D. DES REGROUPEMENTS UNIVERSITAIRES INSUFFISAMMENT STRUCTURANTS ET PEU STRATÉGIQUES

L'article 2 de la loi LRU a modifié l'article L. 711-1 du code de l'éducation afin de permettre aux établissements de « demander, par délibération statutaire du conseil d'administration prise à la majorité absolue des membres en exercice, le regroupement au sein d'un nouvel établissement ou d'un établissement déjà constitué ». Le regroupement doit être approuvé par décret.

Trois regroupements ont eu lieu sur le fondement de l'article L. 711-1 précité, tel que modifié par la loi du 10 août 2007 :

- l'université de Strasbourg, sous la forme d'une université de droit commun, par le décret n° 2008-787 du 18 août 2008 ;

- l'université de Lorraine, sous la forme d'un grand établissement régi par l'article L. 717-1 du code de l'éducation, par le décret n° 2011-169 du 22 septembre 2011 ;

- l'université d'Aix-Marseille, sous la forme d'une université de droit commun, par le décret n° 2011-1010 du 24 août 2011.

Ces regroupements se distinguent de la création des pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), des réseaux thématiques de recherche avancée (RTRA) et des centres thématiques de recherche et de soins (CTRS), découlant de la mise en oeuvre de la loi de programme pour la recherche de 2006. On dénombre, à l'heure actuelle, 24 PRES ayant le statut d'établissement public de coopération scientifique (EPCS). La formule de l'EPCS a largement été privilégiée par rapport aux autres statuts possibles (fondation de coopération scientifique ou groupement d'intérêt public), en raison de sa capacité à porter des projets dans le cadre de l'opération Campus.

La très grande majorité des universités françaises participe désormais à un PRES, ce type d'association ayant effectivement connu une accélération sous l'effet de la loi LRU et des investissements d'avenir. Ces regroupements universitaires ont été constitués dans une logique de seuil, par la mutualisation tant des capacités de recherche et de formation que des publics étudiants accueillis. Ils ont permis d'établir des périmètres universitaires plus comparables aux grands ensembles universitaires prestigieux occupant une place de choix dans les comparaisons internationales. À cet égard, il est intéressant de rappeler que l'université de Bologne accueille pas moins de 85 000 étudiants répartis sur de multiples sites, soit deux fois plus qu'une « grande » université française (l'université de Strasbourg compte, après la fusion de ses entités constitutives, 43 000 étudiants).

La constitution de PRES a été encouragée, au cours des cinq dernières années, par la voie d'incitations financières promises par le Gouvernement. Vos rapporteurs ne disposent pas d'informations précises sur le montant du surplus de financement public (dotation d'amorçage) accordé aux établissements participant à un nouveau PRES. Aucun des établissements visités impliqués dans un PRES n'a, du reste, fait état d'un accompagnement financier supplémentaire véritablement incitatif lié au regroupement.

Le professeur Gilles Cottereau, ancien président de l'Agence de mutualisation des universités et des établissements d'enseignement supérieur (AMUE), a identifié deux principales motivations à l'origine de ces rapprochements, qui ont nécessairement une influence notable sur l'ampleur des délégations de compétences consenties :

- lorsque « la coopération n'est consentie que du bout des lèvres, pour obtenir des miettes d'un financement public promis », les opérations conduites en commun concernent essentiellement « la facilitation des conditions de vie des membres de la communauté, des outils de la communication externe, des services d'accompagnement de la mission principale » ;

- lorsque la constitution du PRES précède une fusion définitive des entités constitutives, « les questions essentielles à propos de l'enseignement et de la recherche [...] sont traitées en commun, voire intégrées » 42 ( * ) .

Le fonctionnement collégial et démocratique des organes de gouvernance des PRES a fait l'objet de multiples critiques de la part de la communauté enseignante et scientifique ainsi que de la communauté étudiante.

La création du PRES « L'université Nantes Angers Le Mans » (L'UNAM), fin 2008, a été décidée sans grande concertation des communautés universitaires qui ont eu du mal à comprendre le positionnement de la nouvelle structure. L'université d'Angers ajoute que cette distance a été aggravée par un investissement très importante de l'équipe dirigeante du PRES dans le montage du dossier « initiative d'excellence » (idex) en coopération avec le PRES breton « Université européenne de Bretagne » (UEB) en réponse aux investissements d'avenir. L'échec de ce projet n'a pas permis de capitaliser cet investissement. Le bilan de L'UNAM est, néanmoins, positif dans l'animation de la formation doctorale, le soutien aux projets européens, la valorisation de la recherche, et, à un moindre degré, la diffusion de la culture scientifique et technique et le développement des relations internationales.

Le projet de création du PRES « Université fédérale européenne Champagne-Ardenne Picardie » (UFECAP) entre l'université de Picardie - Jules Verne et l'université de Reims Champagne-Ardenne, en cours de finalisation, n'a pas généré d'enthousiasme particulier au sein des communautés universitaires concernés, vu le faible taux de participation aux élections des conseils du PRES . L'État n'a pas, pour le moment, précisé clairement les modalités de son accompagnement financier via une dotation d'amorçage. Le projet laisse dès lors craindre chez les partenaires un surcoût induit dans un contexte budgétaire contraint.

Dans son rapport public annuel de février 2011, la Cour des comptes a dressé un bilan de la mise en oeuvre des PRES, en appelant à « un second souffle » de ce mode de coopération. La Cour souligne, en effet, que « les PRES ont un impact encore faible en matière de formation et de recherche » et « éprouvent des difficultés à développer des actions de mutualisation structurantes ». Elle relève également que « la gouvernance de nombre d'entre eux repose sur des compromis peu satisfaisants » 43 ( * ) . Le fait que les organismes de recherche soient restés à l'écart du mouvement de constitution des PRES, parfois en raison de la prudence manifestée par les responsables de ces organismes et leurs incertitudes sur le rôle effectif des PRES, n'a pas permis d'apporter une cohérence de site supplémentaire aux partenariats qu'ils entretiennent avec les universités.

La loi n° 2010-1536 du 13 décembre 2010 44 ( * ) , adoptée à l'initiative des sénateurs Jean-Léonce Dupont et Philippe Adnot, tend à renforcer le rôle des PRES, notamment dans la délivrance de diplômes nationaux. Elle ouvre également aux universités ainsi qu'aux PRES de nouvelles possibilités dans l'exercice de droits réels sur leur patrimoine immobilier. Toutefois, les effets de ce texte ont été limités en pratique, en particulier dans le domaine immobilier, compte tenu de l'interruption de l'expérimentation de la dévolution aux universités de la gestion de leur patrimoine.

La logique de mutualisation accompagnant la constitution de PRES semble avoir essentiellement porté, pour l'heure, sur les moyens, et moins sur les stratégies de développement scientifique et pédagogique. Le comité de suivi de la loi LRU a relevé une forme de frilosité entre établissements partenaires qui hésitent à s'engager dans une démarche véritablement fédérale emportant des transferts de compétences. Nombre d'établissements associés ont privilégié une logique de confédération qui s'est traduite, bien souvent, par des conseils d'administration de PRES sans pouvoirs réels.

Or, la constitution de PRES concentrés sur les moyens et s'apparentant à des « coquilles vides » en termes de stratégie est en contradiction avec les objectifs de structuration du paysage national de l'enseignement supérieur et de la recherche poursuivis par les lois de 2006 et 2007 . En l'absence de responsabilisation stratégique des PRES, vos rapporteurs soulignent que les sites universitaires « importants » ne sont pas encouragés à accompagner le développement des sites plus modestes dans une logique de complémentarité. Encore une fois, l'autonomie ne peut être considérée comme appropriée que lorsqu'elle a effectivement permis de dégager des priorités stratégiques. La caisse à outils était bien là, mais tous les outils n'ont pas été utilisés de façon optimale, sans doute en raison d'un contexte budgétaire peu enthousiasmant, mais également en raison de volontés politiques insuffisamment définies, expliquées, légitimées et coordonnées.

Dans ces conditions, il est difficile de considérer que le renforcement des structurations de site par le biais des PRES, conjugué au renforcement de l'autonomie stratégique des établissements dans le cadre de la loi LRU, ait véritablement conduit à replacer l'université au coeur du développement du système d'enseignement supérieur et de recherche. Malgré ces deux lois fondatrices, il n'est pas certain que l'université soit reconnue durablement comme le seul lieu liant effectivement les trois missions de service public que sont la formation, la recherche et l'innovation.

Le passage concomitant des universités aux RCE peut expliquer en partie les réserves de nombre d'établissements associés à consentir des délégations de compétences stratégiques aux PRES. L'apprentissage des fonctions de pilotage a conduit les universités à se concentrer sur leurs propres enjeux ; il a alors été difficile pour certaines de définir un équilibre optimal entre stratégie d'établissement et politique de site. Ce n'est en général qu'une fois que leurs marges de manoeuvre budgétaires et financières ont été identifiées et sécurisées de façon pluriannuelle que les universités font le choix de « sauter le pas » en termes de rapprochement. Du reste, la pratique encore rare montre que lorsque cette condition est réunie, le recours au PRES n'est que temporaire et débouche rapidement sur une stratégie fusionnelle.


* 42 COTTEREAU, Gilles, « Les nouvelles formes de coopération entre établissements d'enseignement supérieur et de recherche », in Actualité juridique - Droit administratif (AJDA), 2010, p. 307.

* 43 Cour des comptes, « Les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) : un second souffle nécessaire », in Rapport public annuel 2011 , février 2011.

* 44 Loi n° 2010-1536 du 13 décembre 2010 relative aux activités immobilières des établissements d'enseignement supérieur, aux structures interuniversitaires de coopération et aux conditions de recrutement et d'emploi du personnel enseignant et universitaire.

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