B. LES TROIS PILIERS DE LA RÉGLEMENTATION

Votre rapporteur remarque d'emblée que les quotas de diffusion, de production ou d'indépendance ne concernent que les « oeuvres » audiovisuelles , dont il n'existe pas de définition législative. Leur définition réglementaire « en creux » est fixée par l'article 4 du décret n° 90-66 du 17 janvier 1990 modifié selon lequel « constituent des oeuvres audiovisuelles les émissions ne relevant pas d'un des genres suivants : oeuvres cinématographiques de longue durée ; journaux et émissions d'information ; variétés ; jeux ; émissions autres que de fiction majoritairement réalisées en plateau ; retransmissions sportives ; messages publicitaires ; téléachat ; autopromotion ; services de télétexte » 10 ( * ) .;

Dans le jargon audiovisuel, la distinction est souvent opérée entre les « programmes de stock » (globalement la fiction, les documentaires et l'animation) ou la « création audiovisuelle », et les « programmes de flux » : elle recoupe globalement la distinction entre ce qui relève de l'oeuvre audiovisuelle et des autres genres télévisuels (information, sport, jeux télévisés, magazines, talk-shows ).

Si les quotas ne s'appliquent qu'aux oeuvres, c'est parce que l'exception culturelle s'attache à protéger les productions « à caractère culturel » que sont les fictions, les documentaires ou les programmes d'animation.

1. Les quotas de contribution à la production

L'obligation de contribution au développement de la production audiovisuelle est applicable aux chaînes qui consacrent plus de 20 % du temps annuel de diffusion à la diffusion d'oeuvres audiovisuelles et à toutes celles dont le chiffre d'affaires est supérieur à 350 millions d'euros.

Elle est assise sur le chiffre d'affaires net de l'exercice précédent pour les chaînes gratuites, auquel on applique des déductions réglementaires (frais de régie...).

En simplifiant, deux types de régimes sont prévus s'agissant du montant de l'investissement 11 ( * ) :

- en principe, 15 % minimum du chiffre d'affaires de l'exercice précédent doivent être investis dans la production d'oeuvres audiovisuelles , avec un sous-quota en faveur des oeuvres patrimoniales représentant 10,5 % de ce CA (régime de M6) ;

- un régime alternatif peut être choisi, ciblé sur la production d'oeuvres patrimoniales, avec un taux de 12,5 % du chiffre d'affaires de l'exercice précédent (cas de TF1).

Alors que ces obligations étaient en baisse pour les opérateurs privés, s'agissant de France Télévisions, le cahier des charges (décret n° 2009-796 du 23 juin 2009) a fixé un niveau d'obligation très élevé : 20 % du chiffre d'affaires de l'année n-1 .

Le contrat d'objectifs et de moyens, signé entre l'État et France Télévisions fixe en outre un plancher d'investissement en valeur absolue de 420 millions d'euros par an à partir de 2012 (il était de 365 millions d'euros en 2008).

Votre rapporteur note à cet égard que le service public a donc clairement joué un rôle d'amortisseur, voire de variable d'ajustement pour la production audiovisuelle, de la baisse des engagements du secteur privé . La question doit se poser de savoir si c'est effectivement le rôle du service public.

Les chaînes non hertziennes sont soumises à un régime un peu moins contraignant avec globalement un taux minimal de contribution de 15 % des ressources totales annuelles nettes de l'exercice précédent et 8,5 % à des oeuvres patrimoniales 12 ( * ) .

En 2011, le montant total retenu au titre de la contribution au développement de la production audiovisuelle de l'ensemble des chaînes s'est élevé à 842,4 millions d'euros, qui correspondent principalement à l'acquisition de droits de diffusion (pré-achats, pour 835,9 millions d'euros).

2. Les quotas de diffusion

L'article 13 du décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 prévoit une obligation de diffusion des oeuvres audiovisuelles.

Les éditeurs de services dont le chiffre d'affaires annuel net de l'exercice précédent est égal ou supérieur à 350 millions d'euros doivent ainsi diffuser annuellement, en première partie de soirée, un minimum de 120 heures d'oeuvres européennes ou d'expression originale française , avec un maximum de 25 % de rediffusions.

Il est à noter que l'effet automatique de la disposition relative aux rediffusions est d'imposer aux diffuseurs de consacrer une partie importante de leurs investissements en production inédite, ce que les décrets ne prévoient pas explicitement aujourd'hui 13 ( * ) .

3. Les quotas de production indépendante

L'article 27 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 prévoit que la production dans laquelle les diffuseurs sont obligés d'investir est « en tout ou partie indépendante à leur égard » .

Cet article ne précise ainsi ni ce qu'est l'indépendance de la production, sinon qu'elle se conçoit à l'égard des diffuseurs, ni la hauteur de l'obligation d'indépendance.

La définition de l'indépendance est en fait fixée par l'article 71-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, issu de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009.

a) La définition plutôt complexe de la production indépendante

Le premier alinéa de l'article 71-1 précité prévoit que les décrets relatifs aux obligations en matière de production précisent les conditions dans lesquelles une oeuvre audiovisuelle peut être prise en compte au titre de la contribution d'une chaîne à la production indépendante en fonction de la part détenue, directement ou indirectement, par l'éditeur de services ou par le ou les actionnaires le contrôlant au sens du 2° de l'article 41-3 , au capital de l'entreprise qui produit l'oeuvre.

Les 2° des articles 15 des décrets précité n° 2010-416 du 27 avril 2010 et n° 2010-747 du 2 juillet 2010 fixent la hauteur de cette part à 15 % : ainsi l'éditeur de services, ou la ou les personnes le contrôlant au sens du 2° de l'article 41-3 de la loi du 30 septembre 1986 ne doivent pas détenir, « directement ou indirectement, plus de 15 % du capital social ou des droits de vote de l'entreprise de production » .

Le fait qu'une oeuvre soit produite par un producteur indépendant ne suffit pas cependant à lui conférer la qualité d'oeuvre indépendante entrant dans le « quota d'indépendance » de l'éditeur. Dans la législation française, l'oeuvre doit ainsi avoir des caractéristiques intrinsèques permettant de la qualifier d'indépendante .

b) La définition très complexe de l'oeuvre indépendante

Le second alinéa de l'article 71-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986, issu de la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009, prévoit, quant à lui, que « l'éditeur de services ne peut détenir, directement ou indirectement, de parts de producteur » .

Cette phrase, bien qu'elle constitue une mention isolée au sein de l'article 71-1, ne veut pas dire que la détention de parts de producteurs par un éditeur soit prohibée de manière absolue. Elle signifie que lorsqu'un éditeur détient des « parts de producteurs » sur une oeuvre, celle-ci ne peut alors plus être qualifiée d'indépendante.

Les articles 15 des décrets précité n° 2010-416 du 27 avril 2010 et n° 2010-747 du 2 juillet 2010 prévoient ainsi que la part des dépenses en matière de production est consacrée au développement de la production indépendante si :

- le critère de la propriété capitalistique de l'éditeur déjà mentionné (voir supra ) est respecté ;

- l'éditeur de services ne détient pas directement ou indirectement, de parts de producteur (il ne peut pas être coproducteur) et ne prend pas personnellement ou ne partage pas solidairement l'initiative et la responsabilité financière, technique et artistique de la réalisation de l'oeuvre et n'en garantit pas la bonne fin (il n'est donc ainsi ni producteur délégué, ni producteur exécutif, restant un simple financeur de l'oeuvre).

Ainsi, une oeuvre produite par un producteur indépendant mais sur laquelle une chaîne détient des parts de production entre dans le quota d'oeuvres dépendantes.

Concrètement, que signifie l'absence de parts de producteur, appelées communément les parts de coproduction (ou « parts copro ») ? Cela signifie que l'éditeur n'est pas copropriétaire de l'oeuvre et que sa revente éventuelle à un diffuseur tiers (français ou étranger) ou les droits dérivés (DVD, VàD...) ne peut lui rapporter de bénéfices. Quand il finance l'oeuvre, même si c'est dans son intégralité, il n'achète donc qu'un droit de diffusion temporaire du programme produit.

En termes triviaux et simplistes, votre rapporteur pourrait dire que, dans le cadre de son quota de production indépendante, la chaîne de télévision participe au financement des oeuvres, mais n'en est que le simple « locataire » pour une durée déterminée (3 ou 4 ans) et un nombre limitée de diffusions, à l'issue desquelles elle doit la rendre à son propriétaire, qui est le producteur, lequel peut ensuite la vendre comme il le souhaite.

Cette double condition réglementaire (propriété de la société de production et existence de parts de production) était supposée constituer une simplification par rapport au régime précédent.

Toutefois, les décrets renvoient aussi, pour leur propre application, aux accords conclus entre diffuseurs et producteurs, repris dans les conventions et cahiers des charges. Or, les accords professionnels ont également intégré le respect de l'étendue des droits cédés dans la condition de prise en compte d'une oeuvre au titre de la production indépendante , venant par-là modifier sa définition réglementaire !

Comme le note le CSA 14 ( * ) , « cette condition supplémentaire, issue des accords interprofessionnels, sur la durée des droits relativise en partie l'allègement des critères de l'indépendance ». Force est de la constater.

c) Le taux de la production indépendante

Le taux de la production indépendante est, quant à lui, fixé par l'article 15 du décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 pour les chaînes hertziennes. Il n'est pas unique, mais varie subtilement entre 60 % et 85 % en fonction de la nature des oeuvres (oeuvres audiovisuelles ou patrimoniales), du type de service de télévision (terrestre/câble-satellite, cinéma/non cinéma) et de la hauteur de son chiffre d'affaires.

S'agissant de France Télévisions, l'accord conclu en octobre 2008, intégré dans son cahier des charges (décret n° 2009-796 du 23 juin 2009 fixant le cahier des charges de la société nationale de programme France Télévisions, pris par application de l'article 48 de la loi du 30 septembre 1986), va au-delà de ces obligations en prévoyant que le groupe consacre 95 % de son obligation à la production indépendante et ne peut pas détenir de parts de coproduction sur les 5 % restant de production dépendante (IV de l'article 9 du décret et annexe sur l'étendue des droits cédés).

En 2011, un montant de 717,9 millions d'euros, soit 86 % de la contribution globale des éditeurs, a été pris en compte au titre des investissements en faveur de la production indépendante .

Comme l'indique le CSA, au-delà de ces 717,9 millions d'euros, « un montant de 28,4 millions d'euros a été déclaré pour des oeuvres répondant aux deux critères réglementaires de la production indépendante mais dont les durées de droits excédaient les limitations fixées dans les accords et qui, à ce titre, n'ont pas été prises en compte au titre des obligations de production indépendante » .

Contribution au développement de la production d'oeuvres audiovisuelles

Tableau synthétique

Chaînes en clair

Contributions globale et patrimoniale

Trois régimes :

Au moins 15 % du CA (obligation globale) dont au moins 10,5 % du CA pour des oeuvres patrimoniales

Au moins 12,5 % du CA uniquement pour des oeuvres patrimoniales

Chaînes musicales : au moins 8 % du CA (obligation globale) dont au moins 7,5 % du CA pour des oeuvres patrimoniales

Une option en prenant en compte les accords pour les éditeurs dont CA < 200M € :

possibilité de diminuer le taux de l'obligation globale avec maintien du sous-quota patrimonial : diminution compensée par des dépenses pour des émissions de plateau (décomptées pour la moitié de leur montant)

Modulation de ces taux en fonction des niveaux de CA

éventuelles montées en charge

Production indépendante

Éditeurs dont CA > 350M € : obligation uniquement sur les oeuvres patrimoniales

Au moins 9 % du CA si contribution en partie patrimoniale

Au moins 9,25 % du CA si contribution entièrement patrimoniale

FTV : 95 % de la contribution auprès de producteurs indépendants

Éditeurs dont CA < 350M € :

Au moins 70 % de l'obligation globale

Au moins 75 % de l'obligation patrimoniale

Modulation de ces taux en fonction des niveaux de CA

Source : Conseil supérieur de l'audiovisuel (tableau modifié)


* 10 Cette précision est importante dans la mesure où la notion d'oeuvres audiovisuelles est différente dans le code de la propriété intellectuelle, dont le 6° de l'article L. 112-2 indique que sont dénommées oeuvres audiovisuelles « les oeuvres cinématographiques et autres oeuvres consistant dans des séquences animées d'images, sonorisées ou non ».

* 11 Article 9 du décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010 applicable aux services de télévisions diffusés par voie hertzienne terrestre.

* 12 Décret n° 2010-416 du 27 avril 2010.

* 13 Les décrets production ne prévoient pas d'obligations d'investissement minimal en faveur de la production inédite mais le décret n° 2010-747 du 2 juillet 2010, applicable aux chaînes hertziennes, permet l'inscription d'engagements en production inédite dans la convention de l'éditeur (cas de TF1 et M6).

* 14 CSA, Deux années d'application de la réglementation de 2010 relative à la contribution des éditeurs de services de télévision au développement de la production audiovisuelle, janvier 2013.

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