B. LA DIVERSITÉ DES OPTIONS STRATÉGIQUES

La problématique du développement économique comporte une double dimension : d'une part, les conditions de la croissance, son environnement institutionnel, humain, physique, pris en charge par diverses politiques, dont l'éducation et la formation permanente mais surtout l'aménagement du territoire ; d'autre part, les différentes politiques d'appui direct ou indirect aux entreprises elles-mêmes.

De la combinaison de ces actions doit résulter la croissance économique. Mais de quel type de croissance s'agit-il ? Il existe une certaine variété de conceptions dont résulte une diversité des options de politique publique. L'absence de coordination de ces options d'un territoire à l'autre peut susciter des mécomptes. Le rapport de Renée Nicoux et Gérard Bailly « L'avenir des campagnes », adopté le 22 janvier 2013 par la délégation sénatoriale à la prospective, fournit à cet égard des éclairages utiles.

En ce qui concerne la diversité des options, il convient de partir de la distinction, désormais canonique, entre les deux éléments constitutifs de l'économie locale : le secteur basique, reposant sur la captation de revenus créés à l'extérieur du territoire considéré, et le secteur domestique, reposant sur la demande locale de biens et services. Le secteur basique constitue le moteur de l'économie locale.

Il est réparti entre quatre types de bases : la base productive privée, qui capte les revenus de la vente à l'extérieur de la zone de biens et services produits localement ; la base résidentielle, qui capte à l'extérieur de la zone des revenus tels que retraites, dépenses des touristes, revenus des actifs habitant dans la zone mais travaillant et acquérant leurs revenus à l'extérieur ; la base publique, formée par les traitements des fonctionnaires habitant et travaillant dans la zone ; la base sociale et sanitaire, formée par les revenus de transfert et les remboursements de soins de santé de la sécurité sociale. Le rapport « L'avenir des campagnes » observe que la base résidentielle et les autres bases non productives sont devenues déterminantes pour le développement des territoires : si le développement économique d'un territoire implique toujours des enjeux productifs, les enjeux résidentiels deviennent souvent prédominants, au point que l'on constate entre les territoires une compétition pour attirer la base résidentielle. Dans la mesure où la prospérité de celle-ci dépend largement des « aménités » procurées par le territoire, cette compétition s'accompagne souvent d'effets d'éviction au détriment de la base productive, pourtant nécessaire à la création de richesse au plan national.

D'où la nécessaire coordination des stratégies économiques territoriales. Le rapport de la délégation sénatoriale à la prospective cite à cet égard un passage éclairant de l'ouvrage « La République et ses territoires », de l'économiste et spécialiste des territoires Laurent Davezies :

« Plus grave, comme l'avancent encore Daniel Béhar et Philippe Estèbe, la foi dans le caractère positif, localement et nationalement, des projets autonomes de développement des territoires a poussé les gouvernements successifs à encourager la logique de projets locaux ou régionaux tout en prétendant conserver le monopole de l'intérêt national. Ce qui revient à en affranchir les acteurs locaux qui s'en trouvent ainsi explicitement exonérés. La lecture des documents stratégiques, qu'ils soient produits par les grandes villes, les intercommunalités, les départements ou les régions, illustre, aux yeux de Béhar et Estèbe, les conséquences de la logique de projet comme fondement de l'autonomie politique : si, au stade du diagnostic, personne n'oublie de "situer" sa collectivité dans l'espace, quand vient le moment d'énoncer la stratégie, on omet soigneusement de signaler en quoi le développement de la collectivité concernée abonde le développement global et ne porte pas atteinte ( a minima ) à celui de ses voisins. La question de l'interdépendance et de la responsabilité politique de participer à la réalisation d'intérêts d'échelle supérieurs est entièrement absente des projets d'agglomération, des schémas régionaux d'aménagement du territoire ou des schémas régionaux de développement économique. En bref, les territoires ont aujourd'hui d'autant plus la bride sur le cou pour développer librement leurs projets, que l'Etat assure se charger seul de la cohésion territoriale et de l'intérêt général. On peut pourtant se demander, avec Renaud Epstein ou Patrick Le Galès et Pierre Lascoumes, si l'Etat ne présume pas de ses forces quant à sa capacité, à l'heure actuelle, à "tenir" le territoire, à la fois intellectuellement et stratégiquement. À l'heure de la décentralisation et de son approfondissement, il faut donc s'inquiéter de voir monter au-delà du raisonnable une idée d'autonomie du développement des territoires en compétition, alors que nos différents territoires sont les éléments complémentaires d'un système national à forte différenciation géo-fonctionnelle. La compétition entre le foie et les poumons n'augure rien de bon pour le patient. Le modèle territorial "qui marche" aujourd'hui - dans lequel ce sont les territoires où l'on produit le moins dont le revenu progresse le plus ! - ne peut être un modèle national, au risque de devenir le modèle " perdant". »

Sans adhérer, bien entendu, au postulat d'une indifférence des collectivités territoriales opératrices de développement économique à l'intérêt général national, les rapporteurs de la délégation à la prospective ont estimé que l'emboîtement des stratégies locale n'était pas nécessairement optimal et ont préconisé l'approfondissement de l'interterritorialité en tant que remède au risque évoqué par Laurent Davezies.

Le comité des politiques de développement territorial de l'OCDE a avancé, mutatis mutandis , une piste équivalente dans un rapport de 2009 : l'essentiel, en matière de croissance économique, tient aux interactions entre acteurs et à l'exploitation des synergies ; les politiques efficaces d'aménagement du territoire reposent sur la mobilisation des ressources des territoires par des acteurs capables de s'accorder sur des projets stratégiques cohérents à l'échelle de ces territoires, et ces projets territoriaux doivent être coordonnés au plan national.

Ajoutons qu'en matière d'aménagement du territoire la tendance évoquée plus haut à une concentration de la base économique dans les grandes agglomérations capables de participer à la compétition mondialisée entre potentiellement en conflit avec l'objectif d'équité entre les territoires : faut-il diriger les ressources d'investissement vers les territoires où leur effet multiplicateur est assuré ou cultiver - jusqu'à quel point ? - l'idée d'un territoire à peu près uniment occupé et aménagé ? À la nécessité des coordinations s'ajoute ici celle des arbitrages, ce qui renvoie au thème de l'État stratège évoqué plus haut.

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