Audition de Mme Juliette DUCHER (mercredi 6 mars 2013)

Mme Muguette Dini , présidente . - Mes chers collègues, contrairement aux autres auditions de proches de victimes auxquelles nous avons procédé depuis la rentrée de janvier, l'audition à laquelle nous allons procéder dans un instant ne se fait pas à huis clos. Mme Juliette Ducher a en effet souhaité témoigner, sans que son nom soit occulté, de dérives préoccupantes dont elle a été témoin alors qu'elle accompagnait son mari, atteint d'un cancer, en fin de vie. Elle est accompagnée par son fils, M. Philippe Berthier-Ducher.

Je rappelle maintenant à l'attention de notre témoin, dont je veux souligner le courage et que je veux remercier en notre nom à tous, que notre commission d'enquête s'est constituée à l'initiative du groupe RDSE, dont M. Jacques Mézard, est président. M. Mézard a donc tout naturellement été désigné comme rapporteur de notre commission.

Cette dernière audition est donc ouverte au public ; un compte rendu en sera publié avec le rapport.

J'attire l'attention du public ici présent qu'il est tenu d'assister à cette audition en silence. Toute personne qui troublerait les débats, par exemple en donnant des marques d'approbation ou d'improbation, sera exclue sur le champ.

Je vais maintenant, conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, demander à Mme Ducher de prêter serment.

Je rappelle (pour la forme bien sûr) qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Madame Juliette Ducher, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

Mme Juliette Ducher . - Je le jure.

Mme Muguette Dini , présidente . -Monsieur Philippe Berthier-Ducher, veuillez prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, levez la main droite et dites : « Je le jure ».

M. Philippe Berthier-Ducher . - Je le jure.

Mme Muguette Dini, présidente. - Je vous propose de lancer notre entretien par une présentation du cas dont vous venez témoigner, puis mon collègue Jacques Mézard, rapporteur, et les membres de la commission d'enquête, vous poseront quelques questions.

Madame, vous avez la parole.

Mme Juliette Ducher . - Je vous remercie de me permettre de témoigner dans ces circonstances difficiles. En janvier 2008, un cancer de la prostate a été diagnostiqué à mon mari. Les examens qui ont suivi ont révélé une tumeur au poumon pour laquelle il a été opéré à l'hôpital Tenon en avril 2008.

En 2009, nous avons déménagé mais malgré l'éloignement, mon mari a continué à se faire soigner à l'hôpital Tenon pour la chimiothérapie, car il avait totalement confiance en l'équipe qui le suivait.

En 2010, un problème à la thyroïde a été diagnostiqué. J'ai alors assuré moi-même de nombreux allers-retours à l'hôpital, pour éviter à mon mari des attentes longues et pénibles de l'ambulance, qui pouvaient aller jusqu'à une heure et demie.

En novembre 2010, après une nouvelle hospitalisation, cela a commencé à se dégrader... La pharmacienne a commis une erreur de sous-dosage dans la délivrance des antibiotiques que mon mari devait prendre. L'infirmière ne s'est rendu compte de l'erreur que huit jours plus tard, malgré les remarques de mon mari. J'ai téléphoné à l'hôpital, et le médecin de garde a attiré mon attention sur l'extrême gravité de la situation de mon mari. Je n'étais pas pleinement consciente de la situation et j'ai été très choquée par cette révélation.

En août 2011, pour un contrôle des poumons, nous avons vu un pneumologue. C'était les vacances, il n'y avait qu'un pneumologue pour quinze patients, qui devaient recevoir une injection avant l'examen. Le médecin, probablement fatigué et surchargé, a déclaré aux patients dans la salle d'attente : « Je vais faire comme à l'armée. Vous allez vous mettre en file et je vous piquerai les uns après les autres ». Bien sûr, mon mari a été choqué, et bien qu'il ait toujours eu une confiance totale en ce médecin, il a décidé de ne plus se faire soigner à l'hôpital Tenon, qui était d'ailleurs à une heure et demie de chez nous. C'est comme ça qu'il s'est fait suivre à l'hôpital de Quincy-sous-Sénart, beaucoup plus proche de notre domicile.

En août 2012, pour mettre en place l'hospitalisation à domicile, l'infirmière coordinatrice de l'hôpital a fait venir chez moi les infirmières chargées des soins afin de les former et de tester le nouveau modèle de pompe à nutrition. A ce moment-là, mon mari ne pouvait plus en effet se nourrir seul. L'infirmière coordinatrice a tenu à ce que j'assiste à cette formation de 2 heures. Les infirmières découvraient le nouveau matériel en même temps que moi. Elle a notamment dit que si l'alarme sonnait, il fallait « clamper », or ce vocabulaire n'est connu que du personnel soignant. Cette situation a inquiété mon mari, qui se reposait dans une pièce voisine. L'infirmière coordinatrice m'a en outre demandé de dormir avec mon portable allumé pour prévenir en cas d'urgence d'un éventuel dysfonctionnement du nouveau matériel...

Toujours en août 2012, après une séance de chimiothérapie dans la matinée, mon mari devait voir son médecin. Nous avions patienté deux heures pour le voir. Nous nous apprêtions à partir car mon mari était très fatigué, lorsque le médecin nous a enfin reçus. Il marchait difficilement, comme en titubant, avait des difficultés à s'exprimer et il ne répondait pas à nos questions. Il s'est assoupi à un moment devant son ordinateur. A la fin de l'entretien et devant mon mari, il m'a serré la main disant qu'on ne pouvait plus rien faire pour lui et m'a souhaité beaucoup de courage. Nous avons eu l'impression de recevoir ses condoléances... Et nous n'avons pas eu de réponses concernant la suite du traitement. Nous sommes ressortis de cet entretien scandalisés et angoissés. Mon mari, pourtant toujours déterminé à se battre contre la maladie, a déprimé pendant quinze jours après cette rencontre.

Il était clair que ce médecin était en état d'ébriété lors de ce rendez-vous, il empestait le pastis. Mon mari a décidé de ne plus le revoir, choqué par son comportement. Son assistante a alors accepté de prendre mon mari en charge. Pour l'aider sur le plan psychologique à surmonter tout cela, elle lui a proposé de rencontrer la psychologue coordinatrice de l'hôpital.

Au cours de la première séance, cette psychologue lui a demandé s'il aimait la nature. Comme il répondait que oui, elle lui a conseillé d'aller se promener dans la forêt, de choisir un arbre, de le prendre dans ses bras et de lui parler tout en prenant l'énergie de la terre... Il faut savoir qu'à ce moment-là, mon mari ne se déplaçait plus qu'en ambulance, et toujours soutenu par deux personnes.

A la deuxième séance, la psychologue lui a conseillé de consulter un ostéopathe, qu'elle ne connaissait pas, pour ses maux de tête. Cette personne exerce à Boussy-Saint-Antoine, juste à côté de l'hôpital. Etant donné son état, mon mari était prêt à accepter tout pour aller mieux.

La consultation chez l'ostéopathe a été carrément surréaliste. En arrivant, j'ai voulu prendre une carte de visite posée sur son bureau, il m'a dit : « Attendez la fin de la consultation, vous déciderez après ». Il s'est présenté comme un « gourou un peu fou mais qui s'en fout », « une sorte de magicien comme Harry Potter ». Après avoir écouté mon mari, il a dit que son cancer de la prostate provenait de problèmes sexuels, que son cancer des poumons était dû au fait qu'il ne disait pas ce qu'il avait sur le coeur, son cancer de la thyroïde au fait qu'il n'exprimait pas sa colère ; son cancer du cerveau résultait de l'ensemble de ces problèmes.

Selon son expérience personnelle, il a affirmé que si mon mari résolvait ces problèmes, la maladie disparaîtrait, et que d'ici trois semaines, il serait guéri ! Ensuite, il a préparé un mélange d'huiles essentielles dans un sachet, et a conseillé à mon mari de porter ce sachet autour du cou pendant trois semaines, et surtout d'arrêter tout traitement chimiothérapeutique s'il voulait s'en sortir !

Nous sommes sortis complètement abasourdis.

Au cours de l'hospitalisation à domicile, il n'y avait aucun suivi de l'hôpital, c'est moi qui donnais aux infirmières tous les renseignements que me transmettait l'hôpital. J'ai enfin été contactée par l'infirmière coordinatrice de l'hôpital, qui a joint le médecin, que je n'arrivais pas à contacter. Le 19 septembre 2012, ce dernier a fait hospitaliser à nouveau mon mari en urgence. Après trois jours, mon mari a dit ne pas vouloir rester dans l'hôpital, car il y a croisé le docteur dont l'état d'ébriété nous avait tant choqués, qui lui a dit ironiquement « Alors, toujours en colère ? », et aussi la psychologue, qui l'a complètement ignoré.

Il a été transféré à la clinique des Jardins de Brunoy. Nous ne savions pas que c'était une clinique de soins palliatifs. Personne ne nous en avait avertis. Nous nous en sommes aperçus après. Il a été très bien pris en charge dans cette clinique, le personnel était très à l'écoute.

Mon mari est décédé le 25 octobre 2012.

Je tenais à vous faire part de la réponse de l'Ordre des médecins quant au comportement du docteur aux problèmes d'alcool. Je vous lis la lettre : « Lors de la consultation avec le docteur Varette, peut-être auriez-vous pu vous enquérir auprès de lui de son état de santé, vous évitant ainsi le jugement hâtif que vous avez porté affirmant un « état d'ébriété avancé ». J'ai été complètement abasourdie par cette réponse. Ils ont ajouté : « Pour le reste, nous avons fait les observations qui s'imposaient à la psychologue concernant les conseils prodigués par l'ostéopathe ».

L'hôpital Galien m'a récemment écrit pour faire part de leurs regrets concernant les différents éléments que je leur avais signalés. Ils ont indiqué que, suite à mon courrier, la direction et la commission médicale d'établissement avaient pris les mesures nécessaires, et m'ont remercié de mon intervention « qui permet à l'établissement de progresser dans sa démarche qualité ».

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Nous avons compris ce qui vous était arrivé à vous et à votre mari, et ce que le milieu hospitalier ne vous a pas apporté.

La psychologue qui vous a envoyés chez cet ostéopathe vous a dit ne pas connaître ce dernier ?

Mme Juliette Ducher . - Oui.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous n'avez pas demandé ensuite comment elle pouvait être en relation avec cet homme ?

Mme Juliette Ducher . - Non. Nous étions tellement choqués, mon mari ne voulait plus voir cette femme.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Y avait-il une plaque d'ostéopathe devant son cabinet ?

Mme Juliette Ducher . - Oui.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Il y était inscrit « Ostéopathe » ? Rien d'autre.

Mme Juliette Ducher . - Oui, ostéopathe. Je ne me souviens plus s'il y avait autre chose d'inscrit.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Combien avez-vous payé ?

Mme Juliette Ducher . - 50 euros.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Avez-vous écrit à l'ARS ?

Mme Juliette Ducher . - Oui. Ils m'ont répondu que ma réclamation avait été adressée à la délégation territoriale de l'Essonne, et m'ont précisé que le traitement de la réclamation pouvait prendre du temps.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Vous n'avez pas eu de nouvelles depuis ?

Mme Juliette Ducher . - Non.

Mme Muguette Dini . - Ce courrier parlait-il de tous les dysfonctionnements de l'hôpital ou du fait qu'on vous avait adressé à un « gourou » ?

Mme Juliette Ducher . - C'était pour les deux. J'ai écrit trois courriers identiques à l'Ordre des médecins, à la commission régionale de conciliation, et à la commission médicale d'établissement de l'AP-HP.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Combien de temps a duré cette consultation chez l'osthéopathe ?

Mme Juliette Ducher . - 45 minutes. Mon mari a expliqué ses problèmes. L'ostéopathe lui a ensuite parlé des expériences qu'il avait vécues avec des personnes de sa famille, puis il l'a fait allonger, en lui disant qu'il ne le toucherait pas. Pendant que mon mari était allongé, il a préparé les huiles essentielles.

Mme Catherine Génisson . - A-t-il clairement indiqué qu'il fallait que votre mari arrête sa chimiothérapie ?

Mme Juliette Ducher . - Oui, il a été catégorique. On s'est demandé comment l'hôpital pouvait nous adresser à une personne disant cela.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Citez-vous le nom de cet ostéopathe dans vos courriers ?

Mme Juliette Ducher . - Oui.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - C'est bien la psychologue coordinatrice du service oncologie qui vous a adressé à ce monsieur ?

Mme Juliette Ducher . - Absolument.

Mme Catherine Génisson . - Cette personne est salariée à temps plein de cet hôpital ? C'est incroyable !

Quand vous avez vu le médecin qui suivait votre mari, vous n'avez pas évoqué la consultation chez la psychologue, et ses indications, concernant les arbres et la consultation de l'ostéopathe ?

Mme Juliette Ducher . - Non, je n'ai pas pu la joindre après qu'elle nous a indiqué les coordonnées de cette psychologue.

Mme Catherine Génisson . - Avez-vous eu recours à une commission de médiation ou de conciliation ?

Mme Juliette Ducher . - C'est ce qui m'a été indiqué. Mais j'attendais la réponse de l'hôpital, je n'ai pas donné suite pour le moment.

M. Jacques Mézard , rapporteur . - Votre témoignage est très éloquent.

Mme Juliette Ducher . - J'avoue que la réponse de l'Ordre des médecins m'a sidérée...

Mme Muguette Dini . - Vous avez été très complète. Nous vous remercions encore d'être venue.

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