C. LE RÔLE LIMITÉ DU CONTRAT COMME INSTRUMENT DE PILOTAGE STRATÉGIQUE

1. L'indispensable cohérence entre le projet d'établissement et le contrat quinquennal liant l'université à l'État

Selon le comité de suivi de la loi LRU, le contrat, autrefois quadriennal et quinquennal depuis 2011, liant l'université à l'État, n'a pas réussi à s'imposer véritablement comme un levier efficace de maturation de la stratégie de l'établissement. Historiquement, la politique contractuelle, d'abord pour la recherche, puis pour l'ensemble des activités des universités, a joué un rôle moteur dans la modernisation des universités françaises 41 ( * ) . L'introduction du contrat d'établissement, à partir des années 1990, a permis aux présidents d'université de s'affirmer face aux facultés et composantes internes. Néanmoins, le rôle d'instrument de pilotage stratégique attendu du contrat a connu des limites, probablement en raison, principalement, de la modestie des moyens qui lui ont été consacrés et du rôle compensateur dévolu trop souvent à des financements non pérennes.

Rappelons que le contrat n'a pas pour objectif le pilotage de l'établissement par la tutelle. Il s'agit d'une rencontre entre l'État, dont la stratégie s'inscrit dans l'ambition européenne et internationale de l'enseignement supérieur et de la recherche, et l'université. Par le contrat, l'établissement s'engage à être acteur de cette politique nationale et répond aux priorités qu'elle identifie. Il revient à l'établissement de définir, dans ce contexte, sa propre stratégie, en tenant compte de sa structure académique, de son implantation dans un territoire et de ses partenariats locaux. La contractualisation n'est pas encore identifiée comme un rendez-vous stratégique majeur par tous les établissements, alors qu'elle va de pair avec la formalisation de sa stratégie autour d'un projet fédérateur de la communauté universitaire.

L'État, gestionnaire mais aussi stratège, principal financeur de l'enseignement supérieur et de la recherche, doit exercer une responsabilité essentielle dans les grandes orientations des universités autonomes mais doit se garder de toute intervention, uniformisation et normalisation excessive. Il est utile de réaffirmer que responsabilité, respect et confiance sont la base des bonnes pratiques, tout particulièrement dans une période de forte contrainte budgétaire : le contrôle a priori ne saurait être la règle par défaut. La contractualisation apparaît dans ce sens comme l'outil le plus approprié d'une politique publique tenant compte de l'autonomie croissante des établissements.

Au-delà de l'allocation des moyens, l'autonomie des universités n'a de sens que si leur régulation par l'État dépasse le contrôle a priori pour aller vers la définition d'une stratégie nationale concertée, et vers une relation avec les établissements fondée sur la confiance, sur la prospective et sur l'évaluation conjointe des résultats, plutôt que sur un contrôle rapproché.

Selon le MESR, le bilan, à ce stade, de la politique contractuelle fait apparaître une réelle maturation stratégique des établissements qui sont dans l'ensemble en capacité de définir leur trajectoire sur un moyen terme. Le contrat quinquennal a effectivement permis la conjugaison des orientations nationales de l'État en matière d'enseignement supérieur et de recherche avec la stratégie propre des établissements. Le contrat comporte un volet de performance, articulé autour d'objectifs et de résultats attendus mesurés au moyen d'indicateurs, qui doit donner lieu à un examen, à l'échéance de la période contractuelle, des résultats effectivement obtenus par rapport aux engagements négociés. Cet examen n'intervenant qu'à l'issue de l'exécution du contrat, il n'a pas d'impact sur l'allocation annuelle des moyens en cours d'exécution.

L'évaluation de l'exécution du contrat, réalisée par la DGESIP, doit être distinguée de l'évaluation périodique des établissements par l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur. Elle se limite au respect des cibles et des grands indicateurs sur des points spécifiques bien déterminés. Il reste que l'impact financier de l'évaluation de l'exécution du contrat est faible pour les établissements, en particulier au vu des moyens en jeu dans le cadre des investissements d'avenir. Un enjeu financier plus important, pouvant dépendre de la réalisation d'un petit nombre d'objectifs quantitatifs déterminés en commun par l'établissement et par l'État lors de la signature, pourrait contribuer à redonner au contrat la place privilégiée qu'il a pu avoir dans la vie des établissements.

Si une évaluation approfondie est souhaitable, il convient d'éviter des évaluations trop rapprochées, contradictoires avec le développement par les établissements d'une stratégie de long terme qui doit pouvoir se déployer pour porter ses fruits.

2. La contractualisation au service de l'ancrage territorial des établissements

Des contrats de site ont été expérimentés avec la vague C en cours afin de faire émerger des coopérations renforcées entre tous les acteurs composant le paysage de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation sur un site déterminé. Cette meilleure coordination des acteurs présents sur un territoire vise à renforcer sa lisibilité et sa visibilité nationales et internationales. Ces contrats de site permettent, en même temps, de disposer d'une vision globale des moyens disponibles sur un site déterminé, dans une logique d'équité territoriale.

Conduire le dialogue contractuel de site avec tous les acteurs de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation - organismes de recherche, pôles de compétitivité, établissements d'enseignement supérieur sous tutelle d'autres ministères - constitue déjà une avancée significative. Associer les collectivités territoriales, qui sont elles-mêmes en phase d'élaboration de leurs schémas régionaux d'enseignement supérieur et de recherche, constitue une autre étape qui ne pourra être franchie que dans un second temps, une fois qu'elles auront articulé une vision stratégique partagée avec l'État.

L'autonomie confère aux universités une reconnaissance nouvelle au sein de leur territoire et leur permet d'affirmer leur rôle dans la qualification de sa population et son développement. Elles doivent cadrer ce rôle local avec les collectivités territoriales par une concertation dont l'organisation reste encore à préciser. Ce cadre ne peut être celui des contrats de site entre État et acteurs du site expérimentés jusqu'ici, en particulier sur les sites dont le périmètre dépasse les frontières territoriales.

La concertation entre universités et régions - sans oublier les agglomérations et métropoles - a connu, au cours des cinq dernières années, des développements significatifs consécutifs au renforcement de l'autonomie des établissements. Au-delà de la présence accrue des représentants des collectivités territoriales dans les instances de gouvernance universitaire, cette concertation s'est traduite par la mise en place de conventions, voire de contrats pluriannuels engageant des moyens de la collectivité, permettant de définir le croisement et les complémentarités entre stratégie régionale et stratégie d'établissement.

Néanmoins, la contractualisation est encore conçue dans nombre d'universités selon un mode vertical entre l'État et l'établissement. L'idée d'une contractualisation plus « horizontale » et transversale entre universités, État et élus territoriaux ne progresse que très lentement. Même si elles jouent un rôle déterminant en matière de formation et de capacité d'innovation sur leur territoire d'implantation, les universités redoutent une « régionalisation » de leur politique de formation et recherche dans le cadre d'une contractualisation étroite et excessivement contraignante avec les régions.

Les universités aspirent naturellement à être compétitives aux niveaux national, européen et international, ce qui s'inscrit dans l'intérêt du territoire et est généralement bien accueilli par les collectivités territoriales. L'expérience des investissements d'avenir montre que la pratique de travail en commun avec les collectivités au sein de commissions sur des projets d'envergure (dans leur dimension scientifique comme immobilière) apporte des résultats très concrets. Cette concertation rapprochée mériterait d'être systématisée dans certains domaines d'intérêt commun, en particulier celui de la formation continue.

Le comité de suivi de la loi LRU rappelle qu'une réflexion insuffisante sur la coïncidence des intérêts stratégiques de l'établissement et de la collectivité territoriale concernée peut produire, a contrario , des conséquences pénalisantes. Dans certains cas, des antennes universitaires créées et développées en collaboration avec des collectivités territoriales se sont révélées coûteuses en termes tant financier qu'humain. Affecter des enseignant-chercheurs dans des petites implantations, sans environnement scientifique pertinent, a conduit les personnes concernées à sacrifier leur activité de recherche, ce qui a in fine représenté un coût important pour l'établissement. Pour les étudiants, suivre une formation dans une petite antenne - ce qui est notamment le cas d'étudiants issus de milieux modestes - n'offre qu'une partie de ce qui fait l'expérience universitaire, en particulier en termes d'ouverture intellectuelle et culturelle, et risque, en l'absence de réflexion sur les perspectives de mobilité, de les enfermer dans des compétences adaptées à court terme à un bassin d'emploi donné, voire à les conduire à des impasses.

En matière d'investissement immobilier, le comité de suivi de la loi LRU souligne que l'État est loin d'être le financeur exclusif. Depuis plus de vingt ans, les contrats de projets État-région (CPER) successifs ont été rendus possibles grâce à une contribution importante des collectivités territoriales, souvent par l'apport du foncier mais plus encore par des subventions qui ont représenté dans de nombreux cas la moitié des investissements consentis pour les universités. Il est donc légitime pour les collectivités territoriales de ne plus rester absentes des décisions stratégiques des universités. Leur poids politique dans les choix d'aménagement peut être considérable : c'est le cas en particulier des communautés d'agglomérations, des villes-métropoles, des régions et dans une moindre mesure des conseils généraux. La place des collectivités dans les processus contractuels, voire la reconnaissance d'une compétence par exemple des conseils régionaux en matière d'immobilier universitaire fait donc régulièrement l'objet de débats.

En tout état de cause, il sera nécessaire de poursuivre les procédures contractuelles impliquant les universités et les collectivités territoriales pour les investissements immobiliers universitaires, surtout dans l'hypothèse où les CPER s'interrompraient.


* 41 MUSSELIN, Christine, La longue marche des universités françaises , Presses universitaires de France, Paris, 2001.

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