II. L'EXERCICE DES COMPÉTENCES

L'exercice des compétences pose trois questions principales.

La première se formule simplement : qui fait quoi ? On se rend ici compte que, dans le champ de la décentralisation, les questions simples appellent souvent des réponses complexes.

La deuxième résulte de la diversité actuelle des compétences sur le terrain : comment gérer la coexistence, le partage, la concurrence ou la concomitance des compétences exercées par les différents niveaux de collectivités ? Les outils existent, mais la sagesse conduit à penser qu'il faut parfois demander plus aux personnes qu'aux institutions ou aux procédures existantes. Encore convient-il de rappeler le caractère partenarial de bon nombre de politiques publiques.

La troisième interroge le positionnement relatif des collectivités et de l'Etat dans la vie locale : quelle est la marge de l'exercice concret des compétences locales ? La multiplication des normes exaspère d'autant plus qu'elles sont unilatérales dans leur conception et leur concrétisation. Mais là n'est pas le principal : c'est toute la question de l'autonomie financière et fiscale locale, inséparable d'un contexte général intéressant l'État, les collectivités et les institutions de la Sécurité Sociale. On ne peut penser la décentralisation sans repenser la façon dont l'État fonctionne. Les développements qui suivent reprennent la question des normes.

A. LE MODE DE DÉVOLUTION DES COMPÉTENCES DÉCENTRALISÉES

Dans ce domaine, l'idée dominante est la clarification . On ne peut que faire le constat, au terme de trente ans de décentralisation, de l'enchevêtrement des pouvoirs et des politiques. Généralement, la loi attribue à une catégorie de collectivités un pouvoir sur un objet déterminé sans procéder à l'attribution globale d'un domaine ou d'une matière. Cette méthode, conjuguée avec les incidences de la large mise en oeuvre de la clause générale de compétence par toutes les catégories de collectivités et avec celles des pratiques de financement croisé des investissements, a abouti à la situation actuelle, illisible par les citoyens et déresponsabilisante pour les collectivités. Cette situation pose problème au regard de l'efficacité de l'action locale et au regard du fonctionnement de la démocratie.

Le rapport « Faire confiance à l'intelligence territoriale » adopté en juin 2009 par la mission d'information du Sénat sur l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales que présidait Claude Belot et dont les rapporteurs étaient Jacqueline Gourault et Yves Krattinger, a préconisé comme remède la spécialisation accrue des collectivités territoriales.

Dans cette perspective, elle a considéré que le bloc communal incarnait la proximité de l'action publique et devait répondre aux attentes de la population en matière de service public ainsi qu'aux besoins de la vie quotidienne. Le rapport de la commission a énuméré à cet égard les garderies, les crèches, les écoles, le soutien à la vie associative, la distribution de l'eau potable, la collecte des déchets ménagers, le logement et l'urbanisme, le déneigement des voiries communales, l'entretien des espaces publics. Elle a aussi réaffirmé la nécessité de conserver aux communes une capacité d'initiatives dans tous les domaines d'intérêt communal. Elle a enfin noté la pertinence de l'échelon intercommunal, rendu plus cohérent, pour mener des actions trop coûteuses à assumer ou techniquement trop complexe pour être mises en oeuvre par une seule commune, citant le domaine des déchets ou celui de l'eau, ainsi que le développement économique local, avec les zones d'activité et l'accueil d'entreprises dans une logique d'aménagement concerté du territoire intercommunal.

Elle a estimé que le département était l'échelon pertinent de gestion des solidarités sociales et territoriales. Son positionnement entre le bloc communal et la région, ainsi que le mode de désignation de ses élus lui confère un véritable ancrage territorial et la capacité d'assurer un aménagement équilibré et cohérent de l'espace local, en particulier dans les zones rurales. Le rapport de la mission d'information a spécialement évoqué à ces différents égards le rôle joué par le département en matière d'ingénierie et de conseil juridique, administratif et technique au bénéfice des communes, ainsi que son rôle en faveur du développement et du soutien à la ruralité et sa mission de péréquation favorisée par sa connaissance du territoire.

La mission d'information du Sénat a enfin considéré que la région était l'échelon des missions stratégiques et de préparation de l'avenir. Elle a jugé essentiel de lui attribuer les outils nécessaires pour assurer cette mission au service de la compétitivité des territoires. Elle a proposé de structurer son dialogue avec l'État et a plaidé en faveur du renforcement de sa mission de coordination sur les grands projets et politiques stratégiques : infrastructures, recherche et innovation, environnement, développement durable. La mission d'information a aussi mis en exergue le rôle de la région en matière de programmation et de planification de politiques ou de grands équipements structurants ainsi qu'en matière de concertation ou de contractualisation entre les différents acteurs locaux et avec l'État. La mission a aussi rappelé que la région était le niveau de référence de plusieurs politiques européennes.

À partir de ce point de départ, la mission a pris position en faveur d'un système de compétences obligatoires attribuées par niveaux de collectivités territoriales ; elle a aussi proposé de maintenir la clause générale de compétence en reconnaissant à chaque niveau de collectivité une compétence d'initiative fondée sur l'intérêt territorial, dans le respect de la répartition des compétences ainsi que du principe de subsidiarité ; afin de prévenir les inconvénients résultant l'éventuel refus par une collectivité d'exercer sa compétence, la mission a enfin proposé d'instituer une procédure de constat de carence ouvrant à une collectivité la possibilité d'exercer sur son territoire la compétence attribuée en principe à une autre collectivité.

La loi du 16 décembre 2010 a opéré un glissement de la notion de compétences obligatoires préconisée par la mission du Sénat vers celle, plus rigide, de compétence exclusive. Elle a prévu, en effet, que les compétences seraient attribuées aux collectivités à titre exclusif à partir du 1 er janvier 2015. La méthode des blocs de compétences se trouvait de la sorte implicitement consacrée. La loi a parallèlement ouvert aux collectivités la possibilité de déléguer des compétences. En revanche, le partage de compétences entre plusieurs collectivités ne peut être prévu que par une loi, celle du 16 décembre 2010 instituant d'ores et déjà le partage du tourisme, de la culture et des sports entre les communes, les départements et les régions. La loi a, par ailleurs, supprimé la clause générale de compétence pour les départements et les régions, tout en la remplaçant par un dispositif aux effets à peu près équivalents.

Dans un rapport adopté le 2 février 2011 sur la proposition d'Antoine Lefèvre, votre délégation a estimé que la méthode des blocs de compétences exclusives pures n'était peut-être pas la plus adaptée à la variété des situations de terrain et risquait de se heurter à des problèmes de frontières entre compétences attribuées à des collectivités différentes. C'est pourquoi, sans revenir sur le principe des blocs de compétences, qui a le mérite de la clarté, elle a affirmé l'intérêt de mettre en place un dispositif de compétences obligatoires partageables par accord entre les collectivités. À l'instar de ce que la mission d'information du Sénat avait proposé, votre délégation a aussi estimé nécessaire de mettre en place une procédure de constat de carence en cas d'inertie de la collectivité habilitée à exercer une compétence à titre obligatoire. Elle a proposé, par ailleurs, d'assurer le respect du partage de compétences par l'information obligatoire de la ou des collectivités attributaires d'un domaine lorsqu'une autre collectivité intervient dans le même domaine, et a lancé l'idée de créer un contrôle de légalité territorial permettant de trancher dans un délai déterminé les éventuels conflits entre collectivités relatifs au partage de leurs compétences.

Votre délégation ne peut que réitérer ces orientations.

Proposition n° 3. Mettre en place un dispositif de compétences obligatoires partageables par accord entre les collectivités. Affirmer un principe contractuel général. Mettre en place une procédure de constat de carence en cas d'inertie de la collectivité habilitée à exercer une compétence à titre obligatoire. Assurer l'information obligatoire de la ou des collectivités attributaires d'un domaine lorsqu'une autre collectivité intervient dans le même domaine. Créer un contrôle de légalité territorial permettant de trancher dans un délai déterminé les éventuels conflits entre collectivités relatifs au partage de leurs compétences.

Pour autant, la poursuite et l'approfondissement de la réflexion sur le partage des compétences ont ancré dans votre délégation la conviction que la réalité du terrain pouvait obérer l'efficacité des meilleurs principes. Tirant les leçons des débats de l'atelier « nouer des relations de confiance entre l'Etat et les collectivités territoriales et clarifier les missions des acteurs locaux » des états généraux de la démocratie territoriale d'octobre 2012, Eric Doligé a noté en particulier, au sujet des compétences des régions : « Elles demandent globalement la compétence économique, que les intercommunalités et les grandes communes ne veulent pas perdre. Il faudra donc trouver une solution, compte tenu de la diversité du contenu de cette compétence, qui peut englober aussi bien l'aide aux entreprises que l'aménagement d'une zone d'activité. Ce sujet va faire fortement débat » . Bruneau Retailleau a exprimé sa conviction sur ce point lors de l'audition par votre délégation, le 5 février 2012, de Marylise Lebranchu, ministre de la réforme de l'Etat, de la décentralisation et de la fonction publique : « J'ai eu le sentiment que le tourisme et l'économie seraient des compétences exclusives des régions. J'espère que non : séparer l'insertion sociale de l'économique Madame la ministre, est une ineptie que je peux vous démontrer tous les jours sur le terrain. Séparer l'aménagement du territoire de l'économie n'est pas non plus cohérent. J'espère avoir mal entendu et j'attends votre réponse. Car, si cette compétence économique était demain exclusive, je me demande franchement comment une collectivité, une assemblée délibérante, une assemblée politique élue au suffrage universel pourrait renoncer à assumer les responsabilités associées au développement de son territoire. Cette dimension politique les distingue des établissements publics, elle me paraît essentielle. »

Le sentiment ainsi exprimé a été largement partagé. C'est pourquoi, au-delà des techniques juridiques de partage qui seront mises en oeuvre dans le cadre de l'acte III de la décentralisation, votre délégation estime prioritaire l'amélioration des instruments et procédures permettant l'exercice coordonné des compétences décentralisées aux mains des différentes catégories de collectivités.

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