DEUXIÈME PARTIE : DÉBAT

Mme Dominique Gillot, sénatrice du Val d'Oise

Sont en préparation deux grandes lois de refondation, l'une sur l'école, l'autre sur l'enseignement supérieur et la recherche. Ce sont clairement deux rendez-vous à ne pas manquer pour la culture scientifique et technique, alors que les interventions que nous avons entendues témoignent de l'urgence de la situation. Nous comptons sur les mouvements d'éducation populaire pour enrichir les débats et nous comptons également sur leurs propositions et leurs actions dès la rentrée 2013 dans le cadre de la réforme des rythmes scolaires. Les ministères de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur vous ont-ils mobilisés sur ces questions ?

M. Jean-Pierre Leleux, sénateur des Alpes-Maritimes

Après cette succession d'interventions particulièrement intéressantes on ne peut que constater que le sujet de la culture scientifique mérite que nous nous y consacrions à nouveau, malgré le grand nombre de rapports déjà publiés qui l'aborde. Je suis rapporteur au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) avec notre collègue députée Maud Olivier sur la diffusion de la culture scientifique, technique et industrielle, et vous me permettrez d'insister sur cette dernière dimension. Ce que j'entends aujourd'hui justifie pleinement que l'office ait diligenté une nouvelle mission après tant d'études.

Trois catégories d'acteurs se détachent. D'abord l'opérateur de référence Universcience qui fusionne le Palais de la découverte et la Cité des sciences. Il est considéré en province comme très parisien malgré des efforts de capillarisation dans les territoires. Les deux institutions qui constituent Universcience demeurent marquées par leur implantation dans la capitale et la provincialisation, si j'ose dire, de la culture scientifique n'est pas achevée.

Deuxième catégorie d'acteurs : les centres de culture scientifique, technique et industrielle (CCSTI) dont il faut précisément saluer le travail considérable qu'ils mènent dans les territoires. Enfin, le monde foisonnant des associations d'éducation populaire réalisent un travail formidable de vulgarisation, d'accompagnement pour faciliter la prise de conscience des enjeux scientifiques contemporains parmi la jeunesse. Devant la complexité de l'organisation de la culture scientifique et technique, je me demande comment nous pouvons accompagner le foisonnement des initiatives locales tout en promouvant une stratégie nationale.

Comment trouver en effet une cohérence et un équilibre adaptés entre ces deux objectifs potentiellement antagonistes ? Autre fragilité : plusieurs ministères interviennent sans que les responsabilités soient toujours très claires, ce qui rend les arbitrages difficiles à rendre. Quelle structure interministérielle devrions-nous mettre en place ? Au-delà de ces questions de gouvernance, je m'interroge sur le rôle que doivent jouer l'éducation nationale et la presse et sur les meilleurs moyens de promouvoir l'égalité d'accès à la culture scientifique. Enfin, comment transformer la défiance à l'égard des sciences en capacité d'analyse critique ?

Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sénatrice des Hauts-de-Seine

Je remercie nos interlocuteurs qui ont bien mis en lumière les défis posés par la diffusion de la culture scientifique, notamment en matière d'organisation et de financement. Un réajustement institutionnel paraît s'imposer. Et nous avons besoin de réfléchir à l'articulation entre l'implication des acteurs de terrain comme les associations d'éducation populaire très mobilisées et la garantie d'égalité de traitement sur l'ensemble de territoire national que doit apporter l'État. En outre, comment les collectivités territoriales parviendront-elles à répondre à la demande sociale alors qu'elles seront soumises dans les prochaines années à des coupes budgétaires drastiques ? La culture scientifique et technique ne risque-t-elle pas d'être sacrifiée ? Enfin, en tant que présidente de la délégation aux droits des femmes, j'aimerais vous entendre sur le rôle que la culture scientifique et technique peut jouer dans la déconstruction des stéréotypes de genre et dans l'orientation des jeunes filles vers les filières scientifiques ?

Mme Corinne Bouchoux, sénatrice de Maine-et-Loire

Je remercie à mon tour les intervenants et j'aimerais les interroger plus généralement sur les moyens de réorienter la jeunesse des filières du commerce et de la finance vers les sciences pures ou appliquées.

Mme Françoise Férat, sénateur de la Marne

Vous me permettrez d'aborder un thème qui m'est cher : l'enseignement agricole. Je tiens à rappeler que seuls 18 % des jeunes qui y sont accueillis se destinent aux métiers de la production et que l'enseignement agricole forme largement aux métiers du développement durable, de l'environnement et des services en milieu rural. À la lecture du rapport de 2012, je me demandais si ses recommandations avaient été déclinées et proposées au ministre de l'agriculture, qui conserve le contrôle pédagogique de l'enseignement agricole.

Mme Maryvonne Blondin, sénatrice du Finistère

J'ai découvert le foisonnement d'un monde que je ne connaissais que par le biais des associations. Malgré mon implication dans mes fonctions d'élue locale, je n'avais pas connaissance de l'existence de pôles territoriaux dédiés. Il faut absolument conjurer le risque de parisianisme des grosses structures et soutenir les actions locales alors que les collectivités territoriales voient leurs moyens fortement baisser. Pour rejoindre ma collègue Brigitte Gonthier-Maurin, j'aimerais que vous nous précisiez quelle est la proportion de filles dans les différentes filières scientifiques.

Mme Françoise Cartron, sénatrice de la Gironde

Cette table ronde nous a permis de mieux cerner les difficultés prégnantes que rencontrent certains acteurs. La région Aquitaine s'est dotée d'une structure remarquable : Cap Sciences. Toutefois cet outil précieux irrigue essentiellement la région bordelaise. Le défi central me semble précisément de diffuser la culture scientifique dans l'ensemble des territoires très divers qui constituent notre pays, sans la limiter uniquement aux grandes agglomérations.

De ce point de vue, la réforme des rythmes scolaires constitue un enjeu majeur. Nous devons réussir la mobilisation d'intervenants qualifiés dans toutes les écoles de toutes les communes et les associations d'éducation populaire ont un rôle essentiel à mener pour structurer la nouvelle organisation du temps scolaire. Mais pour l'instant elles me paraissent insuffisamment accompagnées par la grande maison qu'est l'éducation nationale. C'est pourquoi je voulais savoir où en était la réflexion des acteurs du monde de la culture scientifique sur la question cruciale de leur participation à l'aménagement du temps scolaire.

Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice de la Seine-Maritime

Je partage la critique de notre collègue Jean-Pierre Leleux sur le biais parisien de la culture scientifique en France. À titre d'exemple, les muséums d'histoire naturelle de région se sentent parfois déconnectés des actions menées par Universcience, dont la tutelle est jugée parfois condescendante et insuffisamment respectueuse des initiatives locales par les conservateurs comme par les élus.

À l'instar des intervenants de la table ronde et des propositions du rapport de l'inspection générale, il me semble indispensable de mettre en oeuvre une politique publique cohérente et ambitieuse en matière de culture scientifique. Cette nouvelle politique devra, à mon sens, replacer l'humain au coeur de la réflexion scientifique. À cet égard, le forum Netexplorateur sur l'innovation numérique, auquel j'ai participé en tant que présidente du groupe d'études « Médias et nouvelles technologies », a primé cette année l'invention d'un tatouage électronique, association du numérique et de la biologie.

Mme Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication

Il ne reste que quelques minutes à nos intervenants pour répondre aux sénatrices et sénateurs de la commission sur des sujets aussi variés que le parisianisme de la gouvernance de la culture scientifique, l'équité territoriale, le manque de moyens et les enjeux de la décentralisation, le rôle de la culture scientifique dans les activités périscolaires consécutivement à la réforme des rythmes, les enjeux du numérique, mais aussi la place des femmes dans les filières scientifiques et celle des activités de culture scientifique dans l'enseignement agricole.

Mme Brigitte Coutant, directrice de la délégation aux affaires institutionnelles, territoriales et internationales d'Universcience

Pour répondre aux critiques relatives à la vision jugée trop parisienne de notre institution, je rappellerais que si notre établissement se situe effectivement à Paris, les missions d'Universcience sont bien nationales. Nous avons d'ailleurs veillé à séparer, dans notre organisation, les actions propres de l'établissement de celles qui s'inscrivent dans sa mission d'impulsion de la culture scientifique, dans le cadre desquelles nous sommes attentifs, je le crois, aux besoins et sollicitations des acteurs sur l'ensemble du territoire.

S'agissant de la relation entre femmes et science, nous sommes particulièrement vigilants quant à l'image des femmes que véhiculent nos expositions temporaires et travaillons, sur ce thème, avec d'autres équipes européennes.

Pour conclure, je souhaitais remercier les membres de la commission de la culture de leur intérêt pour la culture scientifique et de la qualité de leur écoute.

M. Jean-Pierre Ledey, président de Planète Sciences

Contrairement à une idée reçue, les filles sont aussi sinon plus présentes que les garçons dans les ateliers de culture scientifique, et ce jusqu'au collège, la tendance commençant à s'inverser vers la fin du secondaire. Lorsque les projets proposés sont originaux et stimulants - je citerais à titre d'exemple la participation à des concours, la création de fusées ou de robots -, on observe peu de défections chez les jeunes filles. Ce type de projets en atelier montre que nos jeunes prennent encore beaucoup de plaisir à s'initier à la technique, plus qu'à la finance. Il faut donc encourager les jeunes à pratiquer les sciences dans un cadre extrascolaire, dans des clubs, afin, par ce biais, de les inciter à poursuivre leurs études dans les filières scientifiques.

M. Didier Moreau, vice-président de la Réunion des CCSTI (association nationale des centres de culture scientifique, technique et industrielle)

En réponse à Mme Françoise Férat concernant les actions de culture scientifique dans l'enseignement agricole, je citerais l'exemple de l'association Rurart en Poitou-Charentes qui organise, tous les deux ans, une collaboration entre un artiste contemporain, les chercheurs de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) de Lusignan et les élèves du lycée agricole de Rouillé. Récemment, les travaux ont ainsi porté sur les lapins bleus, en collaboration avec l'artiste américain Eduardo Kac.

L'intervention de femmes chercheuses ou techniciennes dans le cadre d'activités de culture scientifique menées dans des établissements ruraux incite utilement les filles à poursuivre leur formation dans les filières scientifiques. Ainsi, une professeure de sciences de la vie et de la terre m'a récemment indiqué que six filles de sa classe de troisième avaient modifié leur choix initial d'orientation à la suite d'une intervention de ce type.

Il existe en tout état de cause des inégalités d'accès à la culture scientifique entre les territoires. C'est pourquoi, à mon sens, si la région constitue l'échelon approprié pour l'organisation institutionnelle de cette politique, il faut en revanche faire preuve d'innovation et de souplesse pour assurer l'accès à la culture scientifique de chaque territoire, en fonction de ses spécificités.

M. Philippe Guillet, président de l'Association des musées et centres pour le développement de la culture scientifique technique et industrielle (AMCSTI)

Les muséums de province travaillent également depuis longtemps avec les établissements d'enseignement agricole.

Plus largement, s'agissant de l'éducation nationale, la réforme prochaine du temps scolaire offrira à n'en pas douter de nouvelles opportunités d'intervention dans les établissements aux acteurs de la culture scientifique. Certains ont d'ailleurs déjà été sollicités, mais sans toujours être en capacité de répondre aux demandes, faute de moyens. Cette difficulté est particulièrement prégnante en zone rurale, alors que l'éloignement de ces jeunes des lieux de savoirs urbains rendrait l'intervention des associations de culture scientifique d'autant plus utile.

M. Jean-Claude Guiraudon, président du Collectif inter-associatif pour la réalisation d'activités scientifiques et techniques à l'international (CIRASTI)

Les Exposciences numériques constituent, à cet égard, un moyen efficace de lutter contre cet éloignement et, plus généralement, d'améliorer l'information scientifique auprès de l'ensemble des citoyens.

Concernant la place des femmes dans les sciences, on observe, au niveau de nos bénévoles qui interviennent dans le domaine de la culture scientifique à l'étranger, une parité quasi parfaite dans l'ensemble des pays, hormis l'Arabie Saoudite, voire une majorité féminine dans les pays asiatiques.

En réponse à M. Jean-Pierre Leleux, je rappellerais que si de nombreux rapports ont fait état de l'inégalité d'accès à la culture scientifique entre les territoires et de la nécessité, pour y remédier, d'une gouvernance nationale, aucun n'a réellement été suivi d'effets. Il y a aujourd'hui un travail interministériel important à fournir sur l'éducation populaire et sur le rôle des associations de culture scientifique, rôle essentiel selon moi en matière de diversité pédagogique de l'enseignement des sciences à l'école, mais aussi dans le cadre de la formation des enseignants. Il me semble que le niveau de la France dans les classements Pisa ne pourra qu'en être amélioré.

M. Lionel Larqué, fondateur d'Alliance Sciences Société

Les filles sont majoritaires dans la plupart des filières scientifiques, hormis en institut universitaire de technologie où elles ne représentent que 39,9 % des effectifs, et dans les grandes écoles. Toutefois, leur proportion diminue lorsque le niveau de diplôme s'élève. Ainsi, en sciences de la vie et de la terre, les filles représentent 62 % des étudiants en licence contre seulement 54 % en doctorat. Ces chiffres doivent être comparés avec des filières à salaires élevés, comme le droit international et la finance, où 90 à 95 % des étudiants sont des hommes.

Pour ce qui concerne l'organisation territoriale de la culture scientifique, il me semble que les rôles doivent être clarifiés : à l'État de réinvestir des moyens financiers substantiels en faveur des têtes de réseau, à la région d'adopter un schéma directeur améliorant l'efficacité des pôles territoriaux, qui à mon avis se révèlent déjà un peu obsolètes, et aux communes et cantons d'aménager, sur leur territoire, au moins un lieu de pratique des sciences et techniques. On estime, à cet égard, que 1 000 à 2 000 lieux manquent aujourd'hui pour atteindre cet objectif, des lieux non pas à créer mais des espaces existants à aménager.

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