuser de délivrer un titre provisoire de séjour à un étranger dans deux hypothèses (article L. 741-4 du CESEDA) :

- soit, en application du règlement « Dublin II », il s'avère que l'examen de la demande relève d'un autre État membre que la France : dans ce cas, une procédure de réadmission doit être mise en oeuvre à son encontre et l'étranger doit être transféré dans l'État membre compétent pour instruire sa demande ;

- soit, considérant que le demandeur provient d'un pays d'origine « sûr », que sa présence en France constitue une menace à l'ordre public ou que sa demande est abusive, frauduleuse ou dilatoire, le préfet peut décider que sa demande sera examinée selon la procédure dite « prioritaire ».

Cette décision conduit à réduire considérablement les droits de l'intéressé pendant la procédure. En outre, les critères permettant d'engager une procédure prioritaire sont très contestés.

1. Des droits substantiellement réduits

La décision du préfet tendant à ce que la demande d'asile présentée par un étranger soit examinée selon la procédure prioritaire emporte un certain nombre de conséquences :

- en premier lieu, l'étranger se voit refuser la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour. Si, en dépit de ce refus, il maintient son intention de demander l'asile, il lui appartient de remettre le formulaire OFPRA à la préfecture dans un délai de 15 jours, la préfecture se chargeant ensuite d'adresser la demande à l'Office en mentionnant son caractère prioritaire. Si l'étranger est placé en centre de rétention administrative (CRA), il ne dispose que de cinq jours à compter de la notification de ses droits pour formuler sa demande d'asile ;

- l'OFPRA est tenu de statuer sur la demande dans un délai de quinze jours. Ce délai est ramené à 96 heures lorsque le demandeur est placé en rétention administrative.

Ces délais constituent une contrainte indéniable pour les services de l'OFPRA, qui s'efforcent cependant d'instruire la demande dans les mêmes conditions qu'une demande normale. 83,1% des primo-demandeurs d'asile placés en procédure prioritaire (hors CRA) ont ainsi été convoqués à un entretien par l'Office en 2011, et environ 70% ont effectivement été entendus. Les deux tiers des primo-demandeurs d'asile placés en centre de rétention sont également entendus par un officier de protection.

Dans les faits, l'OFPRA statue dans un délai moyen de 27 jours s'agissant des premières demandes, de six jours lorsqu'il s'agit d'une demande de réexamen. Lorsque le demandeur d'asile est placé en rétention administrative, l'Office s'efforce de rendre une décision dans un délai moyen de quatre jours pour les premières demandes, et de deux jours pour les réexamens ;

- non admis au séjour, le demandeur d'asile placé en procédure prioritaire n'est pas éligible à un hébergement en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA) ni à la couverture maladie universelle de base (CMU) ;

- surtout, si la loi l'autorise à se maintenir provisoirement sur le territoire jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA, tel n'est pas le cas ensuite en cas de rejet même s'il formule un recours devant la CNDA contre le rejet de sa demande d'asile par l'Office : en procédure prioritaire, le recours n'ayant pas d'effet suspensif , le demandeur encourt à tout moment le risque d'être interpellé et reconduit dans son pays avant que la CNDA n'ait statué sur son recours ;

- enfin, si le Conseil d'État a jugé que les demandeurs d'asile placés en procédure prioritaire devaient pouvoir avoir accès à l'allocation temporaire d'attente et à un hébergement d'urgence (arrêts du 16 juin 2008 et du 7 avril 2011) jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA, tel n'est pas le cas lorsque le demandeur d'asile en procédure prioritaire a saisi la CNDA d'un recours contre le rejet de sa demande par l'OFPRA.

Dans sa décision du 13 août 1993 n°93-325 DC précitée, le Conseil constitutionnel a validé le principe d'une telle procédure prioritaire, considérant que « si l'autorité administrative peut s'opposer à l'admission au séjour des intéressés, ces derniers ont le droit [...] de se maintenir sur le territoire français jusqu'à ce que l'office français de protection des réfugiés et apatrides leur notifie sa décision lorsque cette décision est une décision de rejet ; qu'au regard des exigences de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public, le législateur pouvait, dès lors qu'il garantissait la possibilité d'un recours, prévoir que l'intéressé n'aurait pas droit à être maintenu pendant l'examen de ce recours sur le territoire français ».

Le principe de la procédure prioritaire est désormais reconnu par le droit communautaire (article 23 de la directive 2005/85/CE du 1 er décembre 2005 définissant des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié).

2. Des demandes d'asile qui sont loin d'être toutes infondées

Initialement destinée à traiter rapidement des demandes d'asile a priori peu susceptibles de prospérer, la procédure prioritaire a été, au cours des récentes années, très largement dévoyée de son objet initial et utilisée à des fins de gestion des flux migratoires et de limitation des dépenses publiques induites par la présence sur le territoire des demandeurs d'asile.

Depuis 2004, la part des demandes d'asile examinées selon la procédure prioritaire a oscillé entre 16% et 30% de l'ensemble des demandes (voir graphique ci-contre).

Source : rapport annuel de l'OFPRA pour 2011

Toutefois, alors que la procédure prioritaire a initialement été utilisée pour traiter des demandes de réexamen ainsi que des demandes formulées en rétention, les préfets y ont de plus en plus fréquemment recours pour l'examen de premières demandes d'asile.

En 2011, les procédures prioritaires ont représenté 26% de la demande globale .

15% des premières demandes d'asile hors rétention ont été examinées selon cette procédure. La part des premières demandes dans l'ensemble des procédures prioritaires est ainsi passée de 34% en 2006 à 63% en 2011.

Demandes examinées selon la procédure prioritaire en 2011

Nombre de demandes

Part dans la demande d'asile globale

Premières demandes hors rétention

6 896

15,1%

Premières demandes formulées en rétention

616

1,35%

Demandes de réexamen hors rétention

354

0,77%

Demandes de réexamen formulées en rétention

4 033

8,83%

Total de demandes examinées selon la procédure prioritaire

11 899

26,06%

Source : données OFPRA

Or, les taux d'accord de l'OFPRA et les taux d'annulation de la CNDA sont loin de confirmer le caractère a priori infondé de ces demandes.

Taux d'accord à l'OFPRA pour les demandes examinées
selon la procédure prioritaire en 2011

Nombre d'admissions (statut de réfugié et protection subsidiaire)

Taux d'admission OFPRA

Premières demandes hors rétention

870

13,4%

Premières demandes formulées en rétention

23

3,9%

Demandes de réexamen hors rétention

126

3,1%

Demandes de réexamen formulées en rétention

1

0,3%

Total

1 020

8,9%

Source : données OFPRA

Ainsi l'OFPRA a-t-il accordé à 8,9 % des demandeurs d'asile placés en procédure prioritaire en 2011 le bénéfice du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire . Ce taux passe même à 13,4% si l'on retient les seules premières demandes d'asile n'ayant pas été formulées dans un centre de rétention administrative.

En ce qui concerne la CNDA, en 2011, 3 551 recours, soit 10,2 % du total, concernaient des requérants ayant fait l'objet d'un examen par l'OFPRA en procédure prioritaire.

En 2011, le taux d'annulation des décisions de l'OFPRA prises au terme d'un examen en procédure prioritaire s'est élevé à 14,2 %.

3. Des hypothèses de recours à la procédure prioritaire contestées

Ces taux -peu éloignés du taux global d'admission à l'OFPRA et du taux global d'annulations devant la CNDA, qui sont respectivement de l'ordre de 10 % et de 18 %- invitent à s'interroger sur le bien-fondé des motifs justifiant un placement en procédure prioritaire.

Ceux-ci sont en théorie au nombre de trois :

- soit le demandeur d'asile provient d'un pays d'origine jugé « sûr » ;

- soit sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public ;

- soit, enfin, sa demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile.

En réalité, seuls le premier et ce dernier motifs sont utilisés par les préfectures, la possibilité de placer un demandeur d'asile en procédure prioritaire pour menace grave à l'ordre public n'étant, d'après les informations recueillies par vos rapporteurs, quasiment jamais utilisée par les préfectures.

a) La notion de pays d'origine sûrs dévoyée à des fins de gestion des flux migratoires

Aux termes du 2° de l'article L. 741-4 du CESEDA, la demande peut être examinée selon la procédure prioritaire si « l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile a la nationalité d'un pays pour lequel ont été mises en oeuvre les stipulations du 5 du C de l'article 1 er de la convention de Genève susmentionnée ou d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr. Un pays est considéré comme tel s'il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande ».

Si la première hypothèse visée par ces dispositions fait référence à la clause de cessation prévue par la convention de Genève 20 ( * ) , la seconde vise la notion de « pays d'origine sûr » introduite par le droit communautaire.

Ainsi, le protocole annexé au traité d'Amsterdam du 2 octobre 1997 a posé le principe selon lequel « les États membres de l'Union européenne [étaient] considérés comme constituant des pays d'origine sûrs les uns vis-à-vis des autres pour toutes les questions juridiques et pratiques liées aux affaires d'asile ».

Puis la directive n°2005/85/CE du 1 er décembre 2005 relative à des normes minimales concernant la procédure d'octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres a autorisé ces derniers à examiner selon la procédure prioritaire les demandes d'asile émanant de ressortissants de pays considérés comme « sûrs ».

Cette notion a été introduite par anticipation en droit français par la loi n°2003-1176 du 10 décembre 2003 relative à l'asile. A cette occasion, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions n'étaient pas contraires à la Constitution. Dans sa décision n°2003-485 DC du 4 décembre 2003, il a ainsi jugé que « la loi déférée tend à traiter de façon appropriée les demandes d'asile, en vue de mieux protéger les personnes remplissant les conditions pour se voir reconnaître la qualité de réfugié ou accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ; qu'eu égard à cet objet, les demandeurs d'asile provenant de pays qui peuvent être considérés comme assurant le respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'État de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales, sont dans une situation différente de celle des demandeurs d'asile provenant d'autres pays ; qu'ainsi, la circonstance que les règles de procédure soient différentes selon que le demandeur provient ou non d'un pays sûr n'est pas contraire au principe d'égalité ».

L'article 29 de la directive du 1 er décembre 2005 précitée prévoyait l'élaboration d'une liste de pays sûrs commune à l'ensemble des États membres. Cette liste commune n'a jamais vu le jour , faute d'accord entre les États membres.

N'existent donc à ce jour, et en dépit des efforts accomplis pour harmoniser les conditions d'examen des demandes d'asile au sein de l'Union européenne, que des listes nationales de pays d'origine sûrs 21 ( * ) .

En France, l'établissement de cette liste relève de la compétence du conseil d'administration de l'OFPRA .

Depuis le 30 juin 2005 - date d'adoption de la première liste de pays d'origine sûrs par la France -, les pays que le conseil d'administration de l'OFPRA a jugés comme sûrs sont loin d'avoir tous répondu aux critères posés par la loi (respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'État de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales), ainsi que l'a jugé le Conseil d'État à plusieurs reprises.

Ainsi, le 30 juin 2005, le conseil d'administration de l'OFPRA a adopté une première liste de douze pays d'origine sûrs, composée du Bénin, de la Bosnie-Herzégovine, du Cap-Vert, de la Croatie, de la Géorgie, du Ghana, de l'Inde, du Mali, de l'île Maurice, de la Mongolie, du Sénégal et de l'Ukraine. Cette liste a été complétée le 16 mai 2006 par l'Albanie, la Macédoine, Madagascar, le Niger et la Tanzanie.

Dans un arrêt Association Forum Réfugiés du 13 février 2008, le Conseil d'État a annulé l'inscription de l'Albanie et du Niger en raison de l'instabilité du contexte politique et social propre à ces deux pays au moment de l'adoption de la liste.

Le 13 novembre 2009, le conseil d'administration de l'OFPRA a révisé cette dernière, en retirant la Géorgie et y ajoutant l'Arménie, la Serbie et la Turquie.

Par un arrêt Amnesty International et autres du 23 juillet 2010, le Conseil d'État a annulé l'inscription de l'Arménie, de Madagascar et de la Turquie, ainsi que du Mali en ce qui concerne les femmes (en raison de la prévalence de l'excision dans ce pays).

Le 18 mars 2011, le conseil d'administration de l'OFPRA a une nouvelle fois modifié la liste des pays d'origine sûrs afin d'y ajouter l'Albanie (dont le Conseil d'État avait annulé l'inscription en février 2008) et le Kosovo . L'inscription de ces deux pays a été annulée par le Conseil d'État dans un arrêt Action syndicale libre OFPRA (ASYL) du 26 mars 2012 .

Enfin, le 6 décembre 2011, le conseil d'administration de l'OFPRA a ajouté à la liste des pays d'origine sûrs l'Arménie (dont le Conseil d'État avait annulé l'inscription en juillet 2010), le Bangladesh, la Moldavie et le Monténégro.

Le recours exercé contre l'inscription de ces nouveaux pays est toujours pendant devant le Conseil d'État.

A ce jour, la liste des pays d'origine sûrs est donc composée de dix-huit pays : Arménie, Bangladesh, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Croatie, Ghana, Inde, Macédoine, Mali (pour les hommes uniquement), île Maurice, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Sénégal, Serbie, Tanzanie et Ukraine - auxquels s'ajoutent l'ensemble des États membres de l'Union européenne en application du « protocole Aznar » annexé au traité d'Amsterdam.

Comme l'ont observé l'ensemble des personnes entendues par vos rapporteurs, la liste des pays d'origine sûrs française, telle qu'elle est actuellement conçue, soulève la question de sa crédibilité . Non seulement les pays faisant l'objet d'une nouvelle inscription ne correspondent pas tous, loin s'en faut, aux critères posés par la loi, mais continuent également à y figurer des pays dans lesquels l'évolution du contexte géopolitique rend leur présence sur la liste anachronique. Tel a par exemple été le cas de la Géorgie, qui, en dépit de la guerre engagée avec la Russie en août 2008, a figuré sur la liste des pays d'origine sûrs jusqu'en novembre 2009. Tel est actuellement le cas du Mali, dont une partie du territoire est contrôlé depuis le mois de mars 2012 par des rebelles affiliés à des groupes terroristes mais qui figure toujours sur la liste des pays désignés comme sûrs par le conseil d'administration de l'OFPRA...

Les auditions de vos rapporteurs ont montré que l'inscription d'un pays sur la liste des pays d'origine sûrs était davantage motivée par le souci de faire pression à la baisse sur les flux de demandes d'asile que par le caractère objectivement sûr de la situation politique et sociale d'un pays donné.

Les demandes d'asile émanant de ressortissants de pays « sûrs » sont en effet quasiment exclusivement examinées selon la procédure prioritaire : 87% d'entre elles en 2010, 84% en 2011 et 92% au cours du premier semestre 2012 ont fait l'objet d'un placement en procédure prioritaire.

Dans les faits, l'inscription ou le retrait d'un pays de la liste a des conséquences rapides et importantes sur le flux des demandes . Les représentants de la préfecture de Seine Saint-Denis ont ainsi confirmé que le nombre de demandes d'asile émanant de ressortissants bangladais avait diminué de façon spectaculaire à la suite de l'inscription du Bangladesh sur la liste des pays d'origine sûrs en décembre 2011.

Or, les taux d'admission à l'asile des ressortissants de ces pays ne confirment pas la présomption de sûreté censée justifier, en théorie, l'inscription d'un pays sur cette liste : devant l'OFPRA, 7,1% des demandeurs d'asile originaires d'un pays « sûr » en 2011 se sont vu reconnaître l'asile ; ce taux était de 11,5% en 2010. Devant la CNDA, les recours formulés par ces mêmes ressortissants ont donné lieu à un taux d'annulation de 17,9% en 2011 (19,8% en 2010).

b) Des interprétations extensives de la notion de demande d'asile frauduleuse, abusive ou dilatoire

Aux termes du 4° de l'article L. 741-4 du CESEDA, peut être examinée selon la procédure prioritaire « la demande d'asile [reposant] sur une fraude délibérée ou [constituant] un recours abusif aux procédures d'asile ou [qui] n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente. Constitue, en particulier, un recours abusif aux procédures d'asile la présentation frauduleuse de plusieurs demandes d'admission au séjour au titre de l'asile sous des identités différentes. Constitue également un recours abusif aux procédures d'asile la demande d'asile présentée dans une collectivité d'outre-mer s'il apparaît qu'une même demande est en cours d'instruction dans un autre État membre de l'Union européenne. Constitue une demande d'asile reposant sur une fraude délibérée la demande présentée par un étranger qui fournit de fausses indications, dissimule des informations concernant son identité, sa nationalité ou les modalités de son entrée en France afin d'induire en erreur les autorités ».

Le ministère de l'Intérieur encourage les préfectures, sous réserve d'un examen individuel de chaque situation particulière, à utiliser largement la procédure prioritaire lorsque l'étranger a déposé plusieurs demandes d'asile simultanées ou successives sous des identités différences, dans le cas des demandes de réexamen, ainsi que pour les demandes formulées en centre de rétention administrative ou postérieurement à la notification d'une décision de refus de titre de séjour, d'une obligation de quitter le territoire français ou d'une mesure d'éloignement administrative ou judiciaire (circulaire du 1 er avril 2011).

84,5% des demandes de réexamen en 2011 ont ainsi été examinées selon la procédure prioritaire.

Le juge administratif veille toutefois à ce que le placement en procédure prioritaire n'ait pas de caractère systématique. Par exemple, saisi du cas des personnes évacuées de la « jungle de Calais » en septembre 2009 qui, tentant de rallier la Grande-Bretagne, n'avaient formulé leur demande d'asile en France qu'au moment de leur placement en centre de rétention, le juge des référés du Conseil d'État, dans une ordonnance du 17 décembre 2009, a jugé que « ni le fait [que l'intéressé] ait, comme la plupart de ses compatriotes, envisagé d'abord de demander l'asile en Grande-Bretagne, ni le délai qui a séparé l'intervention de l'arrêté préfectoral prescrivant sa reconduite à la frontière de sa demande d'asile, ne [permettaient] à eux seuls, dans les circonstances de l'espèce, de faire présumer le caractère abusif de cette dernière demande ».

Ce motif de placement en procédure prioritaire fait surtout, à l'heure actuelle, l'objet de débats lorsqu'il est opposé à des demandeurs d'asile dont les empreintes digitales ont été altérées.

Rappelons que, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile à la préfecture, l'étranger est tenu de se prêter au relevé de ses empreintes digitales au moyen d'une borne EURODAC, destinée à vérifier qu'il n'a pas formulé une demande d'asile dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans une autre préfecture.

Or, depuis plusieurs années, un certain nombre de demandeurs d'asile - souvent issus des pays de la corne de l'Afrique (Érythrée, Somalie, Soudan) - se présentent à la préfecture avec des empreintes digitales altérées.

De telles situations ont d'abord été condamnées par le Conseil d'État qui, dans plusieurs décisions rendues en référé, a considéré « que l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile doit justifier de son identité, de manière à permettre aux autorités nationales de s'assurer notamment qu'il n'a pas formulé d'autres demandes ; qu'il résulte, en particulier, des dispositions du règlement du 11 décembre 2000 que les demandeurs d'asile âgés de plus de quatorze ans ont l'obligation d'accepter que leurs empreintes digitales soient relevées ; que, par suite, les autorités nationales ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile en refusant de délivrer une autorisation provisoire de séjour au demandeur qui refuse de se soumettre à cette obligation ou qui, en rendant volontairement impossible l'identification de ses empreintes, les place, de manière délibérée, par son propre comportement, dans l'incapacité d'instruire sa demande » 22 ( * ) .

Une circulaire du 2 avril 2010 a indiqué aux préfectures la marche à suivre dans cette hypothèse : en cas d'échec d'une première prise d'empreintes, le demandeur doit se voir remettre une convocation à un mois pour permettre, le cas échéant, la reconstitution de ses empreintes digitales. Si, à l'occasion de ce second rendez-vous, les empreintes s'avèrent toujours inexploitables, sa demande d'asile est examinée selon la procédure prioritaire.

Cette circulaire a été validée par le Conseil d'État 23 ( * ) .

La situation de ces demandeurs soulève une réelle difficulté car, provenant de pays particulièrement peu sûrs, un nombre important des intéressés se sont vus accorder une protection par l'OFPRA.

Par une note datée du 3 novembre 2011, le directeur général de l'OFPRA, mettant en avant la difficulté à examiner les demandes d'asile de personnes dissimulant sciemment leur identité, a donné instruction à ses services de rejeter purement et simplement toute demande qui serait formulée par un demandeur ayant altéré ses empreintes digitales.

Ces instructions ont été suspendues par le Conseil d'État statuant en référé le 11 janvier 2012 - décision qui a été confirmée au fond le 3 octobre 2012.

Elles ont également été sanctionnées par la Cour nationale du droit d'asile dans une décision de sections réunies du 21 février 2012, qui a considéré que, « s'il revient à la Cour, en tant que juge de plein contentieux, non d'apprécier la légalité de la décision du directeur général de l'OFPRA, mais de se prononcer elle-même sur le droit du demandeur à une protection au titre de l'asile en substituant sa propre décision à celle de l'office, il en va autrement lorsque le demandeur d'asile a été privé de la garantie essentielle d'un examen particulier des éléments qu'il a présentés à l'appui de sa demande ; qu'il appartient en ce cas à la Cour d'annuler la décision attaquée et de renvoyer la demande à l'examen de l'office ».


* 20 Qui prévoit que la convention de Genève cesse d'être applicable lorsque les circonstances à la suite desquelles la personne a été reconnue comme réfugiée ont cessé d'exister.

* 21 Ce que permet l'article 30 de la directive n°2005/85/CE du 1 er décembre 2005.

* 22 Conseil d'État, juge des référés, 2 novembre 2009, n°332890, Mme A.

* 23 Décision en référé du 29 juin 2010 puis arrêt sur le fond du 19 juillet 2011.

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