N° 533

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 avril 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes (1) sur les dispositions du projet de loi n° 377 (2012-2013) relatif à l' élection des sénateurs , dont la délégation a été saisie par la commission des lois ,

Par Mme Laurence COHEN,

Sénatrice.

(1) Cette délégation est composée de : Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente , M. Roland Courteau, Mmes Christiane Demontès, Joëlle Garriaud-Maylam, M. Alain Gournac, Mmes Sylvie Goy-Chavent, Chantal Jouanno, Françoise Laborde, Gisèle Printz, vice-présidents ; Mmes Caroline Cayeux, Danielle Michel, secrétaires ; Mmes Maryvonne Blondin, Nicole Bonnefoy, M. Christian Bourquin, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, Françoise Cartron, Laurence Cohen, MM. Gérard Cornu, Daniel Dubois, Mmes Marie-Annick Duchêne Jacqueline Farreyrol, M. Alain Fouché, Mmes Catherine Genisson, Colette Giudicelli, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-François Husson, Mmes Christiane Kammermann, Claudine Lepage, Valérie Létard, Michelle Meunier, M. Jean-Vincent Placé, Mmes Sophie Primas, Laurence Rossignol, Esther Sittler et Catherine Troendle.

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le projet de loi relatif à l'élection des sénatrices et des sénateurs dont la commission des lois a saisi la délégation aux droits des femmes comporte deux séries de dispositions qui poursuivent chacune un objectif distinct.

D'une part, elle augmente le nombre des délégués supplémentaires représentant les communes les plus peuplées de façon à permettre une meilleure représentation des communes urbaines.

De l'autre, elle étend aux départements élisant trois sénateurs et sénatrices le scrutin proportionnel de façon à renforcer la parité au sein du Sénat.

La délégation exprime à la commission des lois sa reconnaissance pour une saisine qui lui permettra de se prononcer sur une problématique qui est au coeur de ses préoccupations, celle de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives, et qui l'intéresse d'autant plus directement qu'elle concerne ici le mode de scrutin de l'assemblée dont elle est issue.

Conformément à ses attributions, la délégation s'attachera exclusivement à la problématique de l'égal accès des femmes et des hommes au mandat sénatorial, laissant à la commission des Lois, comme il se doit, l'exclusivité des considérations relatives au rééquilibrage démographique de la représentativité du Sénat.

Cette approche l'amènera donc, évidemment, à traiter de l'abaissement du seuil pour le scrutin proportionnel. Mais elle ne se désintéressera pas, pour autant, de la composition du collège sénatorial, car elle considère que l'on ne peut se satisfaire de l'absence totale de considérations paritaires dans les modalités de sa désignation.

Dans les délais très brefs qui lui ont été impartis pour établir son rapport, votre rapporteure s'est attachée à recueillir le point de vue et les suggestions des représentants des partis politiques représentés au Sénat ainsi que des responsables d'associations militant en faveur de la parité politique. La brièveté des préavis n'a pas permis à toutes les personnes sollicitées de répondre favorablement à cette invitation, mais certaines se sont efforcées de compenser leur absence par l'envoi de contributions écrites qui ont été très utiles. Votre rapporteure souhaite exprimer ici sa reconnaissance à toutes les personnes qui ont, d'une façon ou de l'autre, contribué à son information et à sa réflexion.

I. LA PARITÉ POLITIQUE AU SÉNAT : UN ÉLAN VÉRITABLE EN VOIE D'ESSOUFLEMENT

Le Sénat est resté longtemps une assemblée essentiellement masculine.

Entre 1959 et 1989, pendant les quarante premières années de la V ème République, le nombre de femmes élues au Sénat a oscillé entre quatre et dix, ce qui représentait une proportion de 1,5 à 3 % de l'effectif total de l'assemblée.

Sous l'influence du mouvement général de la société, le nombre de sénatrices a timidement progressé au cours des dix années suivantes. Mais à la veille du renouvellement de 2001, on ne comptait encore que 20 sénatrices sur un total de 321 sièges, soit une proportion de 6,5 % .

L'entrée en vigueur de la loi du 6 juin 2000 1 ( * ) , et les obligations paritaires qu'elle a imposées dans les départements où les élections sénatoriales se déroulent à la proportionnelle ont déclenché une dynamique nouvelle. Le Sénat étant alors renouvelable par tiers, ses effets se sont échelonnés sur les élections de 2001, de 2004 et de 2008, auxquelles elles s'appliquaient pour la première fois. Sur une dizaine d'années, le nombre de femmes a été multiplié par quatre : on comptait, à la veille du renouvellement de 2011, 80 sénatrices représentant une proportion de 23,3 % sur 343 sièges que comportait alors le Sénat.

Cette dynamique ne s'est toutefois pas prolongée lors des élections sénatoriales de 2011. Au lendemain de ce scrutin, qui portait cette fois-ci sur la moitié de son effectif, le Sénat ne comptait plus que 77 sénatrices , soit une proportion de 22 % , ramenée à l'effectif global des 348 sièges que comporte dorénavant la Haute Assemblée.

Ce palier montre que les effets de la première application des obligations paritaires imposées par la loi du 6 juin 2000 sont maintenant épuisés et qu'un nouvel élan est nécessaire pour reprendre la progression vers une parité effective.

A. LES LEVIERS JURIDIQUES DE LA PARITÉ : LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE DE 1999 ET LA LOI DU 6 JUIN 2000

Il apparaît aujourd'hui, avec le recul, que seules les obligations paritaires autorisées par la révision constitutionnelle de 1999, et instaurées par la loi du 6 juin 2000 et celles qui l'ont suivie, ont permis aux femmes d'accéder dans des proportions significatives à certains mandats électoraux.

1. La révision constitutionnelle de 1999 : la suppression d'un verrou juridique

En introduisant dans la Constitution une disposition aux termes de laquelle « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives » , la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999 a ouvert la voie à l'adoption de dispositions législatives favorisant l'exercice effectif par les femmes de responsabilités politiques.

Les tentatives qui avaient été opérées auparavant, en 1982 et 1999, pour favoriser un meilleur équilibre entre les candidatures masculines et les candidatures féminines, s'étaient jusqu'alors heurtées à la censure du Conseil constitutionnel.

A deux reprises 2 ( * ) , en effet, et dans des termes identiques, le Conseil avait considéré que « la qualité de citoyen [ouvrait] le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus [...] que ces principes de valeur constitutionnelle [s'opposaient] à toute division par catégorie des électeurs ou des éligibles [...] ; [et] qu'il en [était] ainsi pour tout suffrage politique » .

La révision constitutionnelle a permis de lever cet obstacle juridique. Elle a, en outre, attribué aux partis et aux groupements politiques une responsabilité en ce domaine, en précisant, à l'article 4 de la Constitution, qu'ils doivent contribuer « à la mise en oeuvre [de ce] principe [...] dans les conditions déterminées par la loi » .

2. La loi du 6 juin 2000 : la pierre angulaire d'un édifice législatif favorable à la parité

En érigeant en objectif constitutionnel « l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités électives » , la révision constitutionnelle de 1999 a permis l'élaboration d'un édifice législatif favorable à la parité dont la loi du 6 juin 2000 constitue, en quelque sorte, la pierre angulaire.

Celle-ci a, en effet, mis en place les deux principaux mécanismes sur lesquels repose aujourd'hui la promotion de la parité politique : elle contraint les partis politiques à présenter des listes composées sur une base paritaire dans les élections qui se déroulent au scrutin proportionnel ; elle prévoit une retenue sur la dotation financière des partis qui ne présentent pas un nombre égal de candidates et de candidats aux élections législatives.

Ces deux séries de dispositions, qui ont été complétées et précisées par un certain nombre de lois ultérieures, se sont révélées, à l'usage, d'une efficacité inégale, en fonction des modes de scrutin.

Les résultats se sont révélés décevants dans les élections qui se déroulent suivant le scrutin uninominal à deux tours : les élections législatives ont, dans l'ensemble, démontré le caractère peu efficace des pénalités financières imposées aux partis politiques. La nette progression du nombre de députées élues lors des élections législatives de 2012 recouvre de fortes disparités suivant les partis politiques.

Quant à la disposition de la loi du 31 janvier 2007 qui précise que, lors des élections cantonales, le candidat et son remplaçant doivent être de sexe différent, elle n'a eu que des effets limités et n'a pu empêcher que les conseils généraux restent, jusqu'à aujourd'hui, les assemblées les plus masculinisées de France.

En revanche, grâce aux obligations paritaires qui sont imposées dans la composition des listes, le scrutin proportionnel a permis à la parité de devenir une réalité effective dans les élections auxquelles il s'applique : celles des conseils régionaux, celles des conseils municipaux des villes de plus de 3 500 habitants ainsi que celles des députées et députés français au Parlement européen.

Les conseillères et conseillers régionaux sont élus dans chaque région au scrutin de liste à deux tours. Chaque liste est constituée d'autant de sections qu'il y a de départements dans la région 3 ( * ) . Au sein de chaque section, la liste est composée, alternativement, d'un candidat de chaque sexe 4 ( * ) .

Suivant les statistiques établies par l'ancien Observatoire de la parité, le pourcentage de femmes parmi les conseillers régionaux, qui était de 27,5 % en 1988 , est monté à 47,6 % lors du renouvellement de 2004 grâce à ces dispositions. Les dernières élections de 2010 ont consolidé cette tendance avec 48 % de femmes élues .

Le faible écart qui subsiste entre la proportion d'élus masculins et d'élues féminines s'explique par le fait que le nombre d'élus sur une liste peut être impair, combiné au fait que les têtes de listes continuent, le plus souvent, d'être tenues par des hommes.

Les élections municipales se déroulent suivant des modes de scrutin distincts, suivant que les communes ont plus ou moins de 3 500 habitants.

Les obligations paritaires ne s'appliquaient, jusqu'à cette année, que dans les communes de plus de 3 500 habitants . Dans celles-ci, la composition des listes obéit à des règles strictes : elles doivent comporter autant de candidats que de sièges à pourvoir et être composées alternativement d'un candidat de chaque sexe.

Alors que la proportion de femmes n'était que de 27,5 % dans les conseils municipaux issus des élections de 1995, celle-ci est montée à 47,5 % en 2001, atteignant d'emblée une quasi parité grâce aux obligations paritaires de la loi du 6 juin 2000. Les dernières élections municipales qui se sont déroulées en 2008, ont confirmé cet ancrage des femmes qui représentent maintenant 48,5 % des conseillers municipaux des villes de plus de 3 500 habitants.

Dans les communes de moins de 3 500 habitants , les modes de scrutin ne sont assortis d'aucune obligation paritaire. La proportion des femmes dans les conseils municipaux de ces petites communes reste inférieure à celle qui prévaut dans les communes de 3 500 habitants, mais elle a cependant progressé de moitié entre 1995 et 2001, passant de 21 à 30 %. Cette tendance a été confortée par les élections de 2008, qui ont porté cette proportion à 32,2 %.

Le projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers intercommunaux et modifiant le code électoral 5 ( * ) , propose de ramener de 3 500 à 1 000 habitants le seuil de population au-delà duquel les conseillères et les conseillers municipaux seront élus au scrutin de liste et où s'appliqueront les contraintes paritaires.

Dans l'étude d'impact jointe au projet de loi, le Gouvernement indique que cette mesure, imposée par le souci de renforcer la proportion de femmes élues dans les petites communes devrait concerner environ 6 650 communes. Il évalue à près de 16 000 l'augmentation du nombre de femmes élues conseillères municipales . Cette réforme, qui a vocation à s'appliquer aux prochaines élections municipales de 2014, aura un impact sur la composition du collège des électrices et électeurs sénatoriaux, constitué en majorité de délégués issus des conseils municipaux.

Renouvelé tous les cinq ans, le Parlement européen compte actuellement 736 sièges, dont 72 sont attribués à la France. Le scrutin se déroule en France à la représentation proportionnelle, dans le cadre de huit grandes circonscriptions. Les listes présentées dans chacune de ces huit « euro-régions » doivent respecter une alternance stricte entre hommes et femmes.

La proportion des femmes au sein de la représentation française au Parlement européen était déjà de 29,9 % en 1996 et de 40,2 % en 1999.

Compte tenu de cette situation de départ déjà favorable, l'application des lois relatives à la parité n'a pas provoqué une mutation radicale. Mais elle a, du moins, accentué cette progression en permettant à cette proportion d'atteindre 43,6 % en 2004 et 44,4 % en 2009.

Là encore, les facteurs qui freinent encore l'accès des femmes à une parité véritable tiennent à la réticence des formations politiques à placer des femmes en tête de liste .


* 1 Loi n° 2000-493 du 6 juin 2000 tendant à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives.

* 2 Décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982 et décision n° 98-407 DC du 14 janvier 1999.

* 3 Code électoral, article L. 338.

* 4 Code électoral, article L. 346.

* 5 Votre rapporteure regrette que seul l'intitulé masculin de ces différents mandats figure dans le titre du projet de loi qu'un souci d'équilibre entre les sexes aurait dû conduire à désigner plutôt comme « Projet de loi relatif à l'élection des conseillères et des conseillers départementaux, municipaux et intercommunaux et modifiant le code électoral » .

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