Audition de M. Christian SAOUT, président du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss) (mercredi 7 novembre 2012)

M. Bernard Saugey , président - Nous poursuivons aujourd'hui les auditions de notre commission d'enquête sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en accueillant M. Christian Saout, président du Collectif interassociatif sur la santé (Ciss).

Je précise à l'attention de mes collègues que le Ciss a été créé en 1996 et regroupe aujourd'hui trente-huit associations intervenant dans le champ de la santé, notamment des associations de patients mais aussi des associations comme Médecins du monde ou Visite des malades en établissements hospitaliers (VMEH).

Le Ciss s'est imposé comme un interlocuteur incontournable des pouvoirs publics et des établissements de santé dans le cadre du développement de ce que l'on peut aujourd'hui appeler la démocratie sanitaire. Son projet est de représenter et de défendre les usagers du système de santé, notamment sur les questions de l'accès aux soins et aux thérapies innovantes.

J'ajoute que M. Saout a été appelé à plusieurs reprises à faire partie de groupes de réflexion chargés de proposer des évolutions de notre système de santé ; il a ainsi été chargé d'un rapport sur la question de l'éducation thérapeutique par Mme Roselyne Bachelot-Narquin.

Je précise que cette audition n'est ouverte ni au public ni à la presse ; son compte rendu sera publié avec le rapport.

Je rappelle à l'attention de M. Saout que notre commission d'enquête s'est constituée sur la base du droit de tirage annuel que peut exercer chacun des groupes politiques du Sénat. Le bureau du Sénat a accepté la demande du groupe RDSE d'utiliser ce droit pour soulever la question de l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé. M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de résolution à l'origine de la constitution de cette commission, en est le rapporteur.

Je vais, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à M. Saout de prêter serment.

Je rappelle pour la forme qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13 et suivants du code pénal.

Monsieur Christian Saout, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Christian Saout . - Je le jure.

M. Bernard Saugey, président . - Vous avez la parole.

M. Christian Saout, président du Ciss . - Je vous ai remis une note écrite que je reprendrai pour l'essentiel. Le Ciss regroupe cinq grandes catégories d'associations : associations familiales, de consommateurs, de patients, dédiées aux personnes âgées ou aux personnes handicapées, qui sont toutes agréées au titre de l'article L. 1114-1 du code de la santé publique ; aucune ne nous a alertés quant à l'existence de dérives sectaires dans les établissements hospitaliers, telles que l'on a pu en observer dans le passé, comme cela fut le cas, par exemple, dans le domaine du sida, et je m'en étais ému comme président d'Aides, avant l'arrivée des trithérapies, alors que les malades étaient dans des situations de grande détresse.

Le rapport annuel de la ligne téléphonique du Ciss, santé info droits, récemment paru, ne porte pas trace de telles difficultés. Mais il est vrai que la visibilité de cette ligne n'est pas comparable à celle des autres numéros verts et qu'elle se présente davantage comme un service destiné à piloter les usagers qui ont du mal à s'orienter dans le système de santé.

Cependant, le sujet reste sensible, en particulier dans les associations qui opèrent sur internet.

Il existe des outils de police administrative pour prévenir les dérives. Les associations agréées devraient, de ce point de vue, être regardées comme un exemple puisqu'elles sont soumises au contrôle de la Commission nationale d'agrément prévue par l'article L. 1114-1 du code de la santé publique, dont les avis ont force de décisions. Parmi les critères retenus figure celui de l'indépendance, dont on peut regretter cependant qu'elle ne soit pas caractérisée plus avant : indépendance financière à l'égard des industries de santé, indépendance à l'égard des professionnels de santé, indépendance à l'égard des sectes. Les critères généraux d'agrément ont été précisés par le décret n° 2005-300 du 31 mars 2005. La commission doit ainsi vérifier que l'activité de l'association répond bien à trois critères : le premier fondé la promotion des droits des malades auprès des pouvoirs publics et du système de santé ; le deuxième sur la participation des malades à l'élaboration des politiques de santé et le troisième sur les actions de prévention, d'aide et de soutien aux malades, conduites par l'association. Autant de garanties des libertés individuelles qui doivent amener à penser que les associations agréées qui interviennent dans le système de santé ne sont pas entachées de dérives sectaires. Il n'y a d'ailleurs eu aucun retrait d'agrément depuis la création de la commission, en 2006. Bien qu'axé sur la représentation des usagers, il semble donc bien que l'agrément ait des effets vertueux sur la prévention des dérives sectaires.

L'article récent de Sciences et avenir , qui fait état d'un risque au sein de la délégation de Loire-Atlantique de la Ligue contre le cancer, montre cependant que malgré ce contexte rassurant, des difficultés restent possibles.

Toutes les associations, agréées ou non, peuvent mener une activité au sein de l'hôpital dans le cadre d'un conventionnement. Tel est le cas des associations Sparadrap ou Nez rouges pour l'accompagnement de la petite enfance. Pour les associations visant les personnes en fin de vie, l'article L. 1110-11 est plus sévère puisqu'il exige de l'association une charte, distincte de la charte du patient hospitalisé, sans cependant qu'aucun texte ne prévoie de mesures de contrôle. Même le contrôle de la section administrative du Conseil d'État dans le cadre des reconnaissances d'utilité publique ne porte pas sur de tels cas.

Cela étant, je crains qu'il ne vous soit pas facile de dénicher un bilan de cette activité conventionnelle. On n'en trouve pas trace ni dans le rapport d'activité de la Direction générale de l'offre de soins, ni dans celui des agences régionales de santé. Pourquoi aussi peu de conventions signées ? La Direction générale de l'offre de soins (DGOS) allègue que la procédure est très lourde... Pourtant, du point de vue des malades et de leurs proches, le fait qu'une association soit conventionnée par l'établissement est un élément d'information du patient prévu par l'article L. 1112-2 du code de la santé publique.

Les associations agrées, pour une moitié nationales, pour l'autre régionales, ne dépassent pas le millier, quand l'annuaire des associations compte plus de 10 000 entrées : 1/10 e seulement des associations répond donc aux exigences de l'agrément de représentation. Pour autant, l'action conduite par les associations n'est pas dépourvue de règles susceptibles de permettre d'éviter les dérives sectaires.

En premier lieu, les statuts de certaines associations comportent des règles éthiques et philosophiques que ces associations se fixent à elles-mêmes. C'est le cas d'Aides, qui prévoit aussi des mécanismes de sanction. Cela dit, les situations sont très disparates. Ainsi, et la différence n'est pas anodine, certaines associations exigent une formation de leurs bénévoles, d'autres non. L'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes) a cependant finalisé un référentiel méthodologique pour l'accompagnement et la prévention.

Ensuite, tout fichier constitué doit évidemment être déclaré à la Cnil - tant pour la collecte, le traitement que, plus sensible encore, l'échange.

Enfin, un certain nombre de dispositions pénales, comme l'abus d'état d'ignorance ou de situation de faiblesse réprimé par l'article 223-1 du code pénal, ou la révélation d'une information à caractère secret telle que définie à l'article 226-13 du même code, peuvent trouver à s'appliquer.

Bref, que l'association soit agréée, conventionnées ou pas, il existe des règles.

Si cependant votre commission les jugeait insuffisantes, il est des évolutions possibles. Il faut avoir conscience que le rapport au soin est en train de se transformer : le soin de l'accompagnement prend le pas sur le soin d'urgence ; nous évoluons vers le traitement du chronique, la maladie et les soins s'inscrivent dans la durée. L'accompagnement des patients devient de ce fait indispensable et ne peut être assuré par les seuls soignants, d'autant que se développent, du même coup, les prestations de santé à domicile, pour les appareils respiratoires, par exemple. Il faut désormais compter avec deux nouveaux acteurs, les associations de patients et la télésanté, en peine explosion, et qui suscite des prises de positions pas toujours bien intentionnées. On sait que le dialogue avec des sociétés de services, sur internet, peut dériver vers l'abus de faiblesse. C'est pourquoi dans le rapport que j'ai, avec les professeurs Charbonnel et Bertrand, remis à Mme Bachelot-Narquin, nous préconisions de prévoir, en matière d'accompagnement, des mécanismes de régulation, pour prévenir les dérives. Hélas, le mécanisme de régulation voté dans la loi Hôpital, patients, santé, territoires (HPST) sous le titre « Education thérapeutique du patient » n'est toujours pas pleinement mis en oeuvre. L'éducation thérapeutique est désormais reconnue en France, mais une partie seulement des programmes a fait l'objet d'un décret et d'une recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS). Au-delà, pour les actions d'accompagnement des patients, il manque et réglementation et recommandation de la HAS, laquelle pourrait aussi s'appuyer sur l'Inpes. Les services de l'Etat font valoir que la procédure est trop lourde, le mécanisme d'autorisation pour les programmes d'éducation thérapeutique, notamment. C'est pourquoi nous avions proposé un mécanisme déclaratif, plus simple, l'association déclarant une action d'accompagnement s'engageant à rechercher le consentement du patient, et y compris au recueil des données, tandis qu'un volet de participation à l'action lui serait remis indiquant les coordonnées de l'Agence régionale de santé (ARS) auprès de laquelle faire enregistrer une plainte éventuelle. C'est là un mécanisme simple et protecteur. Mais ce travail n'a toujours pas été mené à bien.

Nous proposions également une autre option pour les acteurs de l'accompagnement : celle d'un agrément spécifique aux associations de patients. Elle n'a pas été retenue parce que le gouvernement avait engagé, sous l'impulsion de M. Hirsch, alors commissaire à la jeunesse et à la vie associative, une réflexion sur la refonte de l'ensemble des agréments en un agrément unique. Mais ce travail a été interrompu, et notre proposition redevient alternative. L'association devrait avoir la masse critique garantissant un réel accompagnement, des financements pour la formation, une ingénierie ad hoc . Ce n'est pas là ouvrir une « boîte de Pandore » pour l'administration, puisque peu d'associations pourraient prétendre à un tel agrément.

J'en viens à la situation ouverte par le développement des nouvelles technologies, qui justifie, à mon sens, une action complémentaire. Nombre d'opérateurs recourent au dialogue avec les patients par leur truchement. Cela va du simple blog ouvert par un patient qui a l'expérience d'une maladie jusqu'aux sites participatifs, de la simple information à l'offre de services, tout cela décliné en adresses internet chatoyantes, destinées à attirer une zone de chalandise : carenity.com , bepatient.com - site qui offre même une possibilité de stockage des données. Les consultations sont tarifées à la minute, et quelques minutes suffisent à atteindre le coût d'une consultation médicale... sans qu'il y ait un médecin en ligne. Les pouvoirs publics réagissent peu, considérant que le droit commun s'applique et qu'il existe des sanctions pénales. Moyennant quoi, on laisse faire. Un décret a néanmoins un peu calé les choses, qui ne reconnaît comme actes de télémédecine que cinq actes de santé à distance, parmi lesquels la télésurveillance et la téléconsultation, qui doivent, officiellement, être pratiqués par des médecins. Mais tout le reste demeure hors champ. Je n'ai rien contre la télésanté qui, outre qu'elle peut être un vivier de création d'emplois, est attractive pour les patients, auxquels elle peut faire gagner du temps. D'autant que le dossier médical personnel (DMP), qui devait être un outil de coordination des soins, est un échec. Depuis la convention signée par Mme Bachelot en 2009, rien n'a suivi. Quant au dispositif d'information grand public, il n'a jamais vu le jour. L'article 47 de la loi du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé, qui prévoyait sa mise en oeuvre grâce à une collaboration entre la HAS et l'Union nationale des caisses d'assurance maladie (Uncam) n'a jamais été mis en oeuvre. Mme Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, a toutefois récemment déclaré qu'elle souhaitait la création d'un grand service public de l'information en santé. Or seule une information de référence, appuyée sur les connaissances scientifiques, apportera une vraie réponse publique, et si site public il y a, il devra être lisible : inutile d'y publier des algorithmes de prise en charge, que seuls les médecins peuvent comprendre.

Quels outils de réduction des risques sur internet ? Les sites, tout d'abord, devraient être soumis à une obligation de transparence. Aujourd'hui, le service s'enclenche sans mise en garde. Qui parle, sur ces sites ? Il faut imposer la présence de mentions obligatoires : catégories juridiques, identité des propriétaires de ces sites, ce qui est difficile pour l'instant, provenance des informations mises en ligne (scientifique, journalistique, produite par les acteurs associatifs). La présence d'un lien vers la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) permettrait d'alerter les pouvoirs publics le cas échéant. Il serait important de former à la prévention contre les dérives sectaires le community manager du site, dont l'identification dès la page d'accueil du site devrait être exigée. C'est par l'existence d'une information de référence, validée scientifiquement, que notre pays peut aboutir à une réduction des risques d'exposition de nos concitoyens aux informations susceptibles de déboucher sur une dérive sectaire par les sites internet.

Si un service public de l'information de référence en santé devait voir le jour, il devrait, ainsi que le recommandent Patrick Gohet et Pierre-Louis Bras dans leur rapport relatif à l'information des usagers sur la qualité des prises en charge des établissements de santé, être confié à une autorité administrative indépendante. Les mésaventures de ces dernières années, touchant aux médicaments et à la vaccination, ont suscité la défiance à l'égard des informations émanant de la puissance publique. Un service placé sous la responsabilité d'une autorité indépendante ferait contrepoids aux sites d'information privés, marchands ou non, qui savent être très attractifs.

Je dirai pour conclure que s'il existe des garanties, elles pourraient être utilement complétées.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Notre objectif est de faire le point sur l'évolution des dérives sectaires dans le domaine de la santé. Peut-on craindre un entrisme dans les hôpitaux et les services de soin ? Avez-vous des remontées des associations sur ce point ? Sauriez-vous évaluer les raisons de la méfiance dont vous avez fait état à l'égard de l'information officielle ?

M. Christian Saout . - Nous n'avons pas de remontées significatives de nos associations membres. La question se pose de la prise en charge du bien être d'un individu à un moment de son parcours. Si notre pays est bon sur le cure , il l'est moins sur le care . Or, en ces temps où prévalent l'individu, le désir de réussir sa vie, chacun est anxieux de trouver un accompagnement que n'offre pas toujours notre système de santé, et d'autant plus que, comme je l'ai dit, nous sommes passés d'une prévalence du soin aigu, dont on sort guéri ou les pieds devant, à une prédominance du soin de la maladie chronique, qui peut connaître des aggravations, des rechutes. J'ai vu des rationalistes convaincus aller consulter des bateleurs et en revenir ravis. Tout cela en vertu d'un tropisme qui nous pousse à vouloir vivre sans souffrance. Le problème est qu'il n'existe pas d'alerte quand on active ce type de service. Le risque, ainsi que l'a mis en exergue la revue Science et avenir , est plus grand dans la relation interindividuelle entre un thérapeute et un patient que dans la prise en charge par une équipe. Or nous n'avons pas écho d'inquiétudes en ce domaine. Il est vrai que l'agrément fait office de filtre. Serait-il bon de réserver aux associations agréées la capacité de mener une action d'accompagnement ? La question mérite d'être posée. Le succès des associations de patients sur le cancer ou le sida tient à cela. Les nouveaux traitements marchent mieux que les précédents, comme la trithérapie pour le VIH, mais ils sont lourds d'effets secondaires sur l'humeur, avec les risques de dépression que cela entraîne. Il faut une prise en charge, que notre système de santé n'offre pas, comme les réunions entre patients ou les soins de soutien psychologique. Si bien que les citoyens vont chercher le réconfort ailleurs.

Mais une fois encore, il ne nous est pas remonté de plainte. Nos associations de patients, au nombre d'une quinzaine, font des efforts considérables. L'Association française des diabétiques (AFD) de Gérard Raymond a ainsi mis en place un modèle de « patient expert ». A Aides, nous avions créé des groupes d'autosupport, dotés d'une méthodologie. Et il m'est arrivé de radier des bénévoles qui s'étaient écartés de nos règles éthiques. Encore faut-il qu'ils aient compris, car tout cela procède d'une culture qui reste à diffuser.

M. Jacques Mézard , rapporteur - Sur 10 000 associations, 1 000 seulement, avez-vous rappelé, sont agréées, et le Ciss n'en regroupe que trente-huit : il ne peut guère surgir beaucoup de difficultés. Mais il est des associations qui entrent à l'hôpital avec un but louable et entraînent des patients en difficulté vers des dérives problématiques. Comprenez qu'il ne s'agit pas pour nous de faire la chasse aux associations, dont une majorité poursuit un but généreux, mais de prévenir les dérives.

M. Christian Saout. - Il faudrait disposer d'un ratio entre le nombre de conventions signées et le nombre d'infractions relevées à mettre en regard des infractions hors conventionnement. Le problème est que seul le directeur de l'offre de soins peut imposer le conventionnement. Comme président d'Aides, j'ai souvent réclamé des conventions qui m'ont été refusées. L'administration argue que la procédure est trop complexe. Autant dire que les outils de prévention sont peu utilisés. Pourquoi si peu de conventions ? Quand on pose des pare-feu, encore faut-il les activer. Si votre commission devait émettre des recommandations pour compléter notre appareil de protection, puisse-t-elle préconiser de confier aux associations agréées un pouvoir d'alerte, comme cela existe pour l'environnement. Avec la transition épidémiologique, qui n'en est qu'à ses débuts, nous sommes en train de basculer vers la massification du chronique, qui accroit mécaniquement le risque.

M. Bernard Saugey , président - Il nous reste à vous remercier.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page