Audition de M. Philippe VUILQUE, ancien député, ancien président du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur les sectes (mardi 6 novembre 2012)

M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en rencontrant M. Philippe Vuilque, ancien député.

La commission d'enquête a souhaité que notre réunion d'aujourd'hui soit ouverte au public et à la presse ; un compte rendu en sera publié avec le rapport ; son enregistrement vidéo sera diffusé sur le site du Sénat.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

J'en viens à notre réunion.

L'audition de notre ancien collègue Philippe Vuilque, député des Ardennes de 1997 à 2012, nous a paru naturelle tant l'expérience de M. Vuilque est précieuse pour nous, non seulement parce qu'il a présidé le groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale pendant les deux précédentes législatures mais aussi parce qu'il a participé à deux commissions d'enquête, celle de 1999 sur la situation financière, patrimoniale et fiscale des sectes et celle de 2006 sur l'influence des mouvements à caractère sectaire sur la santé physique et mentale des mineurs.

C'est donc à un acteur éminent de la vigilance sectaire au Parlement que nous nous adressons aujourd'hui.

Je rappelle à l'attention de M. Vuilque que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel que peut exercer chacun des groupes politiques du Sénat. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe RDSE d'utiliser ce droit pour soulever la question de l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution qui se trouve à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Vuilque de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Monsieur Philippe Vuilque, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Philippe Vuilque, ancien député, ancien président du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur les sectes . - Je le jure.

M. Alain Milon , président . - Cher collègue, à la suite de votre exposé introductif, mon collègue Jacques Mézard, rapporteur de la commission d'enquête, vous posera quelques questions. Puis les membres de la commission d'enquête vous solliciteront à leur tour.

Monsieur Philippe Vuilque, vous avez la parole.

M. Philippe Vuilque . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de l'honneur que vous me faîtes de me recevoir au Sénat.

Je suis particulièrement heureux que le Sénat ait pris l'initiative, comme l'a fait l'Assemblée nationale il y a plusieurs années, de créer une commission d'enquête sur les dérives sectaires. Je pense que le travail parlementaire est très complémentaire de ce que fait la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes).

Vous avez déjà reçu M. Blisko, président de la Miviludes, Georges Fenech, qui l'a précédé, avec qui j'ai travaillé en étroite collaboration à l'Assemblée nationale et Mme Picard, au nom de l'Union nationale des associations de défense des familles et des individus (Unadfi). Ils vous ont dit beaucoup de choses et je ne les répéterai pas.

Lorsqu'on parle de ce problème sectaire, que ce soit en matière de santé ou à propos d'autres grands thèmes, notamment la formation professionnelle, il faut rappeler le cadre dans lequel s'exerce la lutte contre les dérives sectaires.

Nous sommes une république laïque ; nous avons de grands textes - loi de 1901, loi de 1905 - et l'Etat n'a pas à se mêler de la croyance individuelle. On peut croire en ce que l'on veut, ce n'est pas le problème des autorités publiques, ni de l'Etat à une seule condition : respecter la législation.

Si ce n'est pas le cas, il est du devoir des autorités publiques et du Parlement de mettre en place les outils pour lutter contre ces dérives - notamment sectaires ; il est également du devoir du législateur d'intervenir, ce que nous avons fait depuis un certain nombre d'années grâce à des avancées législatives significatives.

J'en rappellerai quelques-unes sans entrer dans le détail. Nous sommes le pays qui a fait avancer le sujet d'une manière assez remarquable, avec la Belgique, qui nous a beaucoup suivis et qui a été très intéressée par nos débats à propos de la loi About-Picard :

- loi n° 98-1165 du 18 décembre 1998 tendant à renforcer le contrôle de l'obligation scolaire ;

- loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d'innocence et les droits des victimes ;

- loi n° 2001-504 du 12 juin 2001 dite « loi About-Picard » tendant à renforcer la prévention et la répression des mouvements sectaires portant atteinte aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales - à laquelle j'ai participé activement et qui a suscité quelques interrogations du Gouvernement et des grandes organisations confessionnelles ;

- loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dont l'une des dispositions protège les enfants du refus de soins ;

- loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance et qui encadre les conditions de l'instruction à domicile, renforce les modalités de l'enseignement à distance et du soutien scolaire, objet de la commission d'enquête sur l'enfance dont j'ai fait partie ;

- loi n° 2004-806 du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique, notamment concernant l'exercice de la psychothérapie ;

- loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie (domaine, avec celui de la santé, le plus lucratif pour les organisations à caractère sectaire) ;

- loi n° 2008-1187 du 14 novembre 2008 relative au statut de témoins devant les commissions d'enquête.

J'ajoute que la loi du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie précitée a rétabli la possibilité de dissolution d'une personne morale condamnée pour escroquerie, initialement abrogée par erreur par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification du droit : cette mesure comble un manque de notre législation.

Il existe un amendement dont je suis l'auteur que j'aurais bien voulu voir adopter, malheureusement considéré par le Conseil constitutionnel comme un cavalier législatif. Georges Fenech vous en a parlé : aujourd'hui, le rapport de la Miviludes n'est pas protégé et peut donner lieu à poursuites. Ceci est fort dommage et un peu paradoxal. La mission interministérielle, qui a pour but de coordonner la lutte contre le développement des organisations sectaires risque en effet, lorsqu'elle cite dans son rapport une organisation, d'être déférée devant les tribunaux pour diffamation - ce qui est assez ahurissant !

L'amendement a été voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale comme au Sénat - ce qui est rare - mais le Conseil constitutionnel a jugé qu'il s'agissait d'un cavalier législatif. C'en était effectivement un, car vous savez comme moi qu'il est très difficile de faire passer de petites dispositions en dehors d'une proposition de loi d'initiative parlementaire, sauf si celles-ci sont reprises par le Gouvernement ; or, celui-ci a toujours des préoccupations plus importantes. Il est donc très difficile d'avoir un texte spécifique sur le sujet.

Peut-être vous faudra-t-il étudier comment reprendre cette proposition. Je tiens à votre disposition l'exposé des motifs que j'avais développé à l'Assemblée nationale à l'époque. Ce n'est pas anecdotique. Georges Fenech vous l'a dit : il a été victime d'une trentaine de procédures. C'est long, coûteux, difficile à vivre même s'il a été blanchi à chaque fois. Il faut savoir aussi que les organisations sectaires ont des moyens que n'ont pas le commun des mortels, y compris les parlementaires.

En plus de ces avancées législatives, le Gouvernement a par ailleurs créé la Miviludes, dont la force repose sur l'interministériel et qui coordonne la politique gouvernementale en la matière. Sa faiblesse vient précisément de son statut interministériel relevant directement du Premier ministre. La Miviludes a été créée par décret ; elle peut être supprimée au gré des gouvernements, quels qu'ils soient. C'est une fragilité.

C'est pourquoi je proposerais que la Miviludes puisse avoir une reconnaissance législative, ce qui permettrait de pérenniser son existence. Pourquoi ne pas transformer la Miviludes en Haute Autorité, sous la responsabilité du Parlement et du Premier ministre ? Tout le monde n'est pas d'accord - je sais que Georges Fenech ne l'est pas... En termes financiers, cela ne changerait pas grand-chose par rapport à son fonctionnement actuel mais sécuriserait son existence. Quel que soit le gouvernement, il est très important de disposer d'un organisme comme la Miviludes. Certaines tentatives de déstabilisation de la Miviludes ont déjà eu lieu : tous les parlementaires, quelles que soient leurs opinions politiques, sont montés au créneau pour manifester leur attachement à cet organisme qui, sans être parfait, est d'une très grande utilité.

Les associations ont un rôle important à jouer dans la lutte contre les organisations sectaires. L'Unadfi et ses associations de défense des familles et des individus (Adfi) font un travail remarquable auprès des victimes. Comme Georges Fenech, je suis inquiet pour leur pérennité du fait du manque de moyens financiers. Qu'il s'agisse de l'Unadfi ou du Centre de documentation, d'éducation et d'action contre les manipulations mentales (CCMM), les subventions se font rares, précarisant l'action des associations.

On oublie souvent que nous avons été fortement aidés par les médias. Cela remonte à l'époque du Temple solaire. Des reportages en caméra cachée très bien faits montrent régulièrement à la population ce que sont vraiment ces organisations sectaires. Les médias ont un rôle préventif très important et utile, certains sujets ne passionnant pas toujours les foules. Sur des sujets techniques et complexes, le relais médiatique est très intéressant.

Le rôle du Parlement est également essentiel dans l'organisation et la lutte contre les organisations sectaires. On peut se demander à quoi peut servir un groupe d'études sur les sectes. Le travail de l'Assemblée nationale est très complémentaire de l'action de la Miviludes. Nous avons en effet la possibilité d'auditionner un certain nombre d'acteurs, y compris dans des périodes « calmes » ; cela permet une réflexion de fond, car il n'est jamais bon de réfléchir à chaud. A chaque législature, une demande de création de commission d'enquête parlementaire a été déposée. Nous avons quasiment toujours été exaucés, même si cela n'a pas toujours été évident car cela nécessite des moyens. Je crois que nous avons fait oeuvre législative utile, qu'il s'agisse des sectes et de l'argent ou des sectes et des enfants, sujet sur lequel nous avons découvert un certain nombre de choses assez ahurissantes.

Au début d'une commission d'enquête, on ne voit pas trop où l'on va ni ce que l'on va en tirer. Au fur et à mesure qu'on entre dans les débats, on prend conscience du problème. Je crois qu'il est très utile d'aller sur le terrain. C'est plus facile lorsqu'on fait une commission d'enquête sur les enfants et les sectes que sur la santé, mais rien n'empêche des sénateurs de s'inscrire à un séminaire de formation de manière anonyme et d'aller voir comment les choses se passent, le coût étant certes un problème matériel, mais qui peut être résolu.

Nous sommes allés dans les Pyrénées-Orientales visiter la communauté de Tabitha's Place, où nous avons découvert des choses ahurissantes qu'on nous avait pourtant rapportées. Rien ne vaut le contact avec la réalité ! On nous disait que les enfants étaient déstructurés, complètement coupés de leur milieu social. Nous en sommes ressortis totalement bouleversés !

Cette expérience n'a pas de prix. Il faut vraiment toucher du doigt la détresse humaine. En parler, c'est bien ; la matérialiser sur le terrain, c'est beaucoup mieux, les commissions d'enquête parlementaires disposant de moyens qui permettent des investigations intéressantes.

La santé est une préoccupation essentielle. C'est un secteur particulièrement intéressant pour les organisations à caractère sectaire, car très lucratif. Quand on parle de sectes, il y a toujours de l'argent derrière. Mon collègue Jean-Pierre Brard disait que si la scientologie est une religion, son dieu est le dollar ! On peut appliquer cette maxime à toutes les organisations sectaires.

La santé est un secteur très lucratif qui joue sur la crédulité du citoyen mais aussi sur sa détresse. Lorsqu'un malade est atteint d'un cancer et qu'une personne affirme être capable d'améliorer son état ou de le guérir, pourquoi pas ? On ne peut reprocher à quiconque de tout essayer. Mais si l'organisation sectaire conseille d'arrêter tout traitement, que le malade obtempère et recourt à des méthodes de charlatan - comme la méthode Hamer - il s'agit alors d'une dérive thérapeutique et d'une manipulation mentale. Certains malades se laissent endoctriner et ne voient plus que par cette méthode.

Les centres de bien-être ou les méthodes comme celle du docteur Hamer ne sont en général pas gratuits et coûtent très cher. C'est donc de l'escroquerie pure et simple. On prend la santé en otage pour proposer des alternatives à la médecine traditionnelle, qui sont catastrophiques pour le malade. Les autres interlocuteurs de votre commission ont longuement insisté sur ce point.

Cette situation vient du fait que la population doute aujourd'hui de la médecine traditionnelle après les grands scandales qui ont eu lieu - sang contaminé, vaccinations, etc. Il y a, de la part de l'opinion, une certaine prise de distance vis-à-vis de la médecine traditionnelle.

Il est vrai qu'un certain nombre de mouvements « New Age », en période de crise, peuvent recueillir une oreille plus attentive de la part de nos concitoyens.

En matière de santé, il ne faut pas sous-évaluer le phénomène. Je suis quelque peu pessimiste : je pense que, quoi qu'on fasse, on sera toujours en retard par rapport à ce phénomène et que le pire est devant nous ! Aujourd'hui, Internet permet en effet une offre quasiment illimitée de la part des mouvements sectaires et je ne vois pas comment on pourrait revenir sur la liberté d'expression.

J'espère que votre commission d'enquête pourra faire un certain nombre de propositions mais je crois qu'on aura beaucoup de mal à endiguer le phénomène, en matière de santé notamment.

Je ferai un certain nombre de propositions à la commission. Vous le savez, il existe un groupe d'appui technique (GAT) auprès de la direction générale de la santé qui doit normalement évaluer un certain nombre de pratiques thérapeutiques. Force est de constater que, depuis sa création en 2009, le GAT manque de moyens et n'évalue pas grand-chose. Je pense qu'il serait très utile qu'on donne des moyens supplémentaires au GAT pour effectuer ces évaluations thérapeutiques.

Certaines nouveautés thérapeutiques ne constituent pas forcément une dérive sectaire ; leur potentiel éventuel doit être étudié par le GAT, dont c'est le rôle. Je pense que celui-ci doit donner son avis sur l'introduction de toute pratique non conventionnelle à l'hôpital. Certaines pratiques thérapeutiques peuvent être utiles mais ne sont pas encore évaluées. Le GAT y a toute sa part...

Il convient également de mieux encadrer les formations et de renforcer la protection des titres universitaires et surtout ceux émanant des instituts en tous genres. Un certain nombre de formations revendiquant un titre universitaire ou émanant d'un institut créent la confusion dans le public, qui peut penser que ce titre est reconnu par l'Etat. Or, il existe aujourd'hui des universités libres et certains diplômes qui se qualifient d'universitaires n'ont jamais fait l'objet de quelque évaluation que ce soit !

C'est un domaine où il faut notamment soumettre à agrément la création des centres de formation. Si on s'en donne les moyens et si un certain nombre d'organisations ne reçoivent pas l'agrément, on peut aller jusqu'à les interdire par décret ! C'est une question de volonté politique. Si un dispositif n'est pas respecté, il faut en tirer les conséquences !

Il faut aussi réfléchir à la définition de la dérive sectaire. Je trouve mon collègue Blisko quelque peu frileux en la matière ; Georges Fenech n'y est pas non plus très favorable mais le groupe d'études sur les sectes avait commencé à y réfléchir sérieusement.

Il n'existe aucune définition de la religion ; on pense donc qu'il n'y en a pas non plus pour les sectes. Peut-être faudrait-il s'y pencher néanmoins : ce serait très utile ! La Mission interministérielle de lutte contre les sectes (Mils) avait à l'époque tenté une définition : « La secte est une association de structure totalitaire, déclarant ou non des objectifs religieux, dont le comportement porte atteinte aux droits de l'homme et à l'équilibre social ». Les Belges sont allés beaucoup plus loin en définissant ainsi la secte dans la loi du 2 juin 1998 : « Tout groupement à vocation philosophique ou religieuse ou se prétendant tel qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales, dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine ». Les magistrats belges ont donc un texte sur lequel ils peuvent se baser. En France, les magistrats ne peuvent s'appuyer sur une définition claire !

Si, demain, on réussissait à définir la secte dans un texte législatif, il n'est pas certain que le Conseil constitutionnel l'accepte. En effet, nous possédons une tradition laïque et ne définissons pas les religions. Pourquoi, dès lors, définir quelque chose qui peut poser problème par rapport à la loi de 1901 ?

Je pense qu'il faut cependant creuser le sujet car il existe aujourd'hui, à l'Ecole nationale de la magistrature (ENM), une formation très intéressante et très performante. Or, les magistrats sont très démunis et n'aiment pas aborder les problèmes sectaires, qu'ils ne connaissent pas.

La liste de 175 organisations produite par la première commission d'enquête, même si elle n'avait aucune valeur légale, a été très utile aux magistrats confrontés à certains phénomènes dont ils appréhendaient mal la réalité. Ils ne le disent pas, mais beaucoup de magistrats l'ont utilisée.

Peut-être votre commission pourrait-elle envisager une réflexion sur le sujet qui, je l'avoue, n'est pas simple...

Il convient d'améliorer également le dispositif de la Miviludes. Pourquoi pas une double tutelle du Premier ministre et du Parlement ? Pourquoi ne pas envisager que le président de la Miviludes soit nommé d'un commun accord entre le Premier ministre, le Sénat et l'Assemblée nationale, en plus de la pérennisation législative de la mission interministérielle ?

Il faut réfléchir aussi à la possibilité de faire évoluer la prescription. C'est un domaine délicat qui concerne tout le monde. En matière d'organisation sectaire, qu'il s'agisse de la santé ou d'autres sujets, une plainte est nécessaire pour poursuivre. Or, dans la plupart des cas, on est confronté à d'anciens adeptes qui ont beaucoup de mal à se reconstruire en sortant de la secte et qui mettent des années à s'en remettre. Au moment où ils prennent conscience qu'ils ne peuvent en rester là et veulent déposer plainte, on leur oppose une prescription !

Les organisations sectaires le savent bien et négocient avec les adeptes. Toutes les poursuites qui pourraient avoir lieu ne sont pas entreprises à cause des délais de prescription. C'est d'une manipulation difficile mais ne pourrait-on pas rapprocher cette infraction de l'escroquerie et de l'abus de confiance ? En matière d'abus de confiance, une jurisprudence constante prévoit que le délai de prescription ne court qu'à compter du jour ou le délit est apparu et a pu être constaté par la victime.

C'est une piste à creuser, sans pour autant bouleverser le droit de la prescription. Cela permettrait d'éviter un certain nombre de désagréments pour les victimes qui ne peuvent porter plainte.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez évoqué le groupe d'études sur les sectes à l'Assemblée nationale ; il n'y en a pas encore au Sénat. J'en ai fait la demande au nom de mon groupe mais je n'ai pas encore reçu de réponse.

Vous avez l'expérience de deux commissions d'enquête à l'Assemblée nationale, l'une en 1999 sur la situation financière et patrimoniale des sectes et l'autre plus récente, en 2006, sur les sectes et la santé des mineurs.

Quels sont les éléments qui vous ont paru les plus significatifs et les plus dangereux lors de cette seconde commission d'enquête ?

Par ailleurs, dans votre rapport de 2006, vous affirmiez que la France comptait alors 60 000 mineurs sous la dépendance directe ou indirecte de sectes. Qu'est-il advenu de vos préconisations de l'époque ?

M. Philippe Vuilque . - Lorsque nous sommes allés rendre visite à Tabitha's Place, nous avons été ébahis par ce que nous y avons découvert. On nous avait prévenus que nous allions trouver des enfants désocialisés, etc. Cela a été au-delà de ce que nous pouvions imaginer. Nous nous sommes trouvés face à de jeunes enfants qui recevaient un enseignement de parents autoproclamés professeurs d'histoire, de géographie, faisant leur propre programme mais prenant la précaution de mettre en place le programme minimum requis par l'éducation nationale. Nous nous sommes très vite aperçus qu'existait ensuite une « déprogrammation » durant laquelle on leur expliquait que ce qu'on leur avait dit était obligatoire mais que, dans la communauté, les choses se passaient autrement...

Nous avons pu approcher directement ces enfants. Cela n'a pas été simple, les parents et le responsable de la communauté voulant au début être absolument présents. Nous avons expliqué au responsable que nous avions un certain nombre de possibilités juridiques pour le contraindre. Il a donc réfléchi...

Lorsque nous nous sommes trouvés seuls à seuls, nous nous sommes aperçus que ces enfants étaient totalement coupés du monde : ils n'avaient pas accès aux médias et vivaient dans une bulle, n'ayant même jamais entendu parler de Zidane. Pour un enfant de quatorze ans à l'époque, c'était incroyable !

Nous nous sommes demandé ce que ces enfants allaient devenir. En outre, les soins de santé sont assurés pas la communauté. Certains enfants avaient des problèmes de vision et ne portaient pas de lunettes ; d'autres souffraient de problèmes physiques importants mais n'étaient jamais examinés par un médecin extérieur. Tout se passait à l'intérieur de la communauté.

Ce qui apparaît le plus dangereux, c'est que si ces enfants s'en sortent à leur majorité, ils mettront des années à retrouver une vie normale. Les parents restant dans la communauté, on culpabilise les enfants qui désirent la quitter. Ce genre de communauté constitue une famille ; en partir représente une rupture familiale, avec tout ce que cela comporte comme problèmes affectifs et relationnels.

La plupart d'entre eux continuent malheureusement à vivre dans la secte ; on les envoie à l'étranger, en Australie, au Canada, sans possibilité de suivi.

Nous avons été très surpris que l'académie, représentée au cours de notre visite par un inspecteur, assure un suivi minimum en la matière et ne porte aucun jugement réel sur le contenu de l'enseignement reçu par les enfants. Nous avons considéré qu'il y avait là une certaine légèreté. C'est tout le problème de l'enseignement à domicile ou de l'enseignement « libre » dispensé dans ce genre de communauté.

C'est pourquoi nous avons fait un certain nombre de propositions en matière de suivi scolaire. Certaines ont amélioré les choses mais le problème reste aujourd'hui entier. Mis à part un signalement direct au procureur de la République, qui peut intervenir, on ne peut rien faire !

En matière de soins, pour ce qui concerne toutefois les enfants, il peut y avoir non-assistance à personne en danger et un certain nombre de textes permettent d'intervenir. Les adultes, eux, sont réputés comme consentants : libre à eux de se faire escroquer ! C'est toute la difficulté...

La population la plus vulnérable demeure donc celle des enfants, dans tous les domaines, mais notamment en matière de santé. On a également un souci - qui est en passe d'être résolu - avec les témoins de Jéhovah et la transfusion sanguine. Ces derniers considèrent qu'il existe un substitut au sang qui peut éviter la transfusion. Médicalement, cela n'a jamais été prouvé.

Nous avons vraiment été très ébranlés par ce que nous avons vu et par l'état physique et psychologique de ces enfants. Je ne sais si je réponds à votre question mais nous étions quelque peu désarmés. Nous nous sommes demandés comment faire pour essayer qu'ils s'en sortent, en dehors des quelques préconisations que nous avons faites sur le suivi scolaire, notamment par l'intermédiaire de l'académie. Cela fait partie des difficultés de la lutte contre les dérives sectaires. On se heurte très vite à la liberté individuelle.

Cela dit, l'information, relayée par les médias, a eu un certain impact. L'académie, après notre venue, a exercé une observation plus précise de ce qui se faisait dans cette communauté.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez réalisé d'autres visites. Vous citez le chiffre de 60 0000 enfants concernés par ces dérives. Ce n'est pas neutre. Comment êtes-vous arrivé à cette constatation ?

M. Philippe Vuilque . - En la matière, il n'y a pas de chiffres précis. Il s'agit d'une estimation. Le chiffre noir est évalué entre 60 000 et 80 000 enfants par rapport aux témoignages, compte tenu des informations collectées par l'Unadfi et de l'estimation de la Miviludes.

Ces 60 000 enfants sont concernés à des titres divers. Certains évoluent au sein d'organisations certes dangereuses mais qui leur permettent, une fois sortis, de se restructurer et de mener une existence normale. D'autres communautés, comme celle de Tabitha's Place, déstructurent totalement la personnalité de l'enfant et produisent des effets catastrophiques.

On est un peu démuni : comment récolter des statistiques sur le nombre d'enfants concernés face à des gens qui n'ont pas très envie de faire connaître leur nombre, leurs adeptes et leurs pratiques ?

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Dans vos rapports précédents, vous parlez d'une industrie parallèle des soins pseudo-médicaux. Il apparaît aujourd'hui que cette industrie parallèle fructifie. Qu'avez-vous pu constater ?

M. Philippe Vuilque . - Le paysage sectaire a beaucoup évolué, d'autres l'ont dit avant moi. Il s'est éclaté et de plus en plus de petits groupes de dix, quinze, vingt personnes fructifient, qu'il s'agisse de formation professionnelle ou de santé. Ils rendent la lutte contre les dérives sectaires particulièrement compliquée et difficile. On a aujourd'hui une explosion de ce genre de mouvements, comme on peut le constater sur Internet en matière d'offres de formation sur le bien-être, de coaching, etc.

Tous ne sont pas à tendance sectaire mais il existe une potentialité de dérive. Quand quelqu'un a pour idée de retirer un maximum d'argent d'une telle entreprise, il repère dans le groupe les deux ou trois personnes les plus faibles qui vivent un problème personnel et qui sont venues chercher autre chose. Pendant que les autres vont continuer leur formation, les deux ou trois personnes en question vont être ciblées et « travaillées ». On en arrive très vite à la suggestion mentale et à tout ce qui va avec - escroqueries, ventes de formations onéreuses et d'appareils de pacotille à prix d'or. Le risque est là.

Ces exemples pullulent. Aujourd'hui, la réglementation n'est pas suffisamment sévère. On a laissé filer les choses. Ce n'était pas simple, il est vrai. Les évaluations en matière de santé auraient dû être menées dès que le GAT a été créé. Or, seules trois évaluations ont dû être réalisées - même si Serge Blisko affirme que d'autres devraient suivre.

Vous n'empêcherez jamais des groupuscules de prospérer à partir de la misère humaine ni de répondre à la demande des personnes les plus malades ou psychologiquement fragilisées. C'est en cela que je suis pessimiste : on peut améliorer les choses à la marge mais je pense que le pire est devant nous !

M. Alain Milon , président . - Les élus locaux sont parfois amenés à organiser dans leur commune des salons du bien-être. Les élus locaux ne sont pas toujours informés des dangers que vous venez d'évoquer. Pensez-vous qu'il faudrait également informer la population et les élus ?

J'ai moi-même organisé dans ma ville deux salons du bien-être avant de m'apercevoir qu'ils accueillaient certains charlatans. Je n'en fais plus mais je vais inaugurer samedi un salon dans une municipalité voisine : je suis sûr que je vais y retrouver les mêmes ! Comment informer les élus et les responsables à propos de tels dangers ?

M. Philippe Vuilque . - Tous les participants à un salon du bien-être ne sont pas des charlatans mais il est vrai que c'est l'occasion pour beaucoup de présenter une formation ou d'offrir une proposition qui va en apparence dans le sens de l'exposition, mais qui recèle des dérives à caractère sectaire.

J'ai été maire. La Miviludes a édité il n'y a pas si longtemps un guide très bien fait sur les élus locaux et le phénomène sectaire où figurent des conseils pratiques. Rien n'empêche un maire de téléphoner à la Miviludes pour lui demander quoi faire. Les élus locaux peuvent être mis devant le fait accompli mais être également en difficulté. La législation est très claire : on ne peut pas tout interdire. Le maire de Lens, il y a quelques années, a voulu interdire une réunion des témoins de Jéhovah : il a été condamné ! Il existe des moyens que l'on taira ici, qui relèvent de la notion d'ordre public. Si celui-ci n'est pas respecté, un maire peut interdire la tenue de telle ou telle manifestation...

Aujourd'hui les élus locaux ne peuvent pas dire qu'ils sont sous-informés. Il existe un guide et ils peuvent se renseigner auprès de la Miviludes. L'information n'est jamais parfaite mais les outils d'aide aux élus locaux existent.

Je me souviens de m'être déplacé dans une commune des Vosges avec des parlementaires locaux. Une société d'investissement foncier masquant les témoins de Jéhovah voulait y bâtir une « salle du royaume ». Le maire n'en avait pas conscience mais la législation sur les permis de construire est stricte : un élu local ne peut refuser un permis dès lors que la loi est respectée. Le non-respect de la prescription légale relative aux places de parking et le recours à un prête-nom ont toutefois permis de refuser la délivrance du permis de construire.

Il ne faut pas hésiter à recommander aux élus locaux de s'adresser à des organismes comme la Miviludes.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez été en relation avec des mouvements sectaires. Quel est leur comportement face aux commissions d'enquête ? Nous recevons un certain nombre de courriers et de mails de leur part ; la plupart se défendent d'avoir un comportement sectaire, considérant que leurs pratiques sont conformes à la loi et ne présentent aucun danger - bien au contraire ! Que ressort-il de vos contacts ?

M. Philippe Vuilque . - La première commission d'enquête parlementaire sur les sectes et l'argent n'était pas publique. Nous avons auditionné deux sortes de personnes. Les premiers avouaient être là pour faire de l'argent et l'assumaient. C'était pour eux un marché comme un autre.

D'autres croyaient vraiment en leur discours. Ce sont les plus dangereux. Ces gens-là pratiquent un lobbying parlementaire très efficace. En tant que président du groupe d'études sur les sectes, j'ai à plusieurs reprises alerté l'ensemble de mes collègues sur le fait qu'un certain nombre d'organismes comme la Commission des citoyens pour les droits de l'homme (CCDH) nous inondent de propositions, de questions écrites ou de mails. Quand on n'est pas au fait des affaires sectaires, cela apparaît tout à fait correct. On connaît la pratique parlementaire : plus on fait de questions écrites, mieux on est noté par la presse locale. On y va donc et, la plupart du temps, on se fait avoir !

Le lobbying cache une recherche de notoriété : les parlementaires s'inquiètent et relaient les préoccupations des mouvements à caractère sectaire ; ces derniers ne voient donc pas pourquoi on les harcèle !

En matière fiscale, il existe une législation relative aux exonérations en faveur des cultes. Les associations locales des témoins de Jéhovah ont longtemps demandé à bénéficier de la reconnaissance d'association cultuelle. Le préfet, consultant la jurisprudence du Conseil d'Etat, n'y relevant aucun problème - même si celle-ci peut être considérée comme limite - et le ministère de l'intérieur, en la matière, s'étant également souvent montré peu regardant, cette reconnaissance par l'Etat des témoins de Jéhovah en tant que religion a servi la communication de ce mouvement vis-à-vis de l'opinion publique. Certains trous de notre législation et de notre réglementation peuvent donc parfois causer quelques soucis.

Pour en revenir au lobbying parlementaire, les mouvements sectaires sont très organisés et agissent de manière souvent sournoise. Dans un salon du bien-être, vous pouvez ainsi entamer une conversation avec des gens fort sympathiques qui vont se faire prendre en photo avec vous. Vous allez ainsi, en tant qu'homme public, vous retrouver dans une publication dans laquelle vous n'avez pas à figurer !

Le Sénat s'est aussi fait abusé lors de réunions publiques, de même que la Sorbonne. Il faut donc être très vigilant.

Une autre manière de procéder consiste à cibler les parlementaires qui s'occupent particulièrement de ces sujets et de les harceler. Il m'est arrivé d'être suivi dans la rue et de me retrouver en train de boire une bière au zinc, entouré de deux membres de la Scientologie ! Il s'agit d'une tentative de déstabilisation qui ne va jamais très loin mais qui peut être répétitive et gênante.

Il existe par ailleurs un certain nombre d'interrogations. Nos commissions d'enquête parlementaires ont en effet connu des fuites. Nous n'avons jamais su qui en étaient les auteurs.

Un incident a également fait débat lors de l'examen à l'Assemblée nationale de la loi Warsmann sur la modernisation du droit, texte fourre-tout où l'on passe d'un sujet à l'autre, sans parfois savoir ce que l'on vote. On s'est aperçu que l'on avait remis en cause la législation concernant la dissolution des sectes. Un procès contre la Scientologie était alors en cours. On n'a jamais su, là non plus, qui avait commis cette bévue.

J'ai tendance à croire, comme nous l'a dit le président de la commission des lois à l'époque, qu'il s'était agi d'une erreur - mais il n'y a pas de fumée sans feu ! Les organisations sectaires bénéficient de moyens exceptionnels par rapport aux nôtres. Ils disposent des batteries d'avocats grassement payés. Cette affaire a été mise à jour grâce à une officine américaine qui en a informé les parlementaires. C'est problématique ! Il faut toujours faire attention car on est souvent victime d'entrisme. Il convient donc d'être toujours très prudent.

Georges Fenech affirme qu'il a été plus de trente fois mis en cause en tant que président de la Miviludes ou en tant que parlementaire. Il faut toujours se référer par exemple à un rapport parlementaire et ne pas affirmer des choses qui pourraient provoquer un procès en diffamation. J'ai toujours été très prudent mais cela peut partir très vite.

C'est essentiellement vrai pour les grandes organisations à caractère sectaire définies par les rapports parlementaires et moins dans le domaine de la santé et des petits mouvements - mais il faut être vigilant.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - La justice et les services de l'Etat sont-ils suffisamment opérationnels ? Vous avez parlé des trous de la réglementation et de la législation existantes. Avez-vous constaté dans leur application, soit des errements, soit des insuffisances ?

M. Philippe Vuilque . - Beaucoup de responsables publics considèrent que les sectes amusent les parlementaires et font parler les médias mais ne constituent pas véritablement un problème de société. Même les magistrats se défaussent dès qu'un problème sectaire apparaît - notamment les juges aux affaires familiales (Jaf). Il existe bien des outils pour lutter contre ces dérives mais ils ne sont pas toujours en place. Il s'agit surtout de lois préventives, comme la loi About-Picard. Le ministère du budget n'a pas vraiment fait preuve d'un grand zèle pour récupérer la dette fiscale des témoins de Jéhovah, qui ont en partie gagné devant la Cour européenne de justice...

La lutte est quelquefois rendue difficile par le fait que ce sujet n'est pas toujours pris au sérieux. Or, nous qui avons travaillé sur le sujet considérons qu'il s'agit un vrai problème de société, notamment par rapport aux enfants. Même si seuls dix d'entre eux étaient concernés, il est du devoir des autorités publiques, de la justice ou des parlementaires de tout faire pour que ce genre de choses ne se produise pas.

Je me souviens avoir auditionné un responsable du service des cultes au ministère de l'intérieur qui nous a dit que le problème sectaire n'était pas le sien et qu'il avait autre chose à faire ! L'attitude des autorités publiques est quelquefois limite...

On a cependant toujours eu une oreille très attentive de la part des ministres de la santé, quelles que soient leurs opinions politiques. Ils ont toujours été très réactifs aux demandes de la Miviludes et des parlementaires, tout en étant conscients des difficultés de la lutte contre les organisations sectaires dans le domaine de la santé.

Les diplomates, souvent vilipendés pour leur attitude vis-à-vis de la lutte contre les organisations sectaires, considéraient quant à eux qu'il fallait les laisser tranquilles. Cette attitude a évolué et même l'Europe commence à réfléchir au sujet.

Ce n'est pas simple car il existe une conception anglo-saxonne de la liberté de religion qui n'est pas la même que la nôtre. Sans aller jusqu'à la législation allemande, notamment en matière de répression des témoins de Jéhovah - à mon avis, pour des raisons historiques, beaucoup trop sévères - je pense qu'en Europe, une coordination des politiques à mener serait judicieuse.

Notre collègue Rudy Salles, que vous allez auditionner, s'en occupe d'ailleurs et je pense qu'il faudrait là aussi une coordination internationale. On travaille bien avec la Belgique mais en Espagne, la Scientologie a pignon sur rue et les conceptions et les approches sont très différentes.

Cela dit, la France et la Belgique ne constituent plus des pays d'accueil pour les grandes organisations sectaires, qui l'ont bien compris. Aujourd'hui, on assiste à une stagnation très importante du nombre de leurs membres. Cependant, les petits groupuscules vont poser à terme plus de problèmes que les grandes, qui sont connues et dans le collimateur des médias.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous avez fait mention des juges aux affaires familiales...

M. Philippe Vuilque . - On a eu beaucoup de témoignages de l'attitude prudente - voire trop prudente - des juges en matière de conflits familiaux et de problèmes de garde d'enfants. Les magistrats, lorsqu'il s'agit de dérives sectaires ou d'organisations sectaires, prennent ces affaires avec beaucoup de précautions. C'est quelquefois à juste titre, les raisons invoquées dans un conflit familial pouvant ne pas toujours être bonnes mais, lorsqu'il y a, preuve à l'appui, un certain nombre de difficultés, les magistrats n'ont pas toujours suffisamment pris en compte l'intérêt de l'enfant. Que faire lorsqu'un parent membre d'une organisation sectaire qui a la garde des enfants risque de partir à l'étranger - ou ailleurs sur le sol national ? Dans ce cas, les enfants suivent et il y a là une responsabilité importante...

Aujourd'hui, la législation a évolué. Les grands-parents peuvent porter plainte et agir, tout comme les associations en cas de signalement ou comme le procureur de la République, à partir du moment où il y a suspicion de mise en danger de la vie d'autrui. Il existe beaucoup d'affaires où cela pose cependant problème et où les juges demeurent très frileux. C'est une matière difficilement appréhendable qu'ils connaissent mal, même si l'Ecole nationale de la magistrature (ENM) dispense aujourd'hui des formations fort bien faites, les jeunes magistrats ayant plus conscience des difficultés et connaissant mieux la problématique.

Quelques affaires ont été médiatisées mais toutes ne le sont pas et certaines familles sont totalement déchirées, le père ou la mère sachant bien que l'organisation sectaire risque d'embrigader les enfants. Doit-on accepter que ceux-ci subissent un « lavage de cerveau » ?

Il y a peut-être une réflexion à mener sur ce sujet qui n'est pas simple, la garde d'enfants et le divorce étant des sujets quelque peu compliqués.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous constaté en 2006 une certaine porosité des hôpitaux publics ou des cliniques par rapport à des systèmes de médecine non conventionnelle qui pourraient s'avérer dangereux ?

M. Philippe Vuilque . - Vous faites probablement allusion à ce qui se passe à la faculté de médecine d'Angers. En la matière, il faudrait être attentif et vigilant. Je ne connais pas tellement ce dossier mais il peut y avoir, ici ou là, par petites touches, un certain nombre de choses qui sont abordées sans paraître porter à conséquence.

Tout dépend de la façon dont les choses sont présentées. Il faut donc que, dans le cadre des études de médecine, les enseignants prennent leurs précautions. Je pense que c'est indispensable. Cela relève de la responsabilité des recteurs et des présidents de faculté. L'infiltration peut exister, comme cela a déjà été le cas dans la fonction publique. Certains magistrats ont été également concernés et l'on s'est posé sur eux un certain nombre de questions... L'entrisme est souvent insidieux.

M. Alain Milon , président . - Les enfants sans nouvelles de leur famille au bout d'un an, sauf par le biais d'une simple carte postale, ne sont pas considérés comme abandonnés. Cela peut durer ainsi des années...

Mme Muguette Dini . - Les enfants que vous avez rencontrés lors de vos déplacements sont en danger psychologique, s'ils ne sont pas en danger physique. Les services sociaux peuvent se saisir de ces cas et ces enfants peuvent être retirés à leur famille.

M. Philippe Vuilque . - Le problème vient du fait que ces enfants disparaissent. Dès qu'il y a un souci, les parents prennent leurs enfants et s'en vont ailleurs, la secte ayant des ramifications un peu partout.

Mme Muguette Dini . - Ces familles perçoivent-elles les allocations familiales ?

M. Philippe Vuilque . - Non. La plupart des enfants que nous avons vus sont emmenés à l'étranger. Le suivi n'existe alors plus. Ces mouvements sectaires sont très bien organisés et disparaissent dès qu'ils ont vent d'un risque d'enquête ou d'intervention des services sociaux. C'est assez dramatique !

M. Stéphane Mazars . - Lorsqu'un enfant est en danger, le juge des enfants se doit de le retirer de la cellule familiale pour le confier à l'aide sociale à l'enfance. C'est une compétence du département.

Dans l'exemple que vous donnez, on peut s'étonner que, dans un village avec une situation pérenne, les services sociaux ne se soient pas saisis de ce type de dossier...

M. Philippe Vuilque . - Cela nous a également étonnés mais il faut savoir que ce genre de communauté ne fait pas de vague. Tout se passe bien avec les habitants.

Lorsque les enfants témoins de Jéhovah vont à l'école, les professeurs les apprécient énormément. Ils sont très assidus mais sont ensuite repris en main par la communauté. Les rapports parlementaires l'ont bien démontré lors de l'audition d'un certain nombre de responsables.

Nous avons été très surpris que les services sociaux ne se soient pas saisis de cette situation et que l'académie n'ait pas fait son travail correctement concernant l'évaluation scolaire de ces enfants. C'est un problème de moyens : on va là où les choses posent problème. C'est la difficulté.

M. Stéphane Mazars . - Il existe une médecine conventionnelle reconnue par l'Etat. S'il est clairement établi que des parents la refusent à leurs enfants, ne peut-on considérer de fait qu'il y a mise en danger de l'enfant ? Je ne sais s'il faut aller jusqu'au placement mais un suivi social, dans le cadre d'une assistance éducative en milieu ouvert, n'est-il pas souhaitable ?

M. Philippe Vuilque . - Encore faut-il que les choses soient connues. Georges Fenech vous a raconté le cas de ces deux kinésiologues qui on laissé leur enfant mourir de faim. Les services étaient-ils au courant de l'état physique de l'enfant ? Pas forcément...

Mme Muguette Dini . - Savaient-ils qu'il y avait des enfants ?

M. Philippe Vuilque . - Il existe des cas extrêmement difficiles.

Vous évoquez les départements. Beaucoup ont été confrontés à des familles d'accueil qui font partie de grandes organisations sectaires. Certains départements ont été abusés. Or, aujourd'hui, un département ne peut refuser de confier un enfant à une famille d'accueil du fait d'opinions philosophiques ou religieuses qui ne lui conviennent pas ! A partir du moment où aucun fait de prosélytisme n'est établi, les départements sont très démunis.

Un certain nombre de familles d'accueil font partie d'une grande organisation sectaire bien connue et distillent aux enfants dont elles ont la garde des préceptes bien ennuyeux...

Mme Gisèle Printz . - Quel est le but recherché ?

M. Philippe Vuilque . - Il s'agit de faire de nouveaux adeptes. Les enfants qui ont baigné là-dedans, arrivant à leur majorité - sauf s'ils ont un éclair de lucidité - continuent dans cette voie. Il serait intéressant de creuser ce sujet car certains départements sont démunis et la preuve du prosélytisme dans ce cas n'est pas simple à apporter.

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