II. LE RÔLE MOTEUR DU CONSEIL DE L'EUROPE EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS À L'ENCONTRE DES ROMS SUR LE TERRITOIRE EUROPÉEN

A. LA SITUATION DES ROMS : UNE PRÉOCCUPATION ANCIENNE DU CONSEIL DE L'EUROPE

1. Une question qui s'inscrit pleinement dans les valeurs du Conseil de l'Europe

La création du Conseil de l'Europe en 1949 répond à la volonté des dix États fondateurs 11 ( * ) de réconcilier les peuples au sortir de la Seconde Guerre mondiale et de les protéger de l'oppression. Cette organisation, qui réunit aujourd'hui 47 États, vise donc à créer un espace démocratique et juridique commun, fondé autour de la promotion de trois valeurs centrales : la démocratie, les droits de l'homme et l'État de droit. Robert Schuman disait, à son propos, qu'elle est « le laboratoire où s'écrit et s'expérimente la coopération européenne ».

La signature de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales le 4 novembre 1950 a doté le Conseil de l'Europe d'un instrument de référence pour garantir le respect des droits de l'homme et de la prééminence du droit.

D'une part, cette Convention réaffirme l'attachement des États parties à un certain nombre de droits et de libertés fondamentales contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948.

Elle proclame le droit à la vie, le droit à la liberté et à la sécurité, le droit à un procès équitable, le principe de la légalité des peines, le droit au respect de la vie privée et familiale, la liberté de pensée, de conscience et de religion, la liberté d'expression ou encore la liberté de réunion et d'association. Elle interdit également la torture, l'esclavage ou le travail forcé, la détention arbitraire et illégale et toutes les formes de discriminations.

D'autre part, elle institue une Cour - la Cour européenne des droits de l'homme, également connue sous le nom de Cour de Strasbourg - chargée de veiller à la mise en oeuvre et au respect effectif, par les États parties, des droits et libertés ainsi proclamés. Par la suite, la Convention de 1950 a été complétée par quatorze protocoles additionnels, plusieurs d'entre eux ayant pour objet la reconnaissance de nouveaux droits.

Au regard de son domaine d'action, c'est donc tout naturellement que le Conseil de l'Europe a été amené à protéger les droits des Roms . Plusieurs articles de la Convention peuvent être invoqués pour condamner les pratiques discriminatoires à l'encontre des Roms. C'est en particulier le cas de l'article 14 de la Convention , qui prohibe les discriminations puisqu'il garantit la jouissance des droits et libertés énoncés dans la Convention, sans distinction aucune, citant ceux fondés « sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». C'est également le cas du protocole additionnel n° 12 du 4 novembre 2000 qui est venu confirmer ce principe général d'interdiction de la discrimination et en préciser les contours. Il rappelle notamment que « la jouissance de tout droit prévu par la loi doit être assurée, sans discrimination aucune », reprenant la liste des motifs de discrimination déjà présente à l'article 14 de la Convention. Il ajoute également que « nul ne peut faire l'objet d'une discrimination de la part d'une autorité publique quelle qu'elle soit ». Globalement, ce principe général d'interdiction de la discrimination est interprété par le Conseil de l'Europe de manière large. Il signifie, d'une part, qu'il ne faut pas traiter différemment des personnes dans une situation identique, mais, d'autre part, qu'il faut traiter différemment des personnes qui sont dans une situation différente.

Deux autres protocoles additionnels à la Convention encadrent également la pratique des expulsions et peuvent donc s'appliquer à la question des Roms. Il s'agit du protocole n° 4 du 16 septembre 1963 , qui interdit, dans son article 4, les expulsions collectives d'étrangers, mais aussi le protocole n° 7 du 22 novembre 1984 qui fixe, dans son article 1 er , les garanties procédurales applicables en cas d'expulsion d'étrangers.

Il convient également de citer plusieurs autres textes élaborés dans le cadre du Conseil de l'Europe :

- d'une part, la Charte sociale européenne qui date de 1961 et a été révisée en 1996, et fixe une série de droits fondamentaux relatifs au logement, à la santé, à l'éducation, à l'emploi, à la protection sociale et juridique et à la non-discrimination ;

- d'autre part, la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires et la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales . Aucun de ces deux derniers textes n'a été ratifié par la France.

2. Une problématique dont se sont saisis tous les organes du Conseil de l'Europe

Sur le fondement de la Convention et de ses protocoles additionnels, la Cour européenne des droits de l'homme a été saisie, à partir de 1996, d'une vingtaine de requêtes considérées comme recevables concernant spécifiquement les Roms . Elle a pu élaborer, à cette occasion, une jurisprudence protectrice des droits des Roms, à l'image de celle qu'elle a développée en matière de respect des droits des minorités. La grande majorité des requêtes que la Cour a eu à traiter jusqu'à présent portaient sur le problème des violences policières (article 2 de la Convention relatif au droit à la vie), des traitements inhumains ou dégradants infligés en détention ou de cas de stérilisations forcées de femmes roms (article 3 de la Convention relatif à l'interdiction de la torture), des procédures d'expulsion collective (protocole n° 4, des attaques sur des villages roms ou des destructions de biens leur appartenant (article 8 de la Convention relatif au respect de la vie privée et familiale et du domicile), mais aussi de discriminations manifestes (article 14 de la Convention relatif à l'interdiction de la discrimination et protocole n° 12), telles que le placement d'enfants roms dans des écoles spéciales, le refus d'accorder une pension de réversion pour non-reconnaissance du mariage traditionnel rom, ou encore l'interdiction faite à un Rom de se présenter à des élections.

Ces arrêts ont permis d'enregistrer des progrès significatifs en matière d'intégration des Roms à un double titre. D'une part, ils ont contribué à reconnaître les multiples discriminations dont ces populations sont victimes. D'autre part, ils ont sans doute permis de sensibiliser davantage les Roms à leurs droits et aux instruments dont ils peuvent bénéficier pour s'assurer que ceux-ci soient respectés. Il n'en demeure pas moins que les requêtes déposées en la matière restent encore rares, la nécessité d'épuiser au préalable les voies de recours au niveau interne pouvant apparaître décourageante. Afin de pallier cette difficulté, le Conseil de l'Europe a d'ailleurs mis en place des sessions annuelles de formation pour renforcer les compétences des juristes fournissant une assistance aux communautés roms. Un guide destiné aux avocats a également été publié. Il fait le point sur les articles de la Convention et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

Il convient également de souligner que se pose régulièrement le problème de l'exécution des arrêts de la Cour. C'est le Comité des ministres qui a la charge de cette surveillance. Mais la Cour fait observer qu'il n'est pas rare que plusieurs condamnations soient nécessaires avant qu'un État ne remédie aux pratiques sanctionnées dans ses arrêts. C'est pourquoi celle-ci formule désormais de plus en plus régulièrement des recommandations à l'attention de l'État sur la manière dont il pourrait mettre sa législation en conformité afin de ne plus s'exposer à des condamnations.

La Cour de Strasbourg n'est pas le seul organe du Conseil de l'Europe à être intervenu sur la question des Roms. Dès 1963, l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe a reconnu la contribution des Roms à la diversité culturelle en Europe et la nécessité de garantir leurs droits. En 1969, elle est la première institution à adopter un texte officiel concernant les Roms, au travers de sa recommandation n° 563 (1969) relative à la situation des Tsiganes et autres nomades en Europe. En 1993, elle a adopté une nouvelle recommandation 12 ( * ) afin de faire le point sur la situation des Roms en Europe suite à l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale au Conseil de l'Europe.

Mais c'est surtout depuis le début des années 2000 que l'intervention de l'Assemblée parlementaire sur la question des Roms s'est faite très régulière. En 2002, elle a adopté une recommandation 13 ( * ) dans un contexte marqué par d'importants mouvements migratoires des populations Roms en raison des conflits dans les Balkans occidentaux, afin d'améliorer le statut juridique, le niveau d'égalité et les conditions de vie des Roms. Elle invitait en particulier les États membres à « mettre en oeuvre des programmes spécifiques afin d'améliorer l'intégration des Roms dans la société [...] et assurer leur participation au processus de décision » et à développer des actions positives pour les classes défavorisées dans les domaines de l'enseignement, de l'emploi et du logement, qui pourraient également bénéficier aux Roms. En 2003 et en 2005, l'Assemblée parlementaire a consacré deux recommandations 14 ( * ) aux retours forcés de Roms vers la Serbie-Monténégro et à la situation au Kosovo. En juin 2010, elle a adopté une recommandation et une résolution sur la situation des Roms en Europe et les activités pertinentes du Conseil de l'Europe 15 ( * ) . Ces deux textes tirent le bilan de l'action menée par le Conseil de l'Europe jusqu'à présent. Ils sont intéressants à un double titre puisqu'ils relèvent, d'une part, l'insuffisante mise en oeuvre des précédentes recommandations et, d'autre part, la tendance des États à se dérober à certaines de leurs responsabilités au profit de l'échelon européen, alors même que « l'éducation, l'emploi, l'intégration sociale, les services de santé et le logement sont presque entièrement du ressort des États ».

L'action de l'Assemblée parlementaire sur la question des Roms s'est naturellement accélérée après les événements survenus en France pendant l'été 2010. En octobre 2010, l'Assemblée a adopté une résolution 16 ( * ) s'inquiétant de la montée récente du discours sécuritaire au niveau national en prenant pour exemple le cas des Roms. En novembre 2010, elle a adopté une recommandation et une résolution sur les demandeurs d'asile roms en Europe 17 ( * ) , qui condamnent notamment le racisme et la xénophobie à l'encontre des Roms et invitent les États membres à repenser leurs politiques de retour à l'égard des demandeurs d'asile roms, en particulier ceux originaires du Kosovo. Plus récemment, en juin 2012, l'Assemblée parlementaire a adopté une recommandation 18 ( * ) sur les migrants Roms en Europe, qui dénonce la double stigmatisation dont ils sont victimes, à la fois en tant que Roms et en tant que migrants.

D'autres organes du Conseil de l'Europe ont également contribué à promouvoir l'intégration des Roms. C'est bien sûr le cas du Comité des ministres qui, à partir de 1975, a adopté, sur une base régulière, diverses recommandations 19 ( * ) sur la situation des Roms en Europe. Ces textes mettent souvent l'accent sur les difficultés sociales auxquelles ces populations sont confrontées, en insistant sur les améliorations qui pourraient être apportées en matière d'éducation, d'emploi, de logement et d'accès aux soins de santé.

Le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux , qui assure la représentation de la démocratie locale et régionale au sein du Conseil de l'Europe, est lui aussi intervenu, à partir de 1981, afin de mieux définir le rôle et la responsabilité des autorités locales et régionales en matière d'intégration des Roms.

La Commission européenne contre le racisme et l'intolérance (ECRI) a, pour sa part, adopté deux recommandations consacrées à la question des Roms : l'une en 1998 sur la lutte contre le racisme et l'intolérance envers les Roms et les Tsiganes, qui souligne en particulier que l'anti-tsiganisme est une forme particulière de racisme ; et l'autre en 2011 sur la lutte contre l'anti-tsiganisme et les discriminations envers les Roms.

Le Comité européen des droits sociaux , qui est chargé de juger la conformité du droit et de la pratique des États parties à la Charte sociale européenne, a également été directement appelé à évaluer la situation des Roms dans différents pays européens. Outre la publication de rapports annuels, cet organe peut être saisi de réclamations collectives, généralement déposées par des associations, à l'encontre des États parties ayant accepté cette procédure 20 ( * ) . C'est en particulier à l'occasion de l'examen de telles réclamations que le Comité européen des droits sociaux a pu constater des violations des droits des Roms au regard de la Charte. Il convient de souligner que le Comité a rendu des conclusions cette année, dans le cadre d'une réclamation présentée par la Fédération internationale des Ligues des droits de l'homme (FIDH) contre la Belgique, dans lesquelles il indique que « tout lieu où réside une famille, de façon légale ou non, dans un immeuble ou dans un bien meuble, comme l'est une caravane, doit être considéré comme un logement au regard de la Charte ».

Surtout, le Commissaire aux droits de l'homme , depuis la création de la fonction en 1999, accorde une attention particulière au respect et à la protection des droits des Roms. Il a consacré plusieurs rapports à cette question 21 ( * ) et fait quasi systématiquement un point sur ce sujet à l'occasion de ses visites dans l'un des États membres. Son rôle est d'autant plus important que le Commissaire aux droits de l'homme est une personnalité indépendante, désignée par l'Assemblée parlementaire pour un mandat de six ans non renouvelable, ce qui lui confère un caractère impartial. Ses recommandations n'ont pas de force obligatoire, mais elles visent plutôt à nourrir un dialogue constructif avec les gouvernements pour les aider à remédier à leurs difficultés en matière de respect des droits fondamentaux. L'action du Commissaire aux droits de l'homme sur la question des Roms se concentre sur quelques domaines identifiés comme prioritaires, à savoir la lutte contre l'anti-tsiganisme, l'éducation des enfants roms, les atteintes à la liberté de circulation et le problème des expulsions. Le Commissaire est particulièrement attentif à la situation des Roms dans les Balkans et s'inquiète en particulier des retours forcés vers le Kosovo et des problèmes posés par le statut d'apatride dont souffrent ces populations.


* 11 Le Conseil de l'Europe a été créé le 5 mai 1949 par dix États : la Belgique, le Danemark, la France, l'Irlande, l'Italie, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Royaume-Uni et la Suède.

* 12 Recommandation n° 1203 du 2 février 1993 relative aux Tsiganes en Europe, qui comporte plusieurs propositions à l'attention du Comité des ministres du Conseil de l'Europe sur les questions de culture, d'éducation, d'information, d'égalité des droits, de consultation des parties concernées et de désignation d'un médiateur pour les Tsiganes.

* 13 Recommandation n° 1557 du 25 avril 2002 sur la situation juridique des Roms en Europe.

* 14 Recommandation n° 1633 du 25 novembre 2003 sur les retours forcés de Roms originaires de l'ex-République fédérale de Yougoslavie, y compris du Kosovo, en Serbie-Monténégro, en provenance d'Etats membres du Conseil de l'Europe ; et recommandation n° 1708 du 21 juin 2005 sur la situation actuelle au Kosovo.

* 15 Recommandation n° 1924 et Résolution n° 1740 du 22 juin 2010.

* 16 Résolution n° 1760 du 7 octobre 2010 sur la montée récente en Europe du discours sécuritaire au niveau national : le cas des Roms

* 17 Recommandation n° 1941 et résolution n° 1768 du 12 novembre 2010 sur les demandeurs d'asile roms en Europe.

* 18 Recommandation n° 2003 du 28 juin 2012 sur les migrants roms en Europe.

* 19 A titre d'exemple, on peut citer la résolution n° 13 (1975) portant recommandation sur la situation sociale des populations nomades en Europe, la recommandation n° R(2000)4 sur l'éducation des enfants roms/tsiganes en Europe, la recommandation Rec(2001)17 sur l'amélioration de la situation économique et de l'emploi des Roms/Tsiganes et des Voyageurs en Europe, la recommandation Rec(2005)4 relative à l'amélioration des conditions de logement des Roms et des Gens du voyage en Europe, la recommandation Rec(2006)10 relative à un meilleur accès aux soins de santé pour les Roms et les Gens du voyage en Europe.

* 20 Si, aujourd'hui, 43 États sur les 47 que compte le Conseil de l'Europe ont ratifié la Charte sociale européenne, seuls 15 d'entre eux ont accepté la procédure de réclamations collectives, dont la France.

* 21 On peut citer, par exemple, le rapport du 15 février 2006 de M. Alvaro Gil-Robles sur la situation en matière de droits de l'homme des Roms, Sintis et Gens du voyage en Europe ou, dernièrement, le rapport de février 2012 de M. Thomas Hammarberg consacré à cette même question.

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